Ces torrents de lave (L'Œuvre, chap. 4) qui renvoient non seulement quelques paragraphes avant le coucher décrit à :

"le reste s'enchevêtrait, des ruelles et des boulevards en pente, une cité de lave noire qui dévalait, où les pluies d'orage roulaient comme des fleuves, sous de formidables éclats de foudre. Oh! les orages de là-bas, elle en frissonnait encore! [...] quand ils se retournaient pour échanger encore une poignée de main, dans l'or du soleil devenu rouge, ils regardaient en arrière, ils retrouvaient à l'autre horizon l'île Saint-Louis, d'où ils venaient, une fin confuse de capitale, que la nuit gagnait déjà, sous le ciel ardoisé de l'orient."

mais encore à la crête de volcan (chap. 11), répondent aussi à la bouche des volcans d'Une Page d'amour, dans une étroite cohésion des comparants de la ville nocturne allumée. Ils perpétuent le jeu des contraires, ici chaleur vs froideur hivernale (comme dans La Bête humaine), après feu vs eau, ou violence vs paisibilité. Toutefois la puissance de la luminosité de la lave vive n'a évidemment pas la dysphorie d'autres contextes, tels :

- Germinal (1885) : [L'écroulement du Voreux, VII, 3] Sous la pression énorme, les charpentes se rompaient et frottaient si fort, qu'il en jaillissait des gerbes d'étincelles. Dès ce moment, la terre ne cessa de trembler, les secousses se succédaient, des affaissements souterrains, des grondements de volcan en éruption. [...] Tout flambait, l'air s'enflammait ainsi que de la poudre, d'un bout à l'autre des galeries. Ce torrent de flamme emporta le porion et les trois ouvriers, remonta le puits, jaillit au grand jour en une éruption, qui crachait des roches et des débris de charpente. [...] Le Tartaret, à la lisière du bois, était une lande inculte, d'une stérilité volcanique, sous laquelle, depuis des siècles, brûlait une mine de houille incendiée.

- La Débâcle (1892) [On note cette accumulation remarquable au dernier chapitre, III, 8 :] Paris brûle [...] Jean Macquart avait saisi Maurice par son bras valide, il le soutint, l'aida à franchir le bout de la rue du Bac, au milieu des maisons qui flambaient maintenant de haut en bas, comme des torches démesurées. Une pluie de tisons ardents tombait sur eux, la chaleur était si intense, que tout le poil de leur face grillait. Puis, quand ils débouchèrent sur le quai, ils restèrent comme aveuglés un instant, sous l'effrayante clarté des incendies, brûlant en gerbes immenses, aux deux bords de la Seine. [...] Les toits s'embrasaient, gercés de lézardes ardentes, s'entrouvrant, comme une terre volcanique, sous la poussée du brasier intérieur. [...] les hautes cheminées monumentales éclataient, avec leurs grands soleils sculptés, d'un rouge de braise. [...] dans un aveuglant reflet de fournaise [...] cette violence d'éruption qui projetait au ciel le zinc de ses toitures. Ensuite, c'était, à côté, la caserne d'Orsay dont tout un pan brûlait, en une colonne haute et blanche, pareille à une tour de lumière. Et c'était enfin, derrière, d'autres incendies encore, les sept maisons de la rue du Bac, les vingt-deux maisons de la rue de Lille, embrasant l'horizon, détachant les flammes sur d'autres flammes, en une mer sanglante et sans fin. [...] La barque, en effet, semblait portée par un fleuve de braise. Sous les reflets dansants de ces foyers immenses, on aurait cru que la Seine roulait des charbons ardents. De brusques éclairs rouges y couraient, dans un grand froissement de tisons jaunes. Et ils descendaient toujours lentement, au fil de cette eau incendiée, entre les palais en flammes, ainsi que dans une rue démesurée de ville maudite, brûlant aux deux bords d'une chaussée de lave en fusion. [...] Et le ciel aussi était mort, les flammes montaient si haut, qu'elles éteignaient les étoiles. [...] Dès le coucher du soleil, l'incendie du Grenier d'abondance avait enflammé les quartiers lointains, en haut de la coulée de la Seine. Aux Tuileries, au Conseil d'Etat, les plafonds devaient crouler, activant le brasier des poutres qui se consumaient, car des foyers partiels s'étaient rallumés, des flammèches et des étincelles montaient par moments. Beaucoup des maisons qu'on croyait éteintes se remettaient ainsi à flamber. Depuis trois jours, l'ombre ne pouvait se faire, sans que la ville parût reprendre feu, comme si les ténèbres eussent soufflé sur les tisons rouges encore, les ravivant, les semant aux quatre coins de l'horizon. Ah! cette ville d'enfer qui rougeoyait dès le crépuscule, allumée pour toute une semaine, éclairant de ses torches monstrueuses les nuits de la semaine sanglante! Et, cette nuit-là, quand les docks de la Villette brûlèrent, la clarté fut si vive sur la cité immense, qu'on put la croire réellement incendiée par tous les bouts, cette fois, envahie et noyée sous les flammes. Dans le ciel saignant, les quartiers rouges, à l'infini, roulaient le flot de leurs toitures de braise. [...] A cette fin si claire d'un beau dimanche, le soleil oblique, au ras de l'horizon, éclairait la ville immense d'une ardente lueur rouge. On aurait dit un soleil de sang, sur une mer sans bornes. Les vitres des milliers de fenêtres braisillaient, comme attisées sous des soufflets invisibles; les toitures s'embrasaient, telles que des lits de charbons; les pans de murailles jaunes, les hauts monuments, couleur de rouille, flambaient avec les pétillements de brusques feux de fagots, dans l'air du soir. Et n'était-ce pas la gerbe finale, le gigantesque bouquet de pourpre, Paris entier brûlant ainsi qu'une fascine géante, une antique forêt sèche, s'envolant au ciel d'un coup, en un vol de flammèches et d'étincelles ? Les incendies continuaient, de grosses fumées rousses montaient toujours, on entendait une rumeur énorme, peut-être les derniers râles des fusillés, à la caserne Lobau, peut-être la joie des femmes et le rire des enfants, dînant dehors après l'heureuse promenade, assis aux portes des marchands de vin. Des maisons et des édifices saccagés, des rues éventrées, de tant de ruines et de tant de souffrances, la vie grondait encore, au milieu du flamboiement de ce royal coucher d'astre, dans lequel Paris achevait de se consumer en braise.

[Cette apothéose était anticipée en II, 8 par :] Ses regards remontèrent vers l'horizon, firent le tour de cette immensité noire, où dormait la menace du lendemain. Au midi, du côté de Bazeilles, des flammèches s'envolaient, au-dessus des maisons qui tombaient en braise; tandis que, vers le nord, la ferme du bois de la Garenne, incendiée le soir, brûlait toujours, ensanglantant les arbres d'une grande clarté rouge. Pas d'autres feux, rien que ces deux flamboiements.

A quoi il convient d'adjoindre le hapax du syntagme suivant dans La Joie de vivre (1884) : "Une pluie de flammèches tombait, il dut se coller contre le bois de la porte pour l'ouvrir, car des poignées de paille enflammées roulaient du toit, ainsi qu'un ruissellement d'eau par un orage".

Avec 102 occ. de BRAIS* vs 6 seulement chez Balzac - toutes "braise" - on constate que ce mot et ses dérivés sont pléthoriques chez Zola.



* Avec le syntagme inaugural du passage "Jean, étranglé, murmura : Ce n'est pas Dieu possible! la rivière va prendre feu", et "eau incendiée", l'oxymore (cf. aussi celle des flammes qui "éteignaient les étoiles") instaure l'ambivalence sémantique de "fleuve de braise", "la Seine roulant des braises", véritable syllepse. En effet, dans cette union des contraires, l'eau devient le comparé, et le feu comparant, alors que les contextes précédents, jusqu'au "torrent de flamme", ou un autre syntagme comme "le reflet de braise avait encore grandi, la mer de flammes semblait gagner les lointains ténébreux de l'horizon, le ciel était comme la voûte d'un four géant, chauffé au rouge clair" (La Débâcle, ibid.) instaurent la métaphore inverse de l'épanchement pour l'incendie (il s'agit ici du feu de guerre destructeur, non du comparant esthétique pour l'éclairement intense et fécond, du type de celui qu'on relevait dans La Faute de l'abbé Mouret : "il pleuvait de larges gouttes de soleil"; Proust ira plus loin dans la synesthésie en personnifiant ainsi les cloches dorées dont le bruit, "pour exprimer et laisser tomber les quelques gouttes d'or que la chaleur y avait lentement et naturellement amassées, venait de presser la plénitude du silence", Du côté de chez Swann). Quant aux "torrents de lave" du comparant volcanique, ils occupent précisément la situation intermédiaire, voire médiatrice, le feu liquide équivalant alors à la Seine incendiée.
Celle-là même qui, dans Une Page d'amour (I, 5), débordait de son lit pour envahir tout le paysage, dans une vision où le merveilleux le dispute au romantisme : "Hélène, depuis huit jours, avait cette distraction du grand Paris élargi devant elle. Jamais elle ne s'en lassait. Il était insondable et changeant comme un océan, candide le matin et incendié le soir, prenant les joies et les tristesses des cieux qu'il reflétait. Un coup de soleil lui faisait rouler des flots d'or [...] Hélène goûtait là toutes les mélancolies et tous les espoirs du large".

** Cf. Baudelaire dans Harmonie du soir : "Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige" (rimant avec des "vertige" et "afflige" très zoliens).

*** La dominante rouge plonge la fin du roman dans une dysphorie (cf. celle de Germinal : "le soleil se couchait, les derniers rayons, d'un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine"; "une révolution prochaine, celle des travailleurs, dont l'incendie embraserait la fin du siècle de cette pourpre de soleil levant, qu'il regardait saigner au ciel", compensée quelques lignes avant par "un flot d'or roulait de l'orient à l'occident, sur la plaine immense") qui contraste avec l'euphorie initiale : "Ce matin-là, le lever de l'astre était d'une magnificence royale, au milieu de grandes nuées de pourpre et d'or", ainsi qu'avec celle des couchants esthétiques d'
Une page d'amour (où la couleur est indice d'émotion - cf. ailleurs les syntagmes stéréotypés "Marie devint pourpre", "le visage de Félicité s'empourpra d'une joie chaude"), mais aussi de La Faute de l'Abbé Mouret (I, 14, mais aussi II, 13 pour la réécriture en comète d'un tel or solaire sur fond de pourpre), de L'Œuvre, par exemple au chap. 8 :

Mais ce qui, surtout, rendait ce tableau terrible, c'était l'étude nouvelle de la lumière, cette décomposition, d'une observation très exacte, et qui contrecarrait toutes les habitudes de l'œil, en accentuant des bleus, des jaunes, des rouges, où personne n'était accoutumé d'en voir. Les Tuileries, au fond, s'évanouissaient en nuée d'or; les pavés saignaient, les passants n'étaient plus que des indications, des taches sombres mangées par la clarté trop vive. Cette fois, les camarades, tout en s'exclamant encore, restèrent gênés, saisis d'une même inquiétude: le martyre était au bout d'une peinture pareille. [...] Comme jadis, l'astre à son déclin les suivait, roulant sur les toits des maisons lointaines, s'écornant derrière la coupole de l'Institut : un coucher éblouissant, tel qu'ils n'en avaient pas eu de plus beau, une lente descente au milieu de petits nuages, qui se changèrent en un treillis de pourpre, dont toutes les mailles lâchaient des flots d'or. Mais, de ce passé qui s'évoquait, rien ne venait qu'une mélancolie invincible, la sensation de l'éternelle fuite, l'impossibilité de remonter et de revivre.

On note ici l'harmonie entre les deux passages qui unissent le sang et or pictural tourmenté au sang et or rapporté à la nostalgie du vrai paysage vu lors d'une promenade.
Pareil sentimentalisme contraste avec la matérialité de L'Argent : "cette royale charité, canaliser ce flot d'or qui coulait sur Paris", ainsi que du Docteur Pascal (ch. 4), chapitre où il est aussi question "d'un roi de pourpre au manteau d'or", syntagme indexé à l'isotopie /luxe/, comme ceux d'Au Bonheur des Dames : "des voitures prenaient au soleil des éclats d'or et de pourpre, dans un rayonnement d'astre" ; couleurs de feu emblématiques de l'enseigne du magasin, dont le merveilleux transparaît ainsi : "d'immenses parasols japonais, où des grues couleur d'or volaient dans un ciel de pourpre, flambaient avec des reflets d'incendie. Mme Marty cherchait une phrase pour dire son ravissement, et elle ne trouva que cette exclamation : - C'est féerique!" (Précisons que l'on n'a relevé ici que la pourpre et l'or en connexion avec l'éclairage, le feu célestes).