9 août 2010

Vous savez c'est quoi le rôle le plus ingrat dans une salle de nouvelles ? C'est celui de la miss météo. Premièrement, pourquoi est-ce que c'est à elle de lire les numéros gagnants de Loto-Québec ? C'est quoi le rapport entre les prévisions météorologiques et les loteries ? Et deuxièmement, pourquoi est-ce qu'ils l'obligent à sortir dehors par les pires conditions ? Doit-elle absolument se faire geler en pleine tempête, ou risquer de se faire foudroyer pendant un orage, pour mieux illustrer son sujet ? Est-ce qu'on demande au quidam chargé des faits divers de faire son reportage de l'intérieur d'un édifice en flamme ?

Parlant de météo, en "zappant" l'autre soir je suis tombé sur un reportage sur une inondation subite qui a eu lieu quelque part aux États-Unis. On y voyait une femme, s'accrochant désespérément pour ne pas être emportée par un torrent, alors qu'un bon samaritain, dans l'eau jusqu'aux épaules, avançait difficilement dans sa direction pour lui venir en aide, luttant lui-même contre le courant pour ne pas perdre pied et être emporté à son tour. Tout à coup, on a vu une cane flotter nonchalamment, suivie d'une demi-douzaine de petits canetons. Toute la petite famille a traversé l'écran, passant tout prêt du sauveteur improvisé, totalement indifférent au drame qui se déroulait devant elle.

Et moi, vous savez ce que j'ai fait à ce moment là ? J'ai esquissé un sourire. Et oui. Un drame humain se déroulait devant moi, et ça me laissait tout à fait indifférent. La seule chose qui retenait mon attention, c'était ces petits canards qui non seulement s'accommodaient fort bien de ce cataclysme naturel, mais qui en plus semblaient s'y plaire. Apparemment, c'est le genre de "monstre" que je suis. Et oui, ce qualificatif m'a déjà été attribué par le passé. Parce qu'apparemment, je ressens plus de compassion pour les animaux et la nature que pour les membres de ma propre espèce. Durant la majeure partie de ma vie, les qualificatifs dont on m'a affublé n'ont pas toujours été aussi péjoratifs, mais ils ont rarement été flatteurs. Alors c'est normal qu'on en vienne avec le temps à développer un certain problème d'amour propre et d'estime de soi.

Puis un jour, j'ai compris d'où me venait ce manque de compassion pour mes semblables: Mon espèce est une abomination; une erreur de la nature. Avec du recul, je réalise que c'est quelque chose que je soupçonnais depuis toujours, que je ressentais au fond de moi, mais que je me refusais obstinément à envisager. Et puis beaucoup de ce qui m'entourait contredisait cette notion intuitive. D'abord mon éducation judéo-chrétienne, qui fait de l'homme la création suprême de Dieu. Comment Dieu, un être parfait, aurait-il pu commettre une erreur pareille. Bien sûr, c'était avant de prendre connaissance de l'histoire de Noé et de l'arche, dans laquelle un Dieu si exaspéré par sa propre création se décide finalement à l'éradiquer de la surface de la terre...

Et puis il y avait les gens qui m'entouraient: mes amis, ma famille, la grande majorité étant, avouons-le, des gens d'une grande bonté et gentillesse. Comment ces gens, qui me prodiguaient tant d'affection et d'amour, pouvaient-ils être des "monstres" ? Comment pouvais-je réconcilier cette apparemment insoluble contradiction ? C'était bien sûr avant que ma profondeur de réflexion évolue jusqu'à me permettre de faire la distinction entre les êtres humains et l'humanité prise dans son ensemble, entre le tout et la sommes des parties (une distinction que, malheureusement, un trop grand nombre d'individus ne sont toujours pas capable de faire).

Bref, j'ai vécu presque toute ma vie avec la certitude que j'avais tout faux, que toutes ces intuitions, ces conceptions que j'avais de l'humanité, de la société, de la civilisation étaient erronées, et donc que j'étais un nul parce que, peu importe la gymnastique intellectuelle à laquelle je m'astreignais pour manipuler et altérer les règles de ce qui me semblait être la logique et la rationalité, je n'arrivais tout simplement pas à en arriver aux mêmes conclusions que la vaste majorité de mes semblables. Je ne pouvais pas être le seul à avoir raison, alors que tout le reste du monde avait tort. Je ne compte plus le nombre de fois où l'on m'a répété ça.

Et bien vous savez quoi ? L'histoire est truffé de cas de ce genre où justement, une seule personne avait raison et tout le reste de l'humanité avait tort. Il y a quelques siècles, l'humanité tout entière était persuadée que la terre était plate. Devinez quoi ? Ils avaient tous tort.

Finalement, le monstre, c'est peut-être celui qui s'ouvre les yeux pour contempler toute l'horreur de sa condition humaine. Mais ce monstre là a intérêt à se taire, car il devient alors insupportable aux yeux de ses semblables qui feront tout pour ostraciser cet être qui leur remet continuellement en plein visage une vérité qu'ils refuseront toujours de contempler.


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