8 avril 2009

Vous ai-je déjà dit que là où j'habite, dans la vallée, il n'y a pratiquement jamais de vent ? L'ensoleillement serait relativement bon pour utiliser l'énergie solaire (quoi que ça pourrait être mieux sans les montagnes à l'est et à l'ouest), mais pour ce qui est de l'énergie éolienne, ce serait pourri.

Tout ça pour dire qu'ici, la neige tombe de façon très uniforme tout au long de l'hiver. Et c'est un peu décourageant car même quand 90% de la neige est fondue, le paysage a toujours l'air désespérément hivernal. En ce moment, il ne doit rester au plus qu'une vingtaine de centimètres au sol. Mais ce sont vingt centimètres uniformément répartis sur toute la surface de mon terrain, sans la moindre parcelle de sol exposée.


En plus des corneilles, geais bleus et mésanges à gorge noire que j'ai entendu tout l'hiver, je peux maintenant entendre des carouges à épaulettes, quiscales, merles d'Amérique, grands pics, pics flamboyants, et une pléthore de petits bruants d'espèces variées. Si j'étais à leur place, je serais si dégoûté du temps qu'il fait aujourd'hui que je repartirais dans le sud, pour ne plus jamais revenir.

Y a-t-il eu ne serait-ce qu'un seul mois d'avril sans au moins une chute de neige depuis que j'habite ici ? Pas depuis que j'écris ce journal en tout cas.


J'ai appeler Lola hier soir. Après 21h bien sûr. Le mardi soir, toutes les femmes écoutent religieusement "Beautés désespérées". Y a-t-il des hommes qui écoutent cette émission ?

Nous avons jaser jusqu'à 11h30. Une belle conversation, comme ça faisait trop longtemps que nous n'avions pas eu. Une belle complicité, une connexion, un lien qui me rappelle pourquoi j'aime tant cette femme.

Fluctuations de mon angoisse hier et aujourd'hui. Moins pire qu'avant-hier, beaucoup moins pire. En fait, j'étais correct la plupart du temps. Une chose que j'ai constaté cependant. En fait, je le sais depuis toujours, mais c'était particulièrement évident aujourd'hui: Mon humeur, ou plutôt la façon dont je perçois l'instant présent, est terriblement affectée par le temps qu'il fait. Quand il fait un temps comme aujourd'hui et que je regarde dehors, on dirait que la vie elle-même est fade, sans saveur, sans intérêt. Et ce n'est pas dû à l'état dans lequel je suis ces jours-ci, c'est comme ça tout le temps. Et oui, c'est vraiment à ce point là. C'est dû à des années, voire des décennies de conditionnement. C'était vraiment pas une bonne idée de se bullshiter le cerveau comme ça, surtout dans un pays où les journées comme aujourd'hui sont vastement plus nombreuses que les belles journées chaudes et ensoleillées.

Ce qui est fatigant aussi, ce sont les symptômes physiques, cette sensation dans la mâchoire, cette impression d'être à la limite du sanglot, d'avoir envie de bailler sans pouvoir y parvenir, et d'avoir toujours une petite larme aux coins des yeux. Les symptômes physiques et l'angoisse ne sont pas toujours synchronisés. En ce moment par exemple, je ne ressens plus d'angoisse mais j'ai encore cette sensation désagréable dans la mâchoire. Et il se peut que dans une heure elle soit complètement disparue.

Ce que j'ai trouvé avant hier avec mes brouillons de lettre à Carla, ce sont les lettres de Carla elles-mêmes. Ce sont aussi une grande quantité de mes vieux écrits, échelonnés sur une quinzaine d'années sans doute, et dont le plus récent remonte à aussi longtemps que quand j'ai acheté la maison. Des écrits dont la variété m'a réellement impressionné. Il y avait là des romans inachevés, des nouvelles, des courtes histoires de quelques pages qui prenaient toutes sortes de formes. Étant un grand amateur de science fiction quand j'étais très jeune, les plus vieux écrits revêtaient naturellement cette forme. Les plus récents tenaient davantage de l'essai littéraire, sur toutes sortes de sujets. Parfois, je m'astreignais à me conformer au format physique que j'avais à ma disposition. J'ai trouvé une pile de petites fiches en carton de la taille d'une photographie. Sur chacune d'elle, une courte histoire, écrite à la machine, et qui tenait exactement sur une seule fiche. Un autre de mes écrits prenait la forme d'un cours d'histoire, mais parlait au passé d'événements qui n'avaient pas encore eu lieu. J'aurais encore beaucoup d'exemple de ce genre mais il serait trop long de les énumérer ici.

Bon sang que j'avais de l'imagination à l'époque. Le besoin de créer me sortait par les oreilles, et j'écrivais, j'écrivais, sur n'importe quoi, sur tout ce qui me tombait sous la main, sur toutes sortes de sujets, sous toutes sortes de forme. La seule forme que je ne touchait jamais, c'était la poésie. Ça ne m'intéressait tout simplement pas. J'étais nul en rime de toute façon. J'ai passé tout l'après-midi d'hier à lire mes vieux écrits. Peut-être voulais-je remplacer l'angoisse par la nostalgie, cette émotion qui est un mélange de bien-être et de mal-être, qui ramène à notre pensée le plaisir des souvenirs heureux, tout en nous remplissant de la tristesse de la certitude que ces expériences sont définitivement perdues et qu'on ne pourra plus jamais les revivre.

Et aujourd'hui, ce sont les vieilles lettres de Carla que je me suis tapé. Pas toutes, il y en a des centaines. Mais quelques-unes, choisies au hasard. Même si je savais que nous nous étions écrit pendant six ans, je ne me rappelais plus que nous correspondions encore à l'époque où j'ai trouvé cette emploi que j'ai occupé pendant presque un quart de siècle. C'est logique après tout, car je sais que lorsque je suis allé visiter Carla pour la première fois après des années de correspondance écrite, j'ai fait le trajet à bord de ma première voiture, et que j'ai acheté celle-ci un an environ après avoir commencé à travailler. N'empêche, j'étais toujours resté sur l'impression que mes vingt-trois ans de carrière et Carla appartenaient à deux époques disjointes. Nos souvenirs sont imparfaits. Entre autre, il est bien connu que le passé nous semble toujours plus beau, plus rose, plus idyllique qu'il ne l'était en réalité.

C'est bien beau tout ça, mais si ma vie actuelle me plaisait, si j'étais bien dans l'ici et maintenant, je n'aurais pas cet attrait pour ces années disparues à jamais. Le passé n'a aucune importance. Il n'existe plus. On doit en tirer les leçons et le laisser partir. Ruminer ces années disparues ne peut que remplir mon coeur de regrets. Si je réussi à me faire aujourd'hui une vie qui me plait, une vie dans laquelle je serai heureux maintenant, toutes ces années passées ne compteront plus.

Les vieux écrits et les vieilles lettres sont retournées à leur place, dans la filière. La place du passé est dans l'oubli.


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