Appel des 103

 

valbul1a.gif (686 octets) Les textes :
      valbul2a.gif (530 octets) 28 octobre 2001
      valbul2a.gif (530 octets) Avril 2000
      valbul2a.gif (530 octets) 24 janvier 2000
      valbul2a.gif (530 octets) 13 mai 1997
valbul1a.gif (686 octets) Les signataires
      valbul2a.gif (530 octets) Magistrats
      valbul2a.gif (530 octets) Avocats
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28 octobre 2001 : Libertés, sécurité, responsabilité

Les gouvernements, le législateur, les magistrats, ont en commun d’effectuer des arbitrages permanents entre les libertés individuelles et la sécurité.

Lorsque les gardes des sceaux de deux majorités politiques successives font adopter chacun un texte de loi pour limiter l’incarcération provisoire, ils opèrent un arbitrage entre la présomption d’innocence et les nécessités de protéger la sécurité de chacun. Ce faisant, ils modifient l’état du droit et rapprochent la France des autres modèles européens. Faut-il le rappeler, la France était dans ce domaine, un des moins bons élèves de la classe, régulièrement condamnée par la cour européenne des droits de l’homme pour des durées excessives de détention avant jugement. La loi du 15 juin 2000, mais aussi celles du 4 janvier 1993 et du 30 décembre 1996, insistent sur le caractère exceptionnel de la mise en détention provisoire.

Lorsque des juges d’instruction, des juges des libertés et de la détention, des chambres de l’instruction placent "à titre exceptionnel " une personne en détention ou la remettent en liberté, lorsque des tribunaux condamnent à des peines de prison, ils opèrent aussi un arbitrage entre liberté et sécurité. Lorsqu’un juge de l’application des peines accorde une permission de sortie ou une libération conditionnelle à un condamné, il effectue aussi un arbitrage entre la sécurité immédiate de la société et la nécessité de préparer le retour du condamné dans la société, de façon à limiter la récidive pour améliorer à terme la sécurité. Des centaines de juges effectuent ainsi des arbitrages quotidiens. Les juges des enfants sont parfois contraints de prendre le risque de retirer ou de laisser un enfant dans sa famille à partir de simples soupçons. Cet arbitrage in concreto, au jour le jour, est un exercice difficile, encore plus s’il est accompli dans l’urgence. Il est parfois plus délicat de laisser quelqu’un en liberté que de le placer ou le maintenir en détention.

Si la décision du juge, quelle qu’elle soit, en faveur de la liberté ou de la sécurité, contient toujours un facteur de risque, il lui appartient, ainsi qu'aux autres intervenants, de réduire au maximum cette part de risque qui peut avoir des conséquences dramatiques, déboucher sur des meurtres, des vengeances, des suicides.

Pour prendre ses décisions, le juge applique la loi interne et la convention européenne des droits de l’homme, qui fixe les règles de procédure pour 300 millions d’individus, aux données spécifiques d’une affaire, pour chaque personne concernée. Si les mots ont encore un sens et si la parole du législateur s’impose encore au juge, les détentions provisoires doivent rester exceptionnelles. C’est le tribunal ou la cour d’assises qui doivent prononcer la peine, pas le juge de l’instruction. En l’attente du jugement, ce sont des mesures de sûreté qui doivent être prises. L’application des principes à un cas particulier n’est évidemment pas une science exacte, mais ne relève pas pour autant de l’arbitraire ou de l’aventure. Ces décisions sont toujours précédées de débats, même si la qualité des informations disponibles peut être très variable.

La justice reste humaine et même avec un luxe de précautions, les juges ne sont malheureusement pas à l’abri d’une erreur d’appréciation, pas plus que les experts, notamment sur la dangerosité d’un individu. Les juges côtoient quotidiennement la douleur des victimes, entendent l’exaspération des voisins du quartier, la demande légitime de confiance et de respect des gendarmes et policiers.

Une terrible succession de meurtres sans doute imputable à un seul repris de justice libéré en application de ces textes et, peut-on dire, mais seulement après la tragédie, à la suite d’une mauvaise évaluation de la dangerosité par une chambre de l'instruction, doit-elle remettre en cause une évolution constante en Europe depuis plus d’un quart de siècle ? Autorise-t-elle à maudire les juges ?

Les débats qui ont immédiatement suivi ont été parfois affligeants. Tout le monde cherche à faire endosser la responsabilité de ce drame au voisin. Les policiers et certains juges se retournent vers le législateur : "on vous l’avait bien dit ". Les politiques se déchirent entre eux et voudraient parfois cacher ou renier leurs votes antérieurs, notamment ceux qui tiennent un discours libéral au Parlement et un discours sécuritaire dans leur commune. Tout le monde s’accorde pour crier haro sur les juges. Les juges se réfugient derrière la loi. Et pourtant, les législateurs successifs et les juges ont opéré le même arbitrage.

La réalité devrait nous rendre plus humbles. Comme toute conduite humaine, certaines décisions justice contiennent leur part de précaution et de risques. Il ne peut y avoir en l’espèce une quelconque fatalité mais un effort permanent pour réduire ces risques tout en réaffirmant les grands principes qui fondent notre vie commune.

La responsabilité des femmes et des hommes politiques sera de répondre à cette question, non sous le coup d’une émotion collective légitime ou, pire encore, pour des raisons politiciennes, mais après une réelle expertise et un débat serein et loyal. Réagir seulement dans l’instant et l’émotion, c’est risquer de décrédibiliser encore plus le politique. Les lois ont déjà perdu l’aura que leur conférait leur légitimité, leur rationalité et les traditions républicaines. La responsabilité politique n’est pas de se défausser sur son voisin, mais d’être les garants du bien commun dans la continuité, de donner du sens. Quel crédit pourrait-on accorder à des lois conjoncturelles, à des volte-face événementielles ? L’émotion et le calcul politicien tuent la loi.

La responsabilité des juges restera entière. Ils l’assument, car ce sont toujours eux qui appliqueront la loi générale à une situation particulière, et à un individu en particulier. Cela constitue l’essence même de la fonction de juger.

Pour "l'appel des 103"
Hubert Dalle, Antoine Garapon, Jean-Paul Jean, Marcel Lemonde, Jean-Pierre Rosenczveig, magistrats, Jean Danet, Bruno Marcus, Claude Michel, avocats, Lucien Karpik sociologue
Les "103" regroupent des magistrats, avocats, citoyens s'intéressant à la justice, pour des réformes de la justice et de l'Etat