3 octobre 2007

Mon père m'a téléphoné hier soir. C'est la messe anniversaire de la mort de ma mère dimanche prochain. Je n'ai pas envie d'y aller. Mais j'irai quand même. C'est une des rares choses pour lesquelles je n'ai tout simplement pas le courage de m'affirmer, de faire mon propre choix, de nager à contre courant s'il le faut. Trop de personnes qui me tiennent à coeur seraient blessées.

Qu'est-ce que c'est que cette obsession morbide que les gens ont de toujours vouloir souligner, à date fixe, les évènements malheureux ? Pourquoi aiment-ils à ce point se replonger dans la peine et la douleur ? La tradition ? Une manière tordue d'"honorer" la mémoire du disparu ? Un résidu de notre vieille mentalité judéo-chrétienne qui glorifie l'auto-flagellation ?

Ne vous méprenez pas. Je n'ai rien contre l'idée de voir mon père ainsi que mes frère et soeur. C'est de les voir à ce moment précis, dans des conditions dictées par des lois non-écrites basées sur des traditions qui sont non seulement désuètes, mais qui n'ont jamais vraiment été pertinentes.

Et de plus, je n'aime pas l'idée qu'on me force encore une fois à participer à un rituel que je considère basé sur un mensonge millénaire et auquel j'ai tourné le dos il y a des décennies.

Traitez moi d'ingrat, de fils indigne, d'insensible, d'égoïste, et de tous ces autres qualificatifs que j'ai entendu toute ma vie et que j'ai même cru pendant la majeure partie de celle-ci. Mais aujourd'hui je m'en fous.

Je ne suis pas ce que vous dites que je suis. Et que vous soyez d'accord avec moi ou non n'a aucune importance.

Cette fois sera la dernière fois que je participerai à cette séance de masochisme. Je mettrai ça très clair avec ma famille, qui ne seront guerre surpris de mes propos d'ailleurs, parce qu'ils me connaissent assez pour ça.

Et tout cela n'est qu'une chose parmi les milliers de choses que je trouve maintenant totalement absurdes dans cette société. Depuis que j'y vois clair, que je me suis ouvert les yeux sur l'absurdité de la civilisation que nous nous sommes créé, je n'en reviens tout simplement pas de voir à quel point les gens s'appliquent avec acharnement à se forger une vie compliquée, stressante, épuisante, aliénante et insensée qui mine à petit feu leur santé physique et mentale. Et je suis estomaqué de voir avec quelle énergie ils s'acharnent à souligner la moindre inconsistance, la plus petite incohérence, la plus insignifiante des contradictions dans les propos que j'exprime face à ma vision du monde, mon système de valeur et mes projets de vie, alors qu'ils acceptent inconditionnellement et sans la moindre remise en question la montagne incommensurable d'ineptie, d'absurdité et d'injustice que constitue notre société moderne et dans laquelle ils s'enlisent petit à petit, sans la moindre résistance et avec le sourire en plus.

Suivez mon conseil: restez aveugles. Continuez à avancer dans la vie, en suivant les chemins tout tracés par les autres, sans vous casser la tête, sans rien remettre en question. Continuez à faire ce que l'on attend de vous, à chercher à vous conformer le plus possible à l'un ou l'autre des nombreux modèles que l'on vous offre, vous faisant ainsi bénéficier d'une illusion de liberté. Continuez à définir votre valeur en fonction de votre contribution à la société. De cette façon, vous aurez encore devant vous de nombreuses années de bonheur illusoire, à vous fendre le cul pour arriver à vous payer un tas de choses dont vous n'avez jamais vraiment eu besoin (mais qu'un tas de gens ont besoin que vous achetiez, cependant) et pas le temps de jouir de toute façon, et plus la santé de jouir quand vous serez trop vieux pour contribuer à cette société qui n'aura aucun remord à vous entreposer dans des mouroirs où des préposés aux bénéficiaires vous appelleront "mon petit monsieur" et "ma petite madame", en espérant que vous mourriez au plus "crisse" parce qu'ils en ont marre de payer vos couches et vos médicaments avec l'argent de leurs taxes.

La lucidité est une malédiction. Mais une malédiction que j'accueille à bras ouverts, comme une délivrance, comme une libération. En fin de semaine, dans un chalet que nous avions loué ensemble, Lola m'a demandé comme ça, spontanément: "Laqk, est-ce que tu es heureux ?". Ma réponse est sortie automatiquement, du tac au tac, sans réfléchir: Oui. Oui, je suis heureux. Pour la première fois de ma vie peut-être.

Je suis mal dans mon monde, mais bien dans ma peau. Prisonnier de la vie qui m'a été imposée depuis ma naissance, mais libre dans ma tête et dans mon coeur. Frustré de voir toute la souffrance, l'injustice et le malheur qui m'entoure, mais heureux d'avoir retrouvé la vue.


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