24 avril 2007

Comment vais-je faire ?

Je ne tiens plus en place. Chaque jour qui passe est une agonie. Comment puis-je encore me lever chaque matin et faire mon train-train quotidien, le même train-train que je fais depuis plus de deux décennies, alors que je sais maintenant que cela n'a plus aucun sens, que les années où mon travail faisait réellement une différence sont loin derrière moi et ne reviendront jamais, et que par dessus tout, je sais maintenant où est ma place dans ce monde, ce que je veux faire, comment je veux vivre, tout en sachant que j'en ai encore pour des années avant que tout cela ne se réalise, des années à vivre encore tout éveillé ce que je vivais avant à moitié endormi, des années à être pleinement conscient de la complète et totale absurdité de mon existence actuelle, que seule l'inconscience me permettait d'endurer avant.

Et quand je dis "endurer", c'est tout juste. Ce n'est pas pour rien que j'ai fait deux dépressions, et qu'entre ces épisodes, je vivais dans un état de semi torpeur quasi perpétuelle, continuellement habité par une sensation indéfinissable de mal être, de "vide", de "manque", et autres mots que j'essayais en vain de placarder sur une sensation pour laquelle il n'en existe peut-être aucun.

J'en entend tous les jours se plaindre, certains ouvertement, d'autres en silence, que je devrais cesser de me plaindre, qu'un homme comme moi qui a trouvé très tôt dans sa carrière un travail payant et intéressant, qui possède une maison et toutes les commodités dont il a besoin, la santé (du moins la plupart du temps), et qui peut sérieusement envisager une retraite confortable avant même la cinquantaine, devrait réaliser la chance qu'il a au lieu de chialer tout le temps. Cette leçon, je la connais par coeur. Je l'ai même servie moi-même à plusieurs personnes au fil des années.

Je sais tout ça. Je sais que le simple fait d'être né en Amérique du Nord fait automatiquement de moi un être plus privilégié que les trois quarts de la population de la planète. Je sais très bien que, alors que je n'ai réalisé que tout récemment ma vrai place dans cette vie, beaucoup connaîtront leur vrai place dès leur plus jeune âge mais leurs conditions de vie ne leur permettront jamais de s'y retrouver. Tout au long de leur existence, ils souffriront l'agonie de voir là, devant eux, tout juste hors de leur portée, une vie qu'ils désirent plus que tout, leur seule vrai certitude étant que cette vie leur sera toujours et à jamais inaccessible.

Mais vous savez, j'en ai fini avec la culpabilité d'être venu au monde dans un endroit privilégié de la planète, dans une bonne famille, d'avoir eu des parents exceptionnels et de posséder un talent qui m'a permis d'exceller dans un domaine qui est devenu émergeant juste au bon moment dans ma vie.

J'ai juste besoin de vacances. De longues vacances. Sortir de mon milieu de travail. Pouvoir profiter pendant des semaines de la nature qui renait pour une autre saison, pouvoir enfin commencer à faire des pas en avant vers la réalisation de mon rêve. En ce moment, je me sens comme un chien de traîneaux qui tire, qui tire après son harnais, qui a hâte plus que tout au monde de s'élancer en avant, mais qui reste désespérément sur place.

Peut-être que moi aussi, lorsque j'aurai passé tout l'été à tirer mon traîneaux, à monter les pentes, à m'essouffler dans la neige épaisse, je pourrai enfin recommencer à apprécier la relative tranquillité de mon train-train quotidien lorsque je rentrerai au travail en septembre.

Du moins, pour quelques semaines...


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