2 août 2010

Passé une petite heure assis sur le bord du lac. Les huards sont partis, depuis un certain temps maintenant. Je ne les ai plus revus ni entendus depuis la semaine plutôt froide qui a précédé la canicule du début de juillet. À la fin de l'été, dès que les petits de l'année sont capables de voler, les huards et leur progéniture quittent les petits lacs sur lesquels ils se sont dispersés pour se regrouper sur des lacs de grandes dimensions. Ils vivent ainsi en communauté avec leurs semblables jusqu'à ce qu'ils entreprennent finalement leur grande migration vers le sud à la fin de l'automne. Les couples qui échouent dans leur tentative de procréer une année, n'ayant pas à attendre une progéniture inexistante, partent plus tôt au courant de l'été vers ces lacs communautaires. C'est sans doute ce qui est arrivé avec le couple de mon lac.

C'est dommage. Je n'ai souvenir que de deux étés où j'ai vu des bébés huards avec leurs parents sur le lac, et cela remonte aux premières années où j'habitais ici. Mais l'environnement étaient bien différent à l'époque. Beaucoup plus calme, plus silencieux, plus rustique.

Ce soir, par exemple. J'entendais mes voisins d'un côté qui jasaient sur leur galerie avec une visiteuse que je n'ai jamais vu avant (mais qui semblait plutôt jolie; va falloir que j'aille aux nouvelles...). Ça ne me dérangeait pas. Les deux petites filles de mes voisins de l'autre côté jouaient et riaient ensemble. Ça ne me dérangeait pas non plus. Plus loin le long de la rive, un père de famille s'amusait dans le lac avec sa petite fille. Ça ne me dérangeait toujours pas. Mais de l'autre côté du lac me parvenait le crisse de son infernal et aliénant d'une câlisse de scie à chaine de merde, et d'un peu plus loin encore, c'était le bruit infernal d'un joual vert de VTT.

ÇA, ça m'exaspère.

Par contre, ça n'avait pas l'air de déranger le couple de bernaches qui, elles, ne sont pas parties. Je les vois pratiquement tous les jours. Elles sont toujours ensemble, se promenant d'un secteur du lac à un autre, ne s'éloignant jamais beaucoup l'une de l'autre.

Ça me donne d'autant plus le goût de trouver ma terre à bois et de partir, surtout que j'ai passé la journée d'hier en compagnie de Copine et de Cousine, sur la terre de cette dernière.

À propos de Copine, elle m'a justement appelée après le souper pour me demander comment on faisait pour ouvrir une cassette de film 35 mm (oui, elle utilise encore cette archaïque technologie), sachant que j'avais l'habitude de développer moi-même mes films autrefois. Avant de lui expliquer, je me suis assuré qu'elle comprenait bien que le fait d'ouvrir une cassette de film à la lumière ruinerait ce dernier. N'étant pas stupide, elle savait très bien que ce serait le cas, et c'est exactement ce qu'elle voulait. Quand je lui ai demandé pourquoi elle voulait faire ça, elle m'a expliqué qu'hier, quand nous étions à la rivière, elle avait fait quelques photos de la petite famille (Cousine et ses deux filles), mais à ce moment là elle n'avait pas fait attention au fait que les fillettes, qui jouaient dans l'eau, étaient nues. La nudité est quelque chose de si normal et évident pour nous dans un tel contexte qu'elle n'avait pas pensé qu'elle devrait éventuellement faire développer la pellicule, et elle ne voulait pas voir la police débarquer chez elle.

Et oui, c'est le monde dans lequel nous vivons maintenant. Un monde dans lequel un pédophile se cache derrière chaque innocente photo d'enfant, un monde où la vie d'une personne peut être ruinée en un clin d'oeil par un moron parano travaillant au département photo d'un quelconque commerce.

Et quand je parle du "monde dans lequel nous vivons maintenant", je veux dire par là le "monde que nous nous sommes construit", bien sûr. Il semble que la déresponsabilisation soit une attitude assez répandue de nos jours. Par exemple, on préfère dire "le réseau routier au Québec a été négligé ces trente dernières années" plutôt que "les enfants de chienne de bons à rien qu'on a payé avec nos impôts pendant trente ans n'ont pas été foutus de faire leur travail correctement, et comme seule conséquence de leur négligence, ils profitent maintenant d'une retraite confortable, et ce, encore à nos frais".

Mais je digresse.

Pour revenir dans le vif du sujet, Copine ne risquait pas grand chose finalement. Pourquoi ? Parce qu'elle est une femme bien sûr. Tout le monde sait que les pédophiles sont des hommes. Mieux: Tout le monde sait que tous les hommes sont des pédophiles, violeurs et tueurs de femme en puissance. Que croyez vous qui m'arriverait, moi, si on trouvait sur mon ordinateur des photos des filles de Cousine nues ? Ma vie serait ruinée, détruite à tout jamais, tout simplement. Je n'aurais même pas à être condamnés pour quoi que ce soit. En fait, je n'aurais même pas à être accusé de quoi que ce soit. Il suffirait que quelques personnes soient mises au courant, et la rumeur se répandrait comme une trainée de poudre. Dans le temps de le dire, je serais un lépreux, un être auquel on ne veut pas être associé sous aucun prétexte. Le peu de vie sociale qui me reste serait anéanti à jamais.

Vous pensez que j'exagère ? Regardez les choses en face. Pendant des siècles, les femmes ont été représentée comme des créatures faibles, vulnérables, inférieures, irrationnelles. Cette injustice a donné naissance au mouvement féministe qui devait rétablir les faits, redonner à la femme ses lettres de noblesse. Mais la justice est incompatible avec l'esprit humain. Nous ne pouvons que sauter d'une injustice à une autre. Nous sommes allergiques à un système de justice basé sur la présomption d'innocence et l'établissement de la preuve de la culpabilité par un processus objectif et rationnel. Tous autant que nous sommes, nous préférons médire, soupçonner, accuser sans preuve et nous convaincre nous mêmes que nous avons raison.

Au XVIIième siècle, c'était la chasse aux sorcières au Massachusetts. Durant la guerre froide, on voyait des communistes partout. Les gens étaient arrêtés et emprisonnés pour les raisons les plus insignifiantes.

Et de nos jours, c'est la chasse aux pédophiles. Dans notre société moderne dite juste et démocratique, on a donné à une certaine classe de la société carte blanche pour tuer. Les membres de cette classe peuvent choisir n'importe quel homme de leur entourage, et détruire sa vie à tout jamais, et ce en toute impunité, sans jamais avoir à en subir les conséquences. Cette classe, ce sont les enfants. Et leur mère, bien sûr. Tout ce dont ils ont besoin, c'est d'une accusation, c'est tout. Que cette accusation coule dans les média, et voilà le travail. L'homme visé par cette accusation voit sa vie détruite. Il perd tout: conjointe, enfants, amis, carrière, tout, et ce à tout jamais. Les femmes se plaignent que pas assez d'hommes choisissent des carrières dans l'enseignement ou dans les garderies. Et ça vous surprend ? Vous vous promèneriez, vous, dans une arène de corrida, entièrement vêtue de rouge ? Vous n'auriez aucun problème à déambuler au beau milieu d'un champ de tir, avec une cible peinte en plein milieu du front ?

Et moi qui suit un homme, vers la fin de la quarantaine, célibataire, sans enfant, plutôt solitaire et aux habitudes de vie qui sortent de la norme, je serais la cible parfaite pour ce genre d'attaque, moi qui vit dans un milieu de plus en plus envahi par les enfants et les jeunes familles. Et ça vous étonne que je cherche à garder un profil bas, que je cultive l'art de l'invisibilité, que j'essaye autant que possible de voler sous le radar ? Ça vous étonne que je caresse des projets tels que me trouver une terre à bois, ou un camp quelque part en forêt, pour m'exclure autant que faire se peut de ce "monde dans lequel nous vivons maintenant" ?

Et oui. Ce "monde" ne s'est pas créé tout seul. Les choses ne sont pas devenues ce qu'elles sont à cause d'une mystérieuse force surnaturelle. Ce "monde" a été fait ainsi. Et si vous voulez savoir qui en est responsable, tout ce que vous avez à faire est de trouver un miroir.


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