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La grande muraille de Chine en solo:


1h00 du matin ce 05 septembre 1999, j'ai du mal à m'endormir, c'est sûrement le décalage horaire (10 h avec la France), ou peut-être le fait de m'endormir seul, loin de chez moi, enfin seul pas vraiment puisque mon vélo est avec moi, en fait non, j'ai du mal à m'endormir parce que je repense aux mots d'un allemand de rencontre cet après-midi : "crazy frenchie, est-ce que tu te rends compte où tu vas aller demain?" ben oui, je vais parcourir 1999 kilomètres en VTT en solo le long de la Grande Muraille de Chine, d'ouest en est, de Yinchuan à Shanhaiguan, voilà c'est tout.

La première épreuve à laquelle je dois faire face est certainement la plus inattendue de mon voyage : où se trouve mon point de départ? question sans réponse, mais pas de barrière de la langue puisque faire des dessins est le moyen de communication le plus complet qui soit, mais Chang Ch'en (Grande Muraille en chinois) est introuvable, alors recours aux moyens sophistiqués recherche au GPS et découverte le long de la route de ma première muraille ou presque : un mur de quelques mètres de haut fait de sable et d'osier tressé , un premier tronçon de quelques kilomètres érodé par 2000 ans de vent de sable qui vient du "Désert du Monstre"
tout proche. La première surprise c'est sa localisation non pas sur les contreforts montagneux bien absent dans cette région, mais en bordure du désert, Foum Zguid aurait dit les Marocains (bouche du désert), c'est en cet endroit que Gengis Khan est entré en Chine en 1205 après JC avant d'envahir Pékin 10 ans plus tard, mon objectif est le même, moins guerrier toutefois, plus amical, hommage à 2000 ans d'histoire, hommage aux milliers d'hommes qui laissèrent leur vie pour construire ce mur. Après un moment d'émotion, je m'élance dans la plaine qui s'offre à moi.



Chemin hyper roulant, température idéale (22°C), le rêve de tout vététiste mais les buissons d'épineux me rappellent aux réalités, et les crevaisons s’enchaînent, elles ne me laisseront pas de répit pendant 15 jours mais c'est aussi le plaisir de prendre son temps le soir pour réparer et coller des Rustines et encore des Rustines, moment où l'on ne pense à rien d'autre qu'à soi et son vélo.

Malgré des premiers contacts encourageants, succession de rires et sourires, j'ai décidé de dormir seul, on ne s'improvise pas docteur Livingstone en une journée, la peur d'aller au devant des autres, de leurs réactions, me feront dormir deux nuits, caché dans les dunes, comme seul contact, je me ravitaille en eau auprès de commerces lâchés ça et là au bord de la route, des Bagdad cafés chinois. Mais qu'est ce que je suis vraiment venu faire ici? rencontrer un mur? Ou les gens qui l'ont construit et ceux qui vivent à ses côtés chaque jour? Et me voilà ce troisième jour, dans l'après midi abordant mon premier village et mes premiers contacts, échange de sourires, d'aliments, et bien sûr d'eau si précieuse pour moi qui suis obligé d'ajouter à mes 20 kilos d'équipement, mes 5 à 6 litres quotidiens. On m'avait bien prévenu avant de partir, tu ne mangeras pas d'aliments crus, tu ne boiras pas d'eau sans y avoir ajouté ta pastille d'hydroclonazone et attendu 30 minutes qu'elle fasse effet, j'aimerais les y voir lorsque l'échange des premiers moments consiste en une offrande de nourriture et d'eau, eh bien j'ai trouvé la solution, tu fermes ta gueule, tu acceptes, et tu prends tes deux imodiums. Bien sûr tu es malade pendant quelques jours mais bon perdre quelques kilos ne m'a pas fait de mal , 4 à 5 la première semaine.(à l'heure où j'écris ces lignes un mois plus tard, je les ai déjà repris).



Yanchi, 150 kilomètres après mon départ, j'aperçois des bulldozers le long de la Grande Muraille, que font ils? De la restauration? Non plutôt de la destruction, la Chine en construction se débarrasse de son passé pour construire son futur, fait d'autoroutes et de voies ferrées. Les bulldozers sont là pour construire une route, ils coupent la Grande Muraille en deux, ils découpent les veines de la Terre, fureur d'occidental indigné, je m'apercevrai plus loin que la Grande Muraille est loin des 5000 kilomètres dont on m'avait parlé qu'elle flirte plutôt avec les 15000 et que la couper est nécessaire pour établir des voies de communication dans une région coupée du reste du monde et le reste du monde c'est aussi et surtout Pékin, Shanghai, Hongkong,... ces zones d'économie
spécialisée où la corne d'abondance s'est répandue en Chine. Ma seule consolation est de rencontrer ces ouvriers et leur dire que
j'ai fait des milliers de kilomètres pour ce mur de terre, leur dire d'en prendre soin après l'avoir coupé comme on bande un membre mutilé pour éviter l'hémorragie, expliquer que prendre soin de son passé c'est aussi consolider son avenir, mais n'est ce pas là qu'une considération New age d'occidental illuminé? La Chine me laissera plus de questions que de réponses voici une de mes certitudes qui s'effrite.

Une semaine de vélo et l'arrivée à Yulin après 700 kilomètres. Cette ville de quelques milliers d'habitants est une des villes fortifiées du centre de la Chine, la Grande Muraille la traverse de part en part et j'ai la chance de passer une nuit à l'intérieur de ses remparts, accueilli par des gens qui n'ont pas grand chose mais qui vous donne tout. Ma première nuit à l'intérieur de la Grande Muraille, nuit qui aurait pu être emplie de scènes de bataille entre guerriers chinois et mongols mais qui, comme mes nuits précédentes, se fera sans rêve, c'est sûrement l'effet des 100 km de vélo quotidiens.

Yulin est la fin d'un tronçon de grande muraille puisque je serai incapable de la retrouver pendant quelques jours, c'est aussi la fin
d'une époque, je quitte le moyen-âge chinois pour celui de la révolution
.
La région que je vais traverser maintenant est celle des sommets du centre du pays, bassin charbonnier et mines à ciel ouvert seront mon grisâtre paysage des jours à venir, les routes se font plus dures elles virevoltent de cols en vallée et pour moi le calvaire commence. Je n'ai jamais été un bon grimpeur, ni un bon descendeur non plus malgré mon acharnement à participer à de belles épreuves nationales et internationales et l'accumulation des mètres de dénivelé me mine le moral sans jeu de mot.
Mais finalement c'est aussi l'endroit de mes rencontres les plus fortes celles du mondes des hommes-camionneurs. La route n'est que succession de camions et de triporteurs transportant du charbon, ce sont finalement eux qui m'aideront à traverser cette zone critique, m'encourageant lors des faux plats me laissant m'agripper à leurs engins lors des côtes les plus dures. Le soir, moment privilégié des rencontres, sera celui de la bière et d'un apprentissage de Macarena à des camionneurs en sueur.



Après la traversée du Fleuve Jaune, remontée sur Datong, je n'ai pas vu la Grande Muraille depuis 4 jours maintenant, à peine ai-je croisé un de ces tronçons qui descend vers le sud, muraille des Shin destinée à protéger le sud du pays, le grenier de la Chine avec ses rizières et ses plaines verdoyantes. Ici, les camions qui acheminent le charbon jusqu'à Datong font de ces routes et des paysages qui la bordent des amas grisâtres, recouvert d'une fine couche de poussière noire et ceci pendant des kilomètres jusqu'à la ville de Datong, surprise d'un accueil bien moins chaleureux, ici l'étranger est connu en tant que tel, non pas comme une bourse ambulante mais plutôt comme l'indésirable; j'essuie un "go home" lorsque je cherche une chambre d'hôtel, comment pourrais-je savoir que les
hôtels à touristes sont plutôt situés dans le nord de la ville et que mon arrivée par le sud me fera passer une nuit dehors, courte et d'un œil; j'apprends alors que la survie dans les jungles urbaines est parfois plus risquée que celle dans les jungles tout court.
Les rares sans-abri qui m'abordent se détournent rapidement de moi, que fait un européen dans un parc en pleine nuit? Ne suis-je pas plus dangereux à leurs yeux qu'un pickpocket du coin? Ma nuit terminée, je me mets en quête d'un hôtel comme un simple
touriste : soulagement d'un bain chaud, d'une chambre d'hôtel qui ferme à clef, et où personne ne viendra entrer en pleine nuit, simplement pour discuter, quelques heures pour me ressourcer seul, enfin, moi qui croyais que mon voyage ne serait qu'une succession de moments solitaires, je m'aperçois que depuis 10 jours (hormis mes deux nuits de camping sauvage), c'est mon premier vrai moment de solitude. Je dois maintenant retrouver la grande muraille, car profitant de mon détour par Fugu pour traverser le Fleuve Jaune , elle s'est enfuie vers le nord, à la poursuite d'hypothétiques hordes mongoles, et c'est avec soulagement que je l'aperçois traversant la route et symbolisée par deux dragons enlacés.

En une journée j'apprends à déceler les tours de guet situées en deçà de la Muraille, endroit d'où les guetteurs donnaient l'alarme en allumant des feux pour avertir Pékin, ces tours ne sont pas situés sur la Muraille mais quelques dizaines de mètres en terres chinoises pour mieux les protéger. Les premiers créneaux font leur apparition et les premières fenêtres de tirs creusées dans des murs en terre rapportée ornent les châteaux de sable que j'arpente aujourd'hui. Rencontre avec les habitants de ces forteresses aux allures de châteaux des tartares : Echange de nourriture et nuit passée ensemble sur le "kang" familial. Mais le matin est là et il faut partir, nous n'avons pas échangé un seul mot en 15 heures mais l'émotion se lit dans les yeux de la mère et les oignons que m'offre le père pour la route sont un gage d'amitié sans parole.



La Grande Muraille s'est transformée après cette rencontre comme pour ne rien me faire regretter, elle est devenu plus majestueuse et semble me susurrer à l'oreille : Ne regrettes rien, plus loin je serai plus belle, et j'essaierai de te faire oublier pour un moment ces rencontres.