8 octobre 2008

C'est fou comme une épreuve comme ce que je vis ces temps-ci nous force à la réflexion. Comment pourrait-il en être autrement, lorsque chaque seconde, de chaque minute, de chaque heure est entièrement monopolisée par une complète remise en question ?

Il m'est arrivé quelque chose qui ne m'était pas arrivé depuis une semaine aujourd'hui: Alors que j'étais au volant, je me suis soudainement aperçu que je ne me rappelais pas à quoi j'avais pensé durant les dix minutes précédentes. Pour mettre ça en terme clair: J'ai pour la première fois, et pour un court intervalle de temps, retrouvé un mode pensée à peu près normal.

Aujourd'hui comme tous les autres jours, c'est l'avant-midi qui a été le pire. Pas pire que les jours précédents, mais pas vraiment mieux non plus. J'essaie de ne pas me laisser décourager par ça. Après tout, lors de mes deux précédents épisodes d'angoisse chronique (à en juger par les symptômes, je suis de plus en plus réticent à appeler ça des "dépressions"), je n'ai commencé à voir une amélioration notable qu'après plusieurs semaines.

Juste une petite parenthèse pour parler des effets physiques de mon état actuel. Je tiens à documenter le plus possible ce que je vis et leurs conséquences. Le premier effet est sur l'appétit: Je n'en ai aucun. Je ne pense à manger que lorsque je sens mon estomac gargouiller, et je mange sans aucun plaisir. Mais n'ayez crainte, je mange les mêmes choses que d'habitude et dans les mêmes quantités. Ensuite, ma libido. Nulle. En fait, ça va plus loin que ça: Aujourd'hui est la première journée où j'ai soudainement réalisé qu'aucune pensée sexuelle ne m'avait ne serait-ce qu'effleurer l'esprit depuis une semaine. Finalement, les symptômes classiques d'angoisse (noeud dans la gorge, poids sur la poitrine, etc) sont moins intenses depuis quelques jours. Il est maintenant évident que la crise que je vis en ce moment est moins forte que les deux précédentes, ce qui ne fait absolument rien pour me soulager quand je suis dans mes pires périodes, cependant. Voilà. Fin de la parenthèse.

Aujourd'hui il faisait beau, très beau même. Mais malgré le fait que dans l'état où j'étais je ne croyais tout simplement pas que ça me ferait le moindre bien, j'ai fait ce que tous les professionnels de la santé recommandent dans ces cas là: Je me suis forcé à sortir et aller faire une activité qui me fait habituellement un bien immense: Une randonnée pédestre. Et bien je ne l'ai pas regretté.

D'abord, ça ne faisait pas cinq minutes que je marchais dans le sentier, à respirer l'air pur, à humer tous les subtils parfums d'automne, à jouir des paysages magnifiques et à sentir la chaleur du soleil sur mon visage, que comme par magie l'angoisse s'est complètement envolée, pour la première fois depuis ce qui me semble une éternité. Vous ne pouvez même pas commencer à imaginer la délivrance que je ressentais à ce moment là. Durant les premiers kilomètres, j'ai avidement profiter de mon bien-être nouvellement retrouvé pour chasser de mes pensées tous mes soucis des dernières jours, puisque j'en étais capable. Puis, j'ai commencé à me dire que je devrais peut-être profiter de cette occasion pour réfléchir à mon problème de façon plus froide, plus objective, plus rationnelle, malgré le risque de faire resurgir l'angoisse que cela représentait. Je n'ai pas regretté cette décision. Ça a été très constructif.

Au fil des derniers jours, malgré mes pensées qui se bousculaient dans ma tête de façon totalement désordonnées, j'avais quand même réussi à identifier trois causes probables à mon problème actuel: La solitude; la peur que j'ai eu de voir la collègue avec qui je m'entend si bien disparaître de ma vie; et finalement la fin de mon emploi.

Alors que je marchais dans le sentier, j'ai fait surgir successivement ces trois pensées dans ma tête. La solitude: J'ai ressenti un inconfort, un léger malaise diffus. Bon. La peur de perdre la collègue avec qui je m'entend si bien: déception, tristesse... mais encore rien de comparable à ce que je ressens depuis des jours. Finalement, j'ai pensé directement à la perte de mon emploi: Bingo ! l'angoisse est remontée instantanément en moi. Voilà donc le principal coupable. Comme je m'y attendais, comme beaucoup de personnes me l'avaient prédit mais dont, dans mon arrogance, j'avais simplement ignoré les avertissements.

Alors les choses se sont progressivement éclaircies dans ma tête, mon état d'esprit plus serein du moment aidant. C'est alors que j'ai vraiment réalisé, à mon grand désarroi, à quel point je ne sais pas vivre. Pas dans le sens que je n'ai pas de manières, mais que j'ai développé au fil des dernières années, des dernières décennies peut-être, une routine de vie phénoménalement malsaine. Toute ma vie, la société a toujours décidé pour moi comment je devais vivre chaque jour de la semaine. Du lundi au vendredi, c'est les études, le travail. Les fins de semaines, deux journées où on doit soi-même décidé comment on va les occuper. Et au pire, si on ne sait pas quoi faire et qu'on trouve le temps long, on se dit toujours dans sa tête "Pas grave, lundi s'en vient de toute façon et je retourne à l'école/au travail". Et quand on trouve la semaine longue et plate, et bien on se dit le contraire, que la fin de semaine arrive bientôt. Il s'agit là de deux incontournables, deux certitudes. Deux réconfortantes et sécurisantes certitudes.

Depuis plusieurs années, ma routine est la même. Travail la semaine, et des fins de semaines la plupart du temps passées seul, chez moi, devant la télé ou mon ordi. C'est ainsi trois saisons sur quatre au moins. Pathétique n'est-ce pas ? Ce n'est pas que je ne pouvais pas le réaliser avant, mais plutôt que je ne voulais pas le réaliser.

Et maintenant, tout d'un coup, avec la fin de mes vacances d'été habituelles et celle de mes travaux sur la maison, je me retrouve devant une situation où je dois, à chaque matin, décider moi-même de ce que je ferai de cette journée. Et de la suivante. Et de la suivante. Et ainsi de suite, jour après jour, année après année, pour le reste de ma vie.

Vous voyez ? Juste d'écrire ces lignes et j'ai immédiatement senti revenir ce noeud dans ma gorge. Je crois bien que l'expérience est concluante.

Donc, maintenant, je suis libre. Cette liberté dont je rêve et qui me fait saliver depuis des années et des années, elle est mienne maintenant. Je pourrai désormais choisir ce que je ferai de chaque jour de ma vie.

En fait, je devrai choisir ce que je ferai de chaque jour de ma vie.

Qu'est-ce que la liberté, sinon le pouvoir sur sa propre existence ? Et comme le dit le vieux proverbe cul-cul, un grand pouvoir implique une grande responsabilité. Je suis désormais entièrement responsable de moi-même, de mes choix, de mes décisions, de mes activités, de ma vie.

Et c'est cette responsabilité, autrefois prise en charge par le monde extérieur et qui, pour la toute première fois de ma vie, m'incombe maintenant dans son entièreté, qui me terrifie, me terrorise et me met dans l'état où je suis depuis une semaine. Ce n'est pas pour rien que l'angoisse est à son pire à mon réveil, alors que le spectre d'une nouvelle journée se dresse devant moi, et qu'elle s'estompe presque complètement à la fin de la dite journée.

Durant ma randonnée cet après-midi, il m'est arrivé quelque chose de si improbable que je ne le croirais pas moi-même si je le lisais dans le journal en ligne d'un autre. J'ai croisé un autre randonneur solitaire sur le chemin du retour, qui est venu à moi et qui a engagé la conversation. Après avoir fait connaissance et avoir échangé quelques commentaires sur la beauté du site, il m'a apprit qu'il était lui-même un retraité depuis peu (un an environ). Encore mieux: il était lui aussi un ex employé du gouvernement, mais dans un ministère différent. Durant la conversation nous nous sommes progressivement ouverts l'un à l'autre et il m'a confié qu'il avait lui-même vécu une période très similaire à la mienne, environ six mois après la date de sa retraite. Ayant une vie plus "normale" que le mienne (conjointe, enfants, vie sociale, etc), son épreuve ne se comparait en rien à la mienne, de son propre aveux. Mais quand même, les raisons de son épreuve étaient les mêmes que les miennes, et il se reconnaissait parfaitement dans tout ce que je lui décrivais.

Nous avons jasé plus d'une heure ensemble, avant de revenir au stationnement. C'était la première fois qu'il faisait ce sentier depuis sept ans. J'aurais fait ce sentier n'importe quel autre jour, n'importe quelle autre heure, et nous ne nous serions jamais croisé.

En rentrant chez moi sur l'heure du souper, j'ai soudainement eu envie de grignoter des chips au bananes pendant que je préparais le souper. Je me suis lever tout à l'heure et j'ai parlé à mes plantes. Oui oui. Et je me suis parlé tout haut aussi. Deux choses que je fais souvent lorsque je suis seul, mais que je n'avais pas faite depuis une semaine. Comme je l'ai dis plus haut, je ne me fais pas d'illusion pour demain matin. Mais au moins, j'ose me permettre de me sentir un peu optimiste.


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