27 octobre 2009

Ma soeur m'a appelé hier matin. Ce n'est habituellement pas bon signe car nous ne nous appelons pour ainsi dire jamais. Elle m'a apprise que mon père était entré à l'hôpital la veille car il s'était mis à souffrir de graves vertiges. Il était incapable de se tenir debout, lui qui est déjà relativement fragile sur ses jambes. Les médecins ont passé des tests pour éliminer les causes les plus graves (accident vasculaire cérébral, trouble neurologique, etc) mais le fait qu'il souffrait en même temps d'une baisse notable de l'ouïe dans une oreille pointait de façon assez éloquente vers un coupable, soit une affection de l'oreille interne. Ils devaient faire d'autres tests aujourd'hui pour cibler la cause exacte: labyrinthite virale ou bactérienne, hémorragie, etc. Je devrais en savoir plus ce soir quand ma soeur me rappellera.

Bien sûr, sa vie n'est pas en péril. Mais tout comme ma soeur, ce n'est pas vraiment son affection actuelle qui nous inquiète, mais plutôt les implications de cette affection. Depuis le décès de ma mère il y a maintenant un peu plus de trois ans, mon père a conservé son autonomie. Il a continué à habiter leur petit logement, il s'est développé une nouvelle routine. Mais bien qu'il soit toujours capable de vaquer à ses occupations quotidiennes, il porte avec difficulté le poids de ses quatre-vingt-deux ans. Il souffre de diabète, sa vue se détériore, et l'arthrose fait lentement son oeuvre sur ses hanches et ses jambes. Sans compter la multitude de petits "bobos" dont souffrent quotidiennement presque toutes les personnes de cet âge.

Bref, avec les médecins, ma soeur a discuté de la pertinence de le laisser continuer à vivre seul dans son logement. Je crois que tout le monde, incluant mon père lui-même, savait que ce moment viendrait un jour. Je sais également, connaissant mon père, que cette éventualité ne l'enchante pas du tout. Je n'ai aucune difficulté à me mettre dans sa peau car, sur ce point, nous sommes pareils. La possibilité de perdre un jour mon autonomie et de devoir dépendre de quelqu'un d'autre constitue pour moi le principal facteur de ma crainte de la vieillesse. Mais pire que ça, c'est la crainte de devenir un fardeau pour quelqu'un.

Lorsque je me regarde en pleine face, en toute humilité et sans hypocrisie, je suis obligé d'admettre que je ne serais pas capable de faire ce que Copine a fait pendant quelques années: prendre soin de sa mère qui dépérissait petit à petit à cause d'une maladie dégénérative, et ce jusqu'à son dernier souffle. Ce fut dur, très dur même, mais elle s'est admirablement acquittée de cette responsabilité. Quant à moi, et bien vous me connaissez suffisamment pour que je n'aie pas à vous rappeler ma peur viscérale de toute forme de responsabilité. Si je me retrouvais dans cette situation un jour, je sais que je finirais éventuellement par craquer. Soit que je me ramasserais à l'hôpital à cause des effets cumulatifs de l'angoisse et du stress, soit que je serais poussé au suicide, soit que je fuirais, tout simplement. Au yeux de la population en général, et selon le jugement habituel, je suis un "égoïste", un "sans coeur", un "fils indigne", comme on en voit plein aux infos ou dans les romans et qu'on se plait à juger et haïr.

Heureusement, mon père n'aura jamais à souffrir de ma basse et méprisable ingratitude... Ma soeur et mon beau-frère ont déjà exprimé l'intention de lui offrir d'emménager avec eux, le cas échéant. Naturellement, il aura de la difficulté à s'y astreindre, mais ça lui plaira définitivement plus que l'éventualité de se retrouver dans un centre pour personnes âgées.

De mon côté, et bien cet été je m'étais senti rajeunir de dix ans. J'avais retrouvé une santé et une joie de vivre que je n'avais pas connue depuis longtemps. Je m'étais même surpris à presque en arriver à vivre au jour le jour, sans continuellement me projeter dans l'avenir comme mon tempérament m'y pousse continuellement. Mais maintenant, avec les évènements des derniers jours, je me sens subitement dans la position d'un homme trente ans plus vieux. Un homme seul, à la fin de sa vie, qui regarde toutes les personnes qu'il a jamais aimé et qui l'ont vraiment aimé en retour disparaître l'une après l'autre, et pour qui l'avenir n'est plus qu'un gouffre de vide et de néant. Bien sûr, pratiquement tout le monde perd ses parents éventuellement. Mais pour les gens "normaux", leur vie est aussi remplie de relations, d'amour, d'enfants constituant une nouvelle génération qui grandit pour assurer la continuité des précédentes.

Voyons les choses en face. Je suis à l'aube de la cinquantaine, et tout ce que j'ai réussi à accomplir sur le plan relationnel, c'est... pas grand chose, finalement. Je n'ai à toute fin pratique aucune vie sociale, je n'ai qu'une importance très relative, pour ne pas dire négligeable, pour la quasi totalité des gens qui sont passés dans ma vie. Et toutes les fois que j'ai osé me permettre de ressentir de l'amour pour une femme, ça ne m'a jamais apporté rien d'autre que déception, frustration et souffrance. Quant à mon frère et ma soeur, la réalité est que nous n'avons tout simplement que très peu de choses en commun.

Bref, mes parents ont toujours été les seules personnes desquelles je me sentais vraiment apprécié, aimé. Je le voyais dans leur regard chaque fois que je franchissais leur porte. J'étais toujours le bienvenu, et ma présence les remplissait toujours de bonheur. C'est encore le cas avec mon père, mais même lui ne s'illusionne pas à croire qu'il en sera encore ainsi pour longtemps. Quant à ma mère, elle est décédée. Que me restera-t-il quand la même chose arrivera à mon père ?

Je me sens comme si les quarante-huit premières années de ma vie n'avaient servi à rien.

Il n'est pas trop tard, me direz-vous. Objectivement, je suis encore jeune, en pleine santé, et rien ne m'empêche de faire entrer de nouvelles personnes dans ma vie, et pourquoi pas même l'amour. Mais honnêtement, au moment d'écrire ces lignes, je ne vois tout simplement plus comment cela pourrait être possible. Ma vie amoureuse et relationnelle n'est qu'une longue et interminable série d'échecs. Je crois que c'est Aristote qui décrivait la folie comme suit: "La propension à poser à répétition les mêmes gestes, en s'attendant à chaque fois à un résultat différent". Quand vais-je donc sortir de ma folie et accepter la réalité que les choses ne seront probablement jamais différentes de ce qu'elles ont toujours été dans ma vie ?

À la lumière de ce qui précède, je questionne de plus en plus la sagesse de la décision que j'ai prise l'an dernier de changer mon plan initial quant à mes projets de vie. Pourquoi voudrais-je garder un pied à terre ici ? À quoi cela servirait-il ? Qu'est-ce que ça me donnerait de continuer à chercher une occasion idéale si difficile à trouver, tout en m'obligeant en attendant à continuer à vivre dans un environnement dans lequel je me sens prisonnier et je n'arrive plus à m'épanouir ? Qu'est-ce qui me retient ici ? Mon frère et ma soeur ? Peu importe où je me retrouverais, je ne les verrais probablement pas moins souvent qu'actuellement. La collègue avec qui je m'entend si bien ? Voyons les choses en face. Elle m'aime bien, elle apprécie ma compagnie quand nous sommes ensemble, mais elle m'oublie aussitôt qu'elle rentre chez elle pour se blottir dans les bras de son conjoint. Même ses animaux de compagnie comptent plus à ses yeux que moi. Copine ? Elle m'oubliera vite. Contrairement à moi, elle est littéralement entourée de dizaines (et je n'exagère même pas) de personnes qui l'apprécient et recherchent sa compagnie. Et puis rien ne nous empêchera de garder contact, peu importe où je me trouverai. Et que dire de Lola, ma très chère Lola, la seule et unique clé dans l'engrenage parfaitement huilé de ma déprime ? Et bien nous sommes déjà loin l'un de l'autre de toute façon. Le fait de me retrouver à l'autre bout du monde ne changera pas grand chose à ce qu'est notre relation actuelle.

Et de grâce, ne vous en faites pas trop pour le ton et le contenu du billet de ce soir. Mon état d'esprit actuel est l'effet combiné de ce qui est arrivé à mon père, de la météo déprimante, et de ce mal de tête lancinant dont je suis affligé depuis ce matin. Ça ira sûrement mieux dans quelques jours. Ou quelques semaines... ou éventuellement.


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