13 février 2005

Il existe deux types de prison.

Dans le premier, vous êtes confinés dans un endroit clos par des barreaux, des cellules verrouillées, des murs infranchissables. Le monde extérieur est là, vous pouvez le voir, l'entendre, le toucher presque. Tout ce que vous connaissez, tous ceux que vous aimez sont là, de l'autre côté de ces murs, mais vous ne pouvez les atteindre.

Dans l'autre, il n'y a ni barreau, ni porte, ni mur, ni fil barbelé, ni tranchée. Juste un grand espace qui s'étend à l'infini, et rien pour vous empêcher d'aller et venir où bon vous semble.

Mais vous n'avez nul part où aller. Personne ne vous attend.

Quelle prison choisiriez-vous ?


J'ai failli tomber en bas de ma chaise cette semaine. J'ai reçu un courriel de Nikita ! Je ne m'attendais vraiment plus à avoir de ses nouvelles, elle qui n'a pas répondu au dernier courriel que je lui avais fait parvenir il y a près d'un an. Non seulement je n'ai jamais vu son dernier enfant, mais je ne sais même si c'est un garçon ou une fille. Où peut-être l'ai-je déjà su mais je ne m'en rappelle plus.

Quoi qu'il en soit, elle me demandait simplement de mes nouvelles. Je lui en ai donné. Je lui ai parlé de ma situation actuelle, de mes démarches pour ne plus travailler durant l'été (qui, en passant, ont été acceptées par mes supérieurs. Yé !), de mes projets de chalet et de retraite anticipée. Elle m'a répondu aujourd'hui, davantage pour me donner un simple accusé réception, me disant qu'elle m'écrirait plus longuement prochainement.

Il y a une idée qui me trotte dans la tête depuis un peu avant les fêtes.

Chaque fois que la collègue de mon ami d'enfance et moi nous sommes vu dernièrement, il a toujours été question qu'elle n'aimait pas vraiment vivre en ville, qu'elle préfèrerait un environnement comme le mien. Elle et mon ami d'enfance discutent d'ailleurs de la possibilité pour elle d'aller habiter à l'étage inférieur de la maison qu'il a l'intention de se faire construire dans quelques années sur le terrain qu'il a acheté non loin de chez moi. Elle mentionne souvent qu'elle aura de la difficulté à attendre si longtemps.

Elle et moi sommes relativement sur la même longueur d'onde (ce qui est plutôt rare dans mon cas). Nous sommes tous les deux tranquilles, elle ne semble pas se formaliser de mon niveau de désordre, ni du fait qu'il n'y ait pas de porte à ma salle de bain, même si cela l'a quelque peu surpris au début. Son kayak est déjà chez moi, elle apprécie beaucoup mon sauna, et c'est sans doute la personne qui partage le plus cette passion avec moi. De plus, même si elle n'a jamais été nue devant moi, ma propre nudité ne semble pas lui causer le moindre problème.

Vous devinerez que l'idée trotte dans ma tête de lui proposer de venir habiter chez moi.

Nous avons des horaires incompatibles, mais ce ne serait pas vraiment un problème. Elle aurait sa propre chambre après tout, et en plus cela m'aiderait à me sentir moins envahi, car elle se coucherait autour de l'heure où je termine habituellement de souper. Mes soirées seraient pratiquement semblables à ce qu'elle sont actuellement.

Mais vous devinerez aussi que j'hésite énormément à lui faire cette proposition.

Pas que j'aie peur qu'elle refuse, au contraire. Par nos dernières conversations, je crois plutôt que cela l'intéresserait beaucoup. Mais évidemment elle n'ose pas me le proposer, connaissant très bien mon côté misanthrope. Elle ne me connaît pas encore beaucoup, mais c'est un aspect de ma personnalité qu'on découvre très tôt...

Non, en fait, il y a deux choses qui me font hésiter.

La première, c'est que je suis non seulement misanthrope justement, mais que je suis un vieux garçon. J'habite ici depuis douze ans, j'ai mes vieilles habitudes, et je déteste par dessus tout les contraintes de quelque nature que ce soit. Mais je ne m'en fait pas trop avec ça. Je suis un adulte après tout, je suis capable de me raisonner, de comprendre que le peu que je sacrifierais serait largement compensé par ce que je gagnerais. Je sais que ce serait dur au début, mais je suis très adaptable de nature et je n'ai aucun doute que je m'accommoderais très vite de ce mode de vie, au point où j'en viendrais à me sentir comme si j'avais toujours vécu ainsi.

La deuxième chose, quand à elle, est plus problématique.

Si la nature de la relation que je veux entretenir avec cette femme était claire et coulée dans le béton, il n'y aurait pas de problème. Mais voilà, ce n'est pas le cas. J'ai déjà mentionné que la première fois que nous nous sommes rencontré, il n'y a pas eu de papillons dans le ventre, pas d'éclair dans le regard, pas de palpitations, rien de tout ça. Et ça s'est passé ainsi pour elle aussi. Bref, pas d'atomes crochus. Pas de problème, puisque c'était réciproque.

Mais ça n'en restera pas nécessairement là. Nous nous sommes rapprochés dernièrement. C'est malgré tout une femme très désirable, et il m'arrive quelques fois de la regarder différemment. Quand à elle, je crois qu'elle apprécie de plus en plus l'attention que je lui porte.

Pour l'instant, il est clair que nous sommes amis, et que c'est en tant qu'amie et co-locataire qu'elle entrerait chez moi. Elle aurait sa propre chambre, ses propres affaires, bien qu'elle pourrait bien entendu jouir pleinement de toute la maison: lac, terrain, sauna, tout. Après tout, si elle emménageait chez moi, il est clair que je voudrais qu'elle s'y sente aussi chez elle.

Mais la situation en resterait-elle toujours là ?

Et si tout à coup, à force de la voir, de lui parler tous les jours, à force de partager notre intimité, je développais des sentiments pour elle ? C'est une situation très possible, dont elle est elle-même parfaitement consciente, car elle a toujours pris soin à date de choisir exclusivement des homosexuels comme co-locataires.

Si ces sentiments se développaient de façon réciproque, aucun problème évidemment. J'aurais enfin ce que je désire et j'attend depuis si longtemps. Mais si c'était à sens unique, comme ça a presque toujours été le cas dans ma vie, vous imaginez la merde que ça entraînerait ? Serais-je capable de voir tous les jours une femme que je désirerais mais qui me serait inaccessible ? Et comme c'est une femme qui fait souvent des rencontres, comment me sentirais-je de la voir amener ses amants ici, ou son amoureux si jamais elle s'engageait dans une relation sérieuse ?

C'est une situation beaucoup trop problématique et potentiellement explosive. J'ai presque toujours vécu des relations à sens unique, j'ai beaucoup souffert de cela, et je n'ai pas l'intention de courir le risque de me replonger encore une fois dans cet enfer, d'autant plus que cette fois, je n'aurais plus nul part où fuir, aucun sanctuaire où me réfugier. Je serais obligé d'endurer ça pendant au moins un an.

Non, il est trop tôt. Beaucoup trop tôt. Nous allons encore nous voir dans les prochaines semaines. J'hésitais toujours à ce que nous échangions nos numéros de téléphone, et je crois qu'elle comprenait que c'était parce que je préférais maintenir encore une certaine distance entre nous. La semaine dernière, spontanément, avant de partir, elle m'a donné le sien.

Je vais encore laisser la situation évoluer. Pas question que je pose un geste aussi lourd de conséquence, ni même que je lui en fasse miroiter la possibilité, avant que les choses ne se précisent entre nous, dans un sens ou dans l'autre.


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