16 août 2010

Aucun son parasitaire ce soir. Juste le chant des grillons, le clapotis d'un poisson qui a crevé la surface de l'eau pour gober un insecte imprudent, et le cri lointain d'un héron, suivi de son écho sur les montagnes.

Ça fait changement d'hier après-midi, un après-midi que j'aurais bien aimé passer tranquille, dans ma cour, à lire un bon livre. Mais mon voisin en a décidé autrement. Non content de me forcer à écouter au complet un album de Peter Gabriel dont il avait mis le volume assez fort pour l'entendre de sa galerie, il a poussé l'insulte jusqu'à chanter à tue-tête pour enterrer un chanteur qui avait beaucoup plus de talent que lui.

C'est dommage. J'aimais bien Peter Gabriel. Avant.

Je n'ai eu d'autre choix que de prendre ma voiture et partir. Je me suis fait chasser de chez moi. Ce fut un moindre mal finalement, car j'ai passé un bel après-midi tranquille sur le bord d'une petite rivière de montagne où personne ne va jamais. En excluant le temps pour m'y rendre et pour en revenir, j'ai passé la moitié de mon temps immergé dans une eau claire, pure et chaude à soulever les pierres pour essayer de débusquer les écrevisses qui s'y cachent (sans succès) et l'autre moitié assis sur une grosse pierre ronde, à ne rien faire d'autre que regarder la beauté qui m'entourait, écouter le bruit de l'eau qui coule et me laisser caresser par la brise et les quelques rares rayons du soleil qui filtraient encore d'entre les nuages en fin de journée.

En parcourant le sous-bois ces temps-ci, on ne peut ignorer les signes indéniables que la saison avance. Les trilles rouges ne sont déjà plus qu'une tige verdâtre surmontée d'un trio de feuilles brunâtres, rabougries et desséchées, portant un gros fruit rouge vin, mat et noirci, au bout d'une petite tige pendante. Les trilles ondulés, eux, sont encore bien verts et portent leur fruit rouge vif et luisant au bout d'un pédoncule bien dressé. Au cours des trois dernières semaines, les bourgeons de la saison prochaine se sont formées au bout des tiges des viornes à feuilles d'aulnes, dont les feuilles, par ailleurs, sont déjà veinées de rouge. Et dans les montagnes autour de chez moi, certains arbres montrent déjà des signes de jaunissement, bien que les teintes de rouge et d'orangé n'aient pas encore fait leur apparition.

En revenant d'une randonnée dans les montagnes derrière chez moi la semaine dernière, mon attention a été attirée par les cris de deux oiseaux qui semblaient se répondre de deux arbres différents. Je me suis approché suffisamment près de l'un d'eux pour reconnaître une magnifique chouette rayée. Son plumage m'indiquait qu'il s'agissait d'un juvénile, et il devait en être de même de l'autre oiseau qui devait être son frère ou sa soeur. Malgré leur taille adulte, les deux oiseaux quémandaient encore de la nourriture à leurs parents. Bientôt, ils accompagneront ces derniers dans leur migration vers le sud.

Plus tôt durant cette même randonnée j'étais tombé par pur hasard sur un ancien collègue de travail, accompagné de sa conjointe. Il avait déjà changé d'emploi et ne travaillait plus avec nous un an avant que je prenne ma retraite. Il ignorait même cet état de fait d'ailleurs, et a été ma fois estomaqué de l'apprendre, croyant au début que je lui montais un bateau. Nous avons jasé tous les trois presque une heure avant de finalement nous séparer pour poursuivre nos chemins respectifs.

Et finalement, jeudi dernier je suis retourné à la splendide petite rivière que j'ai exploré pour la première fois à la fin du mois de juillet, avec cette fois la ferme intention d'atteindre mon objectif de la remonter sur les cinq kilomètres qui me permettraient d'arriver aux pieds de la vallée glacière dans laquelle elle coule sur cette partie de son cours. La marche jusqu'à mon point de départ ne m'a pris que deux heures cette fois, ayant pris soin d'emprunter le deuxième chemin mieux tracé que j'avais découvert en fin de journée la première fois.

J'ai donc laissé sur place tout ce dont je n'avais pas besoin, j'ai chaussé mes souliers de kayak et je me suis lancé à l'aventure. Le niveau de l'eau avait encore baissé depuis la dernière fois, rendant la progression un peu plus facile, mais pas beaucoup. En fait, plus j'avançais, plus les choses se compliquaient. Malgré mes souliers antidérapants, les pierres immergées étaient très glissantes, et sur plusieurs sections je n'avais d'autre choix que de marcher dans l'eau. À deux reprises j'ai failli perdre pied.

Finalement, le moment décisif est arrivé après environ une heure de marche. Mon pied droit s'est coincé entre deux pierres au moment même où mon pied gauche glissait, m'envoyant valser en l'air pour retomber dans l'eau. Mon sac de taille a amorti ma chute mais je me suis redressé rapidement pour le sortir de l'eau avant qu'il ne soit détrempé. C'est alors que j'ai ressenti la douleur intense dans ma cheville droite. Cette douleur ne faisait vraiment pas mon affaire, mais alors là pas du tout. Je me suis fait assez d'entorses dans ma vie pour reconnaître le son caractéristique des ligaments qui se déchirent, et cette fois je n'avais rien entendu de la sorte, ce qui me rassurait un peu. Mais les quelques minutes qui allaient suivre allaient être déterminantes. Entorse: La douleur allait aller en s'amplifiant et la cheville se mettrait à enfler rapidement. Dans ce cas, un trajet qui m'avait pris trois heures à faire allait m'en prendre huit, et ce sans compter le temps que je prendrais à gravir la rive et trouver dans le bois une branche appropriée pour me "gosser" une béquille de fortune. Pas d'entorse: La douleur allait demeurer constante pendant environ une minute, puis se mettre à diminuer lentement.

Quoi qu'il en soit, je devais attendre quelques minutes avant d'être fixé. Je me suis donc assis sur la rive pour consulter mon GPS. Celui-ci me confirma ce que je craignais: En une heure, c'est à peine si j'avais parcouru deux kilomètres dans la rivière. Je ne progressais même pas plus vite que quand j'avais alterné entre la rivière et le bois la première fois. C'était pathétique.

Je me suis levé pour m'appuyer sur ma cheville. Celle-ci était sensible, mais supportait parfaitement mon poids. De plus, pas la moindre trace d'enflure après plus de cinq minutes. Donc, je n'avais pas d'entorse. Soulagé, j'ai quand même dû me rendre à l'évidence que ce que je faisais là était absurde. Absurde et dangereux. Je progressais à pas de tortue dans des conditions où je risquais de me blesser sérieusement à chaque pas, d'autant plus que j'étais seul dans un secteur où personne ne va. Il y a une différence entre sous-estimer ses limites, et connaître ses limites.

J'ai donc rebroussé chemin. Après une autre heure de marche prudente dans la rivière, j'ai récupéré les choses que j'avais laissé derrière puis suis reparti dans le sentier en direction de ma voiture. À ce point, la douleur à ma cheville avait complètement disparue.

N'empêche que cette rivière s'était moquée de moi une fois de plus. Une fois de plus, elle a réussi à garder son secret.

Mais je n'en resterai pas là bien sûr. Lorsque j'y retournerai, je l'aborderai de la manière dont j'aurais dû l'aborder dès le début: En marchant dans le sous-bois, hors sentier, le long de ses rives, quelque chose pour laquelle je suis parfaitement entraîné maintenant. Et quelque chose de beaucoup moins dangereux.

Ce n'est que partie remise, ma belle. C'est deux-zéro pour toi. Mais la partie n'est pas terminée. ;)


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