LES MARCHES DE
L’AMERIQUE DU NORD
HONDURAS - SALVADOR - GUATEMALA
Si l’on demande à quelqu’un ce que lui évoque
l’amérique Centrale, ce sera : poudrière, coups d’état, républiques bananières.
Il y a quelque chose de vrai dans cela. Si on lui demande ce qui différencie
chacun de ces petits pays (Panama, Costa Rica, Nicaragua, Honduras, Salvador,
Guatemala, Belize), la réponse sera bien difficile : car les différences ne
sont pas toujours très marquées, surtout vues de la lointaine Europe. Juste
après les indépendances, proclamées autour de 1820, ces pays (sauf le Belize resté
anglais jusqu’en...1960) ont même formé une éphémère fédération.
PANAMA : UN PAYS CANALISE
Avec Atena, ma bicyclette,
j’atterrissais à PANAMA, le 12 mai 1990, après 17 mois de pérégrinations en
Amérique du Sud. Panama qui venait de connaître une “reprise en mains” de la
part de l’Oncle Sam, toujours chatouilleux sur le problème du canal. Du reste,
quand on parle de Panama, on ne sait jamais s’il s’agit de la ville ou du pays,
tant la capitale et son canal proche représentent de poids. Ce pays est entre
trois cultures, matérialisées par trois quartiers de Panama City : il y eut
d’abord Panama La Vieja, un ensemble de ruines de l’époque coloniale, reste du
temps des Conquistadores qui ont couvert de leur influence le continent
américain, du centre des actuels USA jusqu’à la Terre de Feu.
Il y a le vieux centre, très
populaire, aux maisons de bois habitées par les descendants des Antillais,
amenés ici pour la construction du canal de Ferdinand de Lesseps. Dans ce
quartier, qui s’est paupérisé au fur et à mesure du temps, seule une ambassade
est restée : celle de France, sur la Place de...France. Elle y restera, autant
qu’il se pourra, à côté d’un mémorial, comme en souvenir d’un projet
titanesque. Il y a enfin la Panama moderne, aux tours immenses, aux 130
banques, aux boutiques climatisées - à en attraper un chaud et froid à force de
passer sans cesse de la moite chaleur tropicale à ces ambiances glacées et
sophistiquées. Là, plus qu’ailleurs, on parle en dollars. Rien de plus normal :
la monnaie nationale s’appelle le balboa, mais les billets en circulation sont
tout simplement...à l’effigie de l’Oncle Sam !
Panama, c’est aussi et surtout son
canal. Jonglant, dans une zone interdite de nuit, avec la police militaire et
celle du Canal Authority, je parviens à planter ma tente au-dessus d’une
falaise...et sous la pluie battante. Spectacle féerique que de voir une longue
bande d’eau illuminée de balises, sillonnée par de petits croiseurs de
contrôle, survolée par des hélicopteurs de reconnaissance. Le canal n’est pas
près de tomber entre les mains des Irakiens.
Les quatre jours suivants, je me
prends un déluge, au point que le vélo devient une véritable éponge ambulante.
Depuis le Pérou, huit mois auparavant, la saison humide me poursuit de ses
assiduités. Mais cette fois, que d’eau ! Ces pluies gâchent mon passage au
Costa Rica, immense parc national (plus de 10% du territoire) avec ses forêts
tropicales, ses volcans en activité : un mois auparavant, la terre a bigrement
tremblé sur la Côte Atlantique, causant la mort de centaines de personnes, et
des dégats importants. Le COSTA RICA, c’est aussi le seul pays au monde sans
armée, depuis 1949. Frappant, si l’on ose dire, quand on connait la situation
de ses voisins hyper-militarrisés, subissant conflit sur conflit, ou bien la
guerre civile.
Les Ticos (habitants du Costa
Rica) sont des gens tranquilles, un peu plus que leur sol. Arrivé sur le
parking d’un supermarché, je sens un frémissement; un pousseur de caddy
s’adresse alors à un autre pousseur: “va a temblar”, comme s’il avait
dit “il va pleuvoir”. Si courant, ici...Plus loin au Salvador, un soir chez des
amis, alors que tout le monde est parti se coucher, je me sens subitement
chavirer. Ouh la la, je dois aller mal, sans doute trop d’émotions ces derniers
jours. Et je pars vite dormir. Le lendemain, j’apprendrai qu’en fait c’est la
terre qui avait chaviré, et nous tous avec!
Pas étonnant: ici, l’activité
sismique est importante, avec des volcans encore très actifs, qui encadrent la
capitale. Il faut y arriver très tôt le matin, surout en saison des pluies,
afin d’espérer voir les calderas, ces marmites où bout un magma inquiétant. A
deux pas de cette chaleur mortelle, la forêt tropicale arrosée constamment...
NICARAGUA, HONDURAS : L’HOMME ECRASE
Le NICARAGUA, un pays qui mettra
longtemps à panser ses plaies. Après une longue guerrilla aboutissant à la
révolution sandiniste, après treize ans d’état d’urgence, de combats
fratricides, de blocus saignant l’économie d’un pays déjà délabré, après enfin
deux seïsmes meurtriers dévastant la capitale, tous les espoirs semblent avoir
été minés. Le Nicaraguayen ne demande qu’une chose : la paix. Mais ni les
dieux, ni surtout les hommes ne semblent disposer à la lui accorder.
C’est donc de ville dévastée à ville
en ruines que je me rends, croisant le regard las de gens qui ne semblent plus
attendre grand’chose, après avoir tant espéré. La situation est-elle si
différente au HONDURAS ? Il n’y a, là, même pas eu l’espoir créé par un
changement radical. Plus qu’ailleurs peut-être, on sent l’écrasement dans
l’ignorance d’une paysannerie pauvre, bien encadrée par des militaires
sensibles à toute contamination du germe de la guerrilla. Toute tentative de
revendiquer ses droits légitimes face à quelques puissants est bien vite
étoufféee...Sur le plan du paysage, un changement: l’abondante végétation
tropicale faite de palmiers, de cocotiers, d’inextricables fourrés fait place,
sur les hauteurs, à des forêts de pin. Mais les bananiers ne sont jamais bien
loins, offrant au cycliste des vues inusitées sur ce curieux mélange.
A partir du Nicaragua et jusqu’au
Guatemala, une chose frappe : rares sont les animaux utilisés pour transporter
les charges. Ce sont donc les hommes, et surtout les femmes, que je croise le
long de ma route, transportant des amphores d’eau, ou bien des fagots de bois.
Les femmes portent leur charge sur la tête, les hommes dans le dos avec une
lanière sur le front. On a ainsi la vue de femmes à la tenue presque altière,
et d’hommes à l’allure courbée. L’image machiste (peu de mise ici, il est vrai)
en prend un coup...
Les charges sont parfois effarantes
: j’ai ainsi vu une femme transporter un poteau de ligne téléphonique sur la
tête ! Ou bien encore, un vieil homme serrer les dents dans une montée, une
énorme bille de bois dans le dos dépassant très largement son poids...Comment
se fait-il que des êtres humains puissent faire fonction de bêtes de trait ?
Misère profonde, à deux pas de notre insouciant confort, mais aussi, habitudes
ancestrales. Dans certaines zones bien délimitées, les gens sans doute plus
“fortunés” (et ayant subi plus d’influences extérieures), se sont construits
des chariots ou brouettes rudimentaires, réduisant la pénibilité de ces corvées
domestiques.
Tegucigalpa : nom chargé d’exotisme,
pour une bien pauvre capitale d’un bien pauvre pays, le Honduras. Ici encore,
le vrai pouvoir, c'est l'armée.
J’y rencontre Philippe Masselis, un Lillois parti pour parcourir l’Amérique Latine
à vélo en 2 ans, par l’Atlantique puis par le Pacifique. Chose extraordinaire,
il tient son planning ! Le seul cyclo au long cours que je verrai le faire. Il
faut dire qu’il est en relation en France avec les gosses de nombreuses écoles,
et qu’il a même fondé une association, Enfants Contact International, dont
l’ambition, peut être un peu démesurée, est de mettre en relation les enfants
défavorisés de sa région, et ceux des pays traversés, via son voyage.
L’étonnant est de le voir avec une charge minime de bagages. Il prétend qu’on
peut se passer d’énormément de choses en voyage. Quelques mois plus tard, il
parcourait l’Alaska par des – 30° de température, barbe prise par la glace, je
suppose qu’il avait tout de même embarqué au moins un short supplémentaire !
SALVADOR : LA GUERRE CIVILE
A la frontière avec le Guatemala, je
rentre dans le territoire maya. Les ruines de COPAN offrent leurs escaliers
autrefois grandioses à la proie des racines des arbres. Sous les tropiques
encore plus qu’ailleurs, la nature reprend vite ses droits, et la restauration
de ce site splendide prend beaucoup de temps. Observant les parties déjà
restaurées, et celles restant à faire, on réalise le travail que cela
représente, qu’Hercule lui-même n’aurait pas pris à la légère. Non seulement
l’architecture de Copan est une merveille, entre ses temples, ses pyramides,
son jeu de balle, mais de plus le travail y fut achevé, avec ses stèles
sculptées de toute beauté. Si l’on y ajoute le caractère sauvage de son
environnement, je ne retrouverai pas ailleurs de site susceptible de rendre
aussi bien l’atmosphère de l’époque maya - si ce n’est peut-être à Tikal.
Je décide de faire un crochet par le
Salvador. Je sais ce pays minuscule plongé dans une guerre aux conséquences
dramatiques : depuis onze ans, les combats entre l’armée et la guerilla
ont fait 75 000 morts, sans que l’un des deux camps aient pu remporter un
avantage décisif (peu de temps après, du reste, un accord de paix sera signé,
qui commence à recevoir application). Aucun point du territoire ne réchappe à
cette “situation conflictuelle”, y compris la capitale,
parfois investie par la guerilla.
Cette
situation, je l’ai connue au Pérou, et à moindre échelle en Colombie. Mais
nulle part ailleurs les forces dites de l’ordre n’ont une telle méfiance de
l’étranger, que la propagande officielle présente comme le fauteur de trouble.
L’étranger est ici dans l’unique but d’aider la guerrilla, de fomenter le désordre.
Il va de soi qu’aucune autre cause interne au pays (démocratie baîllonnée,
droits des citoyens bafouée, intervention US..) ne saurait justifier
l’existence de mouvements rebelles. Explication un peu courte, mais qui me
conduit à subir d’incessants contrôles suspicieux (jusqu’à 5 par jour), comme
si un guerrillero allait se promener avec un visible et encombrant vélo...J’y
ferai même un petit séjour en prison, après avoir subi un feu nourri !
|
GUATEMALA : LA TERRE MAYA
C’est sur le mauvais souvenir d’un
ultime contrôle où j’aurais même droit
à un coup de sommation (coup de feu en l'air), que je quitte le Salvador, pour
aborder pour de bon le GUATEMALA. Ce pays également est secoué de combats de même ordre,
mais “grâce” à la particulière brutalité de la répression des “forces de
l’ordre” (massacre de paysans non armés, déplacements d’office de communautés
entières et leur dispersion), la guerrilla doit tenir un profil bas, faute de
combattants. Il subsiste cependant des poches conflictuelles, dans le nord et
l’ouest, et rien ne dit que les combats soient à jamais finis, devant la
perpétuation des exactions des milices et de l’armée. Pour ne rien arranger, le
choléra, qui me suivait depuis le nord du Pérou,
m'a enfin rejoint - sans pour autant m'atteindre.
Le Guatemala, ce n’est
pas...Guatemala. Il existe un fossé entre GUATEMALA CIUDAD (“Guaté”), la
capitale de deux millions d’habitants, irréelle cohabitation de richesse et de
misère, et les sept millions de gens vivant dans les campagnes, et dont dépend
la vraie richesse du pays : bananes et fuits tropicaux en général, café comme ses
voisins, pétrole dans le nord. Le vrai pays, on le trouve surtout là-haut, sur
l’altiplano, entre 2 000 et 3 500 m d’altitude, dans ces petits villages
parsemés entre les reliefs moutonneux, et accessibles par de bien
mauvaises pistes. Là, les Indiens, en particulier les Indiennes, ont conservé
leurs traditions, dont l’aspect le plus visible est la tenue vestimentaire.
Chaque village a son vêtement, le huilpil,
richement coloré de fines broderies, un authentique travail d’artiste. Et cette
tenue, qu’on croirait digne seulement des jours de fête, est également de
mise au quotidien, dans les champs, au marché, ou pour les corvées domestiques.
Les marchés constituent l’aspect le plus coloré, le plus visible du maintien
des coutumes indigènes. Les aspects moins voyants tiennent dans une
assimilation en surface des habitudes des “ladinos”, Latino-Américains
non indiens (par extension, Indien ayant abandonné les coutumes). Telle la
religion chrétienne, qui en fait se fond comme un simple élément
supplémentaire parmi le panthéon des nombreux dieux indiens. Les bons
missionnaires n’avaient pas prévu cela!
Ce petit pays a justifié de ma part
d’un arrêt plus long que de...coutume. C’est aussi à Guaté que je rencontre un
autre cycliste Français, Damien Boissinot. Bouclant un tour du monde de 3 ans
et demi, il fait route jusqu’à San Francisco, d’où il pense rentrer en France
au début de l’année prochaine. Nous décidons de faire route commune
jusqu’en Californie, en commençant par le Peten. La Jungle du PETEN se situe au nord du Guatemala, adossé au Yucatan
mexicain. Zone peu densément peuplée, une seule piste la traverse, en mauvais
état en cette saison des pluies finissante. Plus d’une fois, il nous
faudra pousser les vélos, jongler entre les camions avançant parfois
encore moins vite que nous.
Mais la récompense est bientôt là :
les monumentales ruines de TIKAL, ces pyramides qui se voulaient probablement
un accès au ciel, noyées aujourd’hui dans la dense végétation. Dans ces
épais fourrés, se côtoient les toucans (oiseau à grand bec vivement
coloré), des singes - une nuit, nous entendrons un couple de jaguars, à
peu de distance. La traversée du Bélize se fait sur les chapeaux de roue. Le
Bélize, enclave bizarre de langue anglaise, est en fait un melting pot
de cultures créole (garifuna), maya, asiatique, européenne...et un
minuscule pays infesté de moustiques et autres minuscules moucherons,
peuplant des marais infâmes. La portes est grande ouverte sur le Mexique,
via le Yucatan.
|
|||
|
|
||
SUITE
DU RECIT PAGE
PRECEDENTE