31 mars 2009

Je me sens comme un lion en cage.

Beaucoup utilisent cette expression sans en saisir réellement la signification. Je peux vous assurer que ce n'est pas mon cas. J'ai trouvé la journée d'hier particulièrement pénible. Aujourd'hui ça allait mieux, mais malgré tout, après le souper je n'y tenais plus. Il fallait que je sorte d'ici. Je suis sorti pour marcher, juste marcher, changer d'air, bouger, sortir d'entre ces quatre murs. Je me sens prisonnier, prisonnier de mon chez moi, prisonnier de ma vie. Chaque fois que je m'arrête pour penser à ça je suis envahi par une crise aigüe d'angoisse qui dure quelques minutes.

Je n'en peux tout simplement plus de ce crisse de câlisse d'ostie d'hiver de merde. Je suis au bout de mon rouleau. Vous n'avez qu'à relire les années précédentes de ce journal pour voir que j'ai toujours eu très peu de tolérance pour le mois de mars, et cette année c'est la pire de toutes les années, à cause de ma situation particulière.

Enfin. Au moins, ce mois de mars est enfin terminé. Bien sûr demain matin, rien n'aura changé. Il ne fera ni particulièrement plus beau ni plus chaud qu'aujourd'hui. Il y aura toujours autant de neige au sol. Mais au moins, l'effet psychologique du mois d'avril sera là. Et dans mon cas, je suis particulièrement sensible à ce genre de petits détails arbitraires. Ça va sûrement me faire du bien.

C'est bien vrai que ce n'est pas tant la solitude mais bien l'ennui qui mine l'esprit. C'est un phénomène avec lequel les experts en survie sont très familiers. Tous sans exceptions précisent dans leurs cours de formation, d'une manière ou d'une autre, que l'ennuie engendre l'angoisse, et que cela semble affecter autant ceux qui se perdent en forêt à plusieurs que ceux qui se perdent seuls. Bien sûr, ceux qui se perdent à plusieurs semblent généralement moins affectés, mais c'est seulement parce qu'à plusieurs, on s'ennuie moins que seul. On parle, on échange, on se tient compagnie. C'est vraiment l'ennui qui est à la base du problème. Et c'est ce qui me cause des problèmes ces jours-ci. Je suis comme sursaturé de passer mes journées ici, devant la télé ou devant l'ordi. Surtout devant l'ordi. J'en fais une overdose, et quand ça m'arrive et que je pense en même temps que je n'aurai pratiquement rien d'autre pour m'occuper tant que cet ostie d'hiver de merde ne sera pas finalement terminé, alors je fais des petites crises de panique.

Quand je vivrai dans ma cabane dans le bois j'aurai vraiment intérêt à me trouver de nombreuses occupations pour les longs mois d'hiver. J'en ai déjà beaucoup en tête mais pour des raisons logistiques elles ne sont pas une option pour l'instant, pas tant que je ne serai pas parti d'ici.

La solitude, je ne serais pas surpris si je découvrais qu'à la longue je puisse apprendre à vivre avec. Sur ce point, je ne suis peut-être pas si différent de Dick Proenneke. Ce qui lui rendait la solitude tolérable, c'est le fait qu'il ne s'ennuyait jamais. Le mode de vie extrêmement rustique qu'il avait choisi de vivre l'obligeait à être continuellement occupé du matin au soir. Du bois à couper, un jardin  et une cabane à entretenir, la chasse et la pêche pour maintenir sa réserve de nourriture, la cuisine à faire, des dizaines de kilomètres à parcourir chaque jour en canot ou à pied avec tout son équipement photographique ou cinématographique, et en hiver la glace à casser chaque matin pour obtenir son eau potable, ses multiples chemins à garder déneigés tout autour de sa cabane, etc etc. Et tout ça c'est sans compter ses journaux qu'il tenait religieusement à jour, et la montagne de courrier qu'il s'est mis à recevoir après la publication de son livre, et auquel il se faisait un devoir de répondre au complet. De son propre aveux, il trouvait même souvent que les journées étaient trop courtes et passaient trop vite pour faire tout ce qu'il avait à faire.

Je sais que je souffrirais moins de la solitude ces temps-ci si j'étais plus occupé. Vivre seul, presque personne ne fait le choix conscient de vivre ainsi pour le restant de sa vie. Pour un certain temps peut-être, comme une situation temporaire, mais pas pour une vie entière. Contrairement à nos croyances folkloriques, mêmes nos ancêtres trappeurs ou coureurs des bois ne passaient pas leur vie seuls. Pour la vaste majorité d'entre eux, la solitude était une condition temporaire, saisonnière. Les trappeurs se partageaient un territoire et un camp à deux ou plusieurs, pour des raisons de sécurité mais aussi pour se tenir compagnie durant les longs mois d'hiver. Et au printemps, ils fermaient leurs camps et retournaient à la civilisation où la plupart d'entres eux avaient une femme et une famille qui les attendaient. Quant aux coureurs des bois, les longs courriers travaillaient souvent en équipes de plus d'une douzaine d'individus, ce qui était indispensable pour portager les immenses canots d'écorce nécessaires au transport de leurs marchandises et provisions. Et même ceux qui préféraient travailler seuls en se concentrant surtout sur la traite des fourrures amenaient presque toujours avec eux leur épouse, souvent amérindienne.

"What was I capable of that I didn't know yet ? Could I truly enjoy my own company for an entire year ? And was I equal to everything this wild land could throw at me ?"

- Dick Proenneke, Alone in the wilderness

Cette citation montre très bien que Dick Proenneke (ni son mentor Henry David Thoreau d'ailleurs) n'était pas parti à Twin Lakes avec l'idée d'y passer le reste de ses jours seuls. Son idée de base était d'y passer une seule année.

Personne ne planifie de passer sa vie seul.

Pour finir, je sais que je ne fais pas cela souvent, mais je vais vous recommander fortement d'écouter une série télévisé qui commencera au réseau TVA le 16 avril. La série s'intitule "Destination Nor'Ouest II". Pour faire une histoire courte, il s'agit d'une télé-réalité où un groupe de participants devront reproduire, pendant trois mois, et avec le plus d'authenticité possible, la vie d'un groupe de voyageurs du dix-huitième siècle. Certains d'entre vous se rappeleront peut-être qu'une première saison de cette série a été diffusée il y a quelques années. Peut-être vous rappellerez-vous aussi d'un des participants, un homme dans la cinquantaine que les producteurs de l'émission ont été très réticents à accepter. La raison ? En plus de souffrir d'embonpoint, l'examen médical a révélé qu'il soufrait d'hypertension, d'hypercholestérolémie et d'un certain nombre d'autres conditions qui en faisait un candidat à haut risque d'infarctus ou d'accident vasculaire cérébral. L'équipe de production était prête à l'admettre s'il acceptait de se soumettre à un traitement quotidien à l'aspirine mais lui, par soucis d'authenticité de l'expérience qu'il s'apprêtait à vivre, refusait cette condition. À force de négociation, il a finit par gagner son point.

Et bien non seulement a-t-il passé à travers les trois mois sans problème, mais ce fut même un des membres les plus actifs de l'expédition. Et encore mieux: Non seulement a-t-il perdu plus de vingt kilos, mais sa tension artérielle et son taux de cholestérol sont retombés à des niveaux normaux, en fait des niveaux considérés comme normaux pour un homme au milieu de la trentaine. Sa femme ne le reconnaissait plus, il avait rien de moins que retrouvé sa santé et sa jeunesse, et tout ça sans la moindre prise de médicament.

Et grâce à quoi ? Tout simplement au fait que pendant trois mois, il a vécu la vie que l'organisme humain a été génétiquement conçu pour vivre: Grand air, nourriture saine et naturelle, effort physique pas nécessairement énorme, mais soutenu tout le long de la journée.

Pas surprenant que nos sociétés occidentales soient si malades, tant physiquement que mentalement. Parce que la modernité nous a permis de nous faciliter la vie, mais que nous ne sommes tout simplement pas conçus physiologiquement pour avoir la vie si facile. Et ce n'est pas en passant quelques heures par semaine à se faire chier au gym en pompant de la fonte ou en courant vers nulle part sur un tapis roulant qu'on efface par magie tous les dommages que nous causent notre mode de vie essentiellement sédentaire.

Non, ce sont les fondements mêmes de notre culture occidentale qui sont à remettre en question. Nos valeurs, notre société de consommation, tout. Tout cela est en train de nous détruire. Et la grande majorité d'entre nous sommes trop apathiques et trop lâches pour accepter de voir cette réalité en face.


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