21 octobre 2008

Bordel que certains jours sont plus durs que d'autres.

Ça allait très bien hier, comme les quelques jours précédents d'ailleurs. J'ai appelé Lola en soirée. Elle m'avait envoyé un courriel la veille mais j'avais l'intention de l'appeler de toute façon. J'ai décidé d'essayer d'être un meilleur ami pour mes amies, et de leur donner régulièrement des nouvelles. Bien sûr je fais ça par pur égoïsme aussi. Serais-je aussi avenant envers elles si j'étais encore sur mon petit nuage comme le mois dernier ?

Je ne suis plus dans l'angoisse et le désespoir du début du mois. Ces sentiments se sont dissipés après deux semaines environ. Cependant, je suis maintenant en face de la réalité. Constamment. Tous les jours. Je me réveille seul, je passe toute ma journée seul. Et je me couche seul. Et le lendemain, ça recommence. Et le surlendemain aussi. Je peux jaser au téléphone avec l'une ou l'autre de mes amies une ou deux fois par semaine. Si je suis chanceux, je vais voir l'une d'entre elles en fin de semaine.

Mais il y a plus que la solitude. Aujourd'hui, je me suis fait un petit scénario imaginaire dans ma tête. J'ai essayé d'imaginer ce que ce serait si je vivais exactement la même vie, à la différence que la collègue avec qui je m'entend si bien vivrait ici avec moi. Nous nous réveillerions ensemble tous les matins, puis elle partirait travailler alors que je demeurerais ici. Puis, elle rentrerait du travail en fin d'après-midi. On souperait ensemble, elle me parlerait de sa journée. Nos soirées ne seraient probablement pas très différentes de ce qu'elles sont actuellement. Les fins de semaines, nous ferions probablement des activités ensemble.

Est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ? Ce que je veux dire par là c'est: Est-ce que ça ciblerait vraiment le coeur de mon problème ? Pendant des années j'ai vécu seul ici, sans amies, presque sans contacts humains. Ma vie, mon quotidien en dehors des jours de travail étaient exactement ce qu'ils sont aujourd'hui. Ma vie était alors vide de sens, sans but, futile, vaine, comme elle l'est aujourd'hui. Mais mon travail me rendait la chose tolérable, suffisamment tolérable pour que j'en vienne à ne plus penser à ça, à ne plus m'interroger, à passer à travers les jours mécaniquement, par habitude. La présence d'une femme dans ma vie en ce moment aurait probablement le même effet. Elle me rendrait la vie tolérable. Et comme je le faisais avant de quitter mon emploi, je serais probablement suffisamment confortable pour ne pas me poser de question, ne pas m'interroger. Je vivrais jour après jour sans penser à la futilité de mon existence.

Si j'avais attrapé le virus de Copine, et que j'étais malade cette semaine, ironiquement, je me sentirais bien. Très bien, même. Je ferais exactement ce que j'ai fait depuis le début de la semaine: Je passerais mon temps devant la télé ou l'ordi, ou alors je ferais des petites tâches anodines comme du ménage. Mais je me sentirais bien; je ne ressentirais aucun ennui, aucune angoisse, aucune culpabilité. Pourquoi ? Parce que j'aurais une raison de perdre mon temps: Je serais malade. Tout le monde perd son temps quand ils sont malades. C'est normal. On s'écrase dans son divan, on se repose, on se soigne, on reprend des forces.

Mais voilà, je ne suis pas malade. Je n'ai aucune raison valable, aucune justification, aucune excuse pour gaspiller mes journées ainsi, seul, chez moi.

Il est là, le vrai problème. Nous avons tous en nous une conception plus ou moins claire de ce que devrait être une vie, une vrai vie. Nous avons tous été conditionnés par les valeurs de notre société à déterminer ce qui est une vie bien remplie, et une vie gaspillée. Ce n'est pas pour rien que tant de personnes à la retraite, jeunes ou vieilles, retournent à la vie active, ou s'impliquent dans une quelconque organisation bénévole.

Objectivement, ma vie n'avait pas plus de sens il y a trois mois qu'elle en a aujourd'hui. Sauf qu'il y a trois mois, je travaillais. D'une manière quelconque, cet emploi, ce travail que je détenais me conférait d'une certaine manière une utilité, une raison d'être. Certes, c'était incomplet, parce que quand je me projetais loin dans l'avenir, quand je serais vieux, et que je m'imaginais repenser au passé, je sentais malgré tout qu'à ce moment là, en repensant à ma vie, je ressentirais du regret.

Mais ce pseudo-but, que mon travail m'apportait, conférait un sens à ma vie suffisant pour me rendre celle-ci tolérable et me permettre de vivre jour après jour sans me poser de question.

À partir de quand ai-je commencé à me sentir vraiment bien ? Quand j'ai amorcé mon projet de déménager dans la forêt boréale. À partir de cette date, chaque soirée, chaque fin de semaine passée seul, chaque moment libre était consacré à ce projet, à mes recherches sur les énergies alternatives, à mes lectures sur ceux et celles qui ont vécu une vie semblable à celle que je me préparais à vivre, à mes recherches de terrain et/ou de chalet.

Je me sentais vivant, ma vie avait un sens. En fait non: Ma vie allait avoir un sens, éventuellement, dans un futur plus ou moins rapproché.

Je l'ai dit à maintes reprises, et je ne me faisais pas d'illusions à ce sujet: Je suis bien dans ma peau, mais mal dans la vie que je mène. Lorsque je préparais mon rêve, je n'avais pas à penser à la vie que je mène, seulement à celle que je mènerais, éventuellement.

Si je regarde ma vie avec un peu de recul, je réalise qu'à quelques exceptions près, je ne me suis jamais senti bien dans le présent. Je me sentais bien seulement quand je me projetais dans l'avenir: La prochaine fin de semaine, le prochain lundi (si la fin de semaine était longue et plate), ma prochaine randonnée, la prochaine fois que je serais avec une de mes amies, etc. Et même encore certaines journées comme aujourd'hui, quand le poids de la futilité de mon quotidien est particulièrement lourd à supporter, je m'évade encore de la même façon: Je plonge dans les différents sites web et je me met à la recherche de terrains, de chalets, de maison de campagne, ou alors je prend la route pour aller les visiter et faire d'autres formes de repérage. Encore une fois, je me projette dans l'avenir pour échapper au présent.

Je ne me rappelle même plus la dernière fois où j'étais bien dans mon quotidien, où j'ouvrais les yeux le matin en anticipant la belle journée que j'allais avoir et toutes les choses intéressantes que j'allais faire. Ça doit remonter à des décennies, à l'époque où j'étais ado ou pré ado.

Cette obsession, ce besoin viscéral de trouver un "sens à sa vie" n'est pas, selon moi, une pulsion innée. Pendant des dizaines de milliers d'années, les êtres humains ont vécu des vies pleines et entières sans cette obsession. Ils vivaient au jour le jour, cherchant leur nourriture, cultivant leur terre, élevant leurs animaux, etc. Cette vie leur convenait parfaitement.

Non, ce besoin de trouver un sens à sa vie, de se trouver un but, une raison d'être, de se sentir "utile", est le produit de notre société. Elle est le résultat du lavage de cerveau que celle-ci nous fait subir depuis notre naissance. Nous ne valons quelque chose que si nous produisons quelque chose. Malheureusement, mon cerveau aussi est lavé, comme celui de tout le monde. Et ce n'est pas parce que j'en suis conscient que ces effets pernicieux vont s'envoler comme par enchantement.

Je dois réapprendre à vivre.


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