RETOUR A LA PECHE

Après 4 ans de service militaire, je reviens au pays. Chaque printemps va me voir reprendre la mer pour Terre Neuve et chaque fin d'automne va me voir embarquer sur les caïques ou les canots d'Yport pour la saison d'hiver. Saison d'hiver où les bateaux pratiquent les cordes, le chalut, les sennes, suivant la taille et la spécialité des bateaux.

   Fécamp 1904

Hiver 1904, j'embarque sur la caïque d'Yport NOTRE DAME DE LOURDES (F1650). En 1905, c'est sur le FRATERNITE, un trois-mâts de Fécamp que je fais la campagne à la morue qui nous emmène à Terre Neuve, pour 7 mois 7 jours. La saison d'hiver 1905 me voit embarquer sur la caïque PERSEVERANT d'Yport (F1429) puis sur le canot JEAN EUGENE (F1755).

Pour Fécamp, c'est une période de pleine prospérité. Plus de 70 navires partent à la morue et plus de 30 partent aux harengs. En 1905, c'est la première apparition à Fécamp d'un chalutier à vapeur. On estime entre 15 000 à 20 000 le nombre des marins français et anglais sur les bancs.

En 1906, j'embarque sur le COLBERT, un trois-mâts de Fécamp (F1619) pour une nouvelle campagne à Terre Neuve de 8 mois 13 jours.

   Sur les bancs, doris rentrant de relever les lignes avec le patron de doris et son matelot d'avant
 

Saison d'hiver 1906 sur le canot d'Yport PAQUERETTE (F1941) puis je retrouve le PERSEVERANT. Campagne 1907 à la morue sur le PATRIE, trois-mâts de Fécamp pour 9 mois 5 jours. Nous avons comme chaque année fêté la Saint Pierre des Marins qui a lieu à Fécamp avant le départ en campagne, dans les premiers jours de février. C'est le jour du Grand Pardon. Endimanchés, chemise amidonnée, souliers cirés, cravate, c'est l'occasion pour les hommes de se retrouver hors du pont d'un navire. S'habiller n'a pas été chose facile, les doigts rongés par l'eau de mer ont eu du mal à tenir les petits boutons et les lacets. Il faut faire bonne impression à tous ces gens venus de Dunkerque, Paris, Saint Malo et même de Marseille. L'archevêque de Rouen bénit la flotte et les équipages.Il faut également apparaître au bal qui termine cette journée.

Saison d'hiver 1907 sur le PERSEVERANT. Une directive des affaires maritimes interdit aux armateurs d'engager à la Grande Pêche des gamins de moins de 15 ans mais pas de directives pour la petite pêche.

Le 15 février 1908, je profite de ma présence à Yport pour me marier avec Marie, Gabrielle Malandain, née aussi à Yport le 5 novembre 1884. Je ne reste pas longtemps avec elle, juste le temps de nous installer Rue Jean Feuilloley, je reprends la mer le 16 mars.

 

Campagne 1908 à la morue sur LA LIBERTE , (construit en 1907) trois-mâts de Fécamp (F1457) pour 7 mois 22 jours. Je rentre juste à temps, le 23 novembre 1908, pour la naissance de mon premier fils Louis, Jean, Marie. Mon frère lui a déjà 4 enfants tous nés en septembre-octobre. Saison d'hiver 1908 sur le PASCAL MARIE, canot d'Yport (F1820).

Campagne 1909 sur le GLOIRE A DIEU,(construit en 1901), trois-mâts de Fécamp, pour 6 mois 17 jours, j'y retrouve pour une deuxième fois mon frère Pierre. Les familles et les armateurs n'aiment pourtant pas beaucoup que 2 hommes de la même famille embarquent sur le même navire. Saison d'hiver 1909 sur le JEAN EUGENE caïque d'Yport (F1755), sur le PERSEVERANT. Je ne trouve pas d'embarquement à la morue et continue la pêche côtière sur la caïque DIEU PROTEGEZ NOUS (F1945), puis la caïque GRACE DE DIEU (F1817), la caïque PERE TRANQUILLE (F1757), la caïque SAINT PASCAL (F1823), et encore le DIEU PROTEGEZ NOUS. Le 7 janvier 1911, c'est la naissance de ma fille Laure, mais tout le monde l'appellera Marie-Louise.

J'embarque pour la première fois le 11 avril 1911 sur un vapeur, le PROVENCE, pour une campagne de 2 mois 21 jours en Islande (c'est un essai avec de nouvelles techniques sur de nouveaux navires). La vapeur va bouleverser nos habitudes , les doris ne sont plus employés et nous pratiquons désormais la pêche au chalut. La saison d'hiver 1911 me fait retrouver Yport et la caïque VIVE JESUS (F108) . Au printemps 1912, j'embarque sur l'AMERIQUE, vapeur de Boulogne, du 28 février au 9 octobre pour 7 mois 10 jours. Le capitaine après la visite du navire d'assistance à la pêche nous recommande de veiller aux icebergs, et nous informe qu'un grand naufrage a eu lieu à 100 miles dans le sud du grand banc et qu'un grand nombre de personnes sont perdues, plus de 1350 personnes sur le Titanic. Saison d'hiver 1912, DIEU LE PROTEGE (F171), caïque d'Yport. La grande nouveauté de ces années, c'est l'apparition des premiers navires à vapeur sur les bancs. L'avantage de ces navires c'est qu'ils pratiquent la pêche à la morue l'été et diverses pêches l'hiver alors que les trois-mâts sont plus spécialisés. Les voiliers ne disparaissent pas encore, le dernier trois-mâts de Fécamp arrête en 1931 et dans les années 1970, des voiliers Portugais sont encore en pêche à Terre Neuve.

 

Le travail du poisson

sur le pont 

 

Campagne à la morue 1913, LA ROSITA, vapeur de Boulogne pour 7 mois 4 jours. Hiver 1913, encore la caïque VIVE JESUS. Le 27 novembre 1913, c'est la naissance de mon deuxième garçon : Jules, Gabriel.  

La campagne de 1914 va se trouver écourtée par la guerre. Partis de Fécamp sur le LIBERTE (F1957), un vapeur, pour une campagne de pêche au large, nous rentrons le 1er août pour la mobilisation générale. Toute la flotte morutière de Terre Neuve reprend elle aussi la direction de son port d'origine. Fécamp, Saint Malo, Paimpol où les navires arriveront vers le 25 août. Pour Fécamp, 3 vapeurs et 46 voiliers rentrent. Deux tiers des équipages rejoignent la Marine Nationale. Mon frère Pierre échappe à la mobilisation, 38 ans et 5 enfants lui permettent de continuer à la pêche. Ce n'est pas certain que son sort soit meilleur que le mien avec tous les sous-marins allemands qui vont couler les chalutiers et les voiliers.

 

 

 

    Marine Nationale

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Voir la page sur la pêche aux harengs http://www.ville-fecamp.fr/art_culture/hareng.htm