1 juin 2008

C'est étrange. En écrivant la date en haut de cette page, j'ai eu pendant une fraction de seconde le réflexe de commencer l'année par les chiffres "19". C'est d'autant plus étrange que j'ai commencé ce journal en 2000, et donc que je n'y ai jamais écrit de date en "19xx". Il faut dire que j'ai passé la plus grosse partie de ma vie au vingtième siècle. Pour moi, les années 2000, ça aurait dû être les années où on possèderait des voitures volantes, où on ne mangerait plus que des pilules, contrôlerait le climat, s'habillerait en papier d'aluminium, et où on vivrait dans une société des loisirs où la semaine de travail ne serait que de trois ou quatre heures...

J'ai passé une bonne partie de mes soirées dehors le mois dernier. J'ai fais preuve d'une remarquable discipline dans le ramassage de mes feuilles. J'ai tout gratté bien avant que les jeunes pousses d'herbes et autres plantes ne commencent à apparaître, ce qui m'a rendu la tâche infiniment plus facile que par les années passées. J'ai passé le reste de mon temps assis sur le bord du lac, à simplement regarder et écouter la faune, ou alors en kayak. Il y a deux semaines j'ai fait un feu, mon premier feu de la saison, pour brûler une bonne partie de la grosse pile de branches mortes que je ramasse toujours sur mon terrain à la fin de chaque hiver.

Il y a tant de choses à voir, à entendre, tant de nouveaux parfums à humer. C'est la meilleure période de l'année pour jouir pleinement de la nature car les sales bêtes suceuses de sang n'ont pas encore fait leur apparition. J'entendais un soir le son guttural d'un butor en provenance du marais et j'ai décidé d'aller voir si je ne pourrais pas le repérer. Une fois arrivée au marais, j'ai commencé à glisser très lentement et très silencieusement dans l'eau au milieu de la végétation dans la direction d'où provenait son chant. Et puis tout à coup je l'ai repéré, sa tête dépassant à peine des arbustes du marais. Il m'avait bien sûr repéré bien avant. Mais j'étais quand même relativement loin, et il a dû juger que je ne représentais pas un danger significatif, car il a continué à chanter comme si de rien n'était. C'est vraiment fascinant de regarder un butor chanter. Ce qui était fascinant aussi, c'était les chants de toutes les autres espèces d'oiseaux: outardes, martins pêcheur, carouges à épaulettes. Sans compter le chant des grenouilles, bien sûr.

À ma grande surprise, j'ai découvert que je m'étais trompé à propos des anciennes huttes de castor du côté du marais. Lors d'une de mes visites, je pouvais clairement entendre que la plus grosse des deux grouillait d'activité. En faufilant mon embarcation entre la végétation pour l'approcher par derrière, j'ai également constaté que ses occupants avaient récemment travaillé dessus, occupants que j'ai eu tôt fait de voir apparaître, alors qu'ils tournaient en rond autour de moi, donnant occasionnellement de grands coups de queue dans l'eau pour tenter de me faire fuir. J'ai été vraiment surpris par leur taille; ils étaient énorme, preuve qu'il s'agit sans doute des "doyens" du lac.

Par contre, la nouvelle hutte, sur l'autre rive, ne montre jamais le moindre signe d'activité. Et pourtant je suis allé la visiter souvent. C'est étrange.

Et pour finir, une vieille connaissance a refait surface récemment: Et oui, c'est la maman marmotte de l'an passé. Elle a l'air en pleine forme. Toujours aussi nerveuse, mais remarquablement calme une fois qu'elle m'a reconnu. Elle n'a pas réintégré son ancien terrier sous la galerie de mes voisins (qu'elle avait abandonné l'an passé), mais elle a cependant débouché le trou qu'elle avait fait dans ma cour, et a même continué à l'agrandir, comme le démontre le tas de terre qui grandit de jour en jour. Il n'y a pas une journée où je ne l'ai pas vue chez moi durant la dernière semaine. L'an passé, je n'ai pas pu découvrir où elle avait creusé son nouveau terrier, je n'ai que des suppositions. Mais si elle a des petits encore cette année (et le contraire m'étonnerait), je n'aurai qu'à être attentif au coin où ils apparaîtront à la fin du mois, et ça me donnera une bonne idée de l'endroit où se trouve leur résidence, car ils ne s'en éloigne jamais beaucoup les premiers jours.

Trois semaines. Dans trois semaines, je tombe en vacance. Pas pour deux semaines, pas pour deux mois, mais pour le reste de ma vie. J'ai beau me répéter "pour le reste de ma vie" jour après jour, on dirait que le concept ne me rentre pas dans la tête encore. Ce seront trois longues et très souffrantes semaines cependant, non seulement à cause de l'anticipation d'enfin mettre fin à ma carrière, mais aussi parce ces temps-ci il semble qu'il ne se passe pas une journée sans qu'arrive au bureau une de ces décisions qui transpirent la stupidité et l'incompétence et à cause desquelles je veux crisser mon camp de là au plus tôt. Vos taxes et vos impôts à l'oeuvre. Si vous saviez tout ce que je sais, vous aussi vous en feriez des cauchemars la nuit.

Trois semaines. Et c'est la liberté.


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