Appel des 103
Les textes : 28 octobre 2001
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28 octobre 2001 : Libertés, sécurité, responsabilitéLes gouvernements, le législateur, les magistrats, ont en commun deffectuer des arbitrages permanents entre les libertés individuelles et la sécurité. Lorsque les gardes des sceaux de deux majorités politiques successives font adopter chacun un texte de loi pour limiter lincarcération provisoire, ils opèrent un arbitrage entre la présomption dinnocence et les nécessités de protéger la sécurité de chacun. Ce faisant, ils modifient létat du droit et rapprochent la France des autres modèles européens. Faut-il le rappeler, la France était dans ce domaine, un des moins bons élèves de la classe, régulièrement condamnée par la cour européenne des droits de lhomme pour des durées excessives de détention avant jugement. La loi du 15 juin 2000, mais aussi celles du 4 janvier 1993 et du 30 décembre 1996, insistent sur le caractère exceptionnel de la mise en détention provisoire. Lorsque des juges dinstruction, des juges des libertés et de la détention, des chambres de linstruction placent "à titre exceptionnel " une personne en détention ou la remettent en liberté, lorsque des tribunaux condamnent à des peines de prison, ils opèrent aussi un arbitrage entre liberté et sécurité. Lorsquun juge de lapplication des peines accorde une permission de sortie ou une libération conditionnelle à un condamné, il effectue aussi un arbitrage entre la sécurité immédiate de la société et la nécessité de préparer le retour du condamné dans la société, de façon à limiter la récidive pour améliorer à terme la sécurité. Des centaines de juges effectuent ainsi des arbitrages quotidiens. Les juges des enfants sont parfois contraints de prendre le risque de retirer ou de laisser un enfant dans sa famille à partir de simples soupçons. Cet arbitrage in concreto, au jour le jour, est un exercice difficile, encore plus sil est accompli dans lurgence. Il est parfois plus délicat de laisser quelquun en liberté que de le placer ou le maintenir en détention. Si la décision du juge, quelle quelle soit, en faveur de la liberté ou de la sécurité, contient toujours un facteur de risque, il lui appartient, ainsi qu'aux autres intervenants, de réduire au maximum cette part de risque qui peut avoir des conséquences dramatiques, déboucher sur des meurtres, des vengeances, des suicides. Pour prendre ses décisions, le juge applique la loi interne et la convention européenne des droits de lhomme, qui fixe les règles de procédure pour 300 millions dindividus, aux données spécifiques dune affaire, pour chaque personne concernée. Si les mots ont encore un sens et si la parole du législateur simpose encore au juge, les détentions provisoires doivent rester exceptionnelles. Cest le tribunal ou la cour dassises qui doivent prononcer la peine, pas le juge de linstruction. En lattente du jugement, ce sont des mesures de sûreté qui doivent être prises. Lapplication des principes à un cas particulier nest évidemment pas une science exacte, mais ne relève pas pour autant de larbitraire ou de laventure. Ces décisions sont toujours précédées de débats, même si la qualité des informations disponibles peut être très variable. La justice reste humaine et même avec un luxe de précautions, les juges ne sont malheureusement pas à labri dune erreur dappréciation, pas plus que les experts, notamment sur la dangerosité dun individu. Les juges côtoient quotidiennement la douleur des victimes, entendent lexaspération des voisins du quartier, la demande légitime de confiance et de respect des gendarmes et policiers. Une terrible succession de meurtres sans doute imputable à un seul repris de justice libéré en application de ces textes et, peut-on dire, mais seulement après la tragédie, à la suite dune mauvaise évaluation de la dangerosité par une chambre de l'instruction, doit-elle remettre en cause une évolution constante en Europe depuis plus dun quart de siècle ? Autorise-t-elle à maudire les juges ? Les débats qui ont immédiatement suivi ont été parfois affligeants. Tout le monde cherche à faire endosser la responsabilité de ce drame au voisin. Les policiers et certains juges se retournent vers le législateur : "on vous lavait bien dit ". Les politiques se déchirent entre eux et voudraient parfois cacher ou renier leurs votes antérieurs, notamment ceux qui tiennent un discours libéral au Parlement et un discours sécuritaire dans leur commune. Tout le monde saccorde pour crier haro sur les juges. Les juges se réfugient derrière la loi. Et pourtant, les législateurs successifs et les juges ont opéré le même arbitrage. La réalité devrait nous rendre plus humbles. Comme toute conduite humaine, certaines décisions justice contiennent leur part de précaution et de risques. Il ne peut y avoir en lespèce une quelconque fatalité mais un effort permanent pour réduire ces risques tout en réaffirmant les grands principes qui fondent notre vie commune. La responsabilité des femmes et des hommes politiques sera de répondre à cette question, non sous le coup dune émotion collective légitime ou, pire encore, pour des raisons politiciennes, mais après une réelle expertise et un débat serein et loyal. Réagir seulement dans linstant et lémotion, cest risquer de décrédibiliser encore plus le politique. Les lois ont déjà perdu laura que leur conférait leur légitimité, leur rationalité et les traditions républicaines. La responsabilité politique nest pas de se défausser sur son voisin, mais dêtre les garants du bien commun dans la continuité, de donner du sens. Quel crédit pourrait-on accorder à des lois conjoncturelles, à des volte-face événementielles ? Lémotion et le calcul politicien tuent la loi. La responsabilité des juges restera entière. Ils lassument, car ce sont toujours eux qui appliqueront la loi générale à une situation particulière, et à un individu en particulier. Cela constitue lessence même de la fonction de juger. Pour "l'appel des 103"
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