16 novembre 2002

Il y a deux jours, l'Idéaliste disait qu'il n'avait pas peur de sa propre mort. Je l'envie.

Je l'envie parce que, sans me terrifier, ma propre mort me fait peur.

Et elle me fait peur parce que si on m'annonçait qu'il me reste quelques minutes à vivre, et que j'avais à faire rapidement le bilan de ma courte existence, j'en arrivais, à tort ou à raison, à l'inexorable conclusion que j'ai gâché ma vie.

Attention, je ne veux pas dire par là qu'il est trop tard. Si je commençais demain matin à vivre le genre de vie que je désire vivre, je suis sûr que j'aurais de bonnes chances d'avoir devant moi encore de nombreuses années pour en jouir pleinement, et que, au crépuscule de mon existence, je pourrais regarder derrière moi et me dire que, oui, après tout, j'ai fait une bonne vie. J'ai souvent entendu des témoignages de gens âgés qui ont affirmé que, pour eux, leur vie a réellement commencé à l'âge de quarante, cinquante, voire soixante ans et même plus. Je ne serais donc pas le seul dans ce genre de situation.

Mais le fait est qu'aujourd'hui, au moment où j'écris ces lignes, je ne considère pas avoir vécu le dixième, voire le centième de ce qu'un être humain décent avec tous mes avantages et tous mes atouts aurait dû avoir vécu à mon âge.

Je vais avoir quarante et un ans dans quelques jours. Et durant ces quarante et une années, je n'ai jamais connu l'amour, ou du moins un amour réciproque; je n'ai jamais eu de relation sexuelle avec une femme que je désirais vraiment; je n'ai fait qu'un ou deux des dizaines de voyages que je voulais faire et que j'avais les moyens de faire; je n'ai pas encore trouvé ma place parmi les gens qui m'entoure; je n'ai jamais trouvé quelqu'un avec qui partager mes vrais passions; et, à part sur le plan professionnel (qui à mes yeux n'a qu'une importance secondaire), ma vie n'est qu'une suite ininterrompue d'échecs de toutes sortes sur les plans social, amical et amoureux.

Alors oui, j'ai peur de la mort. J'ai peur que cette vie, la seule que je possède, se termine sur un échec.

J'ai tellement envie d'être en amour ces temps-ci. Tellement envie de pouvoir enfin une fois, pour la première fois, dire "je t'aime" à une femme et sentir qu'elle veut m'entendre lui dire, que je ne lui dirai jamais assez. Tellement envie de pouvoir laisser tomber toutes mes barrières et m'abandonner totalement à toute cette passion qui bouille en moi, parce que je saurais que cette fois, oui cette fois, le même feu brûle dans le yeux de celle qui plonge son regard dans le mien.

L'autre jour j'étais dans le bureau de la collègue avec qui je m'entend si bien et nous jasions ensemble comme cela nous arrive souvent, lorsqu'elle m'a demandé de m'approcher pour voir quelque chose sur l'écran de son ordinateur. Je me suis donc placé derrière elle et, sans y penser, presque automatiquement, j'ai posé mes mains sur ses épaules et je me suis baissé, ma tête à la hauteur de sa tête, et j'ai appuyé doucement ma joue contre la sienne, en guise d'affection, comme s'il s'agissait de ma copine et que ce genre de contact physique était permis entre nous.

Je me sens si proche d'elle que j'ai fait ce geste machinalement, sans réfléchir, comme s'il était normal que nous puissions partager ce genre d'intimité.

Mais il est trop présomptueux de ma part d'assumer que je peux me permettre ce genre d'intimité avec elle. Nous ne sommes que des collègues de travail. Et, à moins qu'elle en décide autrement, nous ne sommes même pas des amis.

Je me suis redressé presque aussitôt en réalisant que je m'étais permis un geste que je n'ai pas le droit de me permettre.

N'empêche que c'était bon de sentir la douceur de sa peau contre la mienne.

Je sais une chose cependant: durant les quelques secondes qu'a duré cette brève caresse, elle n'a pas fait le moindre geste, le moindre effort pour s'en soustraire.


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