|
Kendal Nezan, président de
l'Institut kurde de Paris, revient sur les circonstances politiques qui ont
poussé Ramazan Alpaslan à se suicider en prison le 27 octobre 1997.
|
L'avocat de Ramazan Alpaslan a parlé d'acharnement
judiciaire qui aurait poussé ce jeune homme au suicide. Etes-vous d'accord avec
cette interprétation ? |
|
Je pense que depuis l'abolition des Cours de sûreté de l'Etat en 1981, la
XIVe section du Parquet, qui est devenue la section antiterroriste, agit de plus
en plus à la manière de ces anciennes cours. C'est à dire que la détention
provisoire est utilisée comme un moyen de pression psychique sur les détenus. La
présomption d'innocence ne joue pas toujours. Je connaissais Ramazan à travers
les membres de sa famille, en particulier à travers son oncle, qui a été un des
membres de notre institut, et qui est honorablement connu dans la communauté
kurde de France comme quelqu'un qui n'est pas violent, qui essaie de faire
avancer la cause kurde par des moyens pacifiques. J'avais acquis la conviction
que c'était de la part de la justice une façon de ratisser large, de voir ce qui
tombe dans le filet et de se constituer un fichier de militants kurdes.
éventuellement dans l'espoir d'utiliser les uns comme des témoins à charge
contre d'autres qui sont en détention provisoire. Il y a là un dysfonctionnement
de la justice et il faut qu'il y ait un débat judiciaire. |
Vous pensez donc que les charges retenues contre Ramazan -
association avec une entreprise terroriste - n'étaient pas suffisamment fondées
? |
|
Elles n'étaient manifestement pas fondées. Ce qu'on pouvait lui reprocher,
c'était la détention d'une arme prohibée [un revolver, NDLR], ce qui en France
constitue un délit. On aurait donc pu rapidement le présenter devant un
tribunal, une fois qu'il a été établi que cette arme n'avait pas été utilisée
dans des actions terroristes en France, et le condamner éventuellement à deux ou
trois mois de prison pour détention illégale d'arme. Même si de son point de vue
il avait des motifs peut-être acceptables, parce que les Kurdes se sentent en
insécurité dans ce pays. Il y a eu des gens qui ont été assassinés, des
militants kurdes qui ont été assassinés ici, en Autriche, en Allemagne, et ces
affaires n'ont jamais été élucidées. |
Les Kurdes qui ne se sentent pas en sécurité en France ont
donc le sentiment de ne pas être protégés par les autorités françaises
? |
|
En tous cas, la justice n'a pas élucidé ces affaires. Donc il y a là
manifestement un problème. Normalement, la justice et la police ont les moyens
de tirer au clair ce genre de meurtres. Le dernier en date était celui du
représentant du PDK irakien [Parti démocratique du Kurdistan, NDLR], en juillet
1996, il y a plus d'un an. Et l'enquête judiciaire est au point mort. Du coup il
y a des gens qui ne se sentent pas en sécurité, qui prennent leurs propres
dispositions et qui possèdent des armes. Personnellement, je ne pense pas que ce
soit une bonne chose. Cela ne dissuade pas les tueurs. En tout cas si Ramazan
pouvait être poursuivi, cela ne pouvait être que pour la détention illégale
d'arme. |
Pensez-vous que la France a pris position dans les
affaires intérieures turques : pour l'Etat turc et contre l'opposition, kurde
notamment ? |
|
Je ne pense pas que ce soit aussi tranché. De toute façon, tous les Etats
doivent faire respecter la loi sur leur territoire. En France, l'immense
majorité des Kurdes respecte la loi. Nous sommes tous tenus de respecter la loi
française. Les militants kurdes ont bénéficié pendant très longtemps d'une assez
grande bienveillance de la part des autorités françaises. Cela a été le cas
jusqu'à 1993-94. A partir de l'arrivée au ministère de l'Intérieur de M. Pasqua,
les choses ont commencé à prendre une autre tournure. Il y a un certain nombre
d'éléments qui font croire qu'il y a une coopération policière et judiciaire
entre la Turquie et la France. |
Vous voulez dire que la police française
coopère avec la police turque pour écraser les opposants au régime turc
? |
|
Oui. Au cour des deux-trois dernières années, il y a eu un certain nombre
d'éléments, d'indices allant dans ce sens. Il y a manifestement un échange. Il y
a une coopération. Il semblerait qu'au niveau judiciaire également. Je n'ai pas
de preuves, mais il y a des gens qui ont parlé d'une visite du juge Ricard en
Turquie. Dans les milieux de l'opposition kurde, les gens sont convaincus de
l'existence de cette coopération. |
Y a-t-il beaucoup de Kurdes qui sont
emprisonnés comme l'a été Ramazan ? |
|
Je n'ai pas de statistiques précises. Le Collectif des avocats a cité le
chiffre de quatorze personnes qui sont en détention provisoire, pour certaines
d'entre elles. depuis deux ans-deux ans et demi, et qui n'ont pas encore été
jugées. Ce sont des cas instruits par la section antiterroriste. En dehors de
cela, il se peut qu'il y ait des Kurdes en prison pour des délits de droit
commun. Mais sur une communauté de cent mille personnes, le chiffre n'est pas
élevé, au contraire.
Propos recueillis par Raphaël Meyssan fin
1997 |