18 février 2010

Lors d'une de mes randonnées en raquette cette semaine, je me suis considérablement écarté de mon trajet habituel afin d'explorer un autre secteur de ces montagnes à côté desquelles j'habite depuis presque dix-huit ans, mais que je ne me suis jamais vraiment donné la peine de découvrir jusqu'à tout récemment.

Sur le chemin du retour, je parcourais la vallée d'un ruisseau de montagne tout en étant un peu perdu dans mes pensées, quand en regardant autour de moi, j'ai constaté que la neige tout autour était toute perforée de profondes traces d'animaux. À plusieurs endroits je pouvais aussi voir du crotin d'un animal que je connais bien: l'orignal. C'est alors que j'ai compris que je me trouvais dans un ravage. Avec un peu de chance, j'allais peut-être réussir à voir furtivement l'une de ces magnifiques bêtes, ce qui ne m'est jamais arrivé l'hiver, entre autre parce que qu'avant cette année, je ne faisais pratiquement aucune sortie hivernale.

Je n'avais pas marché une centaine de mètres que j'aperçois, à ma gauche, la silhouette caractéristique d'un orignal de bonne taille entre les branches d'arbres. Quelques mètres de plus, et je me retrouvai dans une zone sans conifères, ce qui me conférait une excellente vu de l'animal en question. Il se trouvait à une trentaine de mètre de moi environ, bien dressé sur ses longues pattes, regardant dans la direction vers laquelle je marchais. Je pouvais donc le voir de profil, dans toute sa splendeur. Il était adossé à un immense bloc erratique et à sa gauche se trouvait une butte couverte de neige. J'ignorais s'il m'avait déjà repéré, mais vu le bruit que je faisais, le contraire m'aurait étonné. Comme j'avais déjà dépassé sa hauteur, je continuai à marcher dans la même direction, pour ne pas qu'il se sente menacé, tout en ralentissant un peu le pas pour ne pas m'éloigner de lui trop vite. Sa massive bosse dorsale suggérait un mâle, mais ce pouvait fort bien être plutôt un effet de son épaisse fourrure hivernale. La taille de sa barbiche me portait plutôt à croire qu'il s'agissait d'une femelle.

Je lui parlais doucement d'un voix calme, comme je le fais toujours dans ces circonstances, pour l'avertir de ma présence sans qu'elle me prenne pour un prédateur. J'avais vu sa tête se tourner à quelques reprises dans ma direction, et ses oreilles étaient braquées sur moi; il ne faisait plus aucun doute qu'elle m'avait repéré, et comme elle restait très calme je me disais que cette rencontre allait se dérouler comme la plupart de mes rencontres précédentes avec une de ces magnifiques bêtes. Mais ce ne fut pas le cas.

Brusquement, sans le moindre avertissement, la massive créature a lancé un grognement sourd, fait volte face, et a tenté de s'enfuir en grimpant sur la butte à côté d'elle. Bien mal lui en prit, car elle a soudain perdu l'équilibre pour tomber à la renverse sur le côté et s'étendre de tout son long sur la neige ! C'était la première fois de ma vie que je voyais un orignal perdre pied de la sorte. Apparemment, la neige lui faisait quand même des misères malgré le fait qu'elle soit relativement ferme et peu profonde cette année.

Qu'à cela ne tienne, la bête fut de nouveau sur ses pattes en une fraction de seconde. C'est vraiment impressionnant de voir un animal si massif se redresser de la sorte en un clin d'oeil. Elle fit alors quelque chose à laquelle je ne m'attendais pas, mais alors pas du tout:

Elle s'est mise à me foncer dessus !

Chaque enjambée de ses longues pattes musclés réduisait la distance entre elle et moi de deux mètres. De mon côté, je continuais à marcher à la même cadence que précédemment, dans la même direction, sans montrer de signe d'angoisse ou de panique, mais tout en gardant mon regard rivé sur elle, deux questions bien précises monopolisaient complètement mon esprit:

  1. Où, et à quelle distance, se trouvait l'arbre le plus proche; et

  2. Combien de temps cela me prendrait-il pour y grimper avec une paire de raquettes à crampons aux pieds.

Mais heureusement je n'eus pas à me poser ces questions très longtemps. Cette charge, comme c'est souvent le cas, était un bluff. Après avoir parcouru la moitié de la distance qui la séparait originellement de moi, elle vira de quatre-vingt-dix degrés vers la droite pour s'éloigner de moi aussi rapidement, sinon plus, qu'elle s'était approchée, traversant sans ralentir le sous-bois dans un fracas de branches cassées.

Quand mon rythme cardiaque eu ralenti de quelques dizaines de battements par minutes, j'ai compris ce qui s'était passé. La butte à sa gauche, combinée à l'immense bloc erratique auquel elle tournait le dos, constituaient ensemble une barrière qui l'empêchait de s'éloigner de moi rapidement. Bref, après avoir échoué dans sa tentative de fuir par la butte, elle s'était soudainement sentie prise au piège. Son désir de fuite a alors été remplacé par une tentative d'intimidation de la menace perçue, à savoir, moi. Mais après avoir parcouru la moitié de la distance qui nous séparait, elle s'était complètement dégagée du bloc de granit qui lui bloquait la route, et ayant maintenant la voie libre, il n'en fallait pas d'avantage pour qu'elle détale dans la direction par laquelle j'étais arrivé comme si elle avait eu le diable aux trousses.

Tout le monde devrait vivre une expérience comme ça au moins une fois dans leur vie.


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