2 janvier 2007

Vous vous rappelez de la panne d'électricité majeure qui plongea une bonne partie de la côte est de l'Amérique du Nord dans le noir en août 2003 ? La panne avait commencé durant l'après-midi et, au fur et à mesure que la journée avançait, les autorités craignaient le pire une fois l'obscurité venue: embouteillages monstres, incendies, émeutes, saccages, pillages et vandalisme, etc.

Rien de tout ça ne s'est produit. En fin de journée, les habitants dans les grandes villes se mirent à rentrer chez eux à pied. Les rues de New York grouillaient des gens qui abandonnaient le métro paralysé pour marcher ensemble, tel un fleuve humain, dans l'ordre, la joie et la camaraderie. Une fois la nuit tombée, les gens sortirent de leurs appartements surchauffées et inhabitables pour aller dormir dans les rues. Spontanément, des fêtes se sont organisées un peu partout. Il y eu bien quelques incidents ici et là, mais dans l'ensemble, cet évènement fut prétexte à une belle expérience de camaraderie et de solidarité humaine.

Cette panne fut l'occasion, pour plusieurs millions d'américains, de vivre une expérience qu'ils n'avaient jamais vécu de toute leur vie. La nuit venue, dans les rues, les gens n'avaient plus qu'à lever les yeux vers le ciel pour voir les étoiles. Pas juste quelques points lumineux ici et là, mais des milliers, des dizaines de milliers d'étoiles. Ce spectacle qui s'offrait maintenant à leurs yeux, pour la première fois de leur existence pour la plupart d'entre eux, étaient pourtant familier à toutes les générations qui les ont précédés depuis l'aube de l'humanité jusqu'à il y a une centaine d'années à peine.

Pour la première fois de leur vie, ces gens levaient les yeux vers le ciel, et contemplaient l'Univers. Cet Univers d'une dimension incommensurable dont ils étaient, tous et chacun, une partie infinitésimale. Cet Univers truffé d'étoiles au sein desquelles ont pris naissance, il y a des milliards d'années de cela, tous les atomes de toutes les molécules de toutes les matières qui constituent tous les objets, naturels et artificiels, du monde qui les entoure, ainsi que toutes les particules qui constituent leur propre corps ainsi que ceux de tous les êtres vivants, l'air qu'ils respirent, l'eau qu'ils boivent.

Bien que la plupart d'entre eux ne le réalisèrent probablement pas (pas à un niveau conscient en tout cas), ils se firent offrir pour la première, et peut-être la seule, fois de leur existence l'opportunité de se reconnecter avec la Réalité; la Seule, la Vrai Réalité, celle de cette Création d'une immensité telle qu'elle dépasse notre entendement, et dont nous sommes pourtant, malgré notre infinitésimale petitesse par rapport à elle, une partie indissociable et indispensable.

Dans les pays industrialisés, les gens naissent, vivent leur vie, et meurent sans jamais avoir pris conscience de la connexion indispensable qui nous uni à la nature. Toute leur vie, ils la passeront dans un milieu totalement artificiel, entièrement construit par l'homme. Ils la passeront dans des maisons construites par l'homme. Lorsqu'ils sortiront à l'extérieur, ils auront comme seul décors des édifices construits par l'homme, des parcs avec des arbres plantées par l'homme, des campagnes avec des champs qui sont des milieux tout aussi artificiels que les milieux urbains, des pâturages broutés par des animaux créés par l'homme au fil de plusieurs milliers d'années de sélection génétique. Toute leur vie, ils respireront un air chargé de substances chimiques découlant de l'activité humaine; ils boiront une eau traitée et filtrée artificiellement, achèteront au supermarché de la nourriture cultivée par l'homme, traitée aux pesticides et aux hormones de croissance, emballée dans de beaux paquets de mousse de polystyrène et de pellicule plastique. Ils se vêtiront de fibres synthétiques, se divertiront à l'aide d'activités culturelles qui sont entièrement le produit de l'activité humaine.

La plupart de ces gens ne poseront jamais la main sur l'écorce d'un arbre plus vieux qu'eux; ne se tremperont jamais les pieds dans l'eau d'une rivière de montagne, ne feront jamais l'expérience de la véritable nuit noire, sans aucune autre lumière que celle des étoiles; ne feront jamais l'expérience du silence, du véritable silence, où le seul son que nous renvoient nos oreilles est celui de notre propre coeur battant dans notre poitrine.

L'homme a créé la civilisation pour se protéger de tout ce qu'il y a d'hostile dans notre univers: les intempéries, les prédateurs, la maladie, la famine. Mais ce faisant, il s'est également coupé de tout ce que la nature lui apportait de bon, d'indispensable à sa survie et à son épanouissement. Maintenant, il doit payer plus cher pour tout se qui est favorable à son bien être: Payer plus cher pour de la nourriture plus saine et plus variée, plus cher pour de l'eau de source plus pure, plus cher pour bouger et se tenir en forme, plus cher pour habiter en banlieue et respirer ainsi de l'air moins pollué et connaître plus de tranquillité. Dans les pays civilisés, nous avons réduit la mortalité infantile par cent, mais la première cause de décès chez nos jeunes est maintenant le suicide. Nous avons accru notre espérance de vie de 30 ans, mais nous abandonnons nos aînées dans des mouroirs où ils passent leurs dernières années sans dignité, dans l'isolement et la solitude, en accueillant la mort comme une délivrance. Nous ne mourront plus de causes telles la prédation, les parasites, la famine ou les maladies infectieuses, mais nos existences sont empoisonnées par les maux du monde moderne tel le stress, la dépression, le burn-out, les maladies pulmonaires et cardio-vasculaires, les allergies, le cancer, le suicide et les super-bactéries résistantes aux antibiotiques qui sont le fruit de notre propre inconscience. Notre taux de natalité baisse, nos familles se disloquent, nos valeurs s'effondrent.

Arrêtons de nous enterrer la tête dans le sable, voyons la réalité en face: Notre civilisation est un échec. Un lamentable échec. À cause d'elle, si nous ne faisons rien, nous allons inévitablement nous anéantir nous même ainsi que la planète qui nous a donné la vie.


[jour précédent] [retour] [jour suivant]