7 octobre 2009

Je n'ai pas aimé ma journée de vendredi dernier.

C'aurait dû être une belle journée. Le ciel était couvert et le fond de l'air frais, mais qu'importe. Je voulais encore une fois retrouver ce qui apparaissait sur mes cartes comme un vieux camp de chasse, fort probablement abandonné depuis longtemps et en ruine. Aucun sentier n'était indiqué, mais mon instinct me disait que j'en trouverais sûrement un, ou du moins ses vestiges, le long du lac à la décharge duquel devait se trouver le camp. De plus, cette fois ci, je n'ai pas pris de chance et j'ai apporté mon GPS.

Le chemin aller s'est bien passé. Même s'il ne pleuvait pas, le sol et la végétation étaient détrempés et en moins d'une heure mes pieds étaient complètement mouillés, mais ça ne me dérangeait pas vraiment car il ne faisait pas assez froid pour que ce soit un problème. La progression était lente car, même si je commence à être habitué à marcher en plein bois, je ne voulais pas risquer de me blesser en m'accrochant sur les souches et les arbres tombés. Arrivé près du lac, je suis effectivement tombé sur un vieux sentier qui était encore tout à fait praticable et qui m'a permis d'accélérer le pas. Et ce sentier m'a conduit tout droit à ce que je recherchais: Un vieux camp de chasse, en bois rond, mais complètement effondré, probablement depuis des décennies, sous le poids de la neige. Le site du camp étaient entouré des babioles habituelles (bouteilles vides, vieilles chaudières de plastiques, etc.), mais c'était quand même l'un des sites les plus propres que j'ai trouvé à date.

C'est alors que j'ai regardé l'heure: 17h00. J'étais parti de ma voiture à 14h00. Cela m'avait pris trois heures pour faire le trajet, et à ce temps-ci de l'année, dans deux heures seulement, j'allais être plongé dans l'obscurité totale. Et pour mal faire, comble de stupidité et d'imprudence, je n'avais pas cru bon d'apporter ma lampe frontale.

Je n'arrivais pas à croire que j'avais pu être stupide à ce point. Je prépare toujours soigneusement mes randonnées. Je savais dès le départ que celle-ci risquait de prendre plusieurs heures. Et pour la première fois depuis les nombreuses années où je me balade en forêt, j'ai commencé à m'inquiéter. Et ce ne serait pas le misérable rétro-éclairage de mon GPS, ni la lueur de mon briquet, qui me permettraient de trouver mon chemin en pleine obscurité.

Et ce qui devait arriver arriva. Cette décision stupide et imprudente m'a forcé à prendre une autre décision stupide et imprudente. J'avais dû contourner une montagne pour me rendre là. Si je choisissais plutôt de revenir en gravissant cette montagne pour redescendre de l'autre côté vers la vallée, je pouvais couper de moitié mon temps de retour, ce qui me permettrait de revenir à ma voiture avant la noirceur. Et c'est ce que j'ai fais.

Le terrain difficile, combiné à mon empressement à le parcourir le plus vite possible, m'a valu un nombre incalculable de chutes, de bleus et d'écorchures. De plus, à plusieurs reprises, j'ai été mis à face d'une réalité que je ne connais que trop bien: Je n'ai aucun sens de l'orientation. À un certain moment, un coup d'oeil sur mon GPS m'a fait réalisé que je marchais en direction directement opposée à celle que je pensais. Et vous savez le pire ? Vu mon état d'esprit du moment, j'avais tendance à mettre en doute mon GPS, violant ainsi l'une des règles les plus fondamentales de la navigation en forêt: Faites toujours confiance à votre boussole (ou à votre GPS). Vous pouvez facilement vous retrouvez désorienté en forêt, mais vos instruments, eux, non. Heureusement, cette fois, j'ai finalement mis ma confiance dans mes instruments, et je me suis retrouvé là où je voulais être: En haut d'une falaise abrupte, beaucoup trop abrupte à mon goût, que je devais descendre pour atteindre la rivière.

La descente fut très pénible, et très périlleuse. À de nombreuses reprises, j'ai failli perdre pied et faire une chute de plusieurs mètres, m'accrochant à la dernière seconde à des arbustes ou à des branches qui n'ont miraculeusement jamais cédé sous mon poids. La pente était très abrupte et même dans les sections les plus faciles, que je pouvais descendre en marchant normalement, chaque pas était excessivement dur sur mes genoux. Finalement, après une demi-heure de ce calvaire, je suis arrivé meurtri mais sain et sauf sur le bord de la rivière. Le chemin m'avait pris une heure et demi, et un coup d'oeil sur mon GPS m'indiqua que je n'avais que deux kilomètres à marcher en longeant la berge pour arriver au petit pont de l'autre côté duquel ma voiture était stationnée. Il ferait sûrement sombre à mon arrivée, mais pas assez pour m'empêcher de trouver mon chemin. À ce moment, j'ai commencé à me détendre en me mettant en route, me permettant même de rigoler intérieurement de ma mésaventure et essayant d'imaginer la tête de la collègue avec qui je m'entend si bien quand je lui raconterais tout ça.

La progression n'était pas de tout repos. Je restais près de l'eau, question de prudence (j'avais déjà eu ma dose d'imprudence pour la journée), donc la végétation était dense, et naturellement, il n'y avait aucun sentier. mais arrivé à une légère courbe dans la rivière, j'ai pu voir aisément au loin la silhouette du petit pont qui était ma destination. J'ai voulu jeter un dernier coup d'oeil sur mon GPS pour voir, par curiosité, la distance qui me restait à parcourir et...

Plus de GPS.

MERDE ! MERDEMERDEMERDEMERDEMERDE ! CETTE PUTAIN DE JOURNÉE POUVAIT-ELLE ENCORE ALLER PLUS MAL ?!

Crisse, je ne pouvais tout de même pas me dire "Bon ben, tant pis" et continuer ma route comme si de rien était ! Ça m'a coûté cinq cent dollars cette bébelle là ! Après avoir tourné en rond comme un beau cave pendant plusieurs minutes à me demander ce que j'allais faire, je n'ai finalement eu d'autre choix que de commencer à revenir sur mes pas, très lentement, essayant de me rappeler par quel chemin j'étais passé, de reconnaître une roche, une souche, un tronc qui m'était familier, et ce tout en scrutant le plus attentivement possible le sol devant moi, espérant retrouver mon coûteux appareil. J'ai marché de la sorte sur une distance que j'estime à environ un kilomètre, jusqu'au point où je croyais me trouver lorsque j'avais consulté mon GPS la dernière fois juste après ma descente de la falaise. Mais sans succès. Entretemps, bien sûr, le ciel avait continué de s'assombrir, et il m'aurait été maintenant impossible de repérer mon appareil même s'il s'était trouvé là, devant moi, en plein milieu de chemin. Écoeuré, découragé, et furieux contre moi-même, je devais maintenant retourner à ma voiture, mais cette fois je ferais le trajet dans l'obscurité quasi totale.

C'est en m'assoyant dans ma voiture que j'ai réalisé qu'en plus de tout ça je m'étais fait une sérieuse blessure à une hanche, dont je n'avais même pas eu connaissance avant. Mon pantalon était déchiré et taché de sang.

Je suis arrivé chez moi à 20h00, affamé, écoeuré, blessé, et avec des genoux qui me faisaient si mal que j'avais même beaucoup de difficulté à monter et descendre les quelques marches de mes escaliers. Mais aucun de ces désagréments physiques ne se comparait au mauvais feeling que je ressentais au fond de moi à la suite de cette mésaventure.

À cause de mon imprudence et de ma stupidité, je m'étais mis dans une situation potentiellement très dangereuse. J'étais parti beaucoup trop tard dans la journée pour faire une randonnée beaucoup trop longue, et même si j'avais un GPS avec moi, je n'avais apporté ni batteries de rechange, ni lampe frontale, et ni boussole. Vous imaginez ce qui aurait pu m'arriver si j'avais perdu mon GPS plus tôt dans la randonnée et que je m'étais retrouvé désorienté comme je l'ai été au sommet de la montagne, et ce, sans boussole ? Oui je sais, le pire qui pouvait m'arriver dans ce cas, c'est que je passe une très désagréable nuit en forêt, complètement trempé et frigorifié (j'aurais certainement eu beaucoup de difficulté à faire un feu dans les conditions dans lesquelles je me trouvais) avant de retrouver mon chemin le lendemain à la lumière du jour. N'empêche que si j'avais fait preuve de la même négligence au départ d'une randonnée plus longue ou en région plus éloignée, j'aurais pu sérieusement me retrouver dans le pétrin.

Tout mon linge s'est retrouvé au lavage le soir même. Mes pantalons sont finis, mais le reste s'en est bien tiré. Et à cause de ma stupidité, il y a cinq cent dollars de mon argent qui traine sur le sol de la forêt et qui va lentement se faire recouvrir de sédiments et disparaître au fil des années, car il ne sera jamais retrouvé par personne, puisque personne ne passera jamais par là où je suis passé.

J'ai eu mal aux genoux pendant deux jours, et ma blessure à la hanche n'a commencé à se faire oublier qu'hier. Quant au mauvais feeling que je ressentais, il a maintenant laissé place à l'impression que je viens de vivre une bonne leçon d'humilité. Je suis retourné marcher hier, une petite ballade de quelques kilomètres, dans un sentier officiel et balisé cette fois. Ça m'a fait du bien de voir que j'y ai pris toujours autant plaisir que chaque fois. L'assurance est une bonne chose; elle permet d'éviter de céder à la panique. Mais trop d'assurance peut-être aussi nuisible que pas assez.


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