Cette doxa rationaliste qui pousse le narrateur à établir une relation de causalité entre l'unique (l'étoile) et la division dont il procède (les nébuleuses) nous pousse à nous pencher sur le discours scientifique (toujours dans la fiction littéraire) où comète est prise au sens littéral, c'est-à-dire dénuée du statut de comparant :
INTER-TEXTUALITE. On ne peut pas ne pas songer ici à cet extrait typique de Bouvard & Pécuchet (1872-1881) où //astronomie// est dévalorisé par /scientisme/ + /métaphysique/ + /naïveté/ :Le ciel très haut, était couvert d'étoiles ; les unes brillant par groupes, d'autres à la file, ou bien seules à des intervalles éloignés. Une zone de poussière lumineuse, allant du septentrion au midi, se bifurquait au-dessus de leurs têtes. Il y avait entre ces clartés, de grands espaces vides ; - et le firmament semblait une mer d'azur, avec des archipels et des îlots. - Quelle quantité! s'écria Bouvard. - Nous ne voyons pas tout! reprit Pécuchet. Derrière la voie lactée, ce sont les nébuleuses; au-delà des nébuleuses des étoiles encore! La plus voisine est séparée de nous par trois cents billions de myriamètres! Il avait regardé souvent dans le télescope de la place Vendôme et se rappelait les chiffres. Le Soleil est un million de fois plus gros que la Terre, Sirius a douze fois la grandeur du soleil, des comètes mesurent trente-quatre millions de lieues! - C'est à rendre fou dit Bouvard. Il déplora son ignorance et même regrettait de n'avoir pas été, dans sa jeunesse, à l'École Polytechnique. Alors Pécuchet le tournant vers la Grande Ourse, lui montra l'étoile polaire, puis Cassiopée dont la constellation forme un Y, Véga de la Lyre toute scintillante, et au bas de l'horizon, le rouge Aldebaran. Bouvard, la tête renversée, suivait péniblement les triangles, quadrilatères et pentagones qu'il faut imaginer pour se reconnaître dans le ciel. Pécuchet continua : - La vitesse de la lumière est de quatre-vingt mille lieues dans une seconde. Un rayon de la Voie lactée met six siècles à nous parvenir - si bien qu'une étoile, quand on l'observe, peut avoir disparu. [...] Quelques étoiles filantes glissèrent tout à coup, décrivant sur le ciel comme la parabole d'une monstrueuse fusée. - Tiens! dit Bouvard voilà des mondes qui disparaissent. Pécuchet reprit : - Si le nôtre, à son tour, faisait la cabriole, les citoyens des étoiles ne seraient pas plus émus que nous ne le sommes maintenant! De pareilles idées vous renfoncent l'orgueil. - Quel est le but de tout cela ? - Peut-être qu'il n'y a pas de but ? - Cependant! et Pécuchet répéta deux ou trois fois cependant sans trouver rien de plus à dire. - N'importe! je voudrais bien savoir comment l'univers s'est fait! - Cela doit être dans Buffon! répondit Bouvard, dont les yeux se fermaient.
L'échec intellectuel des deux copistes (cf. le sous-titre : « Du défaut de méthode dans les sciences ») se traduit ici par la vanité du savoir affiché dans cette « espèce d’encyclopédie critique en farce » (lettre à Mme Roger des Genettes, 18/8/1872). Pareil registre parodique contraste avec le sérieux du roman de Verne, De la Terre à la Lune (1865), où l'astre relève de la controverse scientifique qui se caractérise encore par la lourdeur didactique, ici destinée à lutter contre les savants ignorants. L'enthousiasme précédent le cède à la froideur dont l'effet d'objectivité neutralise l'évaluation du domaine stellaire :
[...] beaucoup d'erreurs furent moins faciles à éradiquer. Ainsi, quelques braves gens, par exemple, soutenaient que la Lune était une ancienne comète, laquelle, en parcourant son orbite allongée autour du Soleil, vint à passer près de la Terre et se trouva retenue dans son cercle d'attraction. Ces astronomes de salon prétendaient expliquer ainsi l'aspect brûlé de la Lune, malheur irréparable dont ils se prenaient à l'astre radieux. Seulement, quand on leur faisait observer que les comètes ont une atmosphère et que la Lune n'en a que peu ou pas, ils restaient fort empêchés de répondre. [...] Un observateur doué d'une vue infiniment pénétrante, et placé à ce centre inconnu autour duquel gravite le monde, aurait vu des myriades d'atomes remplir l'espace à l'époque chaotique de l'univers. Mais peu à peu, avec les siècles, un changement se produisit; une loi d'attraction se manifesta, à laquelle obéirent les atomes errants jusqu'alors; ces atomes se combinèrent chimiquement suivant leurs affinités, se firent molécules et formèrent ces amas nébuleux dont sont parsemées les profondeurs du ciel. [...] Ainsi donc, en remontant de l'atome à la molécule, de la molécule à l'amas nébuleux, de l'amas nébuleux à la nébuleuse, de la nébuleuse à l'étoile principale, de l'étoile principale au Soleil, du Soleil à la planète, et de la planète au satellite, on a toute la série des transformations subies par les corps célestes depuis les premiers jours du monde. Le Soleil semble perdu dans les immensités du monde stellaire, et cependant il est rattaché, par les théories actuelles de la science, à la nébuleuse de la Voie lactée.
Légitimation statistique : l'interrogation de HYPERBASE prouve la dominance quantitative des lexème "nébuleuse(s)", "astres" ou du radical "constell-" dans les romans De la Terre à la Lune, Bouvard & Pécuchet, Le Temps retrouvé.
Citons encore Verne dont le corpus n'est pas avare d'occurrences :Ainsi, il vint à l'esprit d'Halley qu'une comète, ayant jadis choqué obliquement la terre, changea la position de son axe de rotation, c'est-à-dire de ses pôles ; d'après lui, le pôle Nord, situé autrefois à la baie d'Hudson, se trouva reporté plus à l'est, et les contrées de l'ancien pôle, si longtemps gelées, conservèrent un froid plus considérable, que de longs siècles de soleil n'ont encore pu réchauffer. - Et vous n'admettez pas cette théorie ? - Pas un instant, car ce qui est vrai pour la côte orientale de l'Amérique ne l'est pas pour la côte occidentale, dont la température est plus élevée. Non ! il faut constater qu'il y a clés lignes isothermes différentes des parallèles terrestres, et voilà tout. [...] - Et comment expliquaient -ils ce bouleversement ? demanda Altamont. - Par le choc d'une comète. La comète est le Deus ex machina ; toutes les fois qu'on est embarrassé en cosmographie, on appelle une comète à son secours. C'est l'astre le plus complaisant que je connaisse, et, au moindre signe d'un savant, il se dérange pour tout arranger ! - Alors, dit Johnson, selon vous, monsieur Clawbonny, ce bouleversement est impossible ? - Impossible ! - Et s'il arrivait ? - S'il arrivait, l'équateur serait gelé en vingt-quatre heures ! - Bon ! s'il se produisait maintenant, dit Bell, on serait capable de dire que nous ne sommes pas allés au pôle. (Voyages et Aventures du capitaine Hatteras)
Un journal, le Ledger, de Philadelphie, publia tout d'abord cette note plaisante : " Des calculs ont sans doute appris aux futurs acquéreurs des contrées arctiques qu'une comète à noyau dur choquera prochainement la Terre dans des conditions telles que son choc produira les changements géographiques et météorologiques, dont se préoccupe ladite clause. " La phrase était un peu longue, comme il convient à une phrase qui se prétend scientifique, mais elle n'éclaircissait rien. D'ailleurs, la probabilité d'un choc avec une comète de ce genre ne pouvait être acceptée par des esprits sérieux. En tout cas, il était inadmissible que les concessionnaires se fussent préoccupés d'une éventualité aussi hypothétique. [...] Qui sait? Peut-être le président Barbicane et le capitaine Nicholl regrettaient-ils de ne pouvoir prendre place dans le projectile. Dès la première seconde, ils auraient franchi deux mille huit cents kilomètres. Après avoir pénétré les mystères du monde sélénite, ils auraient pénétré les mystères du monde solaire, et dans des conditions autrement intéressantes que ne l’avait fait le Français Hector Servadac, emporté à la surface de la comète Gallia! (Sans dessus dessous)
- Je ne voudrais vous enlever aucune illusion, capitaine, répondit le lieutenant Procope; mais, de ce que le professeur en sait long sur la comète Gallia, il ne s'ensuit pas qu'il puisse nous renseigner sur ce fragment qui nous emporte! Y a-t-il même connexité entre l'apparition de la comète sur l'horizon terrestre et la projection dans l'espace d'un morceau du globe?… - Oui! mordioux! s'écria le capitaine Servadac. Il y a connexité évidente! Il est clair comme le jour que… - Que…? dit le comte Timascheff, comme s'il eût attendu la réponse qu'allait faire son interlocuteur. - Que la terre a été choquée par une comète, et que c'est à ce choc qu'est due la projection du bloc qui nous emporte!" Sur cette hypothèse, affirmativement énoncée par le capitaine Servadac, le comte Timascheff et le lieutenant Procope se regardèrent pendant quelques instants. Si improbable que fût la rencontre de la terre et d'une comète, elle n'était pas impossible. Un choc de cette nature, c'était l'explication donnée enfin à l'inexplicable phénomène, c'était cette introuvable cause dont les effets avaient été si extraordinaires. [...] Le professeur rêvait-il donc qu'on voulait lui voler sa comète, qu'on lui contestait la découverte de Gallia, qu'on le chicanait sur la priorité de ses observations et de ses calculs? c'était vraisemblable. [...] Lorsque le professeur Palmyrin Rosette faisait une conférence sur la cométographie, voici comment, d'après les meilleurs astronomes, il définissait les comètes : "Astres composés d'un point central qu'on appelle noyau, d'une nébulosité qu'on appelle chevelure, d'une traînée lumineuse qu'on appelle queue, - lesdits astres n'étant visibles pour les habitants de la terre que dans une partie de leur cours, grâce à la très grande excentricité de l'orbite qu'ils décrivent autour du soleil." Puis, Palmyrin Rosette ne manquait jamais d'ajouter que sa définition était rigoureusement exacte, - à cela près, toutefois, que ces astres pouvaient se passer soit de noyau, soit de queue, soit de chevelure, et n'en être pas moins des comètes. Aussi avait-il soin d'ajouter, suivant Arago, que, pour mériter ce beau nom de comète, un astre devait: 1° être doué d'un mouvement propre; 2° décrire une ellipse très allongée, et par conséquent s'en aller à une distance telle qu'il fût invisible du soleil et de la terre. La première condition remplie, l'astre ne pouvait plus être confondu avec une étoile, et la seconde empêchait qu'il ne pût être pris pour une planète. Or, ne pouvant appartenir à la classe des météores, n'étant point planète, n'étant point étoile, l'astre était nécessairement comète. (Hector Servadac, roman cosmographique et fantaisiste, à la différence du sérieux des précédents).Or, quand Ned Land objecte au professeur Aronnax :
Que le vulgaire croie à des comètes extraordinaires qui traversent l'espace, ou à l'existence de monstres antédiluviens qui peuplent l'intérieur du globe, passe encore, mais ni l'astronome, ni le géologue n'admettent de telles chimères. De même, le baleinier. [...] (Vingt mille Lieues sous les Mers),
opposant paradoxalement au professeur les isotopies scientifique et mythique, la dénonciation qu'il opère de l'isotopie /superstition/ témoigne d'une auto-ironie à l'égard de la vision du cosmos (et de la terre) telle qu'elle se manifeste dans ces romans d'anticipation.
De la même façon, dans l'article faisant l'objet d'une analyse sémantique, "La lancinante question de la disparition des espèces" (paru dans Science et avenir, 1985), Rastier observe "qu'au dernier paragraphe, la mention de la comète tueuse, et l'allusion à la recherche extraterrestre de la vie nous renvoient au genre du roman d'anticipation. Et l'on sait que la science-fiction est une grande consommatrice de dinosaures, successeurs malgré eux des dragons des légendes." (Sémantique pour l'analyse, Masson, Paris, 1994, p. 192). L'évocation du choc destructeur entre les astres, en tant que cause de leur disparition est alors exclue du champ scientifique, au profit du mythique, comme dans le propos de Ned Land.