2 juin 2007

Ce soir, je vais vous entretenir de quelque chose dont je suis si surpris de ne pas vous avoir glissé mot avant aujourd'hui que j'ai passé plusieurs minutes à faire des recherches détaillées dans l'ensemble de mon site avant de commencer cette page.

Il y a quelques années, alors que je parcourais les différentes chaînes de télévision dans l'espoir futile d'y trouver quelque chose d'intéressant à regarder, je suis tombé par pur hasard sur la station PBS qui diffusait à ce moment là un documentaire intitulé Alone In The Wilderness, produit par Bob Swerer. Dès la première minute d'écoute, j'ai été immédiatement et irrémédiablement accroché.

Le sujet de ce documentaire était un homme appelé Richard L. Proenneke, un menuisier et mécanicien originaire de l'Iowa qui, après la deuxième guerre mondiale, est allé s'installer en Alaska pour tenter d'y démarrer une ferme bovine. Après plus ou moins de succès dans cette entreprise, il retourna travailler pour la base militaire locale à titre de mécanicien diésel. C'est à cette époque que des amis lui firent découvrir Twin Lakes, une vallée reculée et sauvage où ils allaient passer quelques semaines par été pour chasser et pêcher.

Après un accident de travail où il faillit perdre la vue, Richard "Dick" Proenneke décida de prendre une retraite anticipée (c'était un homme qui, comme moi, avaient des goûts peu dispendieux et qui s'était donc constitué un bon coussin de sécurité) et de mettre ses talents de menuisier à l'épreuve en se construisant sa propre cabane en bois rond à Twin Lakes, où il pourrait lui aussi profiter de la paix, de la solitude, et s'adonner quelques semaines par année, durant la saison estivale, à ses passe-temps préférés: la photographie et la cinématographie.

C'est à l'âge de 50 ans, au printemps de 1967, que Dick Proenneke se rendit à Twin Lakes pour y couper et y mettre à sécher les bûches qu'il utiliserait l'année suivante pour construire sa cabane. Durant tout l'été, il coupa, ébrancha, écorça et empila une cinquantaine d'épinettes blanches, avec comme seuls outils une sciotte et une hachette. Au printemps suivant, il retourna à Twin Lakes, cette fois avec un ensemble complet d'outils à main ainsi que sa fidèle ciné-caméra Bolex 16mm grâce à laquelle il documenta en détail la construction de sa cabane. Cette dernière, qui existe toujours aujourd'hui, est un véritable petit chef-d'oeuvre d'ingéniosité et de débrouillardise.

Fier de son travail, et inspiré par ses lectures de Henry David Thoreau (et en particulier de son ouvrage Walden), Proenneke décida alors de voir s'il pourrait passer l'hiver seul à Twin Lakes, ce qu'il fit sans problème. Puis une fois le printemps venu, ayant pris goût à cette vie simple de découverte et de contemplation dans une nature sauvage, magnifique et encore peu touchée par l'activité humaine, il décida de demeurer dans cette vallée et de continuer à habiter sa petite cabane en bois rond sur les berges d'un magnifique lac glaciaire tant et aussi longtemps qu'il ne s'en lasserait pas.

Dick Proenneke demeura à Twin Lakes pendant les trente années suivantes.

Ce ne furent ni la solitude, ni sa santé, ni le dur labeur physique de devoir entretenir sa cabane, couper et fendre son bois de chauffage, ni les longues randonnées de plusieurs dizaines de kilomètres en montagne avec tout son attirail de photographie sur le dos, qui eurent finalement raison de lui; mais bien les longues nuits d'hiver à plus de 50 degrés sous zéro qui furent finalement trop dures pour ses 82 ans. En 1998, Dick Proenneke quitta définitivement sa vallée, qu'il n'avait jusque là qu'occasionnellement quitté pour visiter famille et amis, et céda sa cabane au National Park Service, car durant son séjour à Twin Lakes, cette vallée fut incluse dans ce qui constitue aujourd'hui Lake Clark National Park. D'ailleurs, en remerciement pour sa contribution inestimable lors du processus d'établissement du parc, Le NPS lui accorda un droit à vie de séjour à Twin Lakes ainsi qu'un droit de pratique de la chasse et de la pêche de subsistance.

Durant ses trente années à Twin Lakes, Dick Proenneke documenta en détail son quotidien dans des milliers de pages de journal. D'ailleurs, l'un de ses amis, l'écrivain Sam Keith, le convainquit de produire un livre basé sur les cinq premières années de ses journaux. L'ouvrage One Man's Wilderness: An Alaskan Odyssey fut publié en 1973 et devint un best-seller. Proenneke devint alors un symbole et une inspiration pour le mouvement environnementaliste et écologiste qui commençait à l'époque à prendre de l'expansion. Entre cette date et l'année d'établissement du parc national, il reçut d'ailleurs de nombreux visiteurs, allant du simple admirateur aux hauts dignitaires et politiciens, en passant par des journalistes et reporters de publications et productions aussi prestigieuses que National Geographic et Nova.

Dick Proenneke s'éteignit le 28 avril 2003, à l'âge de 86 ans.

Il y a quelques semaines, j'ai mis la main sur le film Alone In The Wilderness, que j'ai finalement pu visionner en entier du début à la fin. Dès la première écoute, il y a quelques années, quelque chose de ce film était instantanément venu me chercher. Depuis que je me le suis procuré, j'ai dû l'écouter une bonne vingtaine de fois au moins. Je ne m'en lasse tout simplement jamais. Je l'ai prêté à quelques collègues de travail. Certains m'ont poliment dit qu'ils l'avaient bien apprécié. Mais quelques autres, comme moi, ont été littéralement emballés.

Je l'ai apporté chez mon père il y a trois semaines, et nous l'avons écouté en famille. Comme je lui avait laissé une copie, mon père m'a rappelé cette semaine pour me demander si je voulais la récupérer. Je lui ai bien sûr dit que la copie était pour lui et qu'il pouvait la garder. Mais ce faisant, il m'a confié que, lui aussi, avait écouté ce film presque chaque jour. Tout comme moi, ce film l'avait touché profondément. J'ai toujours su, au fond de moi, que je tenais énormément de mon père. J'ai bien sûr hérité de son sal caractère et de quelques uns de ses défauts génétiques. Mais mon amour et mon profond respect pour la nature et la vie, ainsi que mes talents en menuiserie, plomberie, électricité, etc, c'est aussi de lui que je les tiens. Si mon père avait fait des choix différents, s'il n'avait pas rencontré ma mère et n'avait pas fondé de famille, je sais qu'il aurait lui aussi aimé vivre ce genre de vie simple, près de la nature, loin du stress et de la folie de notre civilisation.

Mon père a fait des choix, et encore aujourd'hui, il affirme qu'il n'a aucun regret.

Quant à moi, quand j'aurai son âge, si je me rend jusque là, j'espère que je pourrai en dire autant. Il n'en tient qu'à moi de prendre les décisions et faire les choix pour qu'il en soit ainsi.


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