19 octobre 2008

Il y a quelques années je me suis acheté mon premier appareil photo numérique. C'était le plus petit appareil photo à l'époque. Si petit en fait qu'on pouvait le cacher derrière une carte de crédit. La raison pour laquelle je l'avais acheté était de pouvoir le porter sur moi en tout temps et en toutes circonstances. Trop souvent dans ma vie, j'avais raté des occasions inespérées de superbes photographies, simplement parce que je n'avais aucun appareil photo avec moi. "Plus jamais", m'étais-je dit.

Malheureusement avec les années, ma discipline s'est relâchée. J'ai toujours mon petit appareil, mais il reste plus souvent qu'autrement ici à la maison quand je sors. Aujourd'hui est arrivé quelque chose qui m'a fait amèrement regretté cette indiscipline.

J'étais assis dehors dans mon entrée et j'étais en train de sélectionner diverses pièces de parement pour la maison. Voyant du coin de l'oeil un mouvement provenant du bout de la rue je lève la tête juste à temps pour voir trois petits canards qui volaient dans ma direction à deux mètres d'altitude à peine. Croyez-le ou non, les petits volatiles se sont posés dans mon entrée, juste à côté de ma voiture, à un mètre à peine de moi ! Je vous jure, je n'avais qu'à me pencher en avant un peu, tendre le bras et je pouvais toucher le plus près des trois. Ils sont restés là, l'un à côté de l'autre, à piétiner sur place, tout en se lissant occasionnellement les plumes et ébrouant leurs ailes. Quant à moi, je savais très bien qu'ils m'avaient vu bien avant de se poser là, alors je continuais comme si de rien était à fouiller dans mes morceaux de bois tout en tournant la tête vers eux de temps en temps en leur parlant doucement. Par leur taille, j'ai tout de suite compris qu'il s'agissait de jeunes de cette année, probablement tous de la même famille, et qu'ils n'étaient pas venu se poser dans mon entrée malgré ma présence, mais bien à cause de celle-ci. Ils avaient probablement été habitués à se faire nourrir par différents riverains autour du lac et n'avaient donc aucune crainte des humains.

Après quelques minutes, probablement déçu de voir que je ne leur donnais rien à manger, ils sont partis à pied, l'un en arrière de l'autre, par mon terrain jusqu'à celui de mes voisins. C'était vraiment drôle d'entendre les feuilles mortes craquer sous les pas de leurs petites pattes palmées. Je les ai suivi du regard jusqu'à ce qu'ils bifurquent vers le lac, où ils se sont sans doute rendu après avoir disparu derrière la maison.

J'aurais aimé pouvoir prendre quelques photos pour pouvoir les partager. Ça m'apprendra.

En avant-midi Copine est venue profiter de mon sauna. Elle hésitait à venir car, étant sur la fin d'un rhume, elle craignait d'être encore contagieuse. Je l'ai assuré qu'elle pouvait venir sans crainte parce que 1) avec mon système immunitaire il est très rare que j'attrape un rhume, et 2) si par malheur elle me contaminait, ça ne serait pas comme si ça me ferait perdre des heures de travail...

Après le sauna elle m'a convaincu d'aller tous les deux à un petit endroit secret connu de nous seuls dans la réserve faunique, et où se trouve une magnifique talle de thé du Labrador. Une fois sur place, à la seconde où je suis sorti de la voiture et où j'ai humé l'air pur et frais, entendu le silence et contemplé la silhouette des épinettes et des mélèzes sur le ciel bleu immaculé, tout doute qui aurait pu naitre en moi ces dernières semaines a été complètement balayé. La forêt boréale est mon chez moi; j'y suis bien, j'y suis à ma place.

Sur le bord de la rivière que nous longions, l'eau de la rive était couverte d'une mince couche de glace. Dans le sentier que nous parcourions, les endroits non exposés au soleil étaient encore couverts de givre. En ramassant nos feuilles de thé, leur odeur si caractéristique caressait nos narines, alors que nous entendions ça et là le bruissement d'ailes et les chants d'une petite troupe de mésanges qui voletaient de branche en branche.

Nous ne sommes pas restés longtemps, quinze minutes à peine. Mais ce fut suffisant. Imaginez toute une vie...

À l'aller comme au retour, nous avons beaucoup parlé. Copine m'a donné des nouvelles de la petite gang au sein de laquelle je n'ai jamais vraiment réussi à me sentir à ma place, mais qu'elle voit encore assez régulièrement, à l'exception de Lolita bien sûr qui a quitté la région il y a un certain temps.

Mais surtout, nous avons parlé de nos situations respectives et de leurs similitudes. Bien sûr, son cas est différent du mien: malgré sa rupture récente avec son conjoint (qu'elle ne voyait pas très souvent d'ailleurs car il habitait dans une autre ville), elle a encore un bon cercle d'amis, et contrairement à moi, elle a toujours un emploi stable. Mais tout comme moi, il lui arrive souvent d'être seule les soirs, les fins de semaine ou durant les périodes de vacance, et cette solitude lui pèse tout autant que moi. Mais il y a plus que ça; elle a exprimé en une phrase, une toute petite phrase bien simple, quelque chose qui s'applique parfaitement à moi aussi, et pas seulement depuis ma retraite, mais depuis des années, presque des décennies, et que ma crise d'angoisse récente n'a fait que mettre en lumière.

Cette phrase, la voici:

"La vie, ça ne devrait pas être juste une succession de jours où on cherche par toutes sortes de moyens à tuer le temps pour se rendre jusqu'à la fin de journée."

Force m'est donnée d'admettre que c'était ainsi que je passais presque tous mes jours de congé depuis des années. Et ce qui a déclenché ma crise d'angoisse, c'est quand j'ai soudainement réalisé que, si je ne faisais rien, ce serait également ainsi que je passerais désormais toutes mes journées, pour le reste de ma vie.


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