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Comité Cambodgien de Vigilance
pour l'application de l'Accord de Paris sur la paix au Cambodge du 23 octobre 1991

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Constitution

LIVRE BLANC : L'ACCORD DE PARIS ET SA MISE EN OEUVRE

LA CONSTITUTION DU ROYAUME DU CAMBODGE
(De certaines de ses particularités)

Dans son préambule et les premières lignes des dispositions du Titre Premier, la Constitution proclame instaurer dans le Royaume la démocratie, un régime dont on peut s’attendre à ce qu’il soit organisé suivant le principe universellement reconnu du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, basé sur le respect intangible de la volonté populaire issue des urnes et du libre jeu des institutions démocratiques qui en est garant.

Qu’en est-il ? Quelles sont les principales options de la Constitution quant aux grands principes qui doivent gouverner l’avenir du pays au plan institutionnel pour que soient restaurées, rétablies et préservées son indépendance, sa souveraineté et son intégrité territoriale ?

I - LE PPC MINORITAIRE INSTITUE EN POUVOIR DOMINANT
II - TYPE DE REGIME QUE SE DONNE LA CONSTITUTION
III - LA CONSTITUTION ET L'INTEGRALITE TERRITORIALE DU ROYAUME, SON INDEPENDANCE ET SA SOUVERAINETE
IV - L'ARTICLE 31 ALINEA 2 DU TITRE III : "DES DROITS ET DEVOIRS DES CITOYENS KHMERS"

I - Le PPC minoritaire institué en pouvoir dominant

La déclaration solennelle des droits et libertés des citoyens khmers inscrits dans le Titre III est un document qui fait honneur à la démocratie. Il est regrettable qu’il en soit autrement des dispositions fondamentales qui organisent les deux grands pouvoirs publics, que sont l’exécutif et le législatif, et leur fonctionnement.

Au lieu d’organiser le droit de la majorité issue des élections à gouverner conformément aux règles pratiquées dans toutes les démocraties, elles consacrent le règne de la minorité que les suffrages ont désavouée en transformant sa primauté de fait en primauté de droit. Le procédé utilisé est simple. Il consiste à bloquer le libre fonctionnement des institutions, en reconnaissant à cette minorité, par le jeu de la majorité des 2/3, le droit de s’instaurer en arbitre dans toutes désignations, nominations ou révocations de personnalités appelées à prendre en charge les hautes instances dirigeantes du Royaume, susceptibles de, par leurs rôles ou fonctions, remettre en cause le pouvoir et l’ordre établis.

1 - Font ainsi l’objet d’un vote de l’Assemblée nationale statuant à la majorité des 2/3 des membres qui la composent :

La désignation du Président de l’Assemblée nationale, personnage central d’un pouvoir politique que ne vient équilibrer aucun contre-pouvoir politique, occupant d’éminentes fonctions dans le Royaume après le Roi. Il assume les fonctions de Chef de l’Etat en qualité de Régent en cas d’incapacité du Roi. Il préside le Conseil du Trône, un collège appelé à élire le roi en cas de vacance du Trône (article 11 - 12 et 13).
La désignation de ses deux Vice-Présidents lesquels sont également membres du Conseil du Trône.
Celle de tous les membres des Commissions parlementaires.

2 - Sont également soumis au vote à la majorité des 2/3, par le biais du vote de confiance que tout gouvernement doit solliciter et obtenir de l’Assemblée nationale avant d’entrer en fonction, le choix des ministres et de leurs attributions, leur maintien ou leur renvoi (article 90, alinéa 8 et article 98, alinéa 1).

Il est à ajouter que les séances de l’Assemblée ne sont prises valablement en considération que si elles ont réuni le quorum des 7/10ème de la totalité des sièges (article 88, alinéa 2), une disposition qui ne pourrait qu’amener, suivant son application, à accentuer la paralysie du législatif.

Lorsqu’on sait par ailleurs que dans le gouvernement bicéphale - une étrange création constitutionnelle d’opportunité politique instituée à titre transitoire pour la durée de la première législature - celui qui détient la réalité du pouvoir est de par la force des choses celui qui dispose de l’autorité sur le terrain, il est permis d’avancer que toute décision ou toute réforme de tous ordres qui aura pour effet de remettre en cause le statu quo du pouvoir et de l’ordre établis ne saurait recevoir de suite que dans la mesure et la limite consenties par le PPC.

En consacrant de la sorte la minorité désavouée par les urnes comme pouvoir dominant,

La Constitution bloque le libre jeu bénéfique des institutions démocratiques. Dans une situation où le problème de la réconciliation nationale, la remise en ordre et la réhabilitation du pays appellent des approches et des décisions rapides, voire pour certaines, radicales, l’efficacité de l’action de l’exécutif et celle du travail du législatif ne manqueront pas de s’en trouver particulièrement affectées.
Elle hypothèque lourdement la crédibilité des suffrages à venir.

II - Type de régime que se donne la Constitution

Ecarté le régime présidentiel, le régime parlementaire, celui de l’équilibre des pouvoirs - droit pour l’exécutif de dissoudre l’assemblée, d’une part, droit pour l’assemblée de mettre en jeu la responsabilité politique du gouvernement, de l’autre - n’a pas été non plus retenu. Pourtant, l’expérience des démocraties libérales s’accorde à le reconnaître comme le meilleur garant institutionnel du bon fonctionnement de la démocratie. Le régime adopté par la Constitution est une variante du régime d’assemblée, celui où le pouvoir de l’assemblée est dominant.

Ainsi l’exécutif ne peut-il dissoudre l’Assemblée. Une fois celle-ci élue, il ne saurait être mis fin à son mandat avant son terme, sauf dans l’éventualité où le gouvernement est renversé deux fois dans un délai de 12 mois, une disposition inspirée de la Constitution du Royaume de 1947, elle-même reprise d’une disposition similaire de la Constitution française de 1946 où, dans l’une comme dans l’autre, elle n’avait jamais reçu application. Même dans ce cas où la dissolution de l’Assemblée est de droit, le Roi ne peut la prononcer que sur accord du Président de l’Assemblée, le gouvernement ayant seulement le droit de la proposer (article 78).

C’est encore le Président de l’Assemblée qui, avec l’accord de ses deux Vice-Présidents, propose au Roi la personnalité devant être désignée pour former le gouvernement et se présenter à l’investiture avec toute l’équipe qu’elle aura choisie.

Enfin, il n’existe pas de seconde chambre, ne serait-ce qu’une chambre de réflexion.

Le régime d’assemblée ne se retrouve nulle part aujourd’hui dans les démocraties libérales des pays occidentaux ni en Asie, comme au Japon, en Inde ou en Thaïlande, ni même dans nos précédents constitutionnels. La première Constitution du Royaume, octroyée par Sa Majesté le Roi Norodom Sihanouk en 1947, avait choisi d’adopter, elle aussi, le principe de l’équilibre des pouvoirs : droit pour le roi, sur proposition de l’exécutif, de dissoudre l’assemblée, d’une part, droit pour l’assemblée d’interpeller le gouvernement et de mettre en jeu sa responsabilité politique, de l’autre. Une seconde chambre avait été instituée sous le nom de Conseil du Royaume. Par la suite, des amendements, qui n’ont jamais remis en cause ce principe, sont intervenus.

III - La Constitution et l’intégrité territoriale du Royaume, son indépendance et sa souveraineté

A) Cas des traités et accords conclus entre " l’Etat du Cambodge " (EDC) et le Vietnam

L’article 2 du Titre Premier intitulé De la souveraineté dispose formellement que :

L’intégrité territoriale du Royaume du Cambodge est absolument inviolable dans ses frontières délimitées dans les cartes à échelle 1/100 000 faites entre les années 1933-1953 et internationalement reconnues dans les années 1963-1969.

Il découle de la lettre et de l’esprit de ces dispositions que tous traités et accords qui consacrent une telle violation doivent être considérés de plein droit comme nuls. Telle n’est pas la solution retenue dans l’article 55 du Titre IV intitulé Du régime politique.

Article 55

Tous traités et accords qui ne sont pas compatibles avec l’indépendance, la souveraineté, l’intégrité territoriale, la neutralité et l’unité nationale du Royaume du Cambodge doivent être annulés (RtUvEtlb'ecal).

Le texte se réfère ici aux traités et accords conclus avec le Vietnam aux termes desquels l’EDC avait fait abandon d’une partie importante de nos territoires terrestres et maritimes. D’après les dispositions de l’article 55, ces traités et accords ne sont pas nuls ; ils doivent être annulés. La nuance est significative. Tant qu’ils ne sont pas annulés, ils demeurent valides.

Par quel organe devront-ils être annulés, suivant quelle procédure et dans quelles conditions ? Aujourd’hui l’ont-ils été ?

C’est à l’Assemblée que reviennent le droit et le devoir de procéder à cette annulation. La majorité requise est celle absolue des membres qui la composent.

Article 90, alinéas 5 et 7

L’Assemblée approuve ou annule (lb'ecal) les traités ou conventions internationaux.

Les votes ci-dessus interviennent à la majorité absolue des membres qui la composent.

La version française du texte utilise le terme rejette pour traduire le mot cambodgien (lb'ecal) qui signifie clairement annule. Le terme rejette s’écartant totalement de ce sens, il apparaît préférable de s’en tenir au texte cambodgien qui seul fait foi.

Pour que son vote soit valable, l’Assemblée devra réunir, avant de tenir sa séance, un quorum égal à 7/10ème des membres qui la composent (article 88, alinéa 2).

A l’heure actuelle, il ne semble pas que ces traités et accords aient été annulés.

En acceptant de considérer ces traités et accords comme valides, en attendant qu’ils soient annulés, le Royaume du Cambodge se reconnaît héritier de l’EDC. Il devra, en cette qualité, en vertu de la règle sur la succession des Etats, assumer la succession dans sa totalité, à l’actif comme au passif, c’est-à-dire dans tous les droits et obligations qui découlent de tous les traités et accords conclus entre l’EDC et le Vietnam. La porte ne serait-elle pas ouverte sur l’inconnu ?

B) Autres cas que celui relevant de l’article 55

Il s’agit ici de toute forme d’atteinte portée dans l’avenir à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale du Royaume. De telles atteintes ou violations sont considérées comme nulles de plein droit, et toute approbation apportée par l’Assemblée à de tels actes participe de cette nullité. Le seul organe compétent pour constater et prononcer cette nullité est le Conseil Constitutionnel.

Article 92

Toute approbation par l’Assemblée contraire au principe de la préservation de l’indépendance, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale du Royaume du Cambodge et qui porte atteinte à l’unité politique ou à la direction administrative du pays est considérée comme nulle. Le Conseil Constitutionnel est le seul organe qui a pouvoir de décision concernant cette nullité.

Le Conseil Constitutionnel, une heureuse création de la Constitution reprise de la Constitution française, est composé de 9 membres dont le mandat est fixé à 9 ans. 1/3 doit être renouvelé tous les 3 ans. 3 membres sont désignés par le Roi, 3 membres par l’Assemblée et 3 autres membres par le Conseil Supérieur de la Magistrature (article 118).

Ce qui est fort singulier dans la rédaction de l’article 92, c’est le terme " et " qui sonne comme autant de conditions dont est assortie l’atteinte à l’indépendance, à la souveraineté, à l’intégrité territoriale du Royaume pour qu’elle soit frappée de nullité, comme si une telle atteinte ne constitue pas déjà par elle-même un acte suffisamment grave pour être sanctionnée de la sorte. Par ailleurs, quel est le contenu exact des termes unité politique et direction administrative pour qu’ils priment de la sorte, dans l’échelle des valeurs, l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale du Royaume. A défaut de pouvoir accéder aux documents des travaux préparatoires, on ne peut que s’interroger.

IV - L’article 31, alinéa 2 du Titre III : "Des droits et devoirs des citoyens khmers"

Les citoyens khmers sont égaux devant la loi, possèdent des droits à la liberté et ont les mêmes devoirs sans distinction de race, couleur, peau, sexe, langue/langage (Pasa), croyances tendances politiques, origine de naissance, classe sociale, richesse et autres aspects.

La version française du texte utilise le mot langage et non langue pour traduire le terme cambodgien Pasa lequel englobe les deux sens. Le terme Pasa se comprendrait-il, comme il se devrait, dans le sens de langue, cela signifierait qu’un citoyen cambodgien pourrait ne pas savoir parler sa propre langue ! Une véritable tragédie pour le peuple khmer, pour sa culture et son identité.

Quoi qu’il en soit et quel que soit le sens qu’on retient de ce mot, sa formulation dans la loi suprême d’un Etat, dans le contexte précis où elle s’exprime, est sans précédent dans l’histoire constitutionnelle. On ne la retrouve ni dans la déclaration française des droits de l’homme inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946, ni dans ce monument historique qu’est la déclaration française des droits de l’homme de 1789. Cette formulation est significative de l’évolution de la composition de la communauté nationale. Il faut vraiment que les nouveaux citoyens khmers qui ont une certaine façon de parler le khmer atteignent une proportion telle par rapport à la population autochtone pour qu’il en soit fait ainsi état, et à ce niveau.

Dans une déclaration faite, le 6 octobre 1992, devant le National Press Club à Washington, le chef de l’APRONUC (UNTAC), a révélé que les colons vietnamiens (vietnamese settlers) établis au Cambodge se chiffrent à deux millions (2 M), soit le quart (1/4) de la population cambodgienne. Le chiffre et la proportion dévoilés sont dramatiques pour un petit peuple de 8 millions d’habitants, exsangue, dépourvu de toute structure d’accueil et d’intégration. La France, un grand pays développé de 57 millions d’habitants, avec seulement moins de 8 % d’étrangers (de plusieurs ethnies) sur son sol, proclame déjà par la voix de ses plus hauts dirigeants que le seuil de tolérance est dépassé, et certaines hautes personnalités politiques en sont venues à parler même d'invasion. Nombre de Français, de leur côté, qui ne nourrissent pourtant pas de préjugés raciaux, s’alarment du péril que le flux migratoire fait courir à l’identité nationale de la France, de ce que l’immigration, au seuil présent, devienne une source de mutations génératrices d’une situation où ils ne pourraient plus se retrouver dans ce que l’histoire a fait ce qu’ils sont.

Le brassage des peuples constitue un enrichissement indéniable pour une nation. Encore faudrait-il qu’il s’effectue dans le respect de son identité, plus communément, pour le Cambodgien, de ce sentiment ressenti de pouvoir être chez soi, avec sa culture, ses traditions et ses coutumes, sans pour autant se fermer du monde, cultivant son hospitalité traditionnelle, de se faire comprendre dans sa langue partout où il se rend dans son espace de vie quotidien, de partager cette solidarité vis-à-vis de l’histoire qui l’a conduit à défendre le peu qui lui reste de ses terres pour vivre en tant que nation indépendante et souveraine. Autrement, pour lui, le brassage des peuples ne servirait, que d’alibi pour un ethnocide, le même commis contre le Kampuchéa Krom sur lequel plane aujourd’hui le silence de l’oubli.

Un régime d’assemblée, l’exigence de la majorité des 2/3, les dispositions particulières relatives aux traités et accords EDC/Vietnam, celle concernant le gouvernement bicéphale institué pour la durée de la première législature en pleine contradiction avec l’article 99 lequel dispose que le Conseil des Ministres sera dirigé par un Premier Ministre, toutes ces particularités, jointes à d’autres notamment celle excluant toute participation au gouvernement de personnalités autres que celles appartenant aux partis politiques représentés à l’assemblée (article 100), laissent à penser que la Constitution ne vise pas essentiellement l’intérêt à long terme du pays. Elle apparaît surtout modelée pour se conformer à la primauté du pouvoir établi, contrairement à la volonté populaire issue des urnes.

 

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   Dernière modification : 12 novembre 1998