28 juillet 2010

En rentrant chez moi hier en fin d'après-midi, la voiture de mon voisin n'était pas là. Après le souper il n'était toujours pas arrivé. Inutile de préciser que j'en ai profité pour aller lire une petite heure sur le bord du lac. Il est finalement arrivé juste quand je me levais pour rentrer chez moi. Quelques minutes plus tard à peine, j'ai entendu le bruit d'une scie électrique. Par contre, cette fois, le raffut n'a duré qu'une quinzaine de minutes.

Quoi qu'il en soit, j'ai eu droit à une petite heure de paix et de détente, et croyez-moi, j'en avais besoin, car j'étais complètement brûlé de ma journée. Quand je dis brûlé, c'est physiquement seulement. Car moralement/spirituellement, j'étais infusé d'une énergie et d'un bien-être hors du commun. Je venais de passer une journée totalement éreintante, mais oh combien satisfaisante.

Il y avait un certain temps que j'étais curieux à propos d'une petite rivière que je voyais sur mes cartes et qui semblait couler, sur une partie de son cours, dans une vallée aux parois abruptes qui, à première vue, pouvait offrir un panorama intéressant. Mais cette petite rivière était vraiment loin de tout, et même si il semblait possible d'atteindre relativement facilement une section en aval de celle qui m'intéressait, rien sur mes cartes ne m'indiquait la moindre route, le moindre sentier qui m'aurait permit de parcourir le reste du chemin vers les premiers contreforts de la vallée. Je suis donc parti à l'aventure, me disant que j'improviserais une fois sur place, et que si le trajet se révélait trop difficile, et bien je n'aurais qu'à rebrousser chemin, ayant quand même profité de quelques heures de nature et de plein-air.

Deux chemins possibles semblaient mener vers mon point de départ. En me fiant à mes cartes, j'ai choisi celui qui me semblait le plus direct. Mais j'ai eu la confirmation que les cartes ne disent pas tout. Entre autre, un petit pointillé brun qui traverse une zone verte, ça ne nous dit pas que le sentier en question est abandonné depuis des décennies et qu'il passe au travers d'une forêt de conifères séparés les uns des autres par une distance à peine supérieure à la largeur de mes épaules, dont les branches latérales mortes entravent le passage et vous déchiquettent la peau (ou les vêtements, c'est selon), et dont les arbres morts encombrent le sentier au point de rendre la progression extrêmement difficile. De plus, les cartes ne vous disent pas non plus que ces espaces simplement indiqués comme dépourvus de végétation, et dans lesquelles on s'attend naïvement à trouver un peu de réconfort, sont en fait d'anciens milieux humides complètement envahis par des aulnes qui rendent le sentier essentiellement impraticable.

Heureusement que les mouches ne se sont pas mises de la partie en plus.

Par contre, une autre chose à laquelle aucune carte ne peut vous préparer, c'est la magnificence du paysage où vous vous dirigez. Après quelques heures d'une progression pénible ponctuée d'une profusion non négligeable de jurons divers (il faut bien avertir les animaux de notre approche, après tout... quoi qu'aucun animal n'aurait été assez cinglé pour me suivre dans un milieu pareil), je suis finalement arrivé dans un milieu relativement ouvert sur le bord de la rivière que je recherchais.

Des rivières, j'en ai vu beaucoup dans ma vie. Un néophyte pourrait croire qu'elles se ressemblent toutes, mais à mes yeux, elles sont toutes différentes. Elles ont toutes une personnalité, un "look" particulier et unique. Elles sont comme des femmes: Toutes différentes, toutes facilement différentiables l'une de l'autre, et pourtant ayant toutes un point en commun: La beauté.

Mais de toutes les rivières qu'il m'a été donné de voir à date, celle-ci était vraiment unique. Je ne sais pas si c'était seulement elle, ou la combinaison avec le ciel bleu immaculé sans le moindre nuage, la végétation riche et luxuriante de ses berges, et les montagnes qui l'encadraient sur chaque rive, mais je me suis rarement laissé emporter à ce point par l'époustouflante beauté d'un paysage de rêve.

À l'endroit où je me trouvais, le cours d'eau devait avoir une dizaine de mètres de large, et l'eau était si basse que plusieurs des pierres qui en constituaient le lit émergeaient partiellement de la surface de l'eau. J'aurais pu sans difficulté la traverser à sec. Après avoir pris mon dîner au milieu de cette nature magnifique, je n'ai pu m'empêcher de me dévêtir complètement pour aller m'étendre nu en plein milieu de la rivière. Avec mon poids réparti uniformément sur toute la longueur de mon corps, les pierres rondes étaient presque aussi douces que des coussins, et l'eau fraîche, à peine assez profonde pour recouvrir mon corps, caressait ma peau et soulageait la brûlure de mes écorchures douloureuses.

Partout où mon regard se posait, tous les sons qui parvenaient à mes oreilles, tous les parfums que la brise fraîche apportait à mes narines, toutes les sensations que me procurait le contact de ma peau avec l'eau, les pierres, les chauds rayons du soleil, TOUT n'était que beauté.

Le temps s'était arrêté, j'étais totalement et complètement immergé dans l'instant présent.

Mais il a bien fallut que je me remette en marche, car mon véritable objectif m'attendait toujours, et celui-ci se trouvait encore à cinq kilomètres au moins. Après avoir brièvement exploré les deux berges de la rivière, j'en suis arrivé à la conclusion que la solution la plus simple serait de progresser directement dans la rivière. Je ne m'étais pas apporté une deuxième paire de chaussures pour marcher dans l'eau, mais au début ce n'était pas un problème, la marche en sautant d'une pierre émergée à l'autre étant facile. Mais la rivière changeait au fur et à mesure de ma progression. À de nombreuses reprises je rencontrais dénivelés, cascades, rapides et bassins qui m'obligeaient à faire quelques dizaines de mètres à travers les bois de l'une des deux rives, parfois sur un sol plat, mais le plus souvent sur un terrain très escarpé.

Après environ un kilomètre, j'ai dû finalement me résigner à admettre que je progressais beaucoup trop lentement et de façon beaucoup trop risquée dans ce milieu totalement isolé. Mais ça et là, au détour d'un coude dans la rivière ou à un élargissement de celle-ci, j'avais eu à quelques reprises une vue dégagée vers l'amont qui m'avait permis d'entrevoir au loin une partie des falaises abruptes que j'avais vu sur mes cartes. Cet avant-goût de ce qui m'attendait m'a convaincu que je devais revenir ici un jour ou l'autre, mieux équipé et mieux préparé, et que je devais un jour poser mon regard sur cette vallée, contempler de mes propres yeux ce paysage qui, j'en suis persuadé, est si isolé, si inaccessible que depuis l'arrivée des européens dans cette partie du monde, il a peut-être été contemplé par un moins grand nombre de personnes que le nombre de celles qui ont gravit l'Everest.

De retour à l'endroit où j'avais pris mon dîner, l'idée de retourner à ma voiture par le même chemin que j'avais emprunté à l'aller ne m'enchantait guerre. J'ai donc décidé d'essayer de retourner à mon véhicule par le deuxième parcours possible que j'avais repéré sur mes cartes.

Ce fut la meilleure décision de ma journée. Le chemin que j'ai découvert était un large sentier, parfaitement défriché et encombré d'à peine quelques arbres morts et de broussaille. La plupart du temps, je pouvais le parcourir sans difficulté, comme on marche en pleine rue. Comparé à ce que j'avais enduré en avant-midi, c'était une véritable partie de plaisir. J'ai parcouru en deux heures à peine une distance qui m'en avait pris quatre précédemment, et ce sans ajouter la moindre écorchure à ma peau déjà passablement meurtrie. Au moins, quand je retournerai à cet endroit, je sais maintenant exactement par quel chemin passer. De l'autre, je ne garderai que quelques photos et des souvenirs plutôt désagréables, car je n'y remettrai plus jamais les pieds.

Une journée de plus de dix-sept kilomètres dans des conditions pareilles, ça meurtrie un peu les jambes. Je sentais chaque pas lorsque je montais ou descendait les escaliers chez moi. Mais autre preuve de ma superbe condition physique: à peine deux heures après mon retour, j'avais déjà complètement récupéré.

Aujourd'hui, mes écorchures par contre étaient encore bien visibles. J'en ai une en plein milieu du front, due à une branche qui a réussi à se faufiler entre mes lunettes et la palette de ma casquette. Ça fait chic, laissez-moi vous le dire.


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