7 juillet 2009

Depuis deux semaines, chaque matin, invariablement, j'entend chanter le huard. Même qu'il y en a deux, car occasionnellement leurs chants se superposent. Donc je ne rêvais pas, il y a bien un couple sur le lac. Et pourtant, toutes mes tentatives pour les repérer ont échoué. Vraiment étrange.

Et puis j'ai bien une marmotte squatteuse cet été encore. Mais ce n'est pas celle des années passées. Je l'ai bien vue l'autre jour alors qu'elle se tenait au pied de mes escaliers alors que je revenais de faire saucette dans le lac. Surprise par mon apparition soudaine, elle est restée figée un certain temps, ce qui m'a permis de l'examiner à loisir. Elle est petite, trop petite pour être de la portée d'il y a deux ans. C'est donc une marmotte de l'année dernière, de la portée que leur mère a déménagé chez mes voisins peu après leur émergence du terrier. Je ne saurai pas cette année s'il s'agit d'un mâle ou d'une femelle, car je ne crois pas que les marmottes d'un an soit déjà en âge de procréer.

Depuis le début de l'été il ne se passe pas deux jours sans que je fasse une bonne randonnée en montagne. Parfois seul, parfois avec la collègue avec qui je m'entend si bien. Difficile d'exprimer avec des mots l'incroyable sensation de soulagement, de libération, que ma forme retrouvée me procure. Vous avez pu suivre depuis le début l'histoire de mes problèmes de santé qui ont commencé il y a presque sept ans maintenant et qui m'ont empoisonné l'existence pendant au moins cinq de ces années, avant de disparaître mais de me laisser avec d'étranges douleurs à la poitrine chaque fois que je faisais un effort un peu soutenu. Ce dont je n'ai que très peu parlé, même ici, mais qui était devenu une préoccupation presque constante dans ma vie, c'était l'incertitude de ne pas savoir s'il s'agissait de problèmes de santé plus sérieux, ou plutôt de cette sempiternelle angoisse qui m'accompagne depuis des lunes et qui, bien qu'emmerdante, est sans gravité. Vu les efforts cardio-vasculaires dont je suis maintenant capable, et ce sans le moindre inconfort, il semble évident que cette incertitude est maintenant dispersée. Mais ce que je ne réalisais pas vraiment, c'est à quel point cette inquiétude constante pesait sur ma vie. Je me voyais déjà vieux, handicapé, sur le déclin, et désormais incapable de faire toutes les choses que j'avais rêvé de faire une fois ma carrière terminée. Je me disais que, malgré ma retraite anticipée, j'avais quand même trop attendu pour la prendre, et que mes plus belles années étaient maintenant derrière moi.

Il y a dix ans de cela, un an avant que je commence à écrire ce journal, je m'étais fait réveiller à six heures du matin par le bruit des scies à chaîne, le premier jour de mes vacances d'été. C'était des ouvriers qui commençaient à défricher le terrain juste à côté de chez moi, en prévision de la construction d'une future maison. Le temps était moche, froid et pluvieux, mais je me disais qu'il était hors de question que je reste enfermé ici des jours entiers à endurer ce bruit infernal. En examinant une vieille carte topographique d'un secteur où j'allais à l'occasion faire de la randonnée, j'ai remarqué la présence d'un ancien chemin forestier, probablement abandonné depuis des lunes, conduisant à une ancienne tour de garde-feu, probablement en ruine. Étant équipé pour faire face à la pluie et au temps moche, je suis parti à l'aventure. L'entrée du sentier était introuvable mais, boussole en main, je me suis quand même lancé à l'assaut des cinq cent mètres de dénivelé pour sortir de la vallée où j'avais stationné ma voiture et rejoindre le plateau à partir duquel je pourrais gravir la montagne où j'espérais trouver les vestiges de la tour en question. À mi-chemin durant l'ascension, et par une chance incroyable, j'ai croisé un sentier à peine identifiable comme tel mais qui s'est avéré être le vestige du chemin forestier que j'avais vu sur la carte. N'étant plus entretenu depuis des lunes, ce sentier était jonché de débris et incroyablement boueux à cause du temps qu'il faisait, mais ce dernier point ne m'inquiétait guerre car je portais les mêmes bottes de randonnée ultra imperméables qui m'avaient si bien servi durant ma randonnée dans les monts Groulx.

Plus je marchais et plus le sentier devenait large et praticable. Après qu'il ait tourné dans une direction que ma boussole m'indiquait comme étant la bonne, il n'y avait plus de doute dans mon esprit que ce chemin était effectivement celui que je recherchais. J'étais maintenant sur le sommet des plateaux et la progression se faisait sur terrain plat. Après quelques kilomètres de marche, je m'attendais d'une minute à l'autre à voir apparaître à ma droite l'embranchement d'un chemin secondaire qui, selon la carte, allait me conduire directement au sommet de cette colline que je voyais déjà et au sommet de laquelle je trouverais sûrement ce que je cherchais. Je pouvais déjà voir, loin devant moi, le lac qui était indiqué sur la carte et que le sentier principal longeait sur quelques dizaines de mètres juste avant l'embranchement.

Mais arrivé au lac, une surprise m'attendait.

Sur la rive de ce lac, là, devant moi, se dressait un splendide petit camp rustique. Celui-ci n'apparaissait sur aucune carte. Imaginez donc ma surprise de le découvrir ainsi. Il était encore en excellent état, bien que visiblement abandonné lui aussi depuis un certain temps. Mais ses portes et fenêtres étaient intactes, son toit imperméable, et son poêle à bois toujours fonctionnel, ce qui me permit de prendre mon dîner confortablement installé bien au chaud et au sec.

Le décor autour de ce refuge était splendide; exactement le genre de nature qui me fait rêver: un lac calme d'eau claire entouré de collines couvertes de forêt boréale, un sol de roc couvert de mousses et de lichens. Je me rappelle encore du bien être que ce décor m'inspirait; de la sensation d'être au milieu de nulle part dans un territoire abandonné, probablement inconnu de tous, et dont j'avais l'exclusivité sur des dizaines, probablement des centaines d'hectares.

Il y a deux semaines, fort de ma santé retrouvée, et ayant encore sans doute besoin d'une ultime preuve pour balayer les derniers doutes qui subsistaient encore au fond de mon inconscient, j'ai décidé, par une belle journée chaude et ensoleillée cette fois, de voir si je ne pourrais pas retrouver ce petit refuge dont la découverte avait été une si belle surprise pour moi dix ans auparavant. Je me suis donc rendu sur place et, comme la première fois, étant incapable de trouver la moindre trace du début de ce sentier sur le bord du chemin, j'ai entrepris de partir en plein bois et de gravir à la dure cette profonde vallée glaciaire jusqu'aux plateaux. Cinq cent mètres de dénivelé sur un kilomètre de distance, c'est pas une promenade de santé. Mais je vous jure, si j'avais vraiment eu le moindre problème de santé ou la moindre faiblesse cardiaque, je peux vous assurer que je serais MORT à l'heure qu'il est.

Quoi qu'il en soit, en (petite) partie grâce à mes talents de navigation et en (grande) partie grâce à la chance, je suis de nouveau tombé sur le sentier que j'avais parcouru pour la première fois dix ans plus tôt. Première constatation: C'est fou ce que la végétation peut pousser en dix ans, en particulier ces petits résineux dont les branches raides poussant à l'horizontale bloquent le passage et vous déchiquettent les jambes sans le moindre scrupule. Certaines sections du sentier étaient presque devenues complètement invisibles et à certains endroits je devais même ralentir ma progression et redoubler d'attention pour ne pas perdre le chemin.

Mais comme la première fois, une fois au sommet des plateaux, le sentier, bien que moins large qu'il y a dix ans, étaient encore parfaitement praticable. Quelques autres kilomètres de marche m'ont suffit à arriver à cet endroit où, la première fois, le refuge m'était apparu après un tournant du chemin.

Et il était toujours là, devant moi. Fièrement campé sur la rive du même petit lac, et apparemment encore en bon état. En trop bon état même, pour une construction abandonnée depuis probablement plus d'un décennie. À la lumière du soleil et sous ce ciel bleu immaculé, il semblait encore plus beau que dans mes souvenirs. La porte fonctionnait encore très bien, et en pénétrant à l'intérieur, j'ai trouvé l'explication quant au bon état de ce petit bâtiment.

Là, sur la table, à côté de cette bouteille de vin dans laquelle on avait enfoncé une chandelle maintenant éteinte, se trouvaient quelques papiers sur lesquelles quelques personnes avaient écrit de petits messages datés. Dans la petite armoire au dessus de l'évier se trouvaient quelques rations alimentaires, une boîte de café et quelques sachets de thé. À côté du poêle, quelques bûches de bois étaient soigneusement cordées. Sur une corde tendue au plafond se trouvaient quelques linges à vaisselle. Quelques outils, comme une hachette et une sciotte, étaient accrochés au mur.

De toute évidence, je n'étais pas le seul à connaître l'existence de ce petit refuge. Il semblerait que, d'après les messages que j'ai lu, une demi-douzaine de personnes environ en ait fait la découverte, et profitent de chaque visite pour le maintenir en bon état. Il semble qu'aucune de ces personnes ne se soient jamais rencontrées, ayant toujours été seuls à chacun de leurs séjours. Comme moi, ils ne connaissent l'existence des autres que par les petits mots qu'ils se laissent sur la table.

Je visite cet immense parc de façon sporadique depuis plus ou moins vingt-cinq ans, et pourtant cette année, sans doute à cause de mes fréquentes visites et de mes explorations en dehors des sentiers battus, il semblerait que je commence à ressentir pour ce vaste territoire un attachement tout particulier. Un attachement qui s'ajoute à ceux que j'ai déjà pour des personnes près de moi, comme les amies dont je vous parle depuis toujours et, plus récemment, la collègue avec qui je m'entend si bien. Soudain, je n'ai plus le désir de m'installer en permanence loin de tout. Oui, bien sûr, ça va définitivement toujours me prendre une terre à bois, un sanctuaire, mais je ne veux plus m'éloigner trop de ces lieux et de ces gens avec qui j'ai envie de partager toutes ces futures expériences que me santé retrouvée me permettra désormais de vivre.

En fait, cette santé, je ne l'ai probablement jamais perdue. J'ai été victime de ma propre négligence et de mes angoisses que j'ai laissé prendre le dessus sur moi pendant des années. Trop d'années. Presque les trois-quarts du temps depuis lequel j'écris ce journal.


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