5 mai 2010

Téléphone la semaine dernière d'une emmerdeuse qui voulait me vendre un abonnement à un journal. Quand je lui ai dit que je n'étais pas intéressé, elle m'a demandé s'il y avait une raison particulière. Comme si on avait besoin d'une raison pour ne pas vouloir quelque chose.

Connasse.

De toute façon, qu'elle se compte chanceuse que j'aie daigné lui parler. D'habitude, quand je reçois un téléphone où mon interlocuteur me demande "Est-ce que je pourrais parler à monsieur ou madame X ?", je lui raccroche simplement au nez. Je n'ai aucune relation d'affaire avec des personnes qui ne savent même pas si je suis un homme ou une femme.

Voilà une chose dont je ne m'ennuierai pas lorsque je n'aurai plus le téléphone.


J'ai une grosse ecchymose sur le genou. Je me suis probablement fait ça sans m'en rendre compte en manipulant le bac roulant dont je me sers pour ramasser mes feuilles. C'est fascinant de voir toutes les couleurs par lesquelles ce genre de blessure passe au fil des jours.


Ça fait une éternité que je veux venir écrire ici, mais soit que ça me sort de la tête, soit que trop d'idées se bousculent en même temps et que je me sens trop paresseux pour les mettre en ordre.

La vie a littéralement explosé ici ces deux dernières semaines. Ça fait des années que je vis ça à chaque printemps, et ça m'étonne toujours autant à chaque fois. Depuis la troisième semaine d'avril, quelques grenouilles chantaient timidement à chaque nuit. Mais avec les nuits douces depuis la fin de semaine dernière, elles sont littéralement déchaînées. En ce moment même je les entend à travers mes fenêtres fermées comme si j'étais dehors. Si vous étiez sur le bord du lac en ce moment, vous seriez dans l'obligation de crier pour vous faire entendre.

La chaleur a également provoqué le débourrage. Celui-ci risque de ralentir avec le froid qui est annoncé pour les prochains jours, mais d'ici moins de deux semaines, tous les arbres devraient être en feuilles, et ce sera enfin l'été. En attendant, la petite flore printanière profite comme à chaque année de l'abondance de lumière en cette période de l'année dans le sous-bois. Dans les montagnes derrière chez moi, le sol est un tapis de verdure, c'est absolument magnifique à voir. Les plantes commençaient déjà à être abondantes la dernière fois, mais cette fois elles couvrent littéralement le sous-bois comme une pelouse. Je n'ai pu m'empêcher de sortir des sentiers battus, profitant du fait que les arbustes n'ont pas encore leurs feuilles ce qui facilite grandement la marche hors-sentier. J'ai erré au hasard, gravissant les collines, redescendant dans les vallées, longeant les ruisseaux gonflés par les eaux printanières, m'arrêtant souvent pour simplement m'étendre dans l'humus et me laisser réchauffer par les rayons du soleil qui traversent si aisément les arbres sans feuilles. Au risque de me répéter, les mots ne parviennent tout simplement pas à décrire à quel point je peux me sentir bien en forêt.

Au fil de mes explorations dans les municipalités avoisinantes à la recherche de ma mythique et insaisissable terre à bois, j'ai découvert par pur hasard un tout nouveau réseau de sentiers pédestres dont je n'avais jamais entendu parlé avant. Voilà deux fois que j'y retourne à date et, ma fois, j'ai bien hâte d'y suivre au fil de l'été l'évolution de la flore et de la faune. Un autre terrain de jeux pour m'amuser tout l'été.

Et c'est très bien ainsi, car je me sens de moins en moins chez moi lorsque je suis ici. Vous le devinerez, avec le printemps, le voisinage a lui aussi commencé à sortir de son hibernation. Mes nouveaux voisins sont très gentils et tout, mais leur petite fille est beaucoup trop sociable à mon goût. Les adultes comprennent les messages non verbaux qu'on envoie pour signifier les limites de socialisation qu'on ne désire pas dépasser. Mais pas les enfants. Avec eux, il faut être beaucoup plus direct, et ça risque de les blesser. Et ce n'est pas de ça dont j'ai envie. D'autant plus que ça me vaudrait immédiatement la réputation de vieux grincheux du quartier, si je ne l'ai pas déjà. À date, j'ai toujours eu d'excellentes relations avec mes voisins. Tous le monde me sourit et me jase sans la moindre hésitation, et ce malgré le fait que tous doivent bien savoir depuis le temps que j'ai l'habitude de me baigner et de me faire bronzer nu. Je leur ai rendu de nombreux services, et vice versa, et c'est l'harmonie parfaite qui règne. Et je tiens à ce que ça reste comme ça. Mais dès que leurs enfants sont concernés, les gens pètent une coche et deviennent totalement irrationnels. Voilà plusieurs fois à date que je vois les petites filles du quartier passer à la course directement sur mon terrain pour traverser d'un voisin à l'autre. Et ça m'énerve. Je suis territorial de nature, vous le savez. Mais il y a plus que ça. Si une de ces petites filles venaient à se blesser en passant sur mon terrain, croyez-vous sincèrement que ces parents qui sont tout sourire lorsqu'ils me croisent dans la rue hésiteraient une seule seconde à me coller une poursuite judiciaire sur le dos ? Bien sûr que non. Comme je l'ai dit plus haut, quand leurs enfants sont concernés, les gens deviennent des animaux. De purs animaux qui défendent leur progéniture à tout prix. Toute forme de logique et de raisonnement n'a plus aucun effet sur eux. Leurs enfants sont les plus fins, les plus beaux, ce qui leur arrive n'est jamais de leur faute, et encore moins celle de leurs parents.

Et finalement, il semble se confirmer que mon nouveau voisin possède une affinité inquiétante avec toutes les machines qui font du bruit. L'automne dernier c'était la tondeuse et la souffleuse à feuilles; il a brièvement ressorti cette machine infernale au début du printemps; et en fin de semaine dernière c'était un crisse de compresseur à eau. Vous savez, ces machines qui servent à décaper les terrasses de bois. Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, j'avais passé une nuit de rêve. Je m'étais endormi au chant des grenouilles, au milieu de la nuit je m'étais brièvement réveillé pour entendre le chant langoureux d'un huard sur le lac, et durant la matinée de dimanche, éveillé mais toujours couché dans mon lit, je me délectais du chant de la multitude d'oiseaux qui saluaient le matin, ainsi que des gloussements des voiliers d'outardes qui se succédaient les uns après les autres dans le ciel. Puis, soudainement: BRRRRRRRRRRRRR ! Le bruit de l'ostie de machine infernale qui commence. Bordel, les trois quarts des gens du quartier ne devaient même pas encore être levés.

Non, définitivement, il est temps que je parte d'ici. Pendant les quinze premières années, j'aurai appelé cet endroit mon petit coin de paradis. Mais depuis environ trois ans, tout cela est bien terminé. Ce qui était jadis un beau petit coin de campagne avec un lac magnifique et des habitants dont la philosophie était "vivre et laisser vivre" n'est maintenant plus qu'une simple banlieue. Une banlieue comme toutes les autres, comme celle où j'ai grandi. Une banlieue où l'on retrouve beaucoup des choses que je déteste chez l'humain, et peu de celles que j'aime. Une banlieue beaucoup trop urbaine, et "humaine", pour un vieux misanthrope cynique dans mon genre qui n'aime vraiment que la nature, le silence, la beauté et la paix.

Vivement que je trouve cette putain de terre à bois.


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