7 novembre 2009

Lundi dernier, je n'ai eu qu'à lever les yeux vers le ciel pour comprendre pourquoi j'avais été si émotionnel la veille. C'est ce qui est pratique avec les journaux intimes, en ligne ou non. Ils capturent un cliché, un instantané d'un moment, d'un état d'âme.

Je viens de passer une semaine enrichissante, mais qui m'a complètement vidé. J'ai été confronté à trois de mes pires peurs. Je dirais même, à mes trois pires peurs. La première: être responsable de quelqu'un; faire face à ma peur morbide de ne pas être capable de m'acquitter correctement de cette tâche et de causer du tort à la personne que je suis supposé aider. La deuxième: avoir à subir ne serait-ce qu'une toute petite, qu'une minuscule entrave à ma sacro-sainte liberté. Et la troisième mais non la moindre: mon dégoût viscéral du milieu urbain et la peur panique d'être forcé d'y passer plusieurs jours consécutifs.

J'ai fait face à ma première peur, et j'irais même jusqu'à dire que je me suis admirablement bien acquitté de cette responsabilité. Je ne compte plus le nombre de fois où mon père m'a dit à quel point il trouvait que je m'occupais bien de lui, que je l'aidais sans l'infantiliser, que j'étais toujours présent dès qu'il avait besoin de moi sans pour autant entraver son désir de faire les choses par lui-même pour lui permettre de s'entrainer à retrouver le plus d'autonomie possible, que je faisais preuve d'une patience exemplaire en écoutant ses "radotages" comme il les appelle. Honnêtement, j'ai été surpris de voir ce dont j'étais moi-même capable. Mais je crois que la personne la plus surprise d'apprendre cela sera ma soeur. Mais ça, c'est une autre histoire.

J'ai aussi affronté ma deuxième peur. Mais cette semaine ne me l'a pas nécessairement rendu plus agréable. Malgré la bonne compagnie de la personne avec qui je me trouvais, et le fait que je me sentais revalorisé en constatant que je l'aidais réellement, il m'était quand même très difficile de me savoir entravé dans ma liberté. Mon père le sentais bien d'ailleurs. À quelques reprises il m'a confié que jamais lui ou ma mère quand elle était en vie ne nous auraient demandé de faire ce que nous sommes en train de faire. Pour mes parents, le fait de mettre des enfants au monde est pour leur permettre de vivre leur vie à eux. Mon père n'a cependant pas manqué de rajouter à quel point il appréciait ce que nous faisions pour lui. D'ailleurs, il n'arrêtait pas de le mentionner à toutes les personnes que nous rencontrions au hasard de nos déplacements pour régler les différentes détails de son déménagement prochain.

Tant qu'à parler de mon père, aussi bien en profiter pour mentionner que je suis modérément encouragé par ce dont j'ai été témoin cette semaine. Ayant souffert moi-même d'une labyrinthite quand j'avais trente ans, bien que moins grave, je peux comprendre en partie ce qu'il est en train de vivre, et je ne me gênais pour lui parler de ma propre expérience, de la cause des symptômes qu'il ressent et de la manière dont il peut s'attendre à les voir évoluer au fil des prochaines semaines et des prochaines mois. Les médecins lui ont dit que cela pourrait prendre jusqu'à trois mois avant qu'il commence à constater une amélioration notable. D'ici là, il n'a d'autre choix que de se déplacer à l'aide d'une marchette. Mais en seulement une semaine avec lui, je l'ai vu passer d'un état où il se reposait et s'appuyait désespérément à cette béquille simplement pour se tenir debout, à un état où cette même marchette était davantage une nuisance toujours dans ses pattes. Il ne semblait pas avoir eu connaissance de l'amélioration. Impatient de nature, les progrès ne se produiront jamais assez vite à son goût. Mais je n'ai pas manqué de lui faire part de ce que j'avais observé. Ce n'est pas une illusion et il a besoin de ce genre d'encouragement.

Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne crois pas que c'est de cette perte d'autonomie dont il souffrira le plus. Les médecins ont même dit qu'il y avait 95 pour cent de chances qu'il récupère presque toute sa mobilité précédente. Non, ce qu'il trouvera le plus dur, c'est le déracinement prochain qu'il devra bientôt subir. Étant de nature très sociable, il s'était fait un bon cercle d'amis et de fréquentations dans son complexe d'habitation, surtout depuis le décès de ma mère. De plus, j'ai eu l'impression cette semaine qu'il était en train de vivre un deuxième deuil. Il devra dire adieu non seulement à son logement, mais à tous les souvenirs qu'il contient, à tous ces objets qui sont restés exactement comme ils étaient depuis la départ de celle avec qui il a partagé plus de cinquante ans de vie. Je sais qu'au fond de lui, il aurait souhaité mourir dans ce logement, entouré de tous ces souvenirs et de la présence de celle qui fut la seule femme de sa vie.

Toute la semaine, je l'ai entendu répéter encore et encore les mêmes histoires, les mêmes souvenirs, en faisant preuve d'une patience et d'une écoute dont je ne me croyais pas capable.

Mais tout cela m'a littéralement vidé, siphonné de mon énergie. D'autant plus que j'étais incapable de refaire le plein de cette énergie à cause du fait que je devais aussi affronter ma troisième peur: la ville omniprésente, tout autour de moi, inévitable, impossible à ignorer. J'ai très mal dormi cette semaine. Vendredi, j'étais complètement épuisé. Je l'ai souvent dit: mon père est perspicace, quoi que cela ne prenait pas des trésors de perspicacité pour deviner ma fatigue quand il me voyait presque tombé endormi dès que je posais mon cul sur un fauteuil ou un divan. Si bien que c'est lui qui m'a demandé si je voulais qu'il appelle mon frère pour qu'il vienne prendre ma place en fin de semaine.

Cette nuit, de retour dans mon petit lit douillet, dans mes propres affaires, entouré de mes arbres, de mon lac, et surtout, de cette paix, de ce silence divin, loin de ce cancer urbain que je déteste tant, je me suis tapé onze heures de sommeil en ligne. J'en avais vraiment besoin.

Encore une bonne nuit à passer ici, puis c'est reparti pour une autre semaine. Je crois que celle-ci passera vite car nous aurons beaucoup d'emballage et de boîtes à faire, de même que quelques visites aux rares personnes que mon père n'a pas encore eu l'opportunité d'informer de son départ imminent. Je tiens à mentionner aussi que les plans ont changé. La semaine prochaine sera ma deuxième et dernière semaine loin de chez moi. Nous déménagerons mon père en fin de semaine prochaine car ma soeur et mon beau-frère ont mis les choses en deuxième vitesse pour que sa chambre soit prête le plus tôt possible. Les rénovations chez eux vont se continuer encore quelques semaines, et nous aurons sans doute encore à faire de nombreux voyages vers l'ancien logement pour finir de tout vider d'ici les fêtes, mais essentiellement, je n'aurai eu à aller habiter en ville que deux semaines. Inutile de vous décrire l'immense sensation de soulagement qui m'a envahi quand j'ai appris cela.


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