29 mai 2010

La saison des érythrones, des trilles et des claytonies est terminée. Ce sont maintenant les quatre-temps, les maïanthèmes du Canada, la salsepareille et la clintonie boréale, entre autres, qui prennent la relève. Le feuillage des arbres est complètement développé maintenant; c'est l'été.

Je suis parti en forêt hier pour tenter de rejoindre l'un des vieux camps de chasse abandonné que j'ai découvert l'an passé. Le trajet que j'ai emprunté demandait que je traverse une rivière, et j'espérais que le peu de précipitation que nous avons eu à date aurait résulté en un débit suffisamment faible pour que je puisse la traverser à sec en sautant d'un rocher à l'autre. Malheureusement, ce n'était pas le cas. Oui, la rivière était moins gonflée que l'an passé à pareille date, mais encore trop gonflée. Bien sûr, j'aurais pu aisément traverser en me mouillant les pieds, mais rejoindre ce camp n'était pas ma priorité absolue de la journée. C'était surtout une excuse pour refaire un trajet dont je m'étais ennuyé depuis des mois et me replonger au coeur de la magnificence de cette vallée glacière dont je ne me lasse jamais.

Vous le savez, je me sens toujours parfaitement à l'aise en forêt. Cependant, il y a une section de ce sentier en particulier où je ressens toujours une légère inquiétude. Cette section est envahi par une jeune repousse de conifères très dense qui bloque complètement la vue de chaque côté. De plus, le sentier serpente continuellement de sorte que la vue est aussi très limitée devant comme derrière. Bref, il serait très facile d'arriver face à face avec un quelconque animal qui serait tout aussi surpris que moi de cette rencontre. Et dans la nature, surprendre un animal n'est jamais une bonne idée. Bien sûr, si on parle d'une perdrix ou d'un renard, rien ne sert de s'inquiéter. Mais un orignal ou un ours, c'est une autre histoire. Quand ces derniers nous entendent venir de loin, ils ont habituellement le bon sens de s'écarter de notre chemin. Mais pris par surprise, ils sont imprévisibles. Des orignaux, j'en ai rencontré à "pocheter" durant mes randonnées, et ce furent toujours de belles rencontres. Par exemple, pas plus tard que la semaine dernière, lors d'une autre randonnée, j'ai soudain vu devant moi, entre les arbres, ce qui me semblait être un beau mâle dans la force de l'âge. Il me tournait le dos, semblant marcher dans le même sentier que moi et dans la même direction. Il m'a entendu venir de loin et s'est aussitôt retourné pour me faire face. Les bourgeons de ses nouveaux bois sur sa tête m'ont confirmé qu'il s'agissait bien d'un mâle. Il s'est immobilisé, et j'en ai fait de même pour essayer d'en faire une bonne photo, mais c'était difficile à travers les branches et le feuillages qui nous séparaient encore. À ma surprise, il a alors lentement commencé à marcher dans ma direction. On voyait bien qu'il était déchiré entre la méfiance et sa curiosité naturelle. Loin de lui céder du terrain, j'ai moi aussi commencé à marcher lentement à sa rencontre.

NOTE IMPORTANTE: J'ai agis de la sorte parce que nous sommes en dehors de la saison de reproduction. Si vous rencontrer un orignal mâle en forêt durant la saison du rut et que vous le voyez s'avancer dans votre direction, suivez mon conseil et courrez. Crissez votre camp. Mettez le plus de distance entre lui et vous. Jamais au grand jamais vous ne devez confronter un orignal mâle en rut. Pas si vous tenez à la vie en tout cas. Croyez-en ma parole: il va vous mettre en pièce.

Donc, nous étions face à face, dans le même sentier, avançant lentement l'un vers l'autre. Chaque seconde qui passait me rapprochait d'une bonne photo. Malheureusement, ce jeux de "chicken" n'a pas duré longtemps, et il a soudainement viré à quatre-vingt-dix degrés pour s'enfoncer lentement dans le bois. Quand je suis arrivé à l'endroit où il se trouvait quelques secondes plus tôt, lui était déjà rendu plus haut dans la pente, à une trentaine de mètres de moi environ. Il continuait à m'observer, mais d'une distance à laquelle il se sentait de toute évidence plus confortable. Il n'était pas si effrayé que ça; je l'ai même vu prendre le temps de brouter quelques feuilles dans les arbustes qui l'entouraient. Mais il avait préféré jouer le jeux de la prudence.

Donc, je disais que surprendre un gros animal en forêt n'est jamais une bonne idée. Voilà pourquoi je prend toujours la peine de me parler à moi-même à voix haute quand je marche seul dans un sentier où la visibilité est restreinte, au risque de passer pour un cinglé si je tombe face à face avec un autre randonneur. Mais j'aime mieux passer pour un cinglé que de me ramasser dans la salle de petite chirurgie d'un hôpital à me faire faire des points de suture pour refermer les plaies qu'un ours pris de panique m'aura infligé en un seul coup de patte avant de s'enfuir.

Mais je n'ai pas eu que de belles expériences ces dernières semaines. Je vous en parlerai plus longuement dans un prochain billet.


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