13 octobre 2007

Cette semaine, je ne sais trop pourquoi, j'ai eu la nostalgie de ma randonnée dans les monts Groulx d'il y a quelques années. Je me suis mis à fouiller sur l'Internet pour trouver des sites d'autres personnes qui auraient faits des expéditions dans cette région. J'en ai trouvé beaucoup. Ça m'a rappelé beaucoup de souvenirs.

Deux choses sont ressorties de ces recherches. Premièrement: J'avais une paire de bottes vraiment exceptionnelle. Sur tous les sites que j'ai lu, tous on dit, sans exception, qu'il leur avait été impossible de demeurer les pieds au sec durant ces longues journées de randonné dans les marais et la mousse humide. Et pourtant, moi, je suis resté les pieds totalement secs durant tout le temps que j'ai passé là, même après avoir marché sept kilomètres dans un marais avec de l'eau jusqu'aux chevilles. Copine elle-même avait les pieds complètement détrempés, et au début, elle ne me croyait pas lorsque je lui disait que j'avais les pieds au sec. Il a fallu qu'elle touche mes chaussettes, et mette les mains dans mes bottes pour me croire.

Deuxièmement: C'est fou comme nous étions peu préparés, Copine et moi, pour cette randonnée, si on se compare à ceux qui font le récit de leur expédition sur le web. Presque tous, à quelques exceptions près, font mention de préparation de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant leur départ; de groupes de trois personnes ou plus, de longues soirées à tracer leur itinéraire sur carte topographique, de GPS, de téléphones satellite, et Dieu sait quoi d'autre.

Dans notre cas, la préparation s'est limitée à faire plastifier une carte topographique de la région quelques jours avant notre départ et à informer nos parents respectifs de notre destination et de la date où nous espérions être de retour. Pour le reste, nous nous sommes simplement préparé comme nous préparons n'importe quelle autre randonnée. Matériel de base: vêtements, tente, sac à dos, filtre à eau, réchaud et combustible, appareil photo, etc.

Peut-être avons-nous été inconscients. Peut-être est-ce aussi les autres qui voient cette aventure comme pire qu'elle ne l'est en réalité. Ils parlent des monts Groulx comme d'autres parlent de l'Aconcagua ou du Népal.

Ils disent que c'est totalement rustique, qu'il n'y a aucun sentier, qu'il faut savoir naviguer à la boussole, mais posséder un GPS si on connait plusieurs jours de brouillard, ce qui est très fréquent là-bas. Ils disent qu'on est jamais trop prudent, qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver, qu'il faut tout prévoir.

Ça me laisse un peu sceptique tout ça. Bien sûr, les monts Groulx, c'est loin. Mais loin de quoi, au juste ? En ce qui me concerne, peu importe où je vais, peu importe à quel point je m'enfonce dans la "nature sauvage", je ne me sens jamais loin. Ne suis-je pas toujours exactement là où je suis ? C'est quoi cet étrange concept de "loin" ? Loin de la civilisation ? Loin de l'aide si "quelque chose" nous arrive ? Peut-être n'est-ce que moi, mais personnellement, je ne me suis jamais senti plus en danger, plus seul, plus "loin" de quoi que ce soit quand je suis dans la nature que quand je suis en plein milieu de la civilisation.

Copine est un peu comme moi. Elle est née et a grandi dans le grand nord, où la "nature sauvage" n'est qu'à cinq minutes de marche dans n'importe quelle direction. Petite, elle et ses amis jouaient dehors, en plein hiver, par des températures de -35 degrés Celsius, en plein milieu de la forêt boréale, entourés de couguars, de carcajous et de meutes de loup, sans que personne ne s'inquiète de leurs allées et venues. Alors quand nous étions ensemble dans les monts Groulx et bivouaquions au lean-to du lac Quintin, nous avions là tout ce dont nous avions besoin: Un toit sur notre tête, des vêtements chauds en double, du savon biodégradable pour nous laver nous et nos vêtements, et une source inépuisable d'eau potable grâce au filtre à eau. Nous avions une quantité limitée de nourriture et de carburant pour notre réchaud, mais dans le pire des cas, la nourriture abondait partout dans la toundra et les lacs environnants, et il ne manquait pas non plus de bois pour faire un feu. Et au pire, peu importe où nous nous trouvions dans cet immense massif montagneux, il suffisait à l'un de nous de laisser son sac à dos sur place, et il n'était alors jamais à plus d'une demi journée de marche de l'automobile que nous avions laissée au camp Nomade sur le bord de la route 389, donc aussi bien dire juste à côté de la dite automobile.

Nous avions prévu de rester là une semaine, mais nous aurions aussi bien pu y demeurer des semaines, voire tout l'été, sans problème. Peut-être même toute une année, ou toute une vie.

Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis fait dire par mes collègues et amis que je devrais m'inquiéter de penser à aller m'installer comme ça, en pleine forêt boréale, "loin de tout". Encore une fois, cette expression me fait sourire. C'est justement ce que je veux, être loin de tout ! "Mais s'il t'arrivait quelque chose ?"

Vous ne pouvez pas être plus précis à propos de ce "quelque chose" ?

- Ben tu sais, si tu te blessais, tu tombais malade, tu était victime d'un "malaise" ?

Et bien je suis désolé de vous décevoir, mais je ne me sens pas particulièrement plus en sécurité en pleine civilisation que je le serais dans le bois. Prenez l'ex mairesse de Québec Andrée Boucher, par exemple. Elle habitait en plein milieu de Sainte-Foy, avec téléphone, avertisseur d'incendie, système d'alarme. Elle était à quelques mètres à peine de ses plus proches voisins, et à cinq minutes à peine de tous les services d'urgence: Policiers, pompiers, ambulance.

Rien de tout ça ne l'a empêché de mourir. Elle est morte foudroyée dans son sommeil. Et même si elle avait eu quelques secondes de conscience, ce téléphone sur la table de chevet lui aurait semblé aussi éloigné et inaccessible que la plus proche habitation humaine le sera de ma future résidence en forêt.

Il y a toujours du pour et du contre à toute situation. Je serai loin d'une aide éventuelle, mais aussi loin de tous les dangers que représente la société: Accidents de voiture, agressions, etc.

Mais plus important que cela: Je serai à ma place, je serai libre. Je serai dans ce "loin" hypothétique et mystérieux dont tout le monde me parle continuellement, mais que je n'ai jamais vraiment ressenti comme tel. Au contraire, je me sentirai près de tout, près de ce que j'aime, de la nature, de la vie.

Je serai chez moi.


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