19 mars 2009

Êtes-vous familier avec ce syndrome qu'on appelle en anglais cabin fever ? C'est un syndrome qui englobe un ensemble de symptômes qui apparaissent en tout ou en partie chez les personnes qui passent de longues périodes de temps dans la solitude et l'isolement, avec des activités et des distractions plutôt limitées. Ce terme a été utilisé originellement pour décrire les étranges perturbations psychologiques qui affectaient un grand pourcentage des chasseurs et trappeurs qui, au siècle dernier, passaient de longs hivers seuls dans des refuges nordiques, avec pratiquement aucune distraction en dehors de leurs activités de chasse et de trappe.

Les symptômes varient, mais ils incluent entre autres: dépression, fatigue, apathie, difficulté à se concentrer, crises d'angoisses, sommeil très prolongé mais peu réparateur, cauchemars, et dans les cas les plus extrêmes, hallucinations auditives et visuelles. Certaines personnes sont plus affectées que d'autres, selon leur tempérament et aussi probablement certains autres facteurs que nous ne connaissons pas encore.

De nos jours, la cabin fever est une affection plus anecdotique qu'autre chose. Rares sont les personnes qui vivent maintenant dans un isolement aussi complet durant l'hiver, même parmi ceux et celles qui pratiquent encore un mode de vie plus traditionnel. Cependant, je suis bien obligé d'admettre que, durant tout l'hiver, j'ai vécu dans un isolement quasi complet, et surtout, combattu continuellement l'ennui. En fait c'était une lutte de chaque instant, du matin au soir. Si je fais le bilan de mon premier hiver de retraite, dont c'est la dernière journée aujourd'hui, je peux affirmer que j'ai passé la très grosse majorité de mon temps à combattre l'ennui (à "tuer le temps", comme on dit), mais aussi à combattre la culpabilité que j'associe invariablement à cet ennui. Continuellement habité par la hantise du "temps perdu" et de la "vie gâchée", je dois continuellement repousser cette culpabilité que je ressens chaque fois que j'ai l'impression de gaspiller ces précieux moments de mon existence.

Je savais dès l'automne dernier que cet hiver que je m'apprêtais à vivre serait un hiver de transition, une période où je ne pourrais ni travailler sur la maison, ni sur mes projets futurs, et ni sur ces autres projets qui sont nombreux mais que je ne pourrai vraiment entreprendre que lorsque la maison sera vendue et que je serai installé dans mon nouvel environnement.

Mais savoir une chose, et la vivre, c'est deux choses complètement différentes.

Maintenant que j'y pense avec un peu de recul, je suis quand même étonné de voir que j'ai réussi à passer à travers presque quatre mois et demi de ce genre de vie. Et ce n'est pas encore fini. Il reste plusieurs semaines avant que la neige ne disparaisse suffisamment pour que je ne me sente plus prisonnier ici, entre ces quatre murs; pour que je puisse enfin reprendre possession de mon petit territoire, recommencer à profiter de mon foyer, de mon lac, de mon kayak, et recommencer à circuler dans les chemins forestiers pour aller assister à la lente renaissance printanière de la forêt.

Je ne me suis pas rendu aussi loin que les cauchemars et les hallucinations, et je suis probablement beaucoup plus tolérant à la solitude et à l'ennui que la plupart des gens. Mais plus tolérant ne veux pas dire immunisé. Il ne se passe pas une seule journée sans que je ne souffre du manque d'avoir quelqu'un avec moi à qui confier les découvertes que je fais où les choses que j'apprend. Et non, ne vous en déplaise, ce journal ne pourra jamais remplir ce rôle.

J'ai beaucoup roulé hier. Les routes, même les plus reculées, étant de nouveau pour la plupart praticables et sécuritaires en cette période de l'année, j'en ai profité pour aller faire quelques visites à différents endroits qui me semblaient prometteurs. Moi qui adore habituellement faire de la route, je n'arrivais jamais pleinement à en profiter car il y avait toujours ce sentiment amère qui m'habitait et qui gâchait mon plaisir. Il ne s'est dissipé qu'en fin d'après-midi alors que j'étais sur le chemin du retour.

Quand on roule sur les routes de campagne, on voit souvent ces vieilles granges déformées, tordues, pratiquement en ruine et qui donnent toujours l'impression qu'elles vont s'écrouler d'une seconde à l'autre. Je ne sais pas ce que ces reliques de notre passé agricole inspirent à la plupart des gens, mais moi, chaque fois que je regarde l'une de ces vieilles construction en état de décrépitude avancé, je vois des centaines, voire des milliers de pieds linéaires de planches et de poutres de bois qui, une fois passé au planeur et à la dégauchisseuse, est en tout point identique à du bois neuf, à la différence que, contrairement à ce dernier, ce vieux bois est d'une stabilité absolu et ne travaille même plus d'un centième de millimètre, ce qui en fait un matériaux d'une qualité inégalable à la fois pour l'ébénisterie ou comme bois d'oeuvre. Ou alors on peut lui laisser sa patine grise si pittoresque sur au moins une face et s'en servir comme matériaux pour des planchers de bois ou comme parement extérieur ou intérieur, et Dieu sait quoi d'autre. Les possibilités sont infinis.

Normalement, ces pensées devraient me remplir d'enthousiasme et de fébrilité, un peu comme je me sentais lorsque je planifiais mon projet de chalet dans le bois avant ma retraite. Et elles le font; pour moi, une bonne idée du paradis, c'est une longue allée flanquée des deux côtés par plusieurs mètres de hauteur de tablettes remplies de planches et de pièces de bois brutes d'une multitude de tailles, de formes et d'essences variées.

Mais cette crise d'angoisse que j'ai faite en octobre dernier m'a laissé quelque chose. Une espèce d'arrière goût de réalité qui me gâche toujours un peu le plaisir de mes rêves, la douloureuse réalisation que ceux-ci ne pourront possiblement jamais se réaliser tout à fait comme je me les imagine, du moins tant et aussi longtemps que je n'aurai pas trouvé une solution à ce problème omniprésent, celui de mon incapacité à jouir pleinement de quoi que ce soit s'il n'est pas partagé, ce problème qui, pour l'instant du moins, me parait toujours tout aussi désespérément insoluble.


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