Le
remue ménage politico-médiatique à la sortie du livre de Véronique
Vasseur est primordial
à décrypter. La première réaction est celle de l'émotion, de la compassion¦ Ce
livre témoigne de sept ans de pratique professionnelle à la prison de la Santé :
il est hallucinant de penser qu'un médecin en responsabilité attende sept ans
pour vider son sac dans un récit accéléré faisant éclater au grand jour un
scoop. Ce scoop : la prison est inhumaine, le lieu de l'enfer. En voilà un scoop
!
Dans les années 70, le GIP alimenté et animé par
les travaux de Michel Foucault, entre autres, avait levé le
voile sur cette réalité de l'enfermement en interpellant l'opinion publique de
manière systématique. Ces travaux font écho à ceux d' Erving Goffman qui analysent les
milieux clos. Rien de nouveau donc dans le montage de ce scoop médiatique de
l'an 2000 : l'isolement par rapport au monde extérieur dans un espace clos, la
promiscuité entre "reclus" comme les nomme
Erving Goffman, l'obligation de se soumettre à un règlement qui s'immisce dans
l'intimité, le quotidien, etc. confinent le détenu à un univers, une institution
de type totalitaire. Non, Véronique Vasseur n'a pas inventé ni découvert l'eau
chaude !
Dans un reportage filmé en 1991, Renaud Victor après une méthode
d'approche et d'immersion en milieu fermé, passe lui même le
dernier mois enfermé de jour comme de nuit. Ce film est évocateur et fonctionne
comme référence à un extérieur, un ailleurs synonyme d'une vie difficile, de la
misère, de la banlieue, de la drogue, de l'exclusion. La prison est une société
humaine comme les autres : elle est organisée autour de règles et de
conflits.
Que dire de l'appel lancé à Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux signé
par des VIP comme le préfet Bonnet,
Christine Deviers-Joncour, Loïk Le Floch-Prigent, Pierre Botton, José Bové¦
"Ce que nous avons vu en prison", disent - ils
: l'isolement, la violence, les viols, la pauvreté, les conditions inacceptables
d'hygiène¦
Rien de
nouveau désespérément sous le triste soleil des cellules ! Il est
vrai que lorsqu'on s'appelle Mohamed ou Gérard, on a moins de lien avec la
presse, les médias et que depuis la prison peut concerner l'élite de ce pays¦ Il
nous faudrait ouvrir les yeux sur des réalités qui n'avaient pas ému grand monde
dans le passé ? Pour Patrick Marest de l'OIP cet appel
"fait gagner dix ans dans le combat mené pour une prison
plus humaine". Conscient que la détresse est la même pour tous les
détenus : VIP ou anonymes, l'Observatoire International des Prisons soutien cet
appel en portant haut et fort des revendications : parloirs intimes,
alternatives à l'enfermement. Ce travail de fond, de terrain, de citoyenneté par
l'édition d'un guide du prisonnier mené par l'OIP s'inscrit dans la ligne des
actions menées par le GIP.
La problématique essentielle est
bien celle d'une prison pensée comme un rêve philanthropique
qui serait moins pire que la mort. Rationaliser l'humain c'est l'exclure et
adopter une prison moderne ou une terminologie propre, sanitaire, aseptisée,
c'est gommer ou tenter de désenchanter la réalité prosaïque : souffrance,
désinsertion, exclusion. Foucault nous interpelle encore aujourd'hui : "Peut-être avons nous honte aujourd'hui de nos prisons. Le XIXème
siècle, lui, était fier des forteresses qu'il construisait aux limites et
parfois au coeur des villes. Il s'enchantait de cette douceur nouvelle qui
remplaçait les échafauds. Il s'émerveillait de ne plus châtier le corps et de
savoir corriger les âmes. Ces murs, ces verrous, ces cellules figuraient toute
une entreprise d'orthopédie sociale". Cette orthopédie
sociale est à son comble avec la loi de 1875 qui prônait la généralisation
de l'emprisonnement cellulaire. L'exemple de la prison de Fresnes est un
éclairage précieux par le truchement des écrits de Christian Carlier qui retrace l'histoire
de cette institution et de sa place dans le champ pénitentiaire actuel.
Autant d'éléments qui ne peuvent rester lettre
morte. En effet, la communauté nationale française est fondée
sur la notion de citoyenneté. L'une des conséquences est que chaque citoyen
porte une part de responsabilité dans les atteintes à la dignité des personnes
humaines, y compris quand il s'agit de détenus ! Ceci ne doit plus être une
utopie !
Tony Ben Lahoucine