L'extrait du paysage parisien d'Une page d'amour réitère la comparaison : "La Seine avait l’éclat terni d’un vieux lingot d’argent", laquelle renvoie à Germinal : "C’était sa promenade favorite, un sentier gazonné de deux lieues, filant tout droit, le long de cette eau géométrique, qui se déroulait pareille à un lingot sans fin d’argent fondu." Ces extraits s'apparentent aux contextes matérialistes de La Joie de vivre : "La fortune leur parut certaine. Et, dès lors, cet espoir les entêta, ils réagirent contre les avertissements de ruine, l’usine devint un gouffre, où ils jetaient l’argent à poignées, toujours persuadés qu’ils le retrouveraient en un lingot d’or, au fond." Ou, de façon plus perceptible, de L'Argent :

Il s’épanouit, à la caresse de cette voix, comme si elle lui confirmait le bon présage. Justement, Kolb se trouvait en bas, à l’atelier de fonte ; et, en ami de la maison, Saccard descendit l’y rejoindre. Dans le sous-sol nu, que de larges flammes de gaz éclairaient éternellement, les deux fondeurs vidaient à la pelle les caisses doublées de zinc, pleines, ce jour-là, de pièces espagnoles, qu’ils jetaient au creuset, sur le grand fourneau carré. La chaleur était forte, il fallait parler haut pour s’entendre, au milieu de cette sonnerie d’harmonica, vibrante sous la voûte basse. Des lingots fondus, des pavés d’or, d’un éclat vif de métal neuf, s’alignaient le long de la table du chimiste-essayeur, qui en arrêtait les titres. [...] car l’arbitrage sur l’or, cette différence réalisée entre deux cours, étant des plus minimes, s’appréciant par millièmes, ne peut donner un gain que sur des quantités considérables de métal fondu. De là, ce tintement d’or, ce ruissellement d’or, du matin au soir, d’un bout de l’année à l’autre, au fond de cette cave, où l’or venait en pièces monnayées, d’où il partait en lingots, pour revenir en pièces et repartir en lingots, indéfiniment, dans l’unique but de laisser aux mains du trafiquant quelques parcelles d’or. [...] la maison Kolb, un banquier qui s’occupait surtout d’arbitrages sur l’or, achetant le numéraire dans les Etats où il était à bas cours, puis le fondant, pour vendre les lingots ailleurs, dans les pays où l’or était en hausse ; et, du matin au soir, les jours de fonte, montait du sous-sol ce bruit cristallin des pièces d’or, remuées à la pelle, prises dans des caisses, jetées dans le creuset.

Mais la cohésion de l'extrait d'Une page d'amour est plus forte avec celui de La Curée (1872), ne serait-ce que par l'une de leurs similitudes, le rôle de l'effet lumineux céleste :

Dans la pièce, sur les jupes de satin aux plis durs et vernis comme de la porcelaine, sur les épaules dont les blancheurs laiteuses s'étoilaient de diamants, une lumière de féerie tombait en poussière d'or. [...] On était à l'automne; la ville, sous le grand ciel pâle, s'alanguissait, d'un gris doux et tendre, piqué çà et là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges feuilles de nénuphars nageant sur un lac; le soleil se couchait dans un nuage rouge, et, tandis que les fonds s'emplissaient d'une brume légère, une poussière d'or, une rosée d'or tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des Tuileries. C'était comme le coin enchanté d'une cité des Mille et Une Nuits, aux arbres d'émeraude, aux toits de saphir, aux girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d'or dans un creuset. "Oh! vois, dit Saccard, avec un rire d'enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris!" [...] Mille clartés dansantes s'allumèrent, des éclairs rapides se croisèrent dans les roues, des étincelles jaillirent des harnais secoués par les chevaux [...] ce flamboiement des panneaux vernis dans lesquels brûlait la braise rouge du soleil couchant [...] une lueur de braise, un coucher de soleil à demi éteint qui n'enflammait qu'un bout de l'immensité grise. [...] Renée, dans sa songerie, s'amusait à voir, au bord de l'horizon, s'allumer un à un les becs de gaz de la place de l'Etoile, et à mesure que ces lueurs vives tachaient le jour mourant de petites flammes jaunes, elle croyait entendre des appels secrets, il lui semblait que le Paris flamboyant des nuits d'hiver s'illuminait pour elle, lui préparait la jouissance inconnue que rêvait son assouvissement. [...] Et seules encore, dans la masse noire de l'hôtel, où le premier des grands dîners de l'automne allait bientôt allumer les lustres, les fenêtres basses flambaient, toutes braisillantes, jetant sur le petit pavé de la cour, régulier et net comme un damier, des lueurs vives d'incendie. [...] les grandes pièces semblaient des fontaines de feu; des éclairs couraient dans le flanc poli des réchauds; les fourchettes, les cuillers, les couteaux à manches de nacre, faisaient des barres de flammes; des arcs-en-ciel allumaient les verres; et, au milieu de cette pluie d'étincelles, dans cette masse incandescente [...] cette moire d'étoffes claires et d'épaules nues, toutes braisillantes des étincelles vives des bijoux. Les femmes étaient seules travesties. Il faisait déjà chaud. Les trois lustres allumaient le ruissellement d'or du salon. [...] Il connaissait son Paris sur le bout du doigt; il savait que la pluie d'or qui en battait les murs tomberait plus dru chaque jour. [...] Cependant la fortune des Saccard semblait à son apogée. Elle brûlait en plein Paris comme un feu de joie colossal. C'était l'heure où la curée ardente emplit un coin de forêt de l'aboiement des chiens, du claquement des fouets, du flamboiement des torches.

Les répétitions insistantes qui semblent un trait caractéristique de l'écriture zolienne, selon l'esthétique wagnérienne du leitmotiv, se manifestent par la reprise des syntagmes qui nous intéressent, quelques chapitres plus loin :

Pas un volet n'était mis, les trottoirs s'allongeaient sans une raie d'ombre, sous une pluie de rayons qui les éclairait d'une poussière d'or, de la clarté chaude et éclatante du plein jour. [...] Le rayon électrique tombait sur une splendeur flambante, dans laquelle les spectateurs ne virent d'abord qu'un brasier, où des lingots d'or et des pierres précieuses semblaient se fondre. Une nouvelle grotte se creusait [...] où les califes des Mille et Une Nuits avaient vidé leur trésor. [...] Le soleil, haut sur l'horizon, coulait, emplissait d'une poussière d'or les creux des feuillages, allumait les branches hautes, changeait cet océan de feuilles en un océan de lumière. [...] Elle ne se sentait pas d'indignation contre ces mangeurs de curée. Mais elle les haïssait, pour leur joie, pour ce triomphe qui les lui montraient en pleine poussière d'or du ciel.

On constate le jeu descriptif consistant à alterner les deux types d'éclairage, artificiel et naturel, leur point commun étant le feu, ce que confirment d'autres romans, tel l'incipit du Ventre de Paris (1873) où "les flammes d'incendie du levant" précèdent immédiatement leur résultat : "En haut, une vitre s'allumait, une goutte de clarté roulait jusqu'aux gouttières, le long de la pente des larges plaques de zinc. Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d'or volante." Syntagme par ailleurs indifférent au moment du jour : "le grenadier en boutons baignait dans la poussière d'or du soleil couchant" (avec l'hypallage du coloris dans "le grand vaisseau de Saint-Eustache était tout doré dans la poussière du soleil", ibid.). Troisième et dernière occurrence du roman : "Les après-midi étaient encore très chaudes. Le long des allées étroites, les femmes, assises, plumaient. Des raies de soleil tombaient entre les tentes relevées, les plumes volaient sous les doigts, pareilles à une neige dansante, dans l'air ardent, dans la poussière d'or des rayons. [...] la lumière de cinq heures, la poussière volante des derniers rayons." Le dynamisme engendre cette épitihète dans L'Assommoir : "ce coup de soleil, cette nappe de poussière d'or dansante". Rapporté au passage suivant du même roman, le syntagme provoque une syllepse sur le syntagme, à la fois matérialiste et spiritualisé par la légèreté naturelle impalpable : "Avait-on jamais vu un pareil grigou ! croire qu'on allait lui emporter trois grains de sa poussière d'or! Toutes ces histoires, c'était de l'avarice pure. [...] A cette heure, le soleil tombait d'aplomb sur la devanture, le trottoir renvoyait une réverbération ardente, dont les grandes moires dansaient au plafond de la boutique ; et ce coup de lumière, bleui par le reflet du papier des étagères et de la vitrine, mettait au-dessus de l'établi un jour aveuglant, comme une poussière de soleil tamisée dans les linges fins." Toujours sur l'isotopie /décor luxueux/ (cf. le taxème comparant //joyaux// : émeraude, rubis, saphir, lingot; autant de richesses matérielles que spiritualise ici le merveilleux enchanteur, ailleurs la religion ou l'émotion esthétique, soit une valorisation que contredit le point de vue de la jeune femme), on relèvera les deux autres occurrences du syntagme braise de pierreries :

- Le Rêve (1888, chap. 14) : Alors, la solennité commença. Tout le clergé était présent, des prêtres étaient venus des paroisses, pour honorer leur évêque. Dans ce flot blanc des surplis, dont les grilles débordaient, luisaient les chapes d'or des chantres et les robes rouges des enfants de chœur. L'éternelle nuit des bas-côtés, sous l'écrasement des chapelles romanes, s'éclairait ce matin-là du limpide soleil d'avril, allumant les vitraux, où rougeoyait une braise de pierreries. Mais l'ombre de la nef, surtout, flambait d'un fourmillement de cierges, des cierges aussi nombreux que les étoiles en un ciel d'été : au milieu, le maître-autel en était incendié, l'ardent buisson symbolique brûlant du feu des âmes;

Cf. aussi cet extrait de La Joie de vivre (1884, chap. 2) : "Au ciel, le fourmillement des astres croissait de minute en minute, ainsi que des pelletées de braise jetées au travers de l'infini." Soit une de ces braises de réalisme transcendant dû localement à leur statut de comparant du céleste, par opposition au réalisme empirique que symbolise par exemple un tison au foyer remué de façon très terre-à-terre : Zola cultive les deux formes de mimesis (avec des cas intermédiaires comme ces passages de Germinal "La nuit, les braves qui osaient risquer un œil à ces trous juraient y voir des flammes, les âmes criminelles en train de grésiller dans la braise intérieure. [...] Cinq heures allaient sonner, le soleil d'une rougeur de braise, au bord de l'horizon, incendiait la plaine immense.").

Quant à cette phrase extraite du Rêve, "Ce beau soleil criblant les rues, c'était comme la pluie d'or, les aumônes des contes de fées, qui ruisselaient de ses mains frêles." elle confirme la cohésion descriptive avec le chap. 8 antérieur : "les ailes envolées des surplis, que les petites flammes des cierges criblaient de leurs étoiles d'or pâli. [...] Et, peu à peu, alors, l'église s'éclaira, se peupla de ces flammes, illuminée, criblée de centaines d'étoiles, comme un ciel d'été." Alors qu'au chap. 12 de L'Œuvre la saison s'est modifiée avec "Paris criblé d'étoiles, comme un ciel d'hiver"... Ici encore, on s'éloigne de la phraséologie terre-à-terre criblant de balles (La Débâcle), criblé de dettes (L'Assommoir), criblé de taches de rousseurs, voire des machines cribleuses (Germinal).

- Son Excellence Eugène Rougon (1883, chap. 4) : Entre les deux larges rideaux, l'église se creusait, immense, dans une vision surhumaine de tabernacle. Les voûtes, d'un bleu tendre, étaient semées d'étoiles. Les verrières étalaient, autour de ce firmament, des astres mystiques, attisant les petites flammes vives d'une braise de pierreries. Partout, des hautes colonnes, tombait une draperie de velours rouge, qui mangeait le peu de jour traînant sous la nef; et, dans cette nuit rouge, brûlait seul, au milieu, un ardent foyer de cierges, des milliers de cierges en tas, plantés si près les uns des autres, qu'il y avait là comme un soleil unique, flambant dans une pluie d'étincelles. [...] le cortège entier baignait dans le soleil; les uniformes, les toilettes, les harnais flambaient; les voitures, toutes braisillantes, emplies d'une lueur d'astre, envoyaient des reflets de glace qui dansaient. [...] Une grande buée saignante flottait. [...] L'empereur se détachait en noir sur le flamboiement d'or, que les évêques allumaient derrière lui.

Au chapitre suivant, c'est l'héroïne Clorinde, comète de brasserie, qui "portait crânement, sur ses cheveux roulés, son chapeau d'homme, autour duquel une gaze mettait un nuage bleuâtre, tout poudré de la poussière d'or du soleil. [...] en regardant au loin les toits des Tuileries, qui bleuissaient dans une poussière de soleil. [...] Le soleil couchant enfilait l'avenue d'une poussière de soleil qui poudrait les arbres, comme si les roues eussent soulevé ce nuage de lumière rousse. [...] Sous le jour tombant des hautes baies vitrées, les épaules de Clorinde se moirèrent d'un reflet d'or. [...] une poussière diffuse de soleil, un air BLOND et vif, immobile comme une eau dormante." (Syntagme réitéré dans Au Bonheur des Dames : "Le ciel demeurait voilé, une douceur de pluie attiédissait l'air, malgré la saison ; et, dans ce jour blanc, où il y avait comme une poussière diffuse de soleil, le grand magasin s'animait, en pleine vente.") Soit une pulvérulence pléonastique qui rend sa parure naturelle, et séduisante auprès de Rougon.

Dans ce roman, le feu comparant est bien de type aristocratique, chap. 7 : "La vaisselle plate mettait au bord de la nappe un cordon de lunes d'argent; tandis que les flancs des réchauds où se reflétait la braise des bougies, les cristaux ruisselants de gouttes de flammes, les corbeilles de fruits et les vases de fleurs d'un rose vif, faisaient du couvert impérial une splendeur dont la clarté flottante emplissait l'immense pièce."

Ces décors bourgeois et raffinés contrastent avec le finale de L'Assommoir (1877), dans sa simplicité populaire : "Gervaise reprit lentement sa marche. Dans le brouillard d'ombre fumeuse qui tombait, les becs de gaz s'allumaient ; et ces longues avenues, peu à peu noyées et devenues noires, reparaissaient toutes braisillantes,
s'allongeant encore et coupant la nuit, jusqu'aux ténèbres perdues de l'horizon. Un grand souffle passait, le quartier élargi enfonçait des cordons de petites flammes sous le ciel immense et sans lune. C'était l'heure, où d'un bout à l'autre des boulevards, les marchands de vin, les bastringues, les bousingots, à la file, flambaient gaiement dans la rigolade des premières tournées et du premier chahut."

Quant au dérivé du verbe bra(i)siller ("présenter une traînée de lumière, en parlant de la mer frappée obliquement par des rayons lumineux, ou devenant phosphorescente dans la trace du bâtiment", Littré), il est intéressant à suivre dans la mesure où sa définition, lexicalisant plusieurs sèmes de 'comète', entraîne des corrélats qui créent la cohésion entre passages descriptifs de romans différents :

- L'Œuvre (1886), chap. 2, où l'effet solaire est transposé dans le tableau : "Dans un trou de forêt, aux murs épais de verdure, tombait une ondée de soleil; seule, à gauche, une allée sombre s'enfonçait, avec une tache de lumière, très loin. Là, sur l'herbe, au milieu des végétations de juin, une femme nue était couchée, un bras sous la tête, enflant la gorge; et elle souriait, sans regard, les paupières closes, dans la pluie d'or qui la baignait."

Chap. 9 : "Il voulut la voir sous le soleil à son déclin, se laissant reprendre par la nuit montée peu à peu de la rivière, gardant aux arêtes des monuments les franges de braise d'un charbon près de s'éteindre, avec de derniers incendies qui se rallumaient dans des fenêtres, de brusques flambées de vitres qui lançaient des flammèches et trouaient les façades." Si bien que "le soleil pénétrait en minces flèches de flamme" (chap. 6).

Chap. 11, lors d'un dîner de peintres (juste avant
le Paris nocturne devenu lui aussi de braise) : "Et la table surtout braisillait au milieu, en chapelle ardente, sous la suspension garnie de bougies, avec la blancheur de sa nappe, qui détachait la belle ordonnance du couvert, les assiettes peintes, les verres taillés, les carafes blanches et rouges, les hors-d'œuvre symétriques, rangés autour du bouquet central, une corbeille de roses pourpres."

Chap. 5, cf. le comparant stellaire affectant d'autres matières, lors d'un Salon qui refuse pourtant le protagoniste Claude : "Dehors, ils respirèrent bruyamment, d'un air de délices, en rentrant dans la bonne nature printanière. Quatre heures sonnaient à peine, le soleil oblique enfilait les Champs-Elysées; et tout flambait, les queues serrées des équipages, les feuillages neufs des arbres, les gerbes des bassins qui jaillissaient et s'envolaient en une poussière d'or. [...] ils avaient devant eux la chaussée ensoleillée de l'avenue, ils y voyaient passer Paris à travers une gloire, les voitures aux roues rayonnantes comme des astres, les grands omnibus jaunes plus dorés que des chars de triomphe, des cavaliers dont les montures semblaient jeter des étincelles, des piétons qui se transfiguraient et resplendissaient dans la lumière."

De tels corrélats incitent à rapprocher ce passage de ceux d'Une Page d'amour :

- (I, 4) : Hélène entrait dans le soleil, dans ce BLOND soleil de février, pleuvant comme une poussière d'or. Ses cheveux châtains, aux reflets d'ambre, s'allumaient; et l'on aurait dit qu'elle flambait tout entière [...] dans le ciel pâle, le soleil mettait une poussière de lumière BLONDE. C'était, entre les branches sans feuilles, une pluie lente de rayons.

- (V, 4) : Sous les tentures, des branches d'arbres faisaient un berceau, avec leurs bourgeons violâtres. C'était un coin de printemps, où tombait, par un écartement des draperies, la poussière d'or du large rayon qui épanouissait les fleurs coupées, dont la bière était couverte. [...] Les rares passants de la rue Vineuse s'arrêtaient, avec un sourire ému, devant ce jardin ensoleillé où cette petite morte dormait sous les fleurs. Tout ce blanc chantait, une pureté éclatante flambait dans la lumière, [...] A l'horizon, Paris BLONDISSAIT sous la radieuse matinée de printemps.

Dans le paysage matinal suivant, si le laiteux est indexé à /fécondité/, c'est en relation avec l'euphorie de la dorure, ainsi qu'avec le point de vue d'Hélène l'héroïne dont la vie sentimentale est marquée par le renouveau :

- (I, 5) : Une vapeur, qui suivait la vallée de la Seine, avait noyé les deux rives. C'était une buée légère, comme laiteuse, que le soleil peu à peu grandi éclairait. On ne distinguait rien de la ville, sous cette mousseline flottante, couleur du temps. Dans les creux, le nuage épaissi se fonçait d'une teinte bleuâtre, tandis que, sur de larges espaces, des transparences se faisaient, d'une finesse extrême, poussière dorée où l'on devinait l'enfoncement des rues. [...] Et, au-dessus de cette immensité, de cette nuée descendue et endormie sur Paris, un ciel très pur, d'un bleu effacé, presque blanc, déployait sa voûte profonde. Le soleil montait dans un poudroiement adouci de rayons. Une clarté BLONDE, du BLOND vague de l'enfance, se brisait en pluie, emplissait l'espace de son frisson tiède. C'était une fête, une paix souveraine et une gaieté tendre de l'infini, pendant que la ville, criblée de flèches d'or, paresseuse et somnolente, ne se décidait point à se montrer sous ses dentelles. [...] vers Montmartre, c'était comme une lueur de braise, du carmin flambant dans de l'or [...] les tours de Notre-Dame, toutes dorées, se dressaient comme les bornes de l'horizon, au-delà desquelles la rivière, les constructions, les massifs d'arbres n'étaient plus que de la poussière de soleil.

Même un roman comme Nana n'échappe pas à pareille poésie, sans doute par harmonie avec le physique de l'héroïne :

Le dimanche, l'après-midi fut d'une douceur exquise. On avait craint de la pluie, vers dix heures; mais le ciel, sans se découvrir, s'était comme fondu en un brouillard laiteux, en une poussière lumineuse, toute BLONDE de soleil. [...] Muffat suivait ces fuites de chair BLONDE se noyant dans des lueurs dorées, [...] C'était la bête d'or [ayant] la peau chaude d'une moiteur dorée. [...] sous le velours de Gênes, les ors et les peintures, les lustres dégageaient une chaleur vivante, une poussière de soleil [...] Ce dimanche-là, par un ciel orageux des premières chaleurs de juin, on courait le Grand Prix de Paris au bois de Boulogne. Le matin, le soleil s' était levé dans une poussière rousse.

Néanmoins de telles nébulosités n'ont pas systématiquement une telle vénusté ; tel ce paysage de La Bête humaine où, par assimilation, "lumière égale" paraphrase la nuée éclairée "uniforme", et l'épithète "laiteuse" acquiert la dysphorie de "morte" :

Dans le ciel, une nuée laiteuse, uniforme, s'était épandue, et la pleine lune, qu'on ne voyait pas, noyée derrière, éclairait toute la voûte d'un reflet rougeâtre. Aussi distinguait-il nettement la campagne, dont les terres autour de lui, les coteaux, les arbres se détachaient en noir, sous cette lumière égale et morte, d'une paix de veilleuse.

Plus encore, quand Jacques "vit blanchir les vitres, une pâleur laiteuse", celle-ci renvoie quelques lignes plus bas, non plus à la neige environnante et au "brouillard laiteux" de "linceul" (chap. 7, supra, à propos de la comète) qui inquiètent les conducteurs de la Lison, mais à l'objet de sa pulsion meurtrière : "la vue de cette gorge blanche le prenait tout entier, d'une fascination soudaine, inexorable ; et, en lui, avec une horreur consciente encore, il sentait grandir l'impérieux besoin d'aller chercher le couteau, sur la table, de revenir l'enfoncer jusqu'au manche, dans cette chair de femme."

Mais revenons à des criblages plus innocents. De nouveau dans Une Page d'amour, (III, 4) : "Ce jour-là, le temps était plus chaud encore. Une grêle de flèches d'or criblait les feuillages. Jeanne, qui commençait à devenir forte, marcha pendant près de dix minutes, appuyée au bras de sa mère."

- De même, quand la tristesse guerrière de La Débâcle est interrompue par cette tonalité euphorique : "Et violents, exaspérés encore, dans leurs uniformes en guenilles, gris de poussière, Coutard et Picot se coupaient du pain, avalaient de gros morceaux de fromage, en jetant le cauchemar de leurs souvenirs, sous la jolie treille, aux grappes mûres, criblées par les flèches d'or du soleil."

- Ou dans le chapitre ultime du Docteur Pascal : "L'amour, comme le soleil, baigne la terre, et la bonté est le grand fleuve où boivent tous les cœurs. [...] Au-dehors, le soleil baissait, les flèches d'or n'entraient plus que très minces et obliques, par les fentes."



La seconde et dernière occurrence du syntagme est attestée dans

- La Fortune des Rougon (1871, chap. 5) : Du ciel endormi tombait une pluie chaude d'étoiles. Et, sous le frisson de ce ciel, de ces eaux, de cette ombre, les enfants, couchés sur le dos, en pleine herbe, côte à côte, pâmés et les regards perdus dans le noir, cherchaient leur main, échangeaient une étreinte courte.

- Toujours sur l'isotopie /émerveillement/, cf. Une Page d'amour (1878, III, 1) : un lustre de cristal tout flambant tombait de la voûte; d'immenses candélabres alignaient des gradins de cierges, qui piquaient d'une pluie d'étoiles symétriques les fonds de ténèbres de l'église [...] en entrant dans l'église chaude, toute braisillante de cierges, c'était une sensation de mollesse et d'apaisement, qui peu à peu devenait nécessaire à Hélène [...]

- Ou encore Le Rêve (1888, chap. 3) : Maintenant, ce rêve de fille pauvre, Angélique le brodait de son fil d'or; c'était de lui que naissaient, sur le satin blanc, et les grands lis, et les roses, et le chiffre de Marie. La tige du lis, en couchure chevronnée, avait l'élancement d'un jet de lumière, tandis que les feuilles longues et minces, faites de paillettes cousues chacune avec un brin de cannetille, retombaient en une pluie d'étoiles. Au centre, le chiffre de Marie était l'éblouissement, d'un relief d'or massif, ouvragé de guipure et de gaufrure, brûlant comme une gloire de tabernacle, dans l'incendie mystique de ses rayons.

L'isotopie /religion/ indexe encore le comparant céleste des fleurs comparées, dans les pastels de Clotilde du Docteur Pascal (1893), précisément "obtenues par des fécondations artificielles", et dont l'univers du dessin évite la contradiction entre la braise solaire et les étoiles, entre monde réel et monde représenté :

- (chap. 1) : Dans la chaleur de l'ardente après-midi de juillet, la salle, aux volets soigneusement clos, était pleine d'un grand calme. Il ne venait, des trois fenêtres, que de minces flèches de lumière, par les fentes des vieilles boiseries; et c'était, au milieu de l'ombre, une clarté très douce, baignant les objets d'une lueur diffuse et tendre. Il faisait là relativement frais, dans l'écrasement torride qu'on sentait au-dehors, sous le coup de soleil qui incendiait la façade. [...] elle venait de jeter, sur une autre feuille, toute une grappe de fleurs imaginaires, [...] retombait toujours dans cette floraison extraordinaire, d'une fougue, d'une fantaisie telles que jamais elle ne se répétait, créant des roses au cœur saignant, pleurant des larmes de soufre, des lis pareils à des urnes de cristal, des fleurs même sans forme connue, élargissant des rayons d'astre, laissant flotter des corolles ainsi que des nuées. Ce jour-là, sur la feuille sabrée à grands coups de crayon noir, c'était une pluie d'étoiles pâles [réitérée chap. 8 : Sur un fond de fleurs jetées, des fleurs en pluie d'étoiles, d'un luxe barbare, le vieux roi se présentait de face [...] Et il était très grand, et elle était très pure, et il sortait d'eux comme un rayonnement d'astre] [...] Par l'entrebâillement, un jet d'ardente lumière, un flot de braises dansantes pénétra. Et l'on aperçut, sous le ciel d'un bleu violâtre d'incendie, la vaste campagne brûlée, comme endormie et morte dans cet anéantissement de fournaise; [...] L'ardente pluie de braise avait cessé, il n'y avait plus, tombant de haut, que le dernier frisson du ciel surchauffé et pâlissant; et, de la terre brûlante encore, montaient des odeurs chaudes, avec la respiration soulagée du soir.

- (chap. 4) : Elle se passionna encore sur un dessin fou, des fleurs de rêve, une extraordinaire floraison épanouie au soleil du miracle, tout un jaillissement de rayons d'or en forme d'épis, au milieu de larges corolles de pourpre, pareilles à des cœurs ouverts, d'où montaient, en guise de pistils, des fusées d'astres, des milliards de mondes coulant au ciel ainsi qu'une voie lactée. [...] Maintenant, elle sabrait le pastel à larges coups de crayon bleu, elle en détachait le flamboiement sur une limpide nuit d'été. [...] de ses grands yeux immobiles, élargis et fixes, ses regards semblaient monter plus haut, parmi les étoiles. Elle était toute dans l'infini pur de ce ciel d'été, au milieu des astres. [...] Mais il n'y a là qu'une halte, la marche en avant continuera, hors de notre vue, dans l'infini de l'espace. Un instant, ils se turent, sans un mouvement, les regards perdus parmi les milliards de mondes, qui luisaient au ciel sombre. Une étoile filante traversa d'un trait de flamme la constellation de Cassiopée. Et l'univers illuminé, là-haut, tournait lentement sur son axe, dans une splendeur sacrée, tandis que, de la terre ténébreuse, autour d'eux, ne s'élevait qu'un petit souffle, une haleine douce et chaude de femme endormie. [...] La nuit était admirable, une nuit de septembre, brûlante encore, avec un ciel immense, criblé d'étoiles, dans son infini de velours sombre; et, au fond de ce ciel sans lune, les étoiles luisaient si vives et si larges, qu'elles éclairaient la terre [...]

- Du dessin au pendentif (chap. 10, 11, 14), toujours dans un contexte de fécondité dû à l'allaitement de l'enfant par Clotilde, d'autant plus valorisé qu'il sera réitéré à la dernière ligne du roman, et de la saga :

A son cou, la mince chaîne n'était qu'un fil d'or, et elle aperçut les sept perles comme des étoiles laiteuses, nées là et doucement luisantes sur la soie de sa peau. [...] elle tira la chaîne mince où luisaient les sept perles, comme des étoiles laiteuses; et il sembla qu'elle sortait un peu de sa nudité intime, que tout le bouquet vivant de son corps s'exhalait de cet unique bijou, gardé sur sa peau, dans le mystère le plus caché de sa personne. [...] Et Clotilde gardait son inconscient sourire, à le voir, si vigoureux, se nourrir d'elle. Les premières semaines, elle avait beaucoup souffert d'une crevasse ; maintenant encore, le sein restait sensible ; mais elle souriait quand même, de cet air paisible des mères, heureuses de donner leur lait, comme elles donneraient leur sang. Quand elle avait dégrafé son corsage, et que sa gorge, sa nudité de mère s'était montrée, un autre mystère d'elle, un de ses secrets les plus cachés et les plus délicieux, était apparu: le fin collier aux sept perles, les étoiles laiteuses, que le maître avait mises à son cou, un jour de misère, dans sa folie passionnée du don. Depuis qu'il était là, personne ne l'avait plus revu. Il faisait comme partie de sa pudeur, il était de sa chair, si simple, si enfantin. Et, tout le temps que l'enfant tétait, elle seule le revoyait, attendrie, revivant le souvenir des baisers dont il semblait avoir gardé l'odeur tiède. Une bouffée de musique, au loin, étonna Clotilde. Elle tourna la tête, regarda vers la campagne, toute BLONDE et dorée par le soleil oblique.[...] par une éclatante journée de la fin du mois d'août, au ciel de braise [...] (Par contiguïté, la femme deviendra dans Germinal une "Cérès dorée par l'automne").

Le vieux savant éponyme, Le Docteur Pascal, au nom paradoxalement chrétien, interrompt ainsi sa discussion agitée sur la science expérimentale avec sa nièce Clotilde (laquelle héritera de l'attribut stellaire par "son visage d'astre, qui secouait en riant les boucles de ses cheveux dorés", chap. 7), pour un spectacle moins matérialiste, où le monde céleste pose le problème de la foi. C'est parce qu'il éprouve le "remords de s'être montré tolérant, de n'avoir pas dirigé en maître absolu l'éducation et l'instruction de Clotilde" que Pascal se veut didactique, par antithèse de l'endoctrinement du capucin :

"nous en sommes bien à ce tournant de la fin du siècle, dans la fatigue, dans l'énervement de l'effroyable masse de connaissances qu'il a remuées... Et c'est l'éternel besoin de mensonge, l'éternel besoin d'illusion qui travaille l'humanité et la ramène en arrière, au charme berceur de l'inconnu... Puisqu'on ne saura jamais tout, à quoi bon savoir davantage? Du moment que la vérité conquise ne donne pas le bonheur immédiat et certain, pourquoi ne pas se contenter de l'ignorance, cette couche obscure où l'humanité a dormi pesamment son premier âge?... Oui! c'est le retour offensif du mystère, c'est la réaction à cent ans d'enquête expérimentale. [...] Tout ce qu'on propose, les retours en arrière, les religions mortes, les religions replâtrées, aménagées, selon les besoins nouveaux, sont un leurre... Connais donc la vie, aime-la, vis-la telle qu'elle doit être vécue: il n'y a pas d'autre sagesse."

De là sa critique du retour à la foi devant le spectacle des astres ainsi indexé à /science/ (astronomie) vs /superstition/ (religiosité), "l'infini de l'espace" ouvrant aux interrogations métaphysiques. Mais la nièce persiste et tient tête au savant, jusqu'à "la brouille farouche" : "Ce soir, à l'église, il avait raison: la terre est gâtée, la science n'en étale que la pourriture, c'est en haut qu'il faut nous réfugier tous... Oh! maître, je t'en supplie, laisse-moi me sauver, laisse-moi te sauver toi-même! [...] Que peut-il nous manquer, si ce n'est Dieu? Agenouille-toi, prie avec moi! Il se dégagea, irrité à son tour. - Tais-toi, tu déraisonnes. Je t'ai laissée libre, laisse-moi libre. - Maître, maître! c'est notre bonheur que je veux!... Je t'emporterai loin, très loin. Nous irons dans une solitude vivre en Dieu! - Tais-toi!... Non, jamais!"

Quant au feu, reconnu par la critique comme un élément organisateur de ce dernier volume de la saga, il perd finalement son statut esthétique d'éclairement astral, pour acquérir une valeur destructrice en brûlant les notes archivées du savant sur l'hérédité, attentant ainsi à la mémoire généalogique de la famille à laquelle il consacrait son énergie; pour son entourage, féminin, les flammes permettent de se libérer d'une damnation, selon une logique manichéenne car dès le début du roman la mère de Pascal, Félicité, considérait que "la science tue le bon Dieu" :

- (chap. 13) : Dès lors, le feu ne cessa plus, la haute cheminée s'emplit d'un flamboiement, d'une gerbe claire d'incendie, qui, par instants, ne se ralentissait que pour s'élever avec une intensité accrue, quand des aliments nouveaux la rallumaient. Un brasier s'élargissait peu à peu, un tas de cendre fine montait, une couche épaissie de feuilles noires où couraient des raillions d'étincelles.



Systématiquement, le syntagme figé "étoile filante", au cours du récit, se trouve dans un segment descriptif d'une nature poétisée; ce faisant, il a pour fonction de détourner l'attention des problèmes actuels des protagonistes, non seulement dans Une Page d'amour (1878) ou Le Docteur Pascal (1893) - les deux romans où sont attestées les deux seules occurrences du syntagme "voie lactée" (en revanche les occurrences de "étoile*" dominent dans La Faute de l'Abbé Mouret et Le Docteur Pascal) - mais aussi dans La Conquête de Plassans (1874), dans un climat similaire où l'initiateur de la jeune fille prend alternativement la figure du religieux ou du scientifique :

Et parfois Marthe, attendrie, pénétrée d'une langueur qui ralentissait les paroles sur ses lèvres, s'arrêtait, en voyant la fusée d'or de quelque étoile filante. Elle souriait, la tête un peu renversée, regardant le ciel. "Encore une âme du purgatoire qui entre au paradis", murmurait-elle. Puis, le prêtre restant silencieux, elle ajoutait : "Ce sont de charmantes croyances, toutes ces naïvetés... On devrait rester petite fille, monsieur l'abbé."



- Dans Au Bonheur des Dames (1883), le matérialisme du symbole de la société de consommation est momentanément mis en sourdine par la vision cosmique, au chapitre ultime :

Six heures allaient sonner, le jour qui baissait au-dehors se retirait des galeries couvertes, noires déjà, pâlissait au fond des halls, envahis de lentes ténèbres. Et, dans ce jour mal éteint encore, s'allumaient, une à une, des lampes électriques, dont les globes d'une blancheur opaque constellaient de lunes intenses les profondeurs lointaines des comptoirs. C'était une clarté blanche, d'une aveuglante fixité, épandue comme une réverbération d'astre décoloré, et qui tuait le crépuscule. Puis, lorsque toutes brûlèrent, il y eut un murmure ravi de la foule, la grande exposition de blanc prenait une splendeur féerique d'apothéose, sous cet éclairage nouveau. Il sembla que cette colossale débauche de blanc brûlait elle aussi, devenait de la lumière. La chanson du blanc s'envolait dans la blancheur enflammée d'une aurore. Une lueur blanche jaillissait des toiles et des calicots de la galerie Monsigny, pareille à la bande vive qui blanchit le ciel la première, du côté de l'Orient; tandis que, le long de la galerie Michodière, la mercerie et la passementerie, les articles de Paris et les rubans, jetaient des reflets de coteaux éloignés, l'éclair blanc des boutons de nacre, des bronzes argentés et des perles. Mais la nef centrale surtout chantait le blanc trempé de flammes : les bouillonnés de mousseline blanche autour des colonnes, les basins et les piqués blancs qui drapaient les escaliers, les couvertures blanches accrochées comme des bannières, les guipures et les dentelles blanches volant dans l'air, ouvraient un firmament du rêve, une trouée sur la blancheur éblouissante d'un paradis, où l'on célébrait les noces de la reine inconnue. La tente du hall des soieries en était l'alcôve géante, avec ses rideaux blancs, ses gazes blanches, ses tulles blancs, dont l'éclat défendait contre les regards la nudité blanche de l'épousée. Il n'y avait plus que cet aveuglement, un blanc de lumière où tous les blancs se fondaient, une poussière d'étoiles neigeant dans la clarté blanche. Et Mouret regardait toujours son peuple de femmes, au milieu de ces flamboiements. [...] Toutes les pâleurs laiteuses d'un corps adoré se retrouvaient là, depuis le velours des reins, jusqu'à la soie fine des cuisses et au satin luisant de la gorge.

Déjà quelques chapitres auparavant cette liquéfaction était apparue - dans le style de la Symphonie en blanc majeur de Gautier - ainsi qu'un phénomène météorologique dévastateur :

[...] c'était, à pleines mains, un ruissellement de toutes les dentelles, les marines, les valenciennes, les applications de Bruxelles, les points de Venise, comme une tombée de neige. [...] Liénard sommeillait au-dessus d'une mer de pièces, où des piles restées debout, à moitié détruites, semblaient des maisons dont un fleuve débordé charrie les ruines; et, plus loin, le blanc avait neigé à terre, on butait contre des banquises de serviettes, on marchait sur les flocons légers des mouchoirs. [...] les galeries s'enfonçaient, dans une blancheur éclatante, une échappée boréale, toute une contrée de neige, déroulant l'infini des steppes tendues d'hermine, l'entassement des glaciers allumés sous le soleil. [...] tout un peuple voyageait au milieu de ces espaces couverts de neige. Et la foule paraissait noire, on eût dit les patineurs d'un lac de Pologne, en décembre. Au rez-de-chaussée, il y avait une houle assombrie, agitée d'un reflux, où l'on ne distinguait que les visages délicats et ravis des femmes. Dans les découpures des charpentes de fer, le long des escaliers, sur les ponts volants, c'était ensuite une ascension sans fin de petites figures, comme égarées au milieu de pics neigeux. Une chaleur de serre, suffocante, surprenait, en face de ces hauteurs glacées. [...] le flamboiement des becs de gaz, qui, brûlant dans le crépuscule, avaient éclairé les secousses suprêmes de la vente, c'était comme un champ de bataille encore chaud du massacre des tissus. Les vendeurs, harassés de fatigue, campaient parmi la débâcle de leurs casiers et de leurs comptoirs, que paraissait avoir saccagés le souffle furieux d'un ouragan.

On découvre ailleurs dans le même roman des effets d'éclairage remarquables en ce que leur sème /brillant intense/ permet de surmonter la contradiction entre l'orfèvrerie, la brûlure et la neige précédente, comparants opposés d'un même comparé textile :

Un brusque rayon du soleil couchant, qui venait de paraître au bord d'un grand nuage, dorait les cimes des marronniers du jardin, entrait par les fenêtres en une poussière d'or rouge, dont l'incendie allumait la brocatelle et les cuivres des meubles. [...] Le soleil pâlissait, la poussière d'or rouge n'était plus qu'une lueur BLONDE, dont l'adieu se mourait dans la soie des tentures et les panneaux des meubles. [...] Un instant, Denise était restée étourdie sur le pavé, dans le soleil encore brûlant de cinq heures. Juillet chauffait les ruisseaux, Paris avait sa lumière crayeuse d'été, aux aveuglantes réverbérations. [...] Les mosaïques et les faïences des frises miroitaient, les verts et les rouges des peintures s'allumaient aux feux des ors prodigués. C'était comme une braise vive, où brûlaient maintenant les étalages, les palais de gants et de cravates, les girandoles de rubans et de dentelles, les hautes piles de lainage et de calicot, les parterres diaprés que fleurissaient les soies légères et les foulards. Des glaces resplendissaient. L'exposition des ombrelles, aux rondeurs de bouclier, jetait des reflets de métal. Dans les lointains, au-delà de coulées d'ombre, il y avait des comptoirs perdus, éclatants, grouillant d'une cohue BLONDE de soleil. [...] plus loin, au blanc, un angle de soleil, entré par la vitrine de la rue Neuve-Saint-Augustin, était comme une flèche d'or dans la neige [...]

Or dans de tels "enfoncements neigeux du blanc", la "dentelle" architecturale interne du magasin, culmine en une profusion et une liquéfaction qui n'ont plus rien à voir avec l'effet solaire ni l'embrasement. De ce fait, l'accumulation des détails indexés aux isotopies /orfèvrerie/ et /luxe intense/ en reviennent à la présentation du matérialisme bourgeois :

[...] à mesure que la charpente métallique montait, les chapiteaux des colonnes devenaient plus riches, les rivets formaient fleurons, les consoles et les corbeaux se chargeaient de sculptures ; dans le haut enfin, les peintures éclataient, le vert et le rouge, au milieu d'une prodigalité d'or, des flots d'or, des moissons d'or, jusqu'aux vitrages dont les verres étaient émaillés et niellés d'or.

- Quant à l'incendie, cf. aussi L'Argent : "La chaleur était accablante, un soleil ardent tombait d'aplomb, blanchissant les marches, dont la réverbération chauffait le péristyle d'un air lourd et embrasé de four; et les chaises vides craquaient dans ces flammes, tandis que les spéculateurs, debout, cherchaient les minces raies d'ombre des colonnes."

- De nouveau Une Page d'amour (V, 5) : "L'astre, bas sur l'horizon, avait un éclat de lampe d'argent. Il brûlait sans chaleur, dans la réverbération de la neige, au milieu de l'air glacé." Cela après une première brûlure aussi luxueuse (IV, 5) : "Il y eut un flamboiement, une tombée de neige d'or sur une ville de cristal."

- De nouveau L'Œuvre, où l'orage du chapitre 1 utilise la même co-occurrence que dans la Terre : "un vif éclair illumina la ligne droite et plate des vieux hôtels rangés devant la Seine, au bord de l'étroite chaussée. La réverbération alluma les vitres des hautes fenêtres sans persiennes".

A propos de cet éclat lumineux, rappelons qu'il conférait un effet esthétique indéniable à l'éclairage nocturne de la Seine, car l'impressionnisme (dont se réclame Zola : je n'ai pas seulement soutenu les impressionnistes, je les ai traduits en littérature par les touches, notes, colorations de beaucoup de mes descriptions) privilégie l'étude de la lumière et de ses reflets dans l'eau. Par inter-sémioticité, citons deux tableaux de Nuit étoilée de Van Gogh, la première sur le Rhône (même si en 1888 il est postérieur à la publication de L'Œuvre) qui reprend ces jeux de la lumière et de l'eau souvent traités par ses maîtres impressionnistes, notamment Monet avec son Impression, soleil levant (1874); la seconde à Saint-Rémy (1889), où l'on n'est pas loin de déceler la présence de comètes...
Autre trait caractéristique de ce roman des impressionnistes, ses descriptions présentent la couleur comme l'expression de la lumière, laquelle dissout les contours, selon l'esthétique picturale d'un Monet ou d'un Renoir.

N.B.: Toutefois, quelle que soit la traduction de la peinture par les mots (cf. le dogme de l'ut pictura poesis : "La poésie est comme un tableau"), en cette deuxième moitié de XIXe s., on n'en tracera pas moins la frontière entre les deux sémiotiques. Si la picturale-visuelle cultive la rupture avec l'académisme et l'intellectualisme pour retrouver l'ingénuité d'une impression immédiate et enfantine (vecteur de modernité : cf. Baudelaire : "l'enfant voit tout en nouveauté"), selon la théorie de "l'innocence de l'œil" que défendra aussi Proust, en revanche la verbale-linguistique n'échappe pas à ce qu'on pourrait appeler le conservatisme de la phraséologie. En effet, cet hypertexte en est la démonstration par le jeu des relations lexico-thématiques et la paraphrase : dans un vaste corpus romanesque, l'auteur est enclin à la réitération de faisceaux d'isotopies localement denses, lesquels témoignent de la force des relations intra- et inter-textuelles, puisque le naturalisme de Zola s'inscrit dans la topique réaliste et romantique, comme on le constate pour l'étude de notre thème (si la paire pourpre et or est attestée dans la poésie hugolienne, en connexion avec le sang et l'héroïsme ou bien le couchant étoilé, difficile d'ignorer le lien avec les descriptions de Verne, romancier pourtant sans affinité avec Zola : "la réverbération des rayons du soleil sur ce tapis de pourpre produisait des effets bizarres ; elle donnait aux objets environnants, aux rochers, aux hommes, aux animaux, une teinte enflammée, comme s'ils eussent été éclairés par un brasier intérieur, et lorsque cette neige se fondait, il semblait que des ruisseaux de sang vinssent à couler jusque sous les pieds des voyageurs." lit-on dans le Capitaine Hatteras de 1866). Bref, avant de référer à un paysage vu dans une perception nouvelle que traduiraient naïvement les mots, l'écrivain réfère à des contextes littéraires. En sorte que l'impression référentielle qui se dégage des descriptions ainsi mises mutuellement en relation hyper-textuelle est linguistiquement (et culturellement) contrainte.

Ajoutons que l'authenticité prônée par Proust via le vécu subjectif :

Seule l'impression, si chétive qu'en semble la matière, si invraisemblable la trace, est un critérium de vérité et à cause de cela mérite seule d'être appréhendée par l'esprit car elle est seule capable, s'il sait en dégager cette vérité, de l'amener à une plus grande perfection et de lui donner une pure joie. (Le Temps retrouvé)

requiert un effort pour se démarquer des poncifs et du réalisme superficiel, dit "cinématographique". Les peintres impressionnistes cultivaient cette esthétique, mais en vain, d'après le pessimisme qui affecte L'Œuvre :

ce n'est rien, vois-tu, quatre mesures, une impression jetée. Mais ce qu'il y a là-dedans! [...] Depuis le Salon des refusés, l'école du plein air s'était élargie, toute une influence croissante se faisait sentir; malheureusement, les efforts s'éparpillaient, les nouvelles recrues se contentaient d'ébauches, d'impressions bâclées en trois coups de pinceau; et l'on attendait l'homme de génie nécessaire, celui qui incarnerait la formule en chefs-d'œuvre. [...] Ils en restent tous aux ébauches, aux impressions hâtives, pas un ne semble avoir la force d'être le maître attendu. N'est-ce pas irritant, cette notation nouvelle de la lumière, cette passion du vrai poussée jusqu'à l'analyse scientifique, cette évolution commencée si originalement, et qui s'attarde, et qui tombe aux mains des habiles, et qui n'aboutit point, parce que l'homme nécessaire, n'est pas né ?...

N.B.: Les deux seules occurrences du syntagme "impression de glace" se trouvent dans ce roman, pour traduire l'échec de la relation physique amoureuse entre le peintre (Claude) et son modèle (Christine).



Hormis les deux seules occurrences péjoratives du processus en ce qu'elles sont dissociées de l'éclairement naturel ou de la dorure (dans La Terre, "Et puis, la route poudroie, rien n'arrive", et dans La Débâcle, "tout un infini de terres grises, poudroyant sous le ciel bleu"), l'association, méliorative en revanche, renvoie non seulement à des contextes similaires et récurrents : (a) La Bête humaine : "cet après-midi-là, un ciel gris du milieu de février, d'un gris humide et tiède, traversé de soleil. En face, sous ce poudroiement de rayons, les maisons de la rue de Rome se brouillaient, s'effaçaient, légères." (b) Le Docteur Pascal : "la vallée de la Viorne s'étalait à l'infini, dans le poudroiement d'or du couchant." (c) L'Œuvre : "Il était quatre heures, la belle journée s'achevait dans un poudroiement glorieux de soleil." (d) Le Ventre de Paris, au lever : "ce qui le surprenait, c'était, aux deux bords de la rue, de gigantesques pavillons, dont les toits superposés lui semblaient grandir, s'étendre, se perdre, au fond d'un poudroiement de lueurs. Il rêvait, l'esprit affaibli, à une suite de palais, énormes et réguliers, d'une légèreté de cristal, allumant sur leurs façades les mille raies de flamme de persiennes continues et sans fin." (e) Mais surtout au Paradou, cet Eden de La Faute de l'Abbé Mouret (II, 4), paysage personnifié, amoureusement :

Une mer de verdure, en face, à droite, à gauche, partout. Une mer roulant sa houle de feuilles jusqu'à l'horizon, sans l'obstacle d'une maison, d'un pan de muraille, d'une route poudreuse. Une mer déserte, vierge, sacrée, étalant sa douceur sauvage dans l'innocence de la solitude. Le soleil seul entrait là, se vautrait en nappe d'or sur les prés, enfilait les allées de la course échappée de ses rayons, laissait pendre à travers les arbres ses fins cheveux flambants, buvait aux sources d'une lèvre BLONDE qui trempait l'eau d'un frisson. Sous ce poudroiement de flammes, le grand jardin vivait avec une extravagance de bête heureuse, lâchée au bout du monde, loin de tout, libre de tout. C'était une débauche telle de feuillages une marée d'herbes si débordante, qu'il était comme dérobé d'un bout à l'autre, inondé, noyé. Rien que des pentes vertes, des tiges ayant des jaillissements de fontaine, des masses moutonnantes, des rideaux de forêts hermétiquement tirés, des manteaux de plantes grimpantes traînant à terre, des volées de rameaux gigantesques s'abattant de tous côtés.

Puis en (II, 6), où la paraphrase évidente donne une autre version de la féminité céleste, inondant de sa chevelure de feu séduisante :

des trous de jour imperceptibles, un crible d'azur laissant passer la lumière en une impalpable poussière de soleil. [...] Serge lui prit les mains, en répétant d'une voix frémissante d'admiration : "Comme tu es belle!" Albine, dans la poussière du soleil qui tombait, avait une chair de lait, à peine dorée d'un reflet de jour. La pluie de roses, autour d'elle, sur elle, la noyait dans du rose. Ses cheveux BLONDS, que son peigne attachait mal, la coiffaient d'un astre à son coucher, lui couvrant la nuque du désordre de ses dernières mèches flambantes. [...] Et, se souvenant, elle cria : "Tu veux mon peigne! tu veux mon peigne!" Alors, elle lui donna le peigne, elle laissa tomber les nattes lourdes de son chignon. Ce fut comme une étoffe d'or dépliée. Ses cheveux la vêtirent jusqu'aux reins. Des mèches qui lui coulèrent sur la poitrine achevèrent de l'habiller royalement. Serge, à ce flamboiement brusque, avait poussé un léger cri. Il baisait chaque mèche, il se brûlait les lèvres à ce rayonnement de soleil couchant.

On notera que cet effet lumineux concorde avec la couleur de la vie : "Il roulait les longues boucles dans ses mains, les pressant sur ses lèvres, comme pour en faire sortir tout le sang d'Albine." (ibid.) Soit une couleur dominante du végétal en efflorescence, qui inspire comme la jeune fille le désir charnel : "Autour d'eux, les rosiers fleurissaient. C'était une floraison folle, amoureuse, pleine de rires rouges, de rires roses, de rires blancs. Les fleurs vivantes s'ouvraient comme des nudités, comme des corsages laissant voir les trésors des poitrines. Il y avait là des roses jaunes effeuillant des peaux dorées de filles barbares, des roses paille, des roses citron, des roses couleur de soleil, toutes les nuances des nuques ambrées par les cieux ardents. Puis, les chairs s'attendrissaient, les roses thé prenaient des moiteurs adorables, étalaient des pudeurs cachées, des coins de corps qu'on ne montre pas, d'une finesse de soie, légèrement bleuis par le réseau des veines. La vie rieuse du rose s'épanouissait ensuite: le blanc rose, à peine teinté d'une pointe de laque, neige d'un pied de vierge qui tâte l'eau d'une source; le rose pâle, plus discret que la blancheur chaude d'un genou entrevu, que la lueur dont un jeune bras éclaire une large manche; le rose franc, du sang sous du satin, des épaules nues, des hanches nues, tout le nu de la femme, caressé de lumière; le rose vif, fleurs en boutons de la gorge, fleurs à demi ouvertes des lèvres, soufflant le parfum d'une haleine tiède." (ibid.) Couleur plus généralement de la vie renaissante, instillée dans les veines du malade Serge Mouret : "il écoutait monter le printemps. Et même il étouffait un peu, par moments, lorsque l'afflux du sang nouveau de la terre, malgré l'obstacle des rideaux, arrivait à lui trop rudement. [...] il retombait dans le rêve caressé de ces verdures qu'il sentait près de lui, à deux pas. Pendant plusieurs jours, il ne vécut que de ce rêve. Les premiers temps, disait-il, il avait vu le jardin plus nettement. A mesure qu'il prenait des forces, son rêve se troublait sous l'afflux du sang qui chauffait ses veines." (II, 3; déjà en I, 16 "le sang lui brûlait les veines".) Cela confirme l'unité de la paire euphorique en rouge et jaune brillants, bichromie lumineuse dont le sème le plus saillant est /expansion/ (liquide ou ignée).

On constate aussitôt après (II, 7) que le végétal hérite des comparants stellaire et féminin : "Ils descendirent un large escalier dont les urnes renversées flambaient encore des hautes flammes violettes des iris. Le long des marches coulait un ruissellement de giroflées pareil à une nappe d'or liquide. [...] Des sedums laissaient pendre des tresses BLONDES [...] des champs de calcéolaires, légères soufflures de chair, ponctuées de sang et d'or."

L'euphorie demeure lors de la promenade au verger (II, 9) : "une joie tiède de la lumière tamisée en
une poussière d'or volante, une certitude de verdure perpétuelle [...] Le bois alors était tout doré, tout éclairé de ces étoiles rondes, qui criblaient de leurs feux jaunes la voûte verte."

Encore une fois la proximité thématique avec les paysages d'Une page d'amour est frappante lorsqu'on lit :

Mars était venu, au-dehors le printemps naissait. Zéphyrin fit un pas, apparut dans le soleil; sa petite face ronde, couverte de son, avait le reflet doré du blé mûr, tandis que les boutons de sa tunique étincelaient et que son pantalon rouge saignait comme un champ de coquelicots. Alors, Jeanne l'aperçut. Mais ses yeux s'inquiétèrent de nouveau, incertains, allant d'un coin à un autre. [...] Rosalie, à son tour, s'avança dans le soleil. Elle portait un bonnet dont les brides, rejetées sur les épaules, s'envolaient comme des ailes de papillon. Une poudre d'or tombait sur ses durs cheveux noirs et sur sa bonne face au nez écrasé, aux grosses lèvres. (V, 3)

Le fait que cet "amoureux de Rosalie" vienne de la Beauce justifie, par contiguïté, l'attribution du comparant floral (dans ce que Genette appelait une métaphore métonymique, qui n'est donc pas spécifique au texte de Proust). Dans L'Assommoir, Nana à quinze ans réitère la conjonction des cheveux et de la poussière solaire, d'autant plus poétique dans la description due au narrateur qu'elle contraste avec la parole populaire dévalorisante : "Son tas de cheveux blonds, couleur d'avoine fraîche, semblait lui avoir jeté de la poudre d'or sur les tempes, des taches de rousseur, qui lui mettaient là une couronne de soleil. Ah! une jolie pépée, comme disaient les Lorilleux, une morveuse qu'on aurait encore dû moucher et dont les grosses épaules avaient les rondeurs pleines, l'odeur mûre d'une femme faite."

Quant à l'attribut physique virginal, il est récurrent dans Le Rêve : "Agnès, du col aux chevilles, se vêtait ainsi d'un ruissellement de cheveux d'or. [...] Angélique dégageait cette clarté. Ses cheveux d'or fin la nimbaient d'une auréole, ses yeux couleur de violette luisaient divinement, toute une splendeur de vie rayonnait de son visage pur."

Par contraste avec l'obsession charnelle, quasi diabolique, de Nana : "en la voyant en chemise, avec ses cheveux d'or sur ses épaules nues, il s'était jeté à son cou, l'avait prise et la baisait partout."

Ou avec le physique imposant de Flore la destructrice dans La Bête humaine : "ses cheveux d'or s'allumaient seuls, à l'or pâle de l'astre" (la lune).



Ces co-occurrences renvoient au forgeron séduisant Gervaise dans L'Assommoir (chap. 6), dont la puissance divine, charnelle et solaire (si l'on hésite à identifier Gouget à Vulcain ou à Apollon, ce travailleur manuel acquiert une évaluation méliorative en échappant au déterminisme de l'alcool) oriente vers Une Page d'amour, La Faute de l'Abbé Mouret et La Bête humaine, si bien que dans la genèse textuelle du corpus, il synthétise plusieurs paysages :

La forge flambait, avec des fusées d'étincelles ; d'autant plus que le petit, pour montrer sa poigne à sa mère, déchaînait une haleine énorme d'ouragan. Goujet, debout, surveillant une barre de fer qui chauffait, attendait, les pinces à la main. La grande clarté l'éclairait violemment, sans une ombre. Sa chemise roulée aux manches, ouverte au col, découvrait ses bras nus, sa poitrine nue, une peau rose de fille où frisaient des poils BLONDS ; et, la tête un peu basse entre ses grosses épaules bossuées de muscles, la face attentive, avec ses yeux pâles fixés sur la flamme, sans un clignement, il semblait un colosse au repos, tranquille dans sa force. [...] les éclairs rouges du fer sortant du brasier traversaient les fonds noirs, des éclaboussements d'étincelles partaient sous les marteaux, rayonnaient comme des soleils, au ras des enclumes. [...] Bien sûr, ce n'était pas de l'eau-de-vie que la Gueule-d'Or avait dans les veines, c'était du sang, du sang pur, qui battait puissamment jusque dans son marteau, et qui réglait la besogne. Un homme magnifique au travail, ce gaillard-là ! Il recevait en plein la grande flamme de la forge. Ses cheveux courts, frisant sur son front bas, sa belle barbe jaune, aux anneaux tombants s'allumaient, lui éclairaient toute la figure de leurs fils d'or, une vraie figure d'or, sans mentir. Avec ça, un cou pareil à une colonne, blanc comme un cou d'enfant ; une poitrine vaste, large à y coucher une femme en travers ; des épaules et des bras sculptés qui paraissaient copiés sur ceux d'un géant, dans un musée. Quand il prenait son élan, on voyait ses muscles se gonfler, des montagnes de chair roulant et durcissant sous la peau ; ses épaules, sa poitrine, son cou enflaient ; il faisait de la clarté autour de lui, il devenait beau, tout-puissant, comme un bon Dieu. [...] c'était pour elle [Gervaise], cette forge en branle, flambante d'un incendie, emplie d'un pétillement d'étincelles vives. [...] de larges flammes s'étalèrent des quatre côtés en éventail, une collerette de feu dentelée, éblouissante, à peine teintée d'une pointe de laque ; la lumière était si vive, que les petites lampes des ouvriers paraissaient des gouttes d'ombre dans du soleil. [...] Goujet l'aurait serrée dans ses bras que ça ne lui aurait pas donné une émotion si grosse. Elle se rapprochait de lui, pour sentir le vent de son marteau sur sa joue, pour être dans le coup qu'il tapait. Quand des étincelles piquaient ses mains tendres, elle ne les retirait pas, elle jouissait au contraire de cette pluie de feu qui lui cinglait la peau. Lui, bien sûr, devinait le bonheur qu'elle goûtait là ; il réservait pour le vendredi les ouvrages difficiles, afin de lui faire la cour avec toute sa force et toute son adresse ; il ne se ménageait plus, au risque de fendre les enclumes en deux, haletant, les reins vibrant de la joie qu'il lui donnait.

On relèvera avec intérêt les deux autres occurrences du syntagme inaugurant la description, cette fois dissocié du comparant astral : "Il enfonça les pincettes entre les bûches, alluma des fusées d'étincelles", avec sa version financière : "il tirait, avec ses phrases courtes et ses gestes nerveux, des feux d'artifice, où les millions montaient en fusée" (La Curée); "l'incendie devenait superbe. Des fusées d'étincelles montaient" (La Conquête de Plassans, roman où il est aussi question de "la poussière jaune du soleil qui entrait par la porte du jardin"). Ces sèmes /dynamisme/ + /rapide/ + /ascendant/ indexent ailleurs la gerbe d'étincelles ou la floraison ("des rosiers grimpants montaient en fusées de verdure" La Faute de l'Abbé Mouret), voire le rire, et bien entendu la fusée-étoile filante, mais non la comète. En revanche le sème contraire /descendant/ n'est pas antinomique dans la mesure où la pluie de feu sert de comparant. Quant au syntagme "pluie d'or" (celle par exemple "de la belle matinée" au début de La Bête humaine), il ne se limite pas à l'effet d'éclairage, et opère la variation du météorologique au financier. Comme d'autres, il fait ainsi, hors contexte, l'objet d'une syllepse : "Toujours la richesse s'était matérialisée pour lui dans cet éblouissement de la monnaie neuve, pleuvant comme une averse de printemps, au travers du soleil [...] cette averse d'or qu'il faisait pleuvoir sur Paris" (L'Argent) ; "Nana! Le cri montait dans la gloire du soleil, dont la pluie d'or battait le vertige de la foule."


Proposons pour l'exemple le classement thématique des emplois du syntagme "pluie de" (fourni et trié lexicalement en fonction du complément de droite, par Hyperbase). On constate que seules 9 de ses occurrences sont créditées d'un sens platement littéral :

Ex 4610d| des verveines, pareils à une PLUIE DE gouttes éclatantes.
Co 2986c| la pluie se mit à tomber, une PLUIE D'averse, drue et froide.
(Cf. aussi par synonymie Fa 3654a| tomber la pluie. L'averse entrait par la porte ouverte,
Na 6874a| La pluie tombait encore par averses.
Ge11353b| un troupeau sous une averse de grêle, interminable.
Dé16102a| des rayures de fumée, comme une averse de grêle chassée par
Ve 1833c| certains matins, par de terribles averses, par des pluies qui tombaient)
Fa 3332a| Tu verras des sources, une PLUIE D'eau, et nous nous amuserons
Dé16277d| comme sous une grosse PLUIE D'orage.
Fa 3388b| pareilles aux gouttes larges d'une PLUIE D'orage.
Fa 3653a| Au-dehors, une PLUIE D'orage commençait à tomber.
Bo 8512c| elles semblaient ruisseler en PLUIE D'une source supérieure.
Au cas /locatif/ (non plus /attributif/ comme ci-dessus) :
Ve 2191a| La PLUIE DE l'après-midi avait empli
Bê13929d| ses volets gris que verdissent les coups de PLUIE DE l'ouest.

Quant aux comparants, ils se laissent répartir en huit secteurs de domaines sémantiques :

* LIQUIDITE ORGANIQUE ET DYSPHORIQUE :
Fo 683c| suant le crime [...] voyaient en rêve tomber une PLUIE DE sang, dont les gouttes
Ge11134c| il ne restait qu'une PLUIE DE sang, dont le sable buvait les gouttes
Jo10187b| dans un dernier effort, sous une PLUIE DE sang et d'eaux sales.

* TENDRESSE AMOUREUSE :
Na 7121a| après l'avoir chauffé d'une PLUIE DE baisers sur les mains
Fa 3524a| il la baignait d'une PLUIE DE baisers, tombant à larges gouttes
Fa 3698c| il la possédait sous une PLUIE DE baisers.
Oe11563b| une PLUIE DE baisers, qui achevèrent d'enflammer Jory
Oe11739b| la serra follement, la couvrit d'une PLUIE DE baisers.
Pa 6318a| il lui mettait une PLUIE DE baisers sur le cou.

Ex 4087c|comme régalée de cette PLUIE DE caresses inattendues,
Fo 583c| Sous cette PLUIE D'éloges, Rougon baissait
Ex 4262a| tomber sur tout le monde une PLUIE DE récompenses, de cadeaux,
Ex 4058c| leur avait promis toute une PLUIE DE cadeaux pour le jour du baptême
Ex 4021c| s de bonbons, grand ballon avec PLUIE DE dragées. Le soir,

* RICHESSE :
Ar14808d| au milieu d'une PLUIE DE millions, qu'il avait
Ve 1628d| une PLUIE DE pièces d'argent et de pièce
Ar15103a| cette miraculeuse PLUIE D'argent, tombant
Ar14815d| les restituer royalement, en PLUIE D'aumônes.
As 5251d| semant sous leurs pas une PLUIE DE perles et de pierreries

Oe11450a| les paupières closes, dans la PLUIE D'or qui la baignait.
Ar15239a| voyaient resplendir et tomber en PLUIE D'or,
Rê13838c| c'était comme la PLUIE D'or, les aumônes des contes
Ex 4629a| grisées par cette PLUIE D'or, triplant, quadruplant
Rê13834b| un autre million qui venait de s'abattre sur la contrée, en une PLUIE D'or.
Na 7285b| dans la gloire du soleil, dont la PLUIE D'or battait le vertige de la foule
Do17167a| sous la PLUIE D'or battante des recettes.
Bê14521a| sous la PLUIE D'or de la belle matinée.
Ar14999a| à la PLUIE D'or qui allait pleuvoir sur lui
Cu 969a| il savait que la PLUIE D'or qui en battait les murs
Rê13543c| La PLUIE D'or ruisselait du comble de la cathédrale
(Ar15406a| comme d'une gloire par cette averse d'or qu'il faisait pleuvoir
Bê14513c| une tiède averse d'or tombait dans l'air pur ;
cf. aussi les 5 occ. étudiées du syntagme "flot(s) d'or")

* ECLAIRAGE :
Ve 1830a| sous le ciel brûlant, une PLUIE DE feu tombait sur les Halles,
Cu 1218a| la chaleur ne tombait pas du ciel en PLUIE DE feu,
Pa 6059d| expiant sa passion sous une PLUIE DE feu.
As 5170b| jouissait au contraire de cette PLUIE DE feu qui lui cinglait la peau
Jo10105a| Une PLUIE DE flammèches tombait,
Na 6528c| de hautes flammes se brisaient du cintre au parterre en une PLUIE DE clarté.

Pa 6054a| en jetant le pétillement de leurs vitres, une PLUIE D'étincelles qui montaient
Cu 849c| au milieu de cette PLUIE D'étincelles, dans cette masse incandescente
Ex 4048c| comme un soleil unique, flambant dans une PLUIE D'étincelles.
Pa 6209a| une bande de comètes dont les queues d'or s'allongeaient en PLUIE D'étincelles ;
(Pa 6046c| Longtemps, cette averse d'étincelles dura)

Oe12273c| incendiant le jour monne d'une PLUIE DE braise.
Do16981c| L'ardente PLUIE DE braise avait cessé. Il n'y avait plus, tombant de haut, que le dernier frisson du ciel surchauffé

Dé16859d| par les incendies, sous une PLUIE DE tisons.
Dé16882b| comme des torches démesurées. Une PLUIE DE tisons ardents tombait

Do17334d| sur un fond de fleurs jetées, des fleurs en PLUIE D'étoiles, d'un luxe barbare
Do16946a| à grands coups de crayon noir, c'était une PLUIE D'étoiles pâles,
Pa 6070c| des gradins de cierges, qui piquaient d'une PLUIE D'étoiles symétriques

Fa 3142d| futaie immense, sous une PLUIE DE soleil.
Fa 3341b| contre le mûrier, dans la PLUIE DE soleil tombant des branches.
Fa 3688 | dans les allées, des PLUIES DE soleil qui me trempaient d'un frisson de désir. Les roses m'ont parlé de toi. Les bouvreuils s'étonnaient de me voir seule. Tout le jardin soupirait...

Cu 1127a| sous une PLUIE DE rayons qui les éclairait
Pa 6046b| un rayon dont les rais jaillissaient en PLUIE DE la crevasse d'un nuage,

*VEGETAL :
Ve 1732b| faisant tomber une PLUIE DE feuilles, comme sous un coup
Fo 545b| tandis qu'une PLUIE DE feuilles coupées
Fa 3719c| et, partout, c'était une PLUIE DE fleurs lumineuses
Fa 3376c| verdure, piquée d'une PLUIE DE fleurs, dont les mèches
Fa 3360c| les grands rosiers à PLUIE DE fleurs blanches, habillaient
Fa 3146a| elle disparut, laissant une PLUIE DE fleurs derrière elle.
Fa 3388b| crevaient, avec une PLUIE DE larges pétales
Fa 3351c| tomber, au moindre souffle, la PLUIE DE leurs fleurs effeuillées.
Pa 6092b| avaient laissé tomber une PLUIE DE leurs petites fleurs,
Po 7824b| mourir sur la traîne, en une PLUIE DE petits boutons blancs.
Fa 3357c| dorée d'un reflet de jour. La PLUIE DE roses, autour d'elle,
Rê13385b| semblaient célébrer sous une PLUIE DE roses blanches.

* CHEVEUX :
Cu 1141b| figure était adorable, sous la PLUIE DE frisons dorés
Cu 1112d| Sa tête nue, couverte d'une PLUIE DE petits frisons, coiffée
Na 6723d| nuque dorée se penchait sous une PLUIE DE frisures
Na 7140b| souriait d'un air gai, sous la PLUIE DE petites frisures blondes

* DURETE MILITAIRE :
Dé16107b| refuge. De l'autre côté, une PLUIE DE balles en criblait les murs
Dé16241b| une telle PLUIE DE balles fouetta la façade
Te12506a| crépitement de mousqueterie, une PLUIE DE balles s'abattait, cinglant

Dé16523c| leurs sabots lancèrent une PLUIE DE cailloux, une grêle de mitraille
Ex 4090d| pour éviter une PLUIE DE petits coups, sous lesquels il dut se relever.
Ve 1798d| souffleté sur les deux joues par une PLUIE DE petites limandes, qui volèrent

* ART :
littéraire narratif : Ex 3978a| Puis, c'était une PLUIE DE petites observations puériles sur la nourriture, sur les modes,
musical : Rê13549c| le rire sonnait très haut, une PLUIE DE notes sonores, qui chantaient


INTER-TEXTUALITE. Effet lumineux qui inspirera peut-être Proust dans Le Temps retrouvé : "Un peu plus tard j'avais vu avec la même indifférence les lentilles d'or et d'orange dont le même soleil couchant criblait les fenêtres d'une maison".



Syntagme qui n'est pas sans rappeler l'hypallage de ce vers d'Apparition de Mallarmé : "Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées" (dont une source se trouve dans cette métaphore synesthésique de Hugo : "Il faut qu'Avril jaloux brûle de ses gelées \ Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées, \ Neige odorante du printemps." lit-on dans Les Orientales). Soit encore un pont transgénérique jeté entre deux extrêmes : le roman dit réaliste et la poésie dite pure (cf. à ce sujet l'essai éclairant de D. Combe, Poésie et récit, Corti, 1989).



Parmi les 24 occurrences du syntagme dans Les Rougon-Macquart, dont la majorité ont été abordées au fil des contextes, on n'oubliera pas les trois suivantes de La Bête humaine ; "Le soleil maintenant montait à l'horizon, une poussière d'or pleuvait dans l'air pâle, [...] La machine répondit par un sifflement prolongé, et le train de neuf heures cinquante s'ébranla, roula plus vite, disparut au loin, dans la poussière d'or du soleil. [...] Le soleil baissait, se noyait à l'horizon, dans des vapeurs violâtres, et les rayons s'en allaient des pelouses, mourant en poussière d'or, à la pointe verte des sapins". Balzac lui, n'est crédité que de 2 occurrences, toujours associées au couchant : "En vain le soleil couchant jeta-t-il sa poussière d'or et ses nappes rouges sur les gracieuses habitations semées dans les rochers, au fond des eaux et sur les prés" (Les Chouans); "Les rayons du soleil entraient [...], ces vigoureux jets de lumière enveloppaient de leurs teintes rouges une chaumière située au bout de ce chemin sablonneux. Une poussière d'or semblait être jetée sur son toit de chaume" (Le Médecin de campagne). De même chez Sand, avec l'exotisme romantique du "soleil couchant qui embrasait la vapeur rouge de l'atmosphère, et répandait comme une poussière d'or et de rubis sur les cimes murmurantes des cannes à sucre, sur les étincelantes parois des récifs." (Indiana) Même Flaubert cède au cliché romantique : "Elle voulut sur sa cheminée deux grands vases de verre bleu, et, quelque temps après, un nécessaire d'ivoire, avec un dé de vermeil. Moins Charles comprenait ces élégances, plus il en subissait la séduction. Elles ajoutaient quelque chose au plaisir de ses sens et à la douceur de son foyer. C'était comme une poussière d'or qui sablait tout du long le petit sentier de sa vie. [...] Madame Bovary avait ouvert sa fenêtre sur le jardin, et elle regardait les nuages. Ils s'amoncelaient au couchant du côté de Rouen, et roulaient vite leurs volutes noires, d'où dépassaient par derrière les grandes lignes du soleil, comme les flèches d'or d'un trophée suspendu [...]".
Autre poésie, cette fois versifiée chez Maupassant, "ses bras, tournoyant avec un bruit de voiles, Tout à coup se perdaient au milieu des étoiles, Pour retomber, brillant d'une poussière d'or Qu'ils avaient dérobée aux robes des comètes", dont le registre merveilleux de cette transfiguration du Moulin se situe dans le sillage de Hugo : "Mais bientôt, au soleil, cette tête admirée Disparut dans un flot de poussière dorée" (Feuilles d'automne).

Après "ces tas de pierreries qu'on nomme constellations" de Hugo (Contemplations) et Gautier évoquant des objets "constellés de pierreries avec des yeux d'une fixité de sphinx" (Le Pied de momie, égyptophile), Proust décrit dans la même veine romantique "des dames qui étaient venues empressées, ravies, parées, constellées de pierreries, pour n'assister, par ma faute, qu'à une fête, de celles qui se donnent ailleurs que dans le faubourg Saint-Germain" (Le côté de Guermantes), parmi lesquelles la duchesse de Guermantes, qui, rappelons-le, était déjà comète ; bref, les corrélats se répondent : "je venais de la voir, passant entre une double haie de curieux qui, sans se rendre compte des merveilleux artifices de toilette et d'esthétique qui agissaient sur eux, émus devant cette tête rousse, ce corps saumoné émergeant à peine de ses ailerons de dentelle noire, et étranglé de joyaux, le regardaient, dans la sinuosité héréditaire de ses lignes, comme ils eussent fait de quelque vieux poisson sacré, chargé de pierreries, en lequel s'incarnait le Génie protecteur de la famille Guermantes." (Le Temps retrouvé)
Sans oublier Zola : "Elle avait, au cou, une rivière à pendeloques, d'une eau admirable, et, sur le front, une aigrette faite de brins d'argent, constellés de diamants" (La Curée) ; "des bayadères semant sous leurs pas une pluie de perles et de pierreries" (L'Assommoir).
Sur la connexion métaphorique avec les yeux, cf. encore Gautier : "comme l'aspic autour du bras de Cléopâtre, un serpent d'or, aux yeux de
pierreries" (Arria Marcella), Apollinaire : "une sorcière blonde, belle Loreley aux yeux pleins de pierreries De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries Jetez aux flammes cette sorcellerie ses yeux brillaient comme des astres Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil" (Alcools). Pareil éblouissement des yeux par les yeux entraîne chez Rimbaud l'inversion du topos poétique avec "et les pierreries regardèrent" (Aube).

N.B.: Notons que le syntagme figé "yeux de braise", expression d'un sentiment intense, n'est crédité chez Zola que de 4 occurrences (sur 81 de "braise*" seul ; 17 occ. pour "yeux ardents" en revanche, attesté chez Balzac, 5 occ., et Maupassant, 3 occ.). Dans le contexte suivant de La Faute de l'Abbé Mouret "Il regardait la jeune fille de son œil de braise", la visée herméneutique rapprochera sa thématique de celle du cyclope.