6 octobre 2008

Putain, ça va mal mon affaire... Y a fallu que je regarde sur le calendrier de mon ordi pour savoir quel mois on était ! Je connaissais le jour et l'année, mais probablement à cause d'un bogue neuronal, le mois m'éludait complètement !

Hier a été moins pire qu'avant-hier. Je suis allé visiter mon père en milieu d'après-midi. J'avais une bonne excuse: l'anniversaire du décès de ma mère. J'ai longtemps hésité avant de m'inviter. Vu l'état dans lequel je suis ces temps-ci, j'ai envie d'avoir quelqu'un à qui parler, mais en même temps je sais qu'il n'y a rien qui mette plus de pression sur une relation qu'une personne en dépression ou angoissée, et je crois que mon père avait déjà suffisamment de charge émotive comme ça. Il y avait bien sûr la possibilité de faire semblant de rien, d'agir comme si tout était normal, mais je déteste royalement jouer un rôle. Surtout avec mon propre père.

Finalement, j'ai décidé d'aller le voir quand même. Nous étions seuls. Mon frère était à l'extérieur, et ma soeur et son mari étaient passés faire un tour dans l'avant-midi. J'ai commencé par le laisser parler. Il m'a raconté ce qu'il avait fait depuis la dernière fois qu'on s'était vu. Puis J'ai fait la même chose. J'ai fini par lui parler de ce qui m'arrivait, de ce que je vivais, de l'angoisse, la honte, l'humiliation. Nous en avons parlé quelque temps. Je ne lui ai pas demandé de jouer un rôle de thérapeute. De toute façon, au fur et à mesure que l'après-midi avançait je me sentais de mieux en mieux, et nos sujets de conversations sont devenus plus généraux et moins personnels, ce dont nous avions besoin tous les deux je pense.

Il m'a finalement gardé à souper, en me montrant toute sa routine quotidienne. C'était rigolo. Rigolo de voir comment il s'est adapté à vivre seul, après 52 ans de vie de couple. Je suis heureux de voir à quel point il s'accommode bien à cette nouvelle vie. Au moins, il y en a un des deux qui réussit à bien s'en tirer.

En revenant chez moi, j'avais deux messages sur mon répondeur. Ça doit bien faire des siècles que ça ne m'est pas arrivé. L'un était de Copine, l'autre de Lola. Il était trop tard pour les rappeler l'une comme l'autre. Ce soir j'ai préféré essayer d'appeler Lola. C'est la seule femme à qui j'accepte de parler quand je suis dans cet état. Malheureusement, je n'ai pas encore réussi à la rejoindre. Je crois que je vais lui écrire pour lui demander son horaire.

Cet avant-midi, ça n'allait toujours pas très bien. J'ai relu le début de mon journal en ligne pour avoir une idée du temps que cette dépression (s'il s'agit vraiment d'une dépression, puisque je n'ai jamais reçu de diagnostique médical officiel) risquait de durer. Au moins huit semaines, si je me fis à ce que j'ai lu. Inutile de préciser que ça m'a passablement découragé. Quand je me lève le matin, je me demande comment je vais faire pour passer à travers la journée. J'ai même ressorti mon vieux journal papier dans lequel j'avais entré les détails de ma première dépression il y a dix-sept ans de cela. Sa lecture m'a encouragé un peu: J'y ai lu que la première journée où je m'étais senti presque normal était arrivée après quatre semaines. La deuxième a donc été plus longue que la première, et si je me fis à mes souvenirs, plus souffrante aussi. Celle que je vis en ce moment, même si elle me fait souffrir beaucoup et m'angoisse énormément, est malgré tout, je dois l'admettre, moins souffrante que les deux premières.

N'empêche que je fais sporadiquement des crises d'angoisses durant lesquels toutes mes pensées s'emballent sans que je puisse les contrôler, et où je me fais les pires scénarios imaginables. Je me force à me planter devant la télé ou à lire quelque chose. La seule façon de me débarrasser de cette peur panique de mes propres pensées, c'est de me mettre dans une situation où mes pensées sont monopolisées par autre chose. Ce n'est pas tout à fait vrai en fait, puisque lorsque je prend la route pour rouler pendant quelques heures, c'est ce qui me fait le plus de bien à date, et pourtant, Dieu sait que je ne fais que penser à ce qui m'arrive pendant ce temps. Même chose lorsque j'écris ce journal. Ligne après ligne je décris les détails de l'angoisse et du mal que je ressens, et pourtant je me sens de mieux en mieux.

En relisant ce journal que j'avais écris il y a dix-sept ans, j'ai été étonné de voir à quel point j'utilisais exactement les mêmes termes, les mêmes mots, pour décrire ce que je vivais. C'était également presque drôle de lire que j'utilisais les mêmes techniques pour essayer de soulager la souffrance: lire, regarder la télé, etc. La différence, c'est qu'à l'époque j'avais quand même quelques personnes à qui parler, et j'avais encore ma famille autour de moi, même si je précisais que leur présence ne faisait rien pour apaiser mon mal, qui n'était pas moins pire que lorsque j'étais seul à la maison.

Une constatation me semble évidente maintenant: J'avais phénoménalement sous-estimé l'impact que mon travail avait sur ma vie. Comment pouvait-il en être autrement ? J'y ai passé la moitié de ma vie. Et moi, prétentieux et arrogant comme j'étais, je clamais à qui voulait l'entendre que lorsque je quitterais cet édifice pour la dernière fois, ce serait fini, je ne regarderais plus en arrière, je ne ressentirais que l'euphorie de la liberté. J'étais devenu totalement aveugle au fait que ma seule vie sociale était maintenant là, qu'en dehors je n'avais plus personne. Je crois que ce qui a conduit à m'entraîner vers cette délusion, c'est le fait que je passais chaque année deux mois complets en congé, loin du travail. Un été complet à toute fin pratique sans vie sociale, et je m'en portais très bien. Bien sûr je m'ennuyais quelques fois, et je souffrais aussi de la solitude, mais comme je m'en accommodais bien, et que je me voyais encore parfaitement continuer ce long congé même lorsque le temps du retour au travail était arrivé, je ne voyais pas pourquoi je ne pourrais pas passer le reste de ma vie ainsi. Mais il y a tellement de facteurs dont je ne tenais pas compte parce que je les prenais pour acquis: Mes longues vacances étaient toujours en été, une saison durant laquelle je me sens toujours si bien que ça me fait le même effet qu'une drogue; et puis au fond de moi, je savais que je retournerais au travail éventuellement, je savais que cette solitude, cet isolement, allait prendre fin éventuellement. Et je peux supporter beaucoup de choses lorsque j'ai la certitude que ces choses auront une fin.

N'empêche qu'en ce moment, en cette fin de journée où heureusement mon état d'esprit peu s'éclaircir suffisamment pour analyser plus ou moins froidement ce qui m'arrive, j'enrage d'avoir été si présomptueux, si arrogant; de ne pas avoir eu la clairvoyance de soupçonner qu'une chose semblable pouvait m'arriver, et de m'être bâti tout un projet de vie sur ces bases déficientes.

Ce que je vis ces temps-ci, c'est un deuil, un véritable et authentique deuil de mon travail, de cette routine rassurante comme le lever et le coucher du soleil, de ces visages familiers, de cette certitude que, au moins cinq jours par semaines, je n'étais jamais vraiment seul.

Il y a deux conclusions possibles à cela: Durant la journée, quand mon angoisse est à son pire, je crois dur comme fer que j'ai fais la pire gaffe de ma vie, que je me suis mis dans une situation où la seule solution qui me reste est de vivre une vie dont la seule pensée me plonge maintenant dans une peur panique. Et dans des moments comme présentement, quand l'angoisse de la journée s'est estompée presque jusqu'à en disparaître complètement, je recommence à croire en mon rêve, je crois encore que j'ai fais un bon choix, et que la mal que je vis en ce moment est un deuil, la troisième occurrence d'un trouble anxieux auquel je suis prédisposé et provoqué par le choc émotionnel de différents facteurs qui se sont combinés en même temps, et qui, comme les deux précédentes occurrences, sera temporaire.

De toute façon, comme je le disais à mon père hier, même si j'avais continué à travailler, gardé la maison, bref, prolongé la petite routine sécurisante que je vivais jusqu'à tout récemment, et finalement pris ma retraite à un âge plus socialement "acceptable" comme 55, 60 ou 65 ans, n'aurais-je pas vécu à ce moment là exactement le même problème que je vis en ce moment, avec seulement quelques années de retard ? Comme rien n'aurait changé dans ma vie d'ici là (soyons réaliste: je n'étais pas parti pour avoir plus d'amis, de vie sociale ou de conjointe que j'en ai aujourd'hui), je n'aurais pas plus soupçonné l'arrivé de ce problème à ce moment là que je ne l'ai fait maintenant. À la différence que j'aurais passé 15, 20, 25 ans de plus dans une vie qui ne me satisfait pas et dont je me plains de façon presque continue depuis que j'écris ce journal, et même bien avant.

Non. Quelque chose devait se passer de toute façon. Mieux vaut à 46 ans alors que j'ai peut-être encore presque autant d'années devant moi que j'en ai derrière, qu'à un âge ou je me serais retrouvé vieux, avec pratiquement juste une vie entière de regrets derrière moi.

Et vous savez le pire dans tout ça ? Demain matin, je ne croirai probablement plus ce que je viens d'écrire.

Merde, je me sentais pourtant si bien depuis des années. Tout était maintenant clair dans ma tête, je comprenais enfin tout, je n'avais plus d'angoisse. Je n'avais vraiment pas besoin de ça.

Mais merde, je vais passer au travers. Ça prendra ce que ça prendra. Mes angoisses n'ont pas raison. Je ne peux tout simplement pas m'être trompé à ce point.

J'ai pris le risque d'envoyer un petit mot à la collègue avec qui je m'entend si bien aujourd'hui. Juste une simple mot pour lui dire que je pensais à elle et lui demander des nouvelles. Il n'était pas question que j'en dise plus, que je lui fasse part de l'état dans lequel je suis ces temps-ci. Nous ne sommes vraiment pas assez intimes pour ça.

Elle m'a répondu ce soir. Juste ce petit mot, cette preuve de sa présence encore dans ma vie, m'a fait du bien. Je suis conscient que c'est une possibilité très réelle que je devrai peut-être faire mon deuil d'elle aussi un jour. Je souhaite vivement que non, mais si ça arrive quand même, mieux vaut vivre un deuil à la fois. J'en ai déjà plein les bras en ce moment.


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