21 juin 2008

Aujourd'hui est le premier jour de l'été.

Aujourd'hui est également le premier jour de ma nouvelle vie.

Parce qu'à partir d'aujourd'hui, je suis officiellement retraité. J'ai finalement payé à la société la dette que je trainais à mon pied comme un boulet depuis ma naissance. Je me suis finalement affranchi de cette société, de la seule manière possible qu'elle m'aurait laissé le faire. J'ai finalement obtenu ma liberté de la seule façon qui nous est permise: Je l'ai acheté.

Retraité à quarante-six ans. Essayez de faire mieux.

Je ne compte plus le nombre de fois que je me suis fais dire "La retraite ? Ben voyons donc Laqk, t'es bien trop jeune pour ça !" ces dernières semaines. Comme si on pouvait être trop jeune pour prendre sa retraite. Mais je crois plutôt que par ces exclamations, les gens exprimaient plutôt leur incrédulité face à une situation qu'ils se sont fait dire toute leur vie qu'elle n'est pas possible. Dès qu'ils sont mis en face d'une situation qui sort complètement du sous-ensemble qui, selon eux, constitue la "normalité", les gens sont complètement déstabilisés. Toute la gamme des réactions y passe. Certain vont même aussi loin que le déni total. Une de mes anciennes collègues, entre autre, tenait absolument à être présente à la petite santé que mes collègues ont organisé pour mon départ, et ce, même si elle ne travaille plus avec nous depuis une dizaine d'année. Sa réaction m'aurait franchement irrité il y a quelques années. Dans son mot qu'elle a écrit dans ma carte de départ, ainsi que de vive voix, elle m'a clairement exprimé qu'elle ne croit tout simplement pas que je ne retravaillerai plus jamais, qu'elle "comprend" que je vie une période difficile, que j'ai besoin de cette "pause" pour me ressourcer et que, bientôt, je retrouverai mes esprits et réintégrerai le marché du travail. Elle est bien sûr convaincue à cent pour cent qu'elle a raison. Elle me dit ça absolument sans malice, et je sais qu'elle ne veut que mon bien. Mais dans des circonstances différentes, je pourrais aisément trouver ses propos extrêmement condescendants.

En réalité, je sais très bien que son attitude est plutôt un exemple typique d'un tel niveau de conditionnement par la société que ses processus mentaux sont tout simplement incapables de sortir de ce cadre rigide. Pour elle, ce que je prétend vouloir faire est non seulement impossible, c'est malsain, et donc nécessairement le résultat d'un esprit égaré ou en détresse. Il n'y a tout simplement pas d'autre explication à ses yeux.

Enfin. Qu'elle pense donc ce qu'elle veut. Elle m'a fait promettre de garder contact avec elle, ce que je vais faire. Chaque année je vais lui faire parvenir un courriel pour lui dire, entre autre, que je n'ai toujours pas réintégré le marché du travail. Juste pour rigoler.

Mais il n'y a pas eu qu'elle bien sûr. En fait, mes collègues m'ont organisé une petite santé extrêmement émouvante. En toute honnêteté, je ne m'attendais pas à ça. Je ne m'attendais pas à voir tant de monde se pointer que plusieurs ont dû rester debout au fond de la salle. Je ne m'attendais pas à ce "bien cuit" où les gens ont fait mention d'évènements si lointain que moi-même je les avais oubliés. Et je ne m'attendais pas à tous ces regards braqués sur moi, tous ces visages attentifs à mes paroles que j'ai bien été obligé de leur adresser même si je n'avais rien préparé. Et finalement je ne m'attendais pas à tous ces sourires, ces poignées de mains, ces accolades. Tout le monde s'était cotisé pour m'offrir un cadeau de départ, ce que j'avais pourtant dit que je ne désirais pas. Et pourtant, la responsable du club social m'a glissé à l'oreille, plus tard, que c'était le plus gros montant qu'ils avaient jamais recueilli à date pour ce genre d'évènement.

Quand ils m'ont offert la traditionnelle grosse carte de voeux dans laquelle chacun écrit un petit mot, j'ai cru au début qu'ils avaient glissé pour rire quelques pièces de deux dollars, comme ils font quelques fois, tant l'enveloppe était anormalement pesante. Mais dans cette enveloppe, aucune pièce. Juste la carte, dans laquelle avait été glissé feuille après feuille après feuille de voeux supplémentaires parce qu'il n'y avait pas assez d'espace sur la carte pour les écrire tous. C'était ces feuilles qui constituaient le poids supplémentaire.

Et que dire de la collègue avec qui je m'entend si bien. Elle a insisté pour que la première personne qui arrive au restaurant réserve une place à côté d'elle pour l'autre. Elle voulait absolument que nous soyons assis ensemble. Plus tard vers la fin du repas, elle m'a demandé timidement s'il serait possible cet été de nous reprendre pour la sortie en kayak ratée de l'automne dernier, ou pour une randonnée pédestre ou quoi que ce soit d'autre. Imaginez-vous, elle m'a demandé la permission pour me téléphoner. Je trouve quand même incroyable qu'après toutes ces années elle semble encore douter de l'amitié et de l'affection que j'ai pour elle. Je dois admettre bien humblement que je suis sans doute partiellement responsable de ça.

Je me suis laissé porté ces deux derniers jours par cette belle énergie positive que j'ai reçu. Et j'ai réalisé que cette appréciation, je l'ai mérité au fil de mes vingt-trois années de service en restant toujours intègre, fidèle à moi-même, à mes principes et à mon étique professionnelle. Et ce, même dans un contexte gouvernemental. Pour un cynique comme moi, c'est une grande leçon d'humilité.

Ma dernière journée vendredi fut particulière. Plusieurs avaient pris congé pour prolonger la fin de semaine de la Saint-Jean, mais j'ai fais la tournée de ceux qui travaillaient en fin d'après-midi. Quand je suis allé voir Consoeur, j'ai bien senti que les au-revoir étaient particuliers. Il y avait un petit malaise, comme ce fut souvent le cas entre nous. Mais l'accolade fut plus longue, plus forte, qu'avec les autres. Et son sourire, qui m'a toujours fait chavirer, était sincère, chaleureux.

Elle veut que nous gardions contact. Mais je ne sais pas si ça serait une bonne idée.


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