INTER-TEXTUALITE. Par la chevelure de comète phraséologique (cf. Littré : "astre qui porte une chevelure lumineuse, qui est constitué par une matière excessivement rare et qui décrit autour du soleil des orbes extrêmement allongés. Les comètes, que l'on a regardées pendant longtemps comme des météores, sont des astres semblables aux planètes : leurs mouvements, leurs retours sont réglés suivant les mêmes lois que les mouvements planétaires"; néanmoins quand Hugo écrit "Vois l'astre chevelu qui, royal météore \ Roule, en se grossissant des mondes qu'il dévore", c'est du soleil dont il s'agit, implicitement), qui permet une personnification soit macabre chez Maupassant (registre fantastique), soit illuminante chez Proust (registre merveilleux), sa blondeur renforce la connexion /terrestre/-/céleste/, et motive le comparant astral de son souvenir.

La comparaison euphorisante avec l'attribut féminin remonte au moins à la poésie lyrique d'un Vigny (Eloa ou la soeur des anges, 1826), fondée, comme celle de Hugo - mais aussi au moins un roman de Zola - sur les mythes bibliques :

Elle marche vers Dieu comme une épouse au Temple ;
Son beau front est serein et pur comme un beau lis,
Et d'un voile d'azur il soulève les plis ;
Ses cheveux, partagés comme des gerbes blondes,
Dans les vapeurs de l'air perdent leurs molles ondes,
Comme on voit la comète errante dans les cieux
Fondre au sein de la nuit ses rayons gracieux.

Dans Servitude et grandeur militaires (1835), on a la confirmation du lien entre chevelure et nébulosité (Lautréamont parle de "sa queue brillante et vaporeuse"), lors d'une rêverie à l'écoute d'un choeur mélancolique; de là l'annexion de la comète à /surnaturalité/ par assimilation avec "la foule innombrable de fantômes tourmentés et tordus par les vents" :

Ce sont des guerriers qui rêvent toujours, le casque appuyé sur la main, et dont les larmes et le sang tombent goutte à goutte dans les eaux noires des rochers; ce sont des beautés pâles dont les cheveux s'allongent en arrière, comme les rayons d'une lointaine comète, et se fondent dans le sein humide de la lune : elles passent vite, et leurs pieds s'évanouissent enveloppés dans les plis vaporeux de leurs robes blanches.

Changement de registre : après le merveilleux, l'humoristique, avec cette réplique de la célèbre pièce de Rostand (1897) où la chevelure est indice de voyage hyperbolique :

CYRANO, rayonnant
C'est à Paris que je retombe!
Tout à fait à son aise, riant, s'époussetant, saluant.
J'arrive - excusez-moi! - par la dernière trombe.
Je suis un peu couvert d'éther. J'ai voyagé!
J'ai les yeux tout remplis de poudre d'astres. J'ai
Aux éperons, encor, quelques poils de planète!
Cueillant quelque chose sur sa manche.
Tenez, sur mon pourpoint, un cheveu de comète !...
Il souffle comme pour le faire envoler.

Citons encore Maupassant, qui avait déjà inséré le comparant dans le cadre de la mondanité, plus précisément du salon littéraire où la féminité est honorée par l'élite qu'elle côtoie; cependant son réalisme pessimiste inscrit rapidement le phénomène céleste sur l'isotopie /dégradation/ :

- Le Gâteau (1882) : Disons qu'elle s'appelait Mme Anserre, pour qu'on ne découvre point son vrai nom. C'était une de ces comètes parisiennes qui laissent comme une traînée de feu derrière elles. Elle faisait des vers et des nouvelles, avait le coeur poétique et était belle à ravir. Elle recevait peu, rien que des gens hors ligne, de ceux qu'on appelle communément les princes de quelque chose. Etre reçu chez elle constituait un titre, un vrai titre d'intelligence ; du moins on appréciait ainsi ses invitations. Son mari jouait le rôle de satellite obscur. Etre l'époux d'un astre n'est point chose aisée. [...] La brioche fut successivement taillée par des poètes, par des peintres et des romanciers. Un grand musicien mesura les portions pendant quelque temps, un ambassadeur lui succéda [...] devant le gâteau symbolique. Chacun d'eux, pendant son règne éphémère, témoignait à l'époux une considération plus grande ; puis quand l'heure de sa chute était venue, il passait à un autre le couteau et se mêlait de nouveau dans la foule des suivants et admirateurs de la ”belle Madame Anserre”. Cet état de choses dura longtemps, longtemps ; mais les comètes ne brillent pas toujours du même éclat. Tout vieillit par le monde.

- Indiana (1842) : - M. de Ramière, si je ne me trompe, dit une jolie femme à sa voisine. - C'est une comète qui paraît à intervalles inégaux, répondit celle-ci. Il y a des siècles qu'on n'a entendu parler de ce joli garçon-là.

- La Peau de chagrin (1831) : Moïse, Sylla, Louis XI, Richelieu, Robespierre et Napoléon sont peut-être un même homme qui reparaît à travers les civilisations, comme une comète dans le ciel!

On note ici la pauvreté de la paire sémique /mobilité/ + /intermittence/ (certes activée en liaison avec l'original /masculinité/ chez Balzac; Proust reviendra à la féminité traditionnelle, mais en l'indexant aussi à la paire /osmose/ + /confusion/ de la nébuleuse), à la différence de la richesse d'autres contextes. Tel celui du chapitre 6 de Madame Bovary (1857), où le cliché romantique ironise sur le comparant astral, illusoirement idéaliste, lors des rêveries naïves de la jeune héroïne au couvent :

Emma eut dans ce temps-là le culte de Marie Stuart, et des vénérations enthousiastes à l'endroit des femmes illustres ou infortunées. Jeanne d'Arc, Héloïse, Agnès Sorel, la belle Ferronnière et Clémence Isaure, pour elle, se détachaient comme des comètes sur l'immensité ténébreuse de l'histoire, où saillissaient encore çà et là, mais plus perdus dans l'ombre et sans aucun rapport entre eux, Saint Louis avec son chêne, Bayard mourant, quelques férocités de Louis XI, un peu de Saint-Barthélemy, le panache du Béarnais, et toujours le souvenir des assiettes peintes où Louis XIV était vanté.

En revanche dans Smarh (1839) - comme dans les autres versions de La Tentation de saint-Antoine - la problématique n'est plus celle du réalisme empirique, mais transcendant, dans la mesure où Flaubert fait de l'astre chevelu un instrument diabolique (dans la lignée de la Séraphîta de Balzac : "en approchant du Globe, l'Ange Exterminateur porté sur une comète le fait tourner sur son axe"), motivé par le physique des chevaux et leur puissance céleste :

Satan se tenait immobile, droit, plein de majesté et d'orgueil, il regardait tout disparaître derrière lui, tout apparaître devant ; Smarh se tenait couché sur la crinière, à laquelle il se cramponnait pour se soutenir. Ils allaient côte à côte, [...] Leurs coursiers faisaient battre leurs ailes et baissaient la tête pour mieux bondir, mais Satan les pressait du flanc : - Allons, disait-il, allons plus vite, ou je vous attacherai à la queue de quelque comète qui, dans sa course éternelle, vous fera mourir de fatigue.

L'ambivalence évaluative de l'astre se dissipe dès lors qu'est activée l'afférence /fatalité/ (cf. l'allusion à la tragédie grecque par la comparaison avec Oreste) :

- Lorenzaccio (1834) : Cela est étrange, et cependant pour cette action j'ai tout quitté. La seule pensée de ce meurtre a fait tomber en poussière les rêves de ma vie; je n'ai plus été qu'une ruine, dès que ce meurtre, comme un corbeau sinistre, s'est posé sur ma route et m'a appelé à lui. Que veut dire cela? Tout à l'heure, en passant sur la place, j'ai entendu deux hommes parler d'une comète. Sont-ce bien les battements d'un coeur humain que je sens là, sous les os de ma poitrine? Ah! pourquoi cette idée me vient-elle si souvent depuis quelque temps? - Suis-je le bras de Dieu? Y a-t-il une nuée au-dessus de ma tête?

L'isotopie /malfaisance/ repose ainsi sur le poncif du signe maléfique que s'évertuèrent à combattre les Philosophes (depuis Bayle) :

- Le Comte de Monte-Cristo (1846) : Un capitaliste chagrin est comme les comètes, il présage toujours quelque grand malheur au monde.

- Mademoiselle de Maupin (1835) : si nous lui déplaisions tant, il n'aurait qu'à dire à une comète de se détourner un peu de sa course et à nous étrangler tous avec un crin de sa queue.

Valeur bénéfique en revanche dans l'astronomie exotique du Voyage de Bougainville :

Ils prient au lever et au coucher du soleil ; mais ils ont en détail un grand nombre de pratiques superstitieuses pour conjurer l'influence des mauvais génies. La comète, visible à Paris en 1769, et qu'Aotourou a fort bien remarquée, m'a donné lieu d'apprendre que les Tahitiens connaissent ces astres qui ne reparaissent, m'a-t-il dit, qu'après un grand nombre de lunes. Ils nomment les comètes evetou eave, et n'attachent à leur apparition aucune idée sinistre. Il n'en est pas de même de ces espèces de météores qu'ici le peuple croit être des étoiles qui filent. Les Tahitiens, qui les nomment epao, les croient un génie malfaisant eatoua toa. Au reste, les gens instruits de cette nation, sans être astronomes, comme l'ont prétendu nos gazettes, ont une nomenclature des constellations des plus remarquables ; ils en connaissent le mouvement diurne, et ils s'en servent pour diriger leur route en pleine mer d'une île à l'autre.

Toujours avant le XIXe s., la thématique de genre est intéressante à relever, notamment dans le sillage de "l'esprit critique" qui anima le fin du XVIIe s. avec Pierre Bayle et ses Pensées sur la comète (1682) dénonçant superstitions et idées reçues, la comète étant emblématique, par les mauvais présages célestes qu'engendre son phénomène astronomique, topos péjoratif que reprend Marivaux :

L'Indigent philosophe (1728) : je parus comme un astre. Il y eut quelqu'un qui me compara à une comète; mais la comparaison d'un astre vaut mieux : car la comète, compère, on dit qu'elle pronostique malheur, et moi je ne procurais que du bonheur à mes camarades, et du plaisir aux autres.

Bayle fut en outre précurseur du roman expérimental zolien par son engagement pour l'esprit scientifique. Il favorisa l'émergence du rationalisme empirique, fût-il moqué par Molière :

- Monsieur Jourdain : Qu'est-ce qu'elle chante, cette physique?
- Maître de philosophie : La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps; qui discourt de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous enseigne les causes de tous les météores, l'arc-en-ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons.
- Monsieur Jourdain : Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini.

Chez Voltaire, on relève 16 occ. du mot vedette indexées soit à /scientificité/ (effort des Lumières contre obscurantisme; traité réaliste + présent de vérité générale) dans les Lettres philosophiques soit à /voyage/ dans Micromégas (conte utopique + imparfait\passé simple)

Chez Rousseau, le mot est absent, ce qui n'empêche pas que dans le traité d'éducation (Emile) ou l'autobiographie (Confessions) l'auteur manifeste son goût pour l'étude des constellations.

Quant à Chateaubriand, son originalité au début du XIXe s. réside dans l'indexation de l'astre à l'isotopie religieuse, que ce soit en bien (archange Michel) ou en mal (Lucifer et flammes). Seule ici la dernière occurrence valorise l'isotopie /rationalité humaine/ (inhérente au progrès en astronomie), pourtant dévalorisée par rapport à la poésie chrétienne (cf. "en vain les télescopes") :

En vain les télescopes fouillent tous les coins du ciel; en vain ils poursuivent la comète au-delà de notre système, la comète enfin leur échappe; mais elle n'échappe pas à l'archange [...]. Le poëte chrétien est seul initié au secret de ces merveilles. [...] Le Dieu qui régit les mondes, qui roule les comètes, qui crée l'univers et la lumière, [il diffère des "dieux mythologiques"] (Génie du christianisme)

Non plus comme cet astre du matin qui nous apporte la lumière, mais semblable à une comète effrayante, Lucifer s'assied sur son trône, au milieu de ce peuple d'esprits. [...] Au signal du dieu fort, Michel s'élance des cieux comme une comète. Les astres effrayés croient toucher à la borne de leur cours. L'archange met un pied sur la mer et l'autre sur la terre. (Les Martyrs)

Les ombres de la nuit sont embrasées de la chaleur du jour : son voile est allumé du feu des comètes et chargé d'exhalaisons funestes. O terre malheureuse! le ciel te refuse sa rosée; les herbes et les fleurs mourantes attendent en vain les pleurs de l'aurore. (Itinéraire de Paris à Jérusalem)

Les élus voient les comètes accourir aux pieds du très-haut, recevoir ses ordres et partir avec des yeux rougis et une chevelure flamboyante, pour fracasser quelque monde. (Les Natchez)

Que l'homme est petit sur l'atome où il se meut! Mais qu'il est grand comme intelligence! Il sait quand le visage des astres se doit charger d'ombre, à quelle heure reviennent les comètes après des milliers d'années, lui qui ne vit qu'un instant! (Mémoires d'outre-tombe)