14 mars 2010

Il se passe un phénomène fascinant ces jours-ci. Depuis un peu plus d'une semaine, chaque fois que je me couchais le soir, et dès que le silence était tombé, j'entendais toujours un son bizarre, une sorte de cognement sourd, caverneux, difficile à décrire, ayant une qualité à la fois métallique et organique. Ce son se répétait toute la nuit de façon fréquente mais irrégulière, et avec une intensité variable. Il n'était pas très fort, et on aurait aisément pu croire qu'il provenait de quelque part dans le quartier, à une certaine distance.

Au début je n'y faisais pas trop attention, mais après quelques nuits je me suis mis à ressentir l'impression très nette que ce son m'était familier, que je l'avais déjà entendu quelque part. Hier matin, à mon réveil, le soleil venait à peine de poindre au dessus des montagnes et je l'entendais toujours. Et c'est alors que j'ai cru identifier le son en question.

Voulant en avoir le coeur net, je me suis levé, ai enfilé ma robe de chambre et mes chaussures sans me donner la peine de les lacer, et je suis sorti dehors, marchant sur la mince couche de neige glacé qui reste encore dans ma cour pour me rendre sur le bord du lac.

C'est là que j'ai eu confirmation de ce que je soupçonnais. Ce son, c'était le bruit de la couche de glace du lac qui travaille sous l'effet de la contraction due aux nuits froides et à l'expansion causée par le réchauffement des rayons du soleil matinal. Normalement, le lac ne travaille de la sorte qu'en automne, en novembre ou décembre, alors que la glace gagne lentement en épaisseur nuit après nuit. C'est la première fois qu'il fait ça au printemps. Mais ce n'est pas la seule chose qui est inhabituelle à propos de ce printemps hâtif et délicieusement ensoleillé jour après jour.

Je me suis avancé de quelques mètres sur la glace (n'ayez crainte, même si elle avait cédé sous mon poids je ne me serais enfoncé que jusqu'aux genoux) et je suis resté ainsi, dehors, pendant un peu plus d'un quart d'heure, à écouter la nature se réveiller, tout en sentant la douce chaleur du soleil levant sur mon visage. Aucune brise ne soufflait, et je ne frissonnais pas malgré la température encore sous le point de congélation à cette heure. Et puis il y avait ces cognements, ces étranges et fantomatiques sons d'intensité et de provenance plus ou moins aléatoires, dont les montagnes renvoyaient l'écho, et dont je pouvais même sentir les vibrations sous mes pieds lorsqu'ils se produisaient de mon côté du lac.

La nuit dernière, le lac est resté silencieux. Le mercure n'est pas descendu suffisamment bas pour faire travailler la glace.

Il n'y a déjà plus de neige sur ma toiture. Quant à ma cour, elle ressemble à ce qu'elle était l'an passé, mais à la fin du mois d'avril. D'ici quelques jours je pourrai déjà commencer à ramasser les feuilles que j'ai paresseusement laissé au sol l'an dernier. Et pourtant, théoriquement, nous serons encore en hiver. Ce matin, les premières fleurs de tussilage ont fait leur apparition sur le bord du lac, et ce, comme je viens de le dire, malgré le fait que nous soyons encore officiellement en hiver ! Cette année, la saison froide fut la plus douce et la plus courte de toute l'histoire de la prise de données météorologiques.

J'ai un nouveau squatteur dans mon entretoit. Et oui. Le trou par lequel le précédent locataire entrait et sortait est toujours là, après tout, et ce n'était qu'une question de temps avant qu'un autre petit rat à queue poilue ne le découvre. Ça aura pris un an et demi, qui est le temps depuis lequel je n'entend plus le moindre son au dessus de moi lorsque je me couche le soir.

Comment je fais pour savoir qu'il ne s'agit pas du même écureuil ? Très simple: les écureuils roux, en nature, ne vivent pas aussi vieux.

Même si je suis plutôt enchanté par ce printemps hâtif, il n'en est pas de même pour la collègue avec qui je m'entend si bien, qui a vu sa saison de ski prématurément écourtée. Je pouvais percevoir sa frustration même à travers les lignes de son courriel. ;) De toute façon, elle et son conjoint semblent plutôt monopolisés par l'achat de leur maison ces temps-ci.

Parlant de maison, c'est un projet qui trotte aussi dans la tête de Copine ces temps-ci. Elle y réfléchit depuis un certain temps déjà, et ses priorités semblent de plus en plus claires dans sa tête, ce qui est une bonne chose. Elle m'a confié que depuis la mort de sa mère, elle ressent de plus en plus le besoin de se refaire des racines, elle qui n'a plus de parent et un seul frère qui vit dans la région de Montréal et dont elle n'a jamais été très proche de toute façon. L'autre jour, elle parlait à la blague du projet qu'elle et ses ami(e)s caressaient il y a plusieurs années, ce projet étant de tous vivre ensemble dans une sorte de grande commune. Je lui ai fais remarquer qu'elle avait de la chance d'avoir un si beau groupe d'amis depuis si longtemps avec lesquels ce genre de projet, apparemment farfelu, pourrait très bien être possible.

J'aurais pu moi aussi faire parti de ce groupe, il y a quelques années. Mais vous avez tous été témoins de mon incapacité à m'y intégrer, à réussir à m'y sentir à ma place, et ce malgré leurs patients efforts et leur grande ouverture à mon endroit. Mais c'est un peu l'histoire de ma vie, non ? Mon incapacité viscérale à me sentir à ma place dans quelque milieu social et avec quelque groupe que ce soit.

Il n'y a que dans le bois que je me sente à ma place. Dans le bois, loin et seul. Sauf avec la collègue avec qui je m'entend si bien. Quand nous étions ensemble en randonnée en forêt l'été dernier, ces moments constituaient vraiment les rares, les très rares moments où j'avais la sensation, la conviction profonde qu'à cet instant précis, ma vie était parfaite. Vraiment parfaite. Il ne me manquait plus rien: j'étais comblé.

Ces derniers jours j'ai commencé à voir réapparaître les étranges symptômes que j'avais commencé à ressentir il y a des années et qui m'avaient empoisonné l'existence pendant si longtemps. Cependant cette fois, c'est différent. Je sais maintenant que ces symptômes n'ont rien à voir avec mon coeur. Ma remise en forme de la dernière année en est la preuve. D'ailleurs la semaine dernière, un après-midi où je me sentais particulièrement inconfortable, j'ai chaussé mes raquettes et je me suis lancé dans les montagnes derrières chez moi. J'ai parcouru mon trajet habituel avec la même aisance que d'habitude, mon coeur bien discipliné battant allègrement dans ma poitrine. Cette randonnée n'a ni aggravé, ni soulagé mes symptômes cependant, ce qui me démontre assez clairement que ceux-ci n'ont pas de lien avec mon système cardio-vasculaire. Mais sans être cardiaques, ils sont définitivement thoraciques, bien que je n'ai aucune idée de leur nature ni de leur cause. Et voyons les choses en face: Je n'en connaîtrai probablement jamais les causes. Pour chaque maladie actuellement identifiée par la médecine moderne, il y en a probablement mille autres d'inconnues. Ce que les médecins regroupent aujourd'hui sous le vocable de "troubles anxieux" est probablement toute une panoplie d'affections de causes diverses, environnementales, génétiques ou autres.

Il se pourrait bien que l'anxiété que j'ai recommencé à ressentir ces dernières semaines ne soit pas étrangère à la réapparition de ces symptômes. Réapparition probablement temporaire d'ailleurs, puisque depuis vendredi ils ont déjà commencé à disparaître.

Quant aux causes de cette anxiété, et bien c'est le mois de mars. Il me fait ça à chaque année et ce même si cette année il est particulièrement doux et agréable. Et puis je me sens seul. Toujours seul. Ma meilleure amie est loin, et je sens que la distance commence lentement à avoir raison de notre belle complicité. La collègue avec qui je m'entend si bien, elle, a bien d'autres préoccupations ces temps-ci. De plus, les choses commencent à presser en ce qui a trait à mes projets: ma terre à bois, la construction de ma future maison, la vente de ma maison actuelle, etc. Je sens de plus en plus que je ne peux plus me permettre de continuer à remettre ça indéfiniment à plus tard.

Vous me connaissez. Ça ne me prend pas grand chose pour faire monter l'anxiété en moi.


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