9 octobre 2008

Durant la journée j'ai pensé à une façon dont je pourrais vous permettre d'avoir une idée de ce que je ressens ces temps-ci. Alors faites ce qui suit à vos risques et périls.

Imaginez que vous vous réveillez un matin et qu'on vous conduit dans une pièce où il n'y a que deux choses: un fauteuil, et sur le mur d'en face, une horloge. Maintenant imaginez qu'on vous dit que vous devrez vous assoir dans le fauteuil et regarder les secondes, les minutes et les heures s'écouler, l'une après l'autre, et ce pour toute la journée, jusqu'au moment d'aller au lit.

Jusque là ça va. L'expérience sera sûrement extrêmement pénible, mais vous allez probablement faire un homme/une femme de vous en endurant jusqu'à la fin de la journée, où vous pousserez alors un retentissant "Ouf !" de soulagement.

Maintenant, imaginez qu'on vous informe que le lendemain, vous devrez dès votre réveil revenir dans cette même pièce et passer la journée exactement de la même façon, du matin au soir. Même chose le surlendemain, et le jour suivant, et le jour suivant, et ainsi de suite pour le reste de votre vie.

C'est comme ça que je me sens, depuis une semaine, à chaque matin lorsque j'ouvre les yeux.


J'ai une relation excessivement malsaine avec l'ennui. D'aussi loin que je me rappelle, il en a toujours été ainsi, et je crois bien que cela soit au coeur de mon problème actuel.

Je ne compte plus le nombre de fois dans ma vie où j'ai eu envie d'aller voir les gens, soit mes connaissances, soit de parfaits inconnus, et de leur demander "Que faites-vous de vos temps libres ? Comment occupez-vous les heures que vous êtes libres d'occuper comme bon vous semble ?".

Au fil des années, j'ai quelques fois directement posé la question à des amis proches. Les réponses que j'ai reçu (quand j'en recevais), m'ont toujours laissé un peu sur ma faim.

- Ben, je vais au cinéma, ou je loue des films. Je lis des revues, je fais du jardinage...

Tu vas au cinéma ? Mais un film, ça dure deux heures non ? Trois si tu inclus le temps pour t'y rendre et revenir. Une journée éveillé, c'est seize heures ! Qu'est-ce que tu fais des treize autres ?

Idem pour les films loués, même si tu en loue deux et même trois, ça ne remplit, au mieux, que la moitié de ta journée !

Du jardinage ? Du matin au soir ? Et en hiver ?

Quand je donnais au gens ces contre-arguments, ils me regardaient systématiquement tous avec un air totalement déstabilisé, comme si j'arrivais directement d'une autre planète.

Pourtant, c'est exactement le genre de questions auxquelles je me sens confronté sur une base quasi quotidienne. Et ce depuis toujours.

Et en plus, ce qui complique les choses, c'est que j'ai le cerveau réellement conditionné à affecter une échelle de valeur à différentes activités, et à associer ces activités à des heures précises de la journée ou des périodes précises de l'année. Par exemple, je ne peux pas travailler sur mon ordi en plein milieu de l'été par une belle journée chaude et ensoleillée. Et je suis programmé à percevoir comme désagréable toute activité extérieure durant la saison froide. En hiver, lorsque le soleil est déjà couché après le souper, je n'ai aucun problème à finir ma vaisselle, serrer mes choses, puis m'écraser devant la télé ou l'ordi pour le reste de la soirée. Mais à la fin du printemps ou au début de l'été, lorsque le soleil ne se couche pas avant 21h, je dois sortir dehors et profiter de la soirée, et ce, même si je n'en ai pas envie, même si, cette fois là, j'aurais vraiment le goût de regarder quelque chose à la télé, par exemple. Et si je reste finalement à l'intérieur, je vais ressentir une immense culpabilité qui va m'empêcher de jouir pleinement de mon émission de télé.

Ce qui précède n'est que quelques exemples de ces conditionnements malsains qui contrôle complètement ma vie. Je ne sais pas d'où ils viennent, et pourquoi ils sont si envahissants, mais je soupçonne qu'ils sont le résultat de l'insécurité chronique dont je souffre depuis ma naissance. Ils me permettent de créer un ensemble de normes, de règles à suivre, règles qui me permettent de ne pas avoir, à chaque moment de ma vie, à faire un choix, à prendre une décision. Tout est décidé d'avance selon des critères précis et exhaustifs. Pas de complication, pas de problème, pas de stress.

Il y a une catégorie de gens que j'envie au plus haut point. Ce sont les gens qui possèdent une ou deux passions dévorantes qui les obnubilent complètement. Comme la vie doit être simple pour eux. Jamais de questionnement, jamais d'indécision, jamais d'angoisse. C'est simple: dès qu'ils ont un moment libre, ils se consacrent immédiatement et entièrement à l'une de ces activités. Que ce soit le sport, la musique, la lecture, le golf, la pêche, la fabrication de mouches, la menuiserie, le parachutisme...

Comme ces gens doivent trouver la vie belle. Comme ils doivent être heureux.

Vous le savez sûrement depuis le temps, l'une des valeurs les plus importantes à mes yeux est la liberté. Et cette même liberté est également une des choses qui me terrifie le plus, parce qu'elle implique nécessairement de continuelles prises de décisions, qui elles même entraînent nécessairement, à chaque fois, le risque de commettre une erreur et l'angoisse que cela entraîne chez moi.

Comment pourrai-je un jour réconcilier en moi cette fondamentale contradiction ? Pourtant, il semble clair maintenant que je ne pourrai jamais être heureux et épanoui tant que je n'y arriverai pas. D'ici là, ma vie continuera à être ce qu'elle a toujours été: un conflit.


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