16 avril 2010

Mardi soir dernier, je pouvais entendre une, une seule, rainette crucifère chanter de façon intermittente. Puis, plus tard dans la nuit, elle s'est tu complètement. J'ai mis le nez dehors tous les soirs depuis, plusieurs fois par soir, et je n'entend pas le moindre petit sifflement de batracien. Même les grenouilles des bois dans le bassin de mes voisins ne se font plus entendre. Apparemment, la faune ne semble pas pressée de profiter du printemps hâtif.

Pour ce qui est de la flore, c'est une autre histoire. Je suis allé marcher dans les montagnes derrière chez moi en fin de semaine dernière et j'ai pu enfin jouir d'une expérience que je n'avais pas vécu depuis plusieurs mois: celle de marcher sur un sol ferme qui ne cherche pas continuellement à se dérober sous nos pieds. À part les fougères qui commençaient déjà à émerger sous la neige, quelques autres espèces de plantes printanières sont déjà abondantes. Entre autres, les érythrones d'Amériques forment de grands tapis un peu partout dans le sous bois. En haut de la montagne, là ou quelques misérables plaques de neige survivaient encore près des souches ou à l'ombre des rochers, ils avaient l'air de petits cure-dents pourpres piqués un peu partout dans le sol. mais dans les altitudes plus basses leurs feuilles étaient déjà déployées, et les plants matures portaient même des fleurs, bien que toujours fermées. Il en était de même pour les trilles. Pas moyen de savoir s'il s'agissait de trilles rouges, blancs ou ondulés. À ce stade de leur développement leurs feuilles sont trop semblables et leurs boutons floraux, virtuellement identiques.

Hier je suis allé faire un sentier que je fais moins souvent et j'y ai croisé une femme avec qui j'ai fini par passer tout l'après-midi. Elle était elle aussi récemment retraitée, bien qu'ayant une dizaine d'années de plus que moi. Elle était loin d'être dans la même condition physique d'ailleurs, mais j'appréciais la compagnie alors je n'avais aucun problème à ralentir le rythme pour lui permettre de me suivre. Nous avons parlé de beaucoup de choses et nous sommes découvert une passion commune pour la nature et le plein air. J'ai cru comprendre qu'elle vivait seule dans sa petite maison dans une municipalité dans laquelle se trouve une terre à bois sur laquelle j'ai un oeil. j'y reviendrai.

Quand fut venu le temps de redescendre de la montagne, j'ai fait mine de partir seul pour ne pas lui imposer ma compagnie, mais elle a insisté pour que nous redescendions ensemble, prétextant sa peur des ours. Mais je crois plutôt qu'elle me trouvait à son goût. ;) Nous n'avons échangé nos noms qu'à la fin de la randonnée. De mon côté, bien que j'aie apprécié la compagnie et la conversation (quelque chose que je n'ai pas souvent l'occasion de vivre ces temps-ci), je n'ai pas senti le besoin d'aller plus loin dans les présentations. Nous semblons tous les deux apprécier le même genre de randonnée et fréquenter les mêmes endroits, et si par hasard nous nous rencontrons à nouveau ça me fera sûrement plaisir de profiter de sa compagnie encore une fois, mais en ce qui me concerne, les choses en resteront là.

À propos de cette terre à bois dont je parlais plus haut, j'ai décortiqué en détail le code de construction et le règlement de zonage de la municipalité dans laquelle elle se trouve. Cette terre est zonée "villégiature", ce qui, selon le règlement, signifie qu'on ne peut y construire de bâtiment de type "habitation unifamiliale", mais seulement des habitations de type "chalet". Je n'ai aucun problème avec ça, les plans préliminaires de ce que je désire me construire correspondant parfaitement à la description d'un "chalet" telle que définie dans le règlement. Le problème, c'est que cette définition spécifie, entre autre, qu'un chalet est une habitation à caractère "occasionnel ou saisonnier". Cela veut-il dire que la municipalité interdit d'y vivre à l'année, même si cela n'est pas explicitement spécifié dans le règlement ?

La seule façon d'en être sûr était de prendre rendez-vous avec un employé de l'urbanisme, pour clarifier ce point ainsi que quelques autres. Je devais faire ça il y a deux semaines. Mais aujourd'hui je n'ai toujours pas appelé la municipalité pour prendre rendez-vous. J'aimerais pouvoir dire que c'est encore une fois la faute de ma nature procrastinatrice, ou mon anxiété sociale qui me fait toujours hésiter à prendre le téléphone pour contacter des inconnus. Mais si je veux être honnête avec moi-même, je suis bien obligé d'admettre que la vrai raison est plutôt que j'ai peur de me faire dire ce que je ne veux pas entendre: Que la municipalité refuse effectivement qu'on habite à temps plein dans une zone de villégiature. Mais si je ne leur disais rien, comment feraient-ils pour le savoir ? Comment pourraient-ils faire la différence entre une personne comme moi qui occupe sa résidence à l'année longue, et une autre qui, comme la plupart des gens dans le secteur, l'occupe à temps plein huit mois durant la saison estivale, puis y passe toutes les fins de semaine durant le reste de l'année ?

Alors je me retrouve devant un dilemme: Montrer patte blanche, jouer franc jeux et leur parler honnêtement de mon projet, au risque non seulement d'essuyer un refus, mais de les mettre au courant de mes intentions et ainsi de les voir me surveiller et me sanctionner si je déroge au règlement de zonage; ou alors faire comme si de rien était, leur laisser croire que je vais utiliser ma future habitation de façon saisonnière comme tous les autres résidents du secteur, mais y habiter quand même à temps plein à leur insu, avec les risques que cela comporte si je me fais prendre.

C'est exactement le genre de contraintes sociopolitiques et administratives dont j'ai plus que marre et desquelles je veux être débarrassé une fois pour toute qui me motive en partie à m'enligner vers le mode de vie que j'ai choisi. Et c'est exactement ce même genre d'emmerdes que je rencontre sur mon chemin parce que j'ai choisi de vivre en dehors des quelques alternatives que la société m'offre et qui ne me conviennent pas.

Il semble vraiment impossible d'échapper à l'humanité et à son inflexible et répugnante structure sociale génétiquement programmée pour écraser le non-conformisme à tout prix.


[jour précédent] [retour] [jour suivant]