29 décembre 2008

Je suis dans une période difficile ce soir. La solitude me pèse beaucoup. Le temps des fêtes ne fait rien pour arranger les choses. Mais ce n'est pas grave. J'ai l'habitude, je me connais bien maintenant. Je sais que ça va passer.

Mais je sais aussi que je ne m'y habituerai jamais. Inutile de se faire d'illusion à ce sujet. Si je choisi de passer le reste de ma vie seul, celle-ci ne sera toujours qu'une succession perpétuelle de haut et de bas dans ce genre. Il ne me reste qu'à décider si je suis prêt à vivre le reste de ma vie ainsi. Ce sera une décision lourde de conséquences, mais elle ne sera jamais tout à fait irréversible, alors il va bien falloir un jour que je me décide à plonger dans la vide, d'une manière ou d'une autre.

Cela faisait quelques jours que je n'étais pas allé faire une grande marche, alors j'en ai profité cet après-midi. Le temps était doux, le soleil, déjà bas sur l'horizon, brillait timidement derrière un léger voile nuageux. Sur le lac, ce qui avait l'apparence d'un petit groupe familial s'amusait. La pluie des derniers jours avait laissé de grande flaques d'eau un peu partout, que le froid de la nuit dernière avait transformé en patinoires naturelles. Je les ai trouvé bien courageux. Je savais au fond que la glace était sûrement assez épaisse, mais j'ai vraiment beaucoup de difficulté à me sentir totalement à l'aise sur un plan d'eau en hiver. Quoi qu'il en soit, ils étaient assez nombreux, de sorte que même si un accident arrivait, il y avait peu de chance que cela se termine mal.

N'empêche que prendre une longue marche, c'est un peu comme rouler plusieurs heures; ça me permet de penser. Et cet après-midi, j'ai pensé à un épisode d'un dessin animé que j'écoute à l'occasion sur le réseau Télétoon (ne riez pas, en toute honnêteté, c'est probablement ce qu'il y a de plus intéressant à la télé). Dans cet épisode, deux adolescents célibataires avaient invité deux filles à un rendez-vous. L'un des deux adolescents, beau gosse, plein d'une assurance frisant l'arrogance, était celui qui avait organisé le rendez-vous en question, pour son bénéfice personnel bien sûr, mais aussi pour celui de son camarade, moins sûr de lui, plus timide et moins "fonceur". Pour faire une histoire courte, plus la "date" avançait, plus l'adolescent timide se détendait et devenait plus sociable et moins recroquevillé sur lui-même, et plus les deux filles s'intéressaient à lui et délaissait l'autre, à son grand désarroi d'ailleurs. À la fin, c'était le jeune timide qui marchait, une fille pendue à chaque bras, alors que l'autre, celui qui avait organisé le rendez-vous, trainait tout piteux derrière le groupe.

La raison pour laquelle je m'attache tant à cette série télévisée, c'est sans doute parce qu'elle me rappelle une époque lointaine, à laquelle je repense toujours avec un certain regret. Pas parce qu'elle me manque, mais plutôt parce que je suis toujours resté avec l'impression de quelque chose d'inachevé. Comme si l'adolescence avait été une période ratée de ma vie, une période dont je n'avais pas profité pleinement. Ce n'est pas la première fois que je réfléchis sur le sujet. Ces pensées me reviennent régulièrement, depuis presque aussi longtemps que je suis entré dans la vie adulte, habituellement durant des périodes comme celle-ci où j'ai vraiment trop de temps a perdre.

Et chaque fois, j'en arrive à la même conclusion: Cette impression d'échec, de non-accomplissement, d'avoir "raté" quelque chose, ne peut justement être que ça: une impression. Parce ce que si j'y regarde bien, force est de constater que j'ai eu une adolescence bien remplie; très bien remplie même. Je l'ai fait, ma "vie de jeunesse", comme on dit. Dieu sait que je l'ai fait. De façon quasi ininterrompue durant cette période de quelques années, j'ai été continuellement entouré d'ami(e)s, féminins et masculins. Je ne passais pas une seule journée dans la solitude. Mes jours de semaines étaient occupés par l'école, rares étaient les soirées où je restais chez moi, et les fins de semaines étaient toujours bien remplies par toutes sortes d'activités, que ce soit les sorties dans les bars, au cinéma, au resto, les activités de plein-air, etc. Nous étions un petit noyau mixte d'environ une dizaine d'individus, auquel se greffaient à l'occasion des visiteurs et visiteuses d'autres milieux. Tous les genres de "rebondissements" qui arrivent habituellement dans la vie des ados nous sont arrivés. Amourettes, aventures, ruptures, conflits, chicanes et réconciliations, trahisons, jalousie, malentendus, relations asymétriques. Tout, quoi.

Même ce petit épisode fictif dont j'ai parlé plus haut, quelque chose de très semblable m'est déjà arrivé, et plus d'une fois. Parmi notre petit groupe, il y avait un gars avec qui je me tenait plus régulièrement que les autres. Ce n'est pas mon ami d'enfance, je ne vous en ai parlé qu'une fois avant. J'ai coupé les ponts avec lui il y a bien des années, pour des raisons qui sont sans importance et sur lesquelles je n'élaborerai pas davantage.

Ce gars paraissait vraiment très bien, et il "pognait" énormément auprès des filles. Lors de nos sorties en ville, ces dernières n'avaient d'yeux que pour lui, et nous ne passions jamais inaperçu partout où nous allions. Pour un gars comme moi, plutôt ordinaire, très timide, tout aussi mésadapté socialement que je le suis aujourd'hui, et presque totalement dépourvu de la moindre parcelle de confiance en soi, cette association ne faisait rien pour aider mon amour propre. Je sais cela aujourd'hui, avec du recul, mais à l'époque, ce gars était mon ami, nous nous entendions très bien, avions les mêmes goûts et intérêts, et, ce qui était encore mieux, jetions rarement notre dévolu sur le même genre de fille, ce qui, ma fois, nous évitait bien des problèmes. Alors honnêtement, l'effet potentiellement néfaste qu'aurait pu avoir cette amitié sur mon estime de moi était franchement le cadet de mes soucis.

Et pourtant, chaque fois que nous abordions un duo de filles, que ce soit à l'école, dans un bar, ou lors d'une quelconque autre sortie, le scénario se déroulait pratiquement toujours de la même façon: Nous allions voir les filles (ou plutôt, il me trainait presque de force pour aller voir les filles), ces dernières le voyait s'approcher d'elles avec grand enthousiasme, nous faisons les présentations, et naturellement, il prenait pratiquement tout le plancher pendant que je restais à l'écart, regardant les deux filles fantasmer sur lui et prier pour ne pas être celle qui serait laissée pour compte et qui devrait se "contenter" de moi.

Puis, après un certain temps, quelque chose se passait.

Les demoiselles en question semblaient se désintéresser progressivement de lui, ce qui créait pour ainsi dire des "discontinuités" dans le discours, dont je profitais, timidement au début, mais avec une assurance grandissante, pour faire quelques remarques, parfois entrecoupées de blagues pour détendre l'atmosphère. Bref, je prenais de plus en plus de place, ou plutôt, les filles m'accordaient de plus en plus de place. Bientôt, dans un revirement de situation inespéré, c'était moi qui occupait tout le plancher, et cette situation se prolongeait souvent jusqu'à la fin de la rencontre. Ce scénario dont je parlais plus haut, croyez-le ou non, je l'ai déjà vécu, et plus d'une fois. À plusieurs reprises je suis sorti d'un bar, une demoiselle accrochée à chaque bras, formant un trio jacassant et rigolant, faisant tourner toutes les têtes des gens que nous croisions dans la rue, avec mon ami, marchant derrière nous, qui nous suivait en silence.

Cet ami a eu beaucoup de copines durant cette période. Aucune de ces relations n'a jamais duré très longtemps. Mais presque à chaque fois, même après l'avoir quitté, son ex choisissait de garder contact avec moi, et parfois, finissait par devenir une bonne amie.

- Ben alors c'est quoi ton putain de problème Laqk ? D'après ce que tu nous décris, tu as eu une adolescence de rêve, que beaucoup t'envieraient ! De quoi tu te plains alors ?

Ce dont je me plains, et dont vous vous doutez probablement déjà, c'est que malgré l'apparence d'idéalisme de l'adolescence que je viens de vous décrire, il lui a toujours manqué un élément essentiel, un domaine dans lequel je n'ai vécu pratiquement aucune expérience positive. J'ai nommé: le domaine amoureux, sans surprise. Par exemple, de toutes ces filles dont je vous ai parlé plus tôt et qui ont participé à ces nombreux scénarios, aucune de celles pour lesquelles j'ai eu de l'intérêt ne m'a rendu mes sentiments. Des amies de filles, j'en ai eu des tonnes. Mais des blondes, jamais. Parce que chaque fois que je m'intéressais à une fille, ou qu'une fille s'intéressait à moi, ce n'était jamais réciproque. Alors quand l'un des deux belligérants n'y met pas son coeur, ça ne vole jamais très haut et ne dure jamais très longtemps.

Et il en a toujours été ainsi dans ma vie, depuis les premiers jours de ma pré adolescence où j'ai commencé à regarder les filles comme des "filles", jusqu'à ce jour. Des amantes, j'en ai eu bien sûr, mais elles n'ont jamais été que ça: des amantes. Des femmes avec qui j'ai partagé des beaux moments de tendresse, certes, mais jamais d'amour. Je ne sais pas ce que ça fait de "faire l'amour", parce que je ne l'ai jamais vécu. Je n'ai jamais rien fait d'autre que baiser.

Je vous ai déjà parlé de tout ça, bien sûr. Ça fait huit ans et demi que je vous en parle.

C'est ça qui est le grand échec de ma vie. Car voyons les choses en face: sauf quelques exceptions, ma vie n'est qu'une suite quasi ininterrompue de réussites spectaculaires. Mais rares sont les gens qui, malgré tout, accepteraient de m'échanger cette vie, s'ils savaient d'avance le prix qu'ils auraient à payer.


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