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Comité Cambodgien de Vigilance
pour l'application de l'Accord de Paris sur la paix au Cambodge du 23 octobre 1991

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Constitution

LIVRE BLANC : L'ACCORD DE PARIS ET SA MISE EN OEUVRE

LES ELECTIONS GENERALES

En vertu de l’article 6 de l’Accord de Paris et conformément à la résolution 745 du Conseil de Sécurité en date du 28 février 1992, l’APRONUC est mandatée pour préparer et organiser les élections générales, libres et équitables au Cambodge. Toutes les dispositions doivent être prises par ses soins aux fins d’instaurer un environnement neutre, d’élaborer une loi électorale respectant les aspirations profondes du peuple cambodgien, de superviser et d’assurer le bon déroulement de ces élections.

I - L'ABSENCE DE RECENSEMENT
II - CAMPAGNE ELECTORALE
II.1 - Environnement médiatique
II.2 - Climat de violence
II.3 - Des mesures inadaptées
II.4 - Financement de la campagne
III - LA TENUE DES ELECTIONS
III.1 - Le manque d'identification
III.2 - Réduction drastique du nombre de bureaux de vote
III.3 - Des crayons à papier pour cocher la case
III.4 - Irrégularités dans les bureaux de vote
IV - LE DEPOUILLEMENT DU SCRUTIN
IV.1- Bulletins nuls
IV.2 - Le Régime de Phnom-Penh rejeté
IV.3 - Le PPC refuse de céder le pouvoir
IV.4 - Le FUNCINPEC finit par céder au chantage
IV.5 - Le PPC consolide ses positions
IV.6 - Le nouveau gouvernement applique le programme des vaincus
IV.7 - La colère gronde contre les colons vietnamiens
IV.8 - Rien n'a changé, l'anarchie règne partout
IV.9 - Les Droits de l'Homme en question
IV.10 - Privé du Pouvoir, le Roi demeure aux côtés du Peuple
IV.11 - Le problème Khmer Rouge
IV.12 - L'ONU véritable responsable de la situation actuelle

I - L’ABSENCE D’UN RECENSEMENT

Pour assurer le bon déroulement d’élections générales, il convient sans aucun doute, dans le contexte du pays, de procéder à un recensement de la population cambodgienne. Cette opération est jugée fondamentale par tous. De plus, les résultats d’un tel recensement auraient pu servir de base aux projets socio-économiques dans les étapes ultérieures de réhabilitation et de reconstruction du Cambodge.

Rappelons que le dernier recensement remonte à l’année 1962 ; la guerre ayant ravagé le pays durant plus de vingt ans et s’étant accompagnée d’énormes flux migratoires et que le Cambodge a grand besoin de données démographiques fiables.

Le Japon a été sollicité par la communauté internationale pour diriger cette opération. Cela a été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par les Cambodgiens, au départ très confiants en la sagesse et le bon sens de l’APRONUC. Le CNS a donné son accord à l’unanimité et s’est tenu prêt à coopérer avec l’APRONUC pour mettre fin aux batailles des chiffres sur la population cambodgienne.

Tout laisse donc croire que le Japon va remplir la mission qui lui a été confiée avec son sérieux habituel. Un projet de recensement informatisé a été établi et tous les paramètres doivent être pris en compte. Il reste à fixer le choix de méthode de recensement : faut-il procéder par la méthode statistique comme en Allemagne et en Suisse, ou organiser un comptage direct comme en France où en 1990 chaque foyer a rempli un formulaire ? La méthode statistique, quoique très pratique et efficace, exige des données statistiques de base très précises. Celles-ci sont à tout moment disponibles dans un pays comme l’Allemagne, ce n’est pas le cas au Cambodge.

Le procédé couramment pratiqué dans le monde, à savoir un recensement par comptage direct, a donc été retenu par le Japon. Mais le projet en est resté au stade de la conception, sans un moindre signe d’évolution. L’opinion publique s’est demandée quelles ont été les raisons qui ont motivé la décision de l’APRONUC de suspendre purement et simplement le projet.

Cette décision est hautement regrettable. D’autant qu’en déclarant d’une façon arbitraire que plus de 4,7 millions de cambodgiens se sont inscrits pour voter, l’APRONUC a semé un doute sérieux sur l’exactitude d’un chiffre considéré comme infondé par les démographes et exorbitant par les organismes internationaux.

En effet, en fonction des estimations de la population cambodgienne, régulièrement effectuées et publiées, et même en tenant compte de légères disparités des chiffres, on peut établir formellement que la population cambodgienne ne peut en aucun cas excéder 9 millions. D’autre part, il s’agit d’une population très jeune. 48 à 50 % des individus ont moins de 15 ans (voir tableau des estimations ci-dessous). Et conformément à l’Article 14 de la Loi Electorale, ces derniers n’ont pas atteint l’âge de s’inscrire sur les listes électorales.

Voici quelques estimations de la population cambodgienne :

7,6 millions (par le démographe EA MENG TRY en 1987)

7.8 à 8 millions (par l’ONG AEDES en 1989)

8 millions (par ESPRIT KHMER en 1990)

7,15 millions (par US bureau of the census en 1991)

8.8 millions (Estimation UNDP 1992 rapportée par Staits Times du 10 avril 1993)

Il faut d’autre part, tenir compte de la population vivant dans les zones contrôlées par les Khmers rouges, qui selon certaines estimations, représente à peu près 5 % de la population totale. En principe, cette population ne s’est pas inscrite sur les listes électorales. On en déduit que le nombre des cambodgiens en âge de voter ne peut dépasser 4,5 millions. Le chiffre avancé par l’APRONUC n’est donc pas justifié. Soit il est totalement erroné, soit il inclut une population étrangère. Dans les deux cas, il y a atteinte à la loi électorale dans son fondement même.

L’annulation de l’opération de recensement initialement prévue dénote déjà le manque de rigueur et de sérieux dans la préparation de ces élections.

II - CAMPAGNE ELECTORALE

II. 1 - ENVIRONNEMENT MEDIATIQUE

Dans un souci d’impartialité dans la conduite de ces élections, la loi prévoit des dispositions concrètes, notamment concernant l’accès aux médias durant la période de campagne électorale. C’est ainsi que l’Article 36 stipule :

De façon que tous les partis politiques disputant l’élection aient équitablement accès aux médias (presse, télévision et radio notamment), tous les journaux et les chaînes de télévision contrôlées par les autorités publiques au Cambodge sont mis gratuitement à la disposition du Représentant Spécial à des fins de publicité et d’éducation électorales liées aux élections.

Et l’article 38 sur la radio et la télévision précise :

Tous les services de radio et TV doivent donner du temps d’antenne à tous les partis enregistrés et à leurs candidats, selon une répartition déterminée par le Représentant Spécial pour qu’ils fassent connaître leur politique.

L’application de ces mesures a beaucoup tardé à venir et a anéanti l’effet attendu. En effet, durant toute cette période préélectorale, l’EDC-PPC a détenu seul le contrôle de la radio et la télévision, diffusant la propagande du parti et l’APRONUC a renoncé, jusqu’à la veille du scrutin, à ramener sous son contrôle tous ces instruments médiatiques. Aucun temps d’onde ni d’antenne n’a longtemps été attribué aux autres partis comme il a été prévu.

Le FUNCINPEC a dû créer sa propre petite radio et les autres petits partis ont tout simplement été privés de moyens d’expression.

L’APRONUC est entièrement responsable de cette situation.

En prévision d’un climat très tendu se traduisant parfois par des actes de violence, elle a tenu à expliciter le code de conduite des uns et des autres. L’Article 39 précise :

Tous les partis et candidats inscrits exerçant leur droit d’accès aux médias s’abstiennent de promouvoir la violence, le mensonge ou la confusion, de chercher à enceindre le caractère confidentiel du scrutin ou de faire appel à l’invective.

Le Représentant Spécial peut suspendre le droit d’accès aux médias de tout parti ou candidat ne respectant pas la présente règle.

L’Article précité est loin d’avoir été respecté dans la pratique. Il est largement demeuré au stade de la clause de bonne intention.

En fait, la radio et la télévision contrôlées et supervisées par les hommes de l’EDC-PPC ont diffusé à grands flots les dénigrements et les accusations à l’encontre des dirigeants des partis politiques adverses.

Ces agissements ont soulevé de vives protestations de certains responsables de l’APRONUC qui ont demandé à M. Akashi, des mesures urgentes pour remédier la situation.

Face à la montée de la contestation dans ses propres rangs, à la pression des associations khmères et surtout aux réserves émises par le FUNCINPEC et le PDLB, à leur menace de se retirer de la compétition électorale si le climat continue à se dégrader, l’APRONUC et les grandes puissances se sont, à la dernière minute, ressaisies. Ce n’est que vers la fin d’avril, c’est-à-dire à un mois de la date des élections, que le PPC s’est vu contraindre par l’APRONUC, de laisser le FUNCINPEC diffuser des programmes de télévision à partir de Phnom Penh.

Cette reprise en main tardive s’est vraiment concrétisée par une sévère mise en garde adressée le 16 mai par le responsable du département information/éducation, M. Timothy Carney, à la chaîne de TV IBC lui reprochant son parti pris en faveur du PPC. La première chaîne de TV privée de l’histoire du Cambodge a émis de 17 heures à 21 heures, depuis le 13 mai, à la faveur d’une concession de 99 ans accordée par l’EDC et dénoncée par le FUNCINPEC comme une atteinte à la propriété de l’Etat.

II. 2 - CLIMAT DE VIOLENCE

L’APRONUC a reconnu que la violence est une pratique constamment utilisée par certains partis politiques engagés dans le processus électoral contre leurs opposants. Dans la plupart des cas, la responsabilité en a été attribuée au PPC. Le rapport final de la composante Droits de l’Homme, établi en septembre 1993, est très révélateur. Durant la seule période de novembre 1992 à janvier 1993, le FUNCINPEC et le PDLB ont déploré 96 morts et blessés dans leurs rangs, tous victimes des attaques à motivation politique. Certaines enquêtes des agents de l’APRONUC ont permis de déceler les vrais coupables et des rapports circonstanciés ont été dressés. Citant un cas type de crime, un des observateurs de l’APRONUC en poste à Prey Veng a rapporté en substance les faits suivants :

Le 2 novembre 1992, M. Att Sidorn, membre du PDLB, et sa mère ont été tués par balle à Veal, district de Ba Phnom, province de Prey Veng, par 5 hommes armés. Deux d’entre eux sont entrés dans la maison de M. Sidorn, attachaient ses mains derrière son dos et battaient sa femme avec les crosses de leurs fusils. Ils tiraient 4 balles sur M. Sidorn quand sa femme tentait d’arrêter le massacre. En entendant le bruit des coups de feu, sa mère accourrait en hurlant : elle fut abattue par des hommes postés à l’extérieur de la maison. Mme Sodorn a identifié deux des assaillants qui sont des agents locaux du PPC. En dépit de cela aucune action n’est prise à l’encontre de ces hommes. Les enquêteurs de la composante " droit de l’homme " ont conclu que le meurtre avait une motivation politique du fait que M. Sidorn a des activités politiques soutenant le PDLB.

Le climat s’est dégradé à un point tel que le prince Norodom Sihanouk n’a pu rester indifférent. Il a lancé un appel de Pékin à tous les partis politiques et leur a demandé de ne pas recourir à la violence et de respecter les Accords de Paris.

Ce n’est que vers fin décembre 1992 que le représentant Spécial de l’ONU, sur proposition de la composante Droits de l’Homme a annoncé l’établissement d’un parquet et nommé un procureur chargé de poursuivre tout coupable d’acte de violence. Il a ordonné également des déploiements des forces militaires de l’APRONUC et des patrouilles de la Police Civile pour garder et protéger les sièges des partis politiques opposants du PPC-SOC. Le nombre de crimes à motivation politique perpétrés par l’EDC-PPC a sensiblement diminué dans les deux mois qui ont suivi la prise de ces nouvelles dispositions, mais des harcèlements et attaques des sièges des partis opposants continuaient, bien que moins fréquemment.

Profitant de l’apparente accalmie qui règne, les partis opposants au PPC ont alors entrepris de mener plus ou moins ouvertement campagne à l’échelon des provinces. La réplique a été immédiate : les déplacements de leurs membres sont suivis de très près par la police locale de l’EDC, des mesures de pression et d’intimidation ont été prises et même des actes de violence ont été commis à leur encontre. L’atmosphère est revenue à la terreur et les responsables du FUNCINPEC et du PDLB ont présenté de nombreuses requêtes au nom du CNS au Représentant Spécial, assorties d’un état mentionnant le nombre et les noms de leurs membres, victimes des crimes perpétrés par l’EDC-PPC. Leurs doléances ont été très mal reçues par le Représentant Spécial qui s’est contenté de réponses et de condamnations évasives de ces actes.

En dépit des démarches fréquentes auprès des autorités de l’EDC-PPC, une nette recrudescence des incidents a été observée à partir du mois de mars 1993 jusqu’à la date de l’ouverture du scrutin. L’APRONUC a enregistré durant cette période 114 cas de crimes prémédités engendrant morts et blessés et perpétrés en majorité à l’encontre des partisans du FUNCINPEC et du PDLB (cf. Rapport circonstancié de l’APRONUC sur les incidents durant la période du 1er mars au 14 mai 1993 et transmis à Samdech Norodom Sihanouk par M. Akashi le 25 mai 1993). Les enquêtes menées par les agents de la composante Droits de l’Homme ont permis de trouver les coupables qui appartiennent tous à l’EDC-PPC et de conclure que dans la plupart des cas, la motivation politique est le seul mobile. Dans son rapport final du mois de septembre 1993, cette composante a relaté un autre cas d’assassinat qui dénonce l’impuissance de l’APRONUC, notamment dans le domaine du maintien de l’ordre et de la sécurité qu’elle est pourtant sensée d’assurer. Un rapport d’un de ces agents décrit :

Le 1er avril 1993 à Romeas Hek, dans la province de Svay Rieng, M. Soun Sour, membre du FUNCINPEC, était dans sa maison avec sa femme et ses enfants. Vers 23h30, Ngin Chanarith, agent de la police locale, Kau Chhong et Sor Vor, agents de la milice, sont entrés dans la maison, armés de fusils d’assaut AK-47, et 7 autres hommes armés les attendaient à l’extérieur.

Ngin Chanarith réclamait de l’or à Suon Sour et commençait à le battre devant sa femme. Il attachait ensuite ses mains derrière le dos et lui tirait des balles dans les jambes. La maison était dans le noir et les insurgés l’ont éclairée à l’aide de torches ce qui permettait aux témoins de reconnaître des hommes de la milice locale du village. N’y trouvant pas d’or, ils se contentaient d’arracher les boucles d’oreilles de Mme Suon Sour et ses vêtements. Avant de quitter la maison, Ngin Chanarith logeait une balle dans la tête de M. Suon Sour, le tuant sur place. Les enquêtes ont conclu que le mobile du crime est à motivation politique et recommandaient que des mandats d’arrêt soient émis contre Ngin Chanarith, Sor Vor et Kau Chhong. Ces mandats n’ont jamais été émis.

Beaucoup de crimes de cette nature ont été commis et les coupables, bien qu’ils soient dénoncés par des témoignages accablants, sont presque toujours restés impunis.

Une décision concrète a été prise par l’APRONUC pour la première fois, le 11 mai 1993 : elle a retiré le droit de vote à deux personnalités du PPC coupables d’actes d’intimidations flagrants et répétés à l’encontre des membres des autres partis. Les deux personnalités visées sont M. Pet Bo, officier de l’armée du régime de l’EDC et M. Kroch Pan, responsable du PPC dans un district de Phnom Penh.

Le 17 mai, à la suite de l’assassinat d’un dirigeant du FUNCINPEC à Siem Reap et de celui d’un cadre du PDLB dans la province de Kandal, M. Akashi a fait diffuser une déclaration écrite dans laquelle il a adressé un avertissement solennel à ceux qui s’opposent à la tenue d’élections libres et équitables par la violence, l’intimidation, le harcèlement et la manipulation. "L’APRONUC retirera les droits électoraux à tout membre d’un parti politique quelconque, même haut placé, si elle considère qu’il a gravement violé la loi électorale" a-t-il déclaré.

Il est regrettable que cette mise en garde ne se soit jamais concrétisée par une application de la sentence prévue en dépit de la persistance des actes condamnables.

Les réunions électorales et les manifestations de chaque parti sont prévues par les articles 40 et 41 de la loi électorale et son annexe relatif au Code de Conduite qui imposent une autorisation au préalable de la part du Contrôleur des opérations électorales afin d’éviter qu’ils ne coïncident dans le temps et dans l’espace avec ceux des autres partis.

En réalité, fort de son armée et de sa police, l’EDC-PPC a utilisé tous les moyens pour dissuader les autres partis à en tenir.

Là encore, l’APRONUC a réagi très mollement et a émis une autre sanction seulement le 22 mai, la veille des élections, contre le prince Norodom Chakrapong et M. Kim Bo, respectivement candidats du PPC à la députation dans les provinces de Kompong Cham et de Sihanoukville, condamnant chacun d’eux à une amende de 5000 dollars pour avoir enfreint à la loi électorale. Ces deux candidats ont en effet, sciemment désobéi à une instruction de l’APRONUC leur interdisant de tenir un meeting électoral à Sihanoukville au même moment que le FUNCINPEC.

Le Représentant Spécial, en dépit du caractère de flagrant délit de ces actes, n’a pas cette fois encore, usé de son pouvoir pour priver les coupables de leur droit civique.

L’APRONUC est parfaitement informée de la situation. L’ignorance du terrain et de la situation politique ne peut être avancée comme des circonstances atténuantes expliquant ses manquements. En dehors des critiques et des avertissements formulés par les milieux politiques ou associatifs cambodgiens, elle dispose des moyens propres pour évaluer au jour le jour la situation sur le terrain. Les milliers de ses policiers, d’agents électoraux et les experts de la composante Information/Education constituent un réseau de collectes d’informations, ayant des capacités d’analyse et de synthèse, jusque là jamais réunies sur le terrain cambodgien.

Le rapport analytique dressé le 9 décembre 1992 sur l’environnement politique dans la province de Battambang conclut que tout prouve que l’environnement politique à Battambang est caractérisé par la violence et la répression. L’EDC poursuit un effort systématique pour terroriser à grande échelle les partis d’opposition et la population. L’enquêteur affirme dans ce rapport que les gens sont terrifiés par l’EDC. Ils sont complètement convaincus que les incidents contre les partis politiques sont l’œuvre de l’EDC. Les gens pensent que s’ils sont vus en train de parler avec des personnes appartenant à des nouveaux partis, ils seront convoqués par la police et menacés ; plusieurs incidents de ce type ont été rapportés.

Les conclusions du rapport sont toujours aussi accablantes :

A cause de nombreux incidents, intimidations et violences dans la province de Battambang, le processus électoral court de graves dangers d’être totalement compromis. A ce sujet, l’incident le plus troublant de la semaine a été la disparition d’un permanent du FUNCINPEC de retour d’un bureau d’enregistrement en chemin vers son domicile. Ce permanent politique avait fait antérieurement état de menaces. Des agents électoraux ont aussi fait l’objet de menaces. Grâce à cette tactique, dans la plupart des lieux d’enregistrement des électeurs, les seuls observateurs de parti présents ont été ceux du PPC. Le PDL a déclaré avoir trop peur pour engager des permanents. Ainsi ils n’ont pas de personnel à envoyer comme observateurs dans les sites d’enregistrement.

Bien qu’il ne soit pas toujours évident de dire qui est responsable de certains incidents, tel qu’un jet nocturne de grenade, il a été rapporté que de nombreux cas de harcèlement sont le fait d’homme des FAPC en uniforme. Dans certains cas, ces incidents ont eu lieu au grand jour devant des témoins qui se sont déclarés capables d’identifier les coupables. Pendant que l’agent d’information se trouvait à Battambang, les officiels de l’EDC au niveau du district n’ont pas hésité à maintenir aux représentants des autres partis qu’ils ne peuvent pas ouvrir de bureaux au niveau du district parce que les fonctionnaires de l’EDC du district n’ont pas reçu d’ordre du gouverneur leur autorisant d’en créer. Bien qu’une telle permission au niveau du district ne soit pas requise, les autorités de l’EDC affirment le contraire à la population et expliquent ainsi qu’ouvrir des permanences de partis est illégal. Cette justification est utilisée pour tenir les gens à l’écart de ces locaux.

Un autre rapport d’enquête de la composante Information-Education consacré à la province de Kompong Cham daté du 28 janvier 1993, révèle au sujet du processus électoral que :

Certaines personnes disent ouvertement qu’elles ne croient pas que les élections puissent avoir lieu. Les représentants des partis politiques se déclarent convaincus que les autorités de l’EDC ont obtenu toutes les listes d’enregistrement et les numéros des cartes des votants enregistrés. Dans certains cas, ils ajoutent qu’ils les ont obtenus directement des agents électoraux (de l’APRONUC) sur les lieux d’enregistrement (voir aussi les rapports d’analyse d’inspection dans la province de Prey Veng 1/93). Dans d’autre cas, ils ont été obtenus en ramassant les cartes d’électeurs pour en relever les numéros. Les officiels des partis d’opposition sont inquiets du fait que grâce à ces informations, en forçant les fonctionnaires et les étudiants à adhérer au PPC et en les intimidant, l’EDC va convaincre les gens qu’ils n’ont d’autre choix que de voter pour le PPC.

Quand l’agent d’information a évoqué le programme d’information et d’éducation et sur le secret des urnes, certaines personnes répondent que c’est bien mais insuffisant. D’autres disent que les gens commencent à se demander si le vote pourrait être vraiment secret.

Chose encore plus frappante : les cambodgiens ne sont pas les seuls à se plaindre des conditions dans lesquelles l’APRONUC a préparé les élections. La direction elle-même a eu à faire face à une véritable crise de confiance de ses agents électoraux opérant sur le terrain, un mois seulement avant l’ouverture du scrutin.

Après une rencontre houleuse avec M. Akashi, le 21 avril 1993, plusieurs fonctionnaires internationaux ont laissé éclater leur mécontentement. " Akashi lui-même ne parle plus d’élections libres et honnêtes " a déclaré au Nation et au Phnom Penh Post, un agent électoral. Pour l’agent américain David Constenza la question est de savoir si les élections sont bonnes pour les cambodgiens et si le climat est bon pour tenir des élections.

II. 3 - DES MESURES INADAPTEES

Le laxisme de l’APRONUC est systématiquement interprété comme une faiblesse par les autorités locales de l’EDC qui n’hésitent pas à s’en prendre directement aux agents électoraux et observateurs mandatés pour le contrôle et la surveillance de la situation pendant la période de la campagne électorale. A Kompong Thom, certains ont affirmé avoir été menacés par les soldats de l’EDC. " Il n’y a sans aucun doute aucun agent électoral n’a été épargné de menace proférée par un colonel ivre des FAPC " a encore déclaré David Constenza.

La décision prise par l’APRONUC de recruter des policiers du régime de l’EDC ou de collaborer avec eux pour assurer la sécurité des lieux de vote a été sévèrement critiquée par les agents électoraux. " Avoir des policiers de l’EDC dans les bureaux de vote compromet complètement le caractère libre et honnête des élections " a expliqué M. Marcus Jense, un agent électoral hollandais. " Quand les gens voient des policiers de l’EDC dans les voitures de l’APRONUC, ils ne peuvent pas avoir confiance en nous " a reconnu un agent électoral de Siem Reap. " Les problèmes de sécurité affectent beaucoup plus de provinces que nous ne l’avions prévu et les conditions se dégradent. Au lieu d’avoir un environnement libre et honnête, nous avons une situation de plus en plus violente et chaotique. A Kompong Thom c’est comme si on voulait organiser des élections au milieu d’opérations militaires. Quelqu’un devrait avoir le courage de reculer ou d’annuler ces élections " a conclu M. Constenza. Un de ses collègues estime que l’APRONUC a créé une situation explosive. Même si des mesures sont prises pour assurer la sécurité du personnel électoral et des lieux de vote, David Constenza juge qu’il est trop tard pour redresser la situation et des mesures envisagées telles le déploiement de troupes, la distribution de gilet pare-balles et d’armes aux scrutateurs... sont contraires au message des élections libres. " Je ne crois pas que nous puissions parler aux villageois d’élections libres en portant nous-mêmes des gilets pare-balles " a-t-il ajouté.

En effet, suite aux protestations de certains de ses agents électoraux, l’APRONUC a pris des mesures de protection pour les assurer. Elles consistent à envoyer en renfort des forces de sa composante militaire dans les centres d’enregistrement à risque, à armer les scrutateurs et à les équiper de gilets pare-balles. Ces dispositions ont fait l’objet de vives critiques tant par son propre personnel que par les partis politiques, les trouvant inadaptées à la situation et aberrantes dans le concept d’élections réputées libres et équitables.

Au total, soixante-dix policiers civils et agents électoraux ont démissionné ou refusé de renouveler leur contrat. Les premières démissions ont suivi le meurtre d’un agent électoral japonais le 8 avril 1993, l’assassinat a été perpétré par un cambodgien furieux de ne pas avoir été recruté par l’APRONUC. De nombreuses autres défections ont suivi, en réaction à l’entêtement de l’APRONUC à organiser des élections dans un climat politique pareil. " La plupart des incidents sont le fait des forces armées de Phnom Penh et non le fait des Khmers rouges et l’APRONUC semble laisser faire " a déclaré Melle Lajoie sur radio Canada, agent électoral québécois, quelques jours avant le scrutin.

De son coté, le FUNCINPEC dénonce à la une de son magazine Réalités Cambodgiennes. (N° 2 deuxième quinzaine de mars 1993) que les élections sont soumises à un triple chantage :

Ces trois chantages sont exercés par la partie de l’Etat du Cambodge que contrôle le Parti du Peuple.

Ils visent d’abord l’UNTAC en tant qu’organisateur des élections en question, ensuite les électeurs eux-mêmes de qui va dépendre le résultat du scrutin, enfin le FUNCINPEC en tant que principal parti d’opposition qui a toutes les chances de constituer la majorité parlementaire. Le premier chantage exercé par les autorités de Phnom Penh, chantage à l’encontre de l’UNTAC, se pose en ces termes : " Nous contrôlons 80 % du territoire et de la population du Cambodge. L’essence de votre mission à vous, UNTAC, est d’organiser des élections sans notre coopération, d’autant que les Khmers rouges ne participent pas au processus électoral que vous pilotez. Pour être assurés de notre indispensable coopération, vous devez être conciliants envers nous, ne pas être trop scrupuleux sur certains principes politiques, juridiques, démocratiques, etc..., importés de l’étranger et contraires à nos méthodes et habitudes de travail. Fermez vos yeux et votre bouche sur ce que vous pourriez considérer comme des anomalies, des contrevérités ou des violations de droit de l’homme. Rappelez-vous que toute vérité n’est pas bonne à dire. En échange de votre "compréhension" (appelez cela compromission si vous voulez), vous aurez vos élections et nous, grâce à nos "arrangements" explicites ou tacites avec vous, nous pourrons maximiser nos chances de gagner ces élections. "

Le deuxième chantage exercé par les mêmes autorités de Phnom Penh, mais à l’encontre cette fois de la population cambodgienne et plus spécifiquement du corps électoral, prend la forme d’une intimidation politique dont les régimes communistes ont le secret. Grâce aux recettes marxistes-léninistes reprises par les chefs vietnamiens et leurs marmitons khmers, le parti au pouvoir dont les rouages se confondent avec l’appareil de l’Etat, est en mesure d’intimider la population pour l’amener à voter pour lui, ou du moins la dissuader de soutenir des partis d’opposition. Cette intimidation revêt des formes multiples, brutales ou plus subtile, allant des assassinats contre les électeurs "" récalcitrants", en passant par des mesures de harcèlement politique, le recours à une propagande "musclée" et une campagne de désinformation sur le caractère secret du scrutin.

Le troisième chantage exercé toujours par la partie le l’Etat du Cambodge, s’adresse aux partis d’opposition et plus particulièrement au FUNCINPEC qui représente pour le PPC son seul et véritable "challenger" dans la compétition électorale à venir. On fait comprendre au FUNCINPEC clairement et ouvertement, ou discrètement et indirectement (par l’intermédiaire de certains diplomates intéressés à la survie du régime actuel de Phnom Penh car déjà trop engagé avec ce régime) qu’en cas de victoire même triomphale du parti Sihanoukiste présidé par SAR le prince Norodom Ranariddh, celui-ci devra composer avec l’équipe des dirigeants actuels qui, bien qu’ayant perdu les élections, auront gardé encore une puissante police et une puissante armée. En d’autres termes, le FUNCINPEC, après sa victoire électorale devra de gré ou de force, partager la direction du pays avec les anciens tenants du pouvoir, même devenus faibles politiquement, n’en demeurent pas moins puissants militairement. Belle conception de la démocratie ! Au nom sans doute d’une "realpolitik" qui voudrait que les représentants légitimes du peuple souverain s’agenouillent devant les anciens potentats d’un régime communiste honni et agonisant !

II. 4 - FINANCEMENT DE LA CAMPAGNE

Soucieuse de la transparence du financement de chaque parti, la loi électorale dans son article 43 impose :

Tous les partis et candidats tiennent état de toutes les contributions reçues pour leurs campagnes et de leur origine et le communiquent, sur demande, au Représentant Spécial.

Tous ces paiements sont déposés dans un compte bancaire unique sur lequel seront versés tous les revenus du parti politique, y compris les contributions d’où qu’elles viennent, et sur lequel seront prélevées les sommes nécessaires au paiement de toutes les dépenses afférentes aux élections.

Le Représentant Spécial peut rendre public un état qui lui a été communiqué.

Tous les partis engagés dans ce processus électoral semblent avoir échappé à ces règles. Des fonds occultes ont financé de façon flagrante les partis, surtout les plus grands. Ils proviendraient pour la plupart, d’entreprises étrangères ayant en échange bénéficié de concessions d’exploitation des ressources naturelles ou autres, cédées par les partis bénéficiaires.

L’EDC-PPC dispose d’atouts majeurs puisqu’il contrôle 80 % du territoire et toutes les structures administratives existantes. Citons les cas de concessions de 99 ans accordées à la chaîne de télévision privée IBC, l’exploration et l’exploitation d’une partie du plateau continental à une société pétrolière britannique, des lots de pêche attribués à des compagnies privées étrangères, des centaines d’hectares de forêt cédés à une compagnie japonaise pour la coupe du bois, des recettes provenant des taxes prélevées sur les importations et exportations, des patentes payées par les commerçants et la vente incontrôlée des terrains et immeubles de l’Etat, etc...

L’APRONUC est-elle en mesure de comptabiliser tous ces fonds et chaque parti a-t-il déclaré son mode de financement à l’APRONUC comme la loi électorale l’exige ?

III - LA TENUE DES ELECTIONS

Il était prévu que les élections se déroulent sur trois jours, du 23 au 25 mai 1993. Pour des raisons d’ordre organisationnel, l’APRONUC a jugé nécessaire de les prolonger jusqu’au 28 mai comme la loi l’y autorise.

III. 1 - LA MARQUE D’IDENTIFICATION

Toutefois, la prolongation de la période des élections a probablement mis à mal le système d’identification des électeurs ayant voté, système consigné dans l’alinéa 13 de l’Article 64 de la loi électorale. Le procédé consiste à repérer toute personne ayant voté par une marque d’identification reconnue au moyen de l’encre de tampon apposée sur la main. Or cette encre, d’après l’avis des observateurs sur place est effaçable au-delà de trois jours.

Le système de repérage est-il donc fiable et n’est-il pas à craindre que de nombreux inscrits aient pu voter plusieurs fois ?

III. 2 - REDUCTION DRASTIQUE DU NOMBRE DE BUREAUX DE VOTE

En raison du climat d’insécurité, l’APRONUC a annoncé le 28 avril 1993 que le nombre de bureaux de vote était réduit à 1 401 au lieu des 1 843 initialement prévus, soit une réduction de près de 24 %. Pour mémoire, M. Akashi a toujours prétendu que personne ne peut empêcher que les élections aient lieu sur 95 % du territoire. Mais une réduction aussi drastique du nombre de bureaux de vote à moins d’un mois de la date d’ouverture du scrutin, laisse planer un doute sur l’efficacité des moyens mis en œuvre pour compenser les bureaux de votes supprimés.

Il est aussi difficile de croire que la suppression de 442 bureaux de vote n’a touché que 5 % de la population et qu’elle a pu être suffisamment compensée par la création de centres mobiles de vote.

III. 3 - DES CRAYONS A PAPIER POUR COCHER LA CASE

Au bureau de vote du siège de l’Unesco à Paris, les gens se sont étonnés que des crayons à papier soient mis à la disposition des votants pour cocher la case voulue. En réponse à leur étonnement, les agents électoraux leur ont expliqué que " c’est plus pratique pour nous de corriger rapidement au cas où les électeurs se tromperaient de case ou changent d’avis ".

En a-t-il été ainsi dans les autres bureaux de vote au Cambodge ? Drôle de procédé !

III. 4 - IRREGULARITES DANS LES BUREAUX DE VOTE

La mission d’observation conjointe de l’Institut Khmer de la Démocratie, de l’Association des Etudiants et du PAWT (Private Agencies Working Together) a formulé au cours de ces élections toute une série d’observations à l’adresse de l’APRONUC. En voici quelques-unes, adressées par M. Julio Jeldres à M. Reginald Austin le 24 mai 1993 :

" Nous sommes encouragés par l’enthousiasme de la population khmère à exercer son droit d’autodétermination. Cependant, notre mission est préoccupée par un certain nombre d’irrégularités constatées lors de nos visites dans certains bureaux de vote et sur lesquelles nous voudrions attirer votre attention :

1/ Province de Kandal, bureau de vote Sereypheap 01.

Lors de notre visite, nous avons trouvé plusieurs représentants d’un parti politique assis près des agents électoraux officiels, et non derrière comme il se devait, ils contrôlaient les cartes d’électeurs et prenaient note des noms et numéros des votants. Quand nous avons signalé cela à l’agent électoral officiel, elle a pris la liste établie par les représentants du parti. Nous avons demandé à ce que les représentants du parti se placent derrière les agents électoraux officiels, mais ils ont refusé et les agents électoraux officiels, visiblement intimidés, n’ont pas réagi.

Dans le même bureau un représentant d’un parti se tenait près de l’urne et donnait des instructions aux votants, ce fait a été signalé à l’agent électoral officiel.

Nous pensons que si ces agissements se poursuivent dans ce bureau de vote, la crédibilité du processus électoral en sera affectée. Nous espérons que vous prendrez les mesures nécessaires pour que les règles appropriées que vos services ont établies soient respectées.

2/ Phnom Penh, Wat Kong Middle School (DP 04 A/B)

Comme il est relaté dans notre communiqué de presse d’hier, l’agent électoral officiel n’a pas autorisé nos observateurs nationaux (NDLR : cambodgiens) à entrer dans le bureau de vote pour observer le processus. L’agent électoral officiel, M. Indiana Gonzales, a aujourd’hui encore refusé, j’ai l’intention de me rendre moi-même pour savoir pourquoi nous ne pouvons entrer.

3/ Phnom Penh, Chabar Ampoeu Primary School (MC 01A/B)

Notre mission reste préoccupée par la présence de soldats de l’EDC, lourdement armés tout près du mur de l’école Chabar Ampoeu. Nous jugeons qu’une telle force, si elle est présente, doit être éloignée de 200 mètres. "

Ces trois remarques parmi tant d’autres, révèlent les irrégularités constatées lors de ces élections portant notamment sur le viol de secret, la négligence des responsables et les mesures d’intimidation sous toutes leurs formes.

Concernant le viol de secret, l’Article 83, alinéa 2 est précis :

( ... ) nul ne doit intervenir ni tenter d’intervenir auprès d’un électeur au moment où celui-ci exprime son suffrage, ni tenter d’obtenir par aucun moyen dans l’enceinte du bureau de vote des informations quant au parti politique enregistré pour lequel un électeur s’apprête à voter ou a voté, ni communiquer à aucun moment à quiconque d’autre des informations recueillies dans le bureau de vote quant au parti enregistré pour lequel un électeur s’apprête à voter ou a voté.

La négligence des responsables enfreint à l’article 84 de la loi électorale qui ordonne qu’un responsable ne doive volontairement omettre d’exécuter aucune des tâches qui lui sont assignées.

L’implantation des forces armées dans l’espace avoisinant les bureaux de vote menace directement les électeurs et constitue une entrave à l’article de la même loi sur la sécurité des électeurs.

IV - LE DEPOUILLEMENT DU SCRUTIN

Pas moins de douze articles (de l’article 70 à l’article 81) définissent le procédé de dépouillement et les moyens de contrôles à divers niveaux : notification du lieu et de l’heure du dépouillement de chaque centre, vérification des comptes-rendus des bulletins par les présidents des bureaux de vote, envoi des bulletins au chef des opérations électorales, consignation des bulletins provisoires dans des sacs à part pour les envoyer au chef des opérations électorales, possibilité d’un nouveau décompte si le chef des opérations électorales l’exige, formule de calcul du nombre de candidats élus d’un parti politique, proclamation et publication des résultats de l’élection.

On se félicite de tant d’articles précis, concis, n’épargnant aucun détail quand il le faut. Mais dans les faits, on ne peut que déplorer un laxisme concernant la surveillance et le contrôle des urnes, et le dépouillement du scrutin est loin d’être conforme aux dispositions consignées dans les articles afférents.

Bulletins nuls

Selon l’APRONUC, les bulletins nuls sont dans l’ordre de 100.000, soit à peu près 2,5 % des suffrages exprimés. Le chiffre est étonnamment bas compte tenu de l’absence de tradition électorale, de l’illettrisme, du manque de lunettes et, en comparaison des 20 % de bulletins nuls dénombrés dans une situation similaire en Angola lors des récentes élections également organisées par l’ONU.

Le taux de l’illettrisme est certainement élevé pour que certains partis aient recours à une campagne d’explication pour repérer les logos de leur partis respectifs. Le PPC a obtenu de figurer en première position sur le bulletin de vote comprenant le nom et le logo des vingt partis en lice et il s’est employé à expliquer que pour voter, il convient de cocher le premier sigle figurant sur le bulletin de vote. De son coté le FUNCINPEC explique qu’il faut plier par deux fois le bulletin, l’intersection des plis correspond à la case du FUNCINPEC. Plus simple, la consigne du PPC a cependant abouti à des résultats inattendus : plusieurs milliers de bulletins ont du être déclarés nuls parce que le sigle de l’ONU - figurant en haut et à gauche sur les bulletins - a été coché par erreur par les électeurs. Dans la province reculée de Rattanakiri, le Parti du Congrès National Khmer a fait son meilleur score, arrivant troisième juste derrière le PPC et le FUNCINPEC bien qu’il ne dispose dans la province d’aucun bureau et qu’il n’y a tenu aucun meeting.

L’explication de ce score surprenant semble être identique : ce parti figurant en dernier sur le bulletin de vote, il se retrouve en première position si le bulletin est pris à l’envers.

Le régime de Phnom Penh rejeté

Les 45,57 % de suffrages officiellement obtenus par le FUNCINPEC sont l’expression de la volonté de la population khmère d’en finir avec un régime totalitaire installé par une armée étrangère. Mais le compte n’y est pas. De toute évidence, le FUNCINPEC s’est fait voler quelques centaines de millions de voix, sinon plus. Dans les 1 533 471 voix obtenues par le PPC, soit 38,22 % des suffrages, il y a les voix de nombreux colons vietnamiens, il y a le poids de la fraude électorale et celui de la coercition exercée par la police et l'armée du régime pro-vietnamien, notamment dans les campagnes.

Il n’en reste pas moins que le FUNCINPEC a gagné. Avec ses alliés du PDLB (3,81 % des suffrages) et du MOULINAKA (1,38 % des suffrages), il dispose à l’assemblée d’une confortable majorité absolue de 69 députés contre 51 seulement au PPC. Dans de telles conditions, le principe démocratique commande qu’ils détiennent la réalité du pouvoir.

C’est précisément ce qu’a fait valoir le Prince Norodom Ranariddh au lendemain de la proclamation officielle des résultats (propos recueillis le 12 juin par François Danchaud pour le quotidien Ouest-France) :

Ces élections ont exprimé le vœu du peuple Cambodgien souverain qui, très clairement rejette l’administration en place et le parti de type communiste imposé à notre peuple depuis 14 ans.

( ... ) Je demande donc que la communauté internationale, qui a organisé et supervisé ces élections, reconnues comme remarquables, libres et équitables (je suis réservé sur ce dernier point) fasse en sorte que le vœu populaire soit respecté (...). Je demande que tous les signataires de l’Accord de Paris et le Conseil de Sécurité endossent les résultats proclamés par M. Akashi et dénoncent les manœuvres actuelles du PPC qui cherche à provoquer une crise. Il ne faut plus que l’on s’amuse à refaire les élections Cambodgiennes dans les chancelleries des ambassades. Le peuple Cambodgien a rejeté et condamné un régime de dictature, ce n’est pas à l’Occident de refaire les élections.

Dans le même entretien, le Prince Ranariddh révèle que la PKD, après avoir boycotté les élections, en reconnaît les résultats et demande le respect de la volonté populaire :

Khieu Samphân m’a dit qu’il ne souhaitait pas participer à un éventuel gouvernement. Il demande le respect de la volonté du peuple et que mon père et moi-même jouions un rôle important. Les Khmers rouges, et c’est très important, après avoir refusé le principe des élections organisées par l’Onu, reconnaissent le résultat de ces élections. C’est un élément très positif pour la réconciliation nationale.

Le PPC refuse de céder le pouvoir

Cependant, le PPC n’admet pas sa défaite et refuse de céder le pouvoir. Dès l’annonce des premiers résultats partiels qui lui sont défavorables, le 31 Mai, le PPC conteste les résultats et accuse l’APRONUC d’avoir favorisé le FUNCINPEC durant la campagne électorale et durant la semaine de vote, puis d’avoir falsifié les résultats au cours des opérations de dépouillement. Le 6 Juin, le chef du PPC, M. Chea Sim écrit à M. Akashi :

A cause des irrégularités nombreuses et variées, et à cause des questions que soulèvent les agissements de l’APRONUC durant le processus électoral, le PPC demande que les résultats des élections soient suspendus jusqu’à ce qu’une commission impartiale puisse entendre les plaintes et juger de ces plaintes et des irrégularités.

L’APRONUC rejette catégoriquement les accusations et les protestations du PPC et maintient que les élections ont été libres et honnêtes. Face à cette fermeté, le PPC se fait chaque jour plus menaçant. Le 11 Juin radio Phnom Penh retransmet un long discours de M. Hun Sèn dans lequel celui-ci dénonce une conspiration de l’APRONUC et avertit que sans le PPC, il n’y aura pas de majorité des deux tiers pour adopter une constitution..

Plus grave, depuis le 31 Mai, la police et l’armée pro vietnamienne ont engagé une campagne violente d’intimidation contre les partisans du FUNCINPEC. De leur côté, M. Chea Sim et M. Hun Sèn font littéralement le siège du Prince Sihanouk, au Palais royal. Ils lui promettent un bain de sang si le PPC est chassé du pouvoir.

Le 3 Juin, avant même la fin du dépouillement et la proclamation officielle des résultats, sur la demande insistante et répétée du PPC-SOC représenté par S.E. le Président Chea Sim et S.E. le Premier ministre Hun Sèn, le Prince Sihanouk se propose donc de prendre la tête d’un gouvernement national du Cambodge bipartite. Il nomme le Prince Ranariddh et M. Hun Sèn vice-premiers ministres et annonce que chaque ministère sera dirigé par deux co-ministres venant, l’un du FUNCINPEC, l’autre du PPC. Le Prince Sihanouk prend soin d’annoncer simultanément la dissolution de l’Etat du Cambodge et de réaffirmer que la PKD conserve sa place au sein de la communauté nationale comme au sein du CNS.

Le jour même, le Prince Sihanouk explique à son fils, le Prince Ranariddh, les raisons qui lui ont été imposées, de prendre une décision contraire à ses prises de position antérieures :

" Même dans mon plus récent fax, je vous ai dit que je n’accepterai pas de former et présider un gouvernement bipartite FUNCINPEC-PPC, car cela ne donnerait que des avantages à ce dernier (PPC) sans améliorer pour autant la situation de notre pauvre Cambodge et son infortuné peuple. Or d’après les derniers renseignements venus de sources sûres, les extrémistes du PPC (SOC) ont déjà "mis en place" un peu partout dans les villes et zones SOC des "équipes militaro-policières" spécialisées dans "l’art" de s’attaquer aux Funcinpecistes connus et au petit peuple funcinpeciste en les plongeant dans un bain de sang, sachant que l’ANKI est trop petite pour défendre les futures et innocentes victimes.

Lors de l’audience de 11h30 aujourd’hui, S.E. Hun Sèn m’a dit que des "confrontations violentes" avaient déjà commencé dans Kampot (hier) et aujourd’hui dans d’autres provinces, y compris Kompong Cham (...)

Papa se voit [donc] obligé, après avoir reçu de S.E. Chea Sim et S.E. Hun Sèn une nouvelle requête verbale (ce matin à 11h30), de former et présider le GNC (Gouvernement National du Cambodge) - appellation donnée par Papa à notre nouveau gouvernement. "

L’initiative du Prince Sihanouk suscite immédiatement de vives critiques de la part de ses habituels détracteurs, à commencer par celles de l’ambassade américaine à Phnom Penh et celles de certains hauts responsables de l’APRONUC. Avertie des discussions menées au Palais entre le PPC et le Prince Sihanouk, l’ambassade américaine à Phnom Penh fait diffuser quelques heures avant que le prince ne rende publique son initiative un non-paper qui affirme que les récentes discussions entre les parties cambodgiennes concernant la formation d’un gouvernement de coalition intérimaire pourraient conduire à une violation des Accords de Paris qui reviendrait à disqualifier la totalité du processus électoral et la transition vers la démocratie. " Nous nous opposons donc à l’établissement de tout gouvernement intérimaire " conclut le document.

Quant au Prince Ranariddh, il refuse que le FUNCINPEC vainqueur reçoive le même traitement que le PPC. Dans une lettre adressée à son père il soulève des questions de principe et de pratique qu’il explique dans un communiqué rendu public le 5 juin :

Le principe c’est que le peuple souverain s’est clairement prononcé sur le rejet d’un régime de dictature de type communiste "installé par le Vietnam", ainsi que ses trois "leaders historiques". Au plan pratique, il me serait difficile de travailler efficacement dans le gouvernement avec des dirigeants, notamment LLEE Hun Sèn, le Prince Chakrapong qui, durant toute la campagne électorale, ont basé le thème de cette campagne sur des attaques les plus mensongères, virulentes, insultantes à l’encontre du FUNCINPEC et de son Président. SE M. Hun Sèn, en sa qualité de Premier ministre de l’ex "Etat du Cambodge" est personnellement responsable des actions de violence, d’assassinat à l’encontre de membres du FUNCINPEC.

Face à ces critiques, dès le 4 Juin, le Prince Sihanouk a déclaré renoncer à former un cabinet bipartite en renvoyant le FUNCINPEC et le PPC à leurs responsabilités.

Le PPC reprend alors son chantage et sa campagne de violence et d’intimidation. Le 9 Juin, l’armée pro vietnamienne organise une démonstration de force autour du Palais royal. Un convoi de trente-six véhicules, dont trois blindés, se déploient autour du Palais, mené par les généraux Tea Banh et Sin Song et une quarantaine des plus hauts dirigeants des forces armées et de police du régime pro vietnamien. Reçus en audience par le Prince Sihanouk, les généraux pressent à nouveau le chef de l’Etat de constituer un gouvernement bipartite. Le Prince, habilement, les remercie de leur soutien et leur demande de conserver leur calme.

Le lendemain, 10 Juin, débute un mouvement de sécession des provinces khmères limitrophes du Vietnam : Rattanakiri, Mundolkiri, Kratié, Stung Treng, Kompong Cham, Svay Rieng et Prey Veng. Officiellement, le mouvement est dirigé par l’un des fils du Prince Sihanouk, le Prince Chakrapong et par des durs du PPC : les généraux Sin Song, Bou Thang et M. Hun Nheng. Ce dernier est le frère de M. Hun Sèn, gouverneur de Kompong Cham, et vient d’être battu aux élections dans sa circonscription. Le mouvement est extrêmement violent. De nombreux locaux du FUNCINPEC, du PDLB, mais aussi de l’APRONUC sont mis à sac et incendiés. L’armée et la police de l’EDC n’hésitent pas à ouvertement ouvrir le feu contre des personnels et des véhicules de l’ONU. Au moins 29 militants du FUNCINPEC et du PDLB sont tués. Des milliers d’autres sont contraints à la fuite, soit vers Phnom Penh, soit vers les zones Khmers Rouges. Le Prince Ranariddh reconnaît lui-même que deux cents de ses partisans avaient dû trouver refuge chez les Khmers rouges, dans la seule province de Kompong Cham.

A Phnom Penh, le 11 Juin, M. Hun Sèn parle de conspiration de l’APRONUC et avertit que sans le PPC, il n’y aura pas de majorité des deux tiers pour adopter une constitution. Il ajoute : " Nous avons déjà prévenu l’APRONUC : si vous ne vous comportez pas correctement, si vous ne nous donnez pas satisfaction, n’oubliez pas que nous ne voterons pas la constitution. Et si nous ne votons pas la constitution, vous serez coincés. "

En théorie, MM. Chea Sim et Hun Sèn et les autres éléments modérés du PPC désapprouvent la sécession. Cela permet au régime de poursuivre son marchandage à Phnom Penh pendant que ses hommes font le coup de force en provinces. L’APRONUC n’est pas dupe et déclare le 13 Juin qu’elle tiendra l’Etat du Cambodge responsable de toute menace ou action contre le personnel de l’ONU (...) ou contre les membres du FUNCINPEC, du PDLB ou de tout autre parti.

Le FUNCINPEC finit par céder au chantage

Le 12 Juin, tout en affirmant qu’il n’est pas question de céder à un chantage, le Prince Ranariddh cède aux principales exigences du PPC. " Aujourd’hui, je pense qu’il faut assurer une transition harmonieuse dans l’attente de la formation d’un gouvernement. Dans cet esprit, je suis prêt à accepter le PPC dans le cadre d’une administration conjointe intérimaire reflétant le verdict populaire (...). Cette structure pourrait durer au maximum trois mois, le temps de rédiger la constitution " déclare-t-il. Le Prince n’avance plus qu’une seule condition : que le PPC reconnaisse le résultat des élections.

Le 14 Juin, l’assemblée constituante se réunit pour la première fois, en présence des élus du PPC. Elle décide de rendre justice à notre Samdech Euv vénéré, en cette occasion solennelle, en déclarant nul et non avenu le coup d’état du 18 Mars 1970. L’assemblée nouvellement élue décide à l’unanimité de remettre à notre Samdech Euv vénéré les pleins pouvoirs et les pouvoirs spéciaux inhérents à sa qualité et à ses fonctions de Chef de l’Etat. Ce jour là, il n’est plus question de se limiter à une administration intérimaire. Le principe d’un gouvernement bicéphale co-dirigé par le Prince Ranariddh et M. Hun Sèn est acquis. M. Hun Sèn peut se rendre à Kompong Cham pour rencontrer son frère et mettre fin à la sécession. Les unes après les autres, les provinces sécessionnistes annoncent leur ralliement à l’autorité centrale. Le Prince Chakrapong et le général Sin Song s’enfuient au Vietnam le 15 juin. Exil de courte durée puisque le 17 ils sont de retour à Phnom Penh et reçus en audience par le Prince Sihanouk.

Le 16 Juin, un communiqué du Palais royal annonce officiellement la nomination du Prince Ranariddh et de M. Hun Sèn conjointement à la tête d’un gouvernement national provisoire. Bien qu’il rappelle que l’Assemblée a doté le Prince Sihanouk des pleins pouvoirs, le communiqué précise que le Chef de l’Etat préside les réunions hebdomadaires du Conseil des ministres mais que c’est le gouvernement et non le Chef de l’Etat qui assume toutes les responsabilités du pouvoir exécutif.

Le choix des ministres pose de nouveaux problèmes. Le PPC entend conserver le contrôle de l’armée et de la police. Le 17 Juin, M. Hun Sèn se rend au Palais pour annoncer au Prince Sihanouk que le PPC exige contre l’avis du prince, qu’une majorité des deux tiers soit requise pour l’approbation de la composition du gouvernement, comme pour toute décision importante. Ainsi, le PPC s’assure le moyen de bloquer toute décision qui lui serait défavorable.

Le 18 Juin, la composition du gouvernement est pour l’essentiel arrêtée mais elle est tenue secrète dans l’attente de l’approbation par l’assemblée et de la signature du décret de nomination par le Prince Sihanouk. Le Prince Ranariddh et M. Hun Sèn cumulent les fonctions de co-premiers ministres, de co-ministres de la défense et de co-ministres de l’intérieur. Le FUNCINPEC obtient les portefeuilles des affaires étrangères et des finances. Le PPC conserve l’information. Le partage du pouvoir est tout relatif puisque l’administration reste aux mains du PPC. En concédant au FUNCINPEC les postes de ministres des affaires étrangères et des finances, les apparatchiks de PPC s’assurent les services des personnalités les plus qualifiées pour attirer à Phnom-Penh les aides financières étrangères nécessaires à la survie de l’administration en place.

Tout ceci ne suffit pas au PPC. Le 21 Juin, le parti demande au Prince Sihanouk de nommer deux chefs d’états adjoints afin de pouvoir s’approprier la fonction en cas d’absence ou de décès du Prince. Le Chef de l’Etat, se fondant sur la tradition constitutionnelle du pays, refuse.

Le cabinet se réunit une première fois de façon informelle le 29 Juin. Le lendemain, l’assemblée approuve sa composition.

Le PPC consolide ses positions

En un mois le FUNCINPEC a dû céder sur presque tout. Au lieu de défendre le principe démocratique et le droit, une nouvelle fois l’APRONUC a donné satisfaction au PPC, laissant ainsi peu de latitude au FUNCINPEC. Déstabilisé et affaibli au lendemain de sa défaite électorale, le PPC a réussi à relever la tête et à conserver l’essentiel du pouvoir. Plus grave, il a réalisé qu’il pouvait, quoique minoritaire, imposer ses quatre volontés au FUNCINPEC. Il va donc s’employer à conforter son avantage et ses positions.

La rédaction de la nouvelle constitution, menée à huis clos, est l’occasion pour le PPC, d’inscrire durablement son avantage dans la loi fondamentale.

Alors que dans une note datée du 18 Juin le Prince Sihanouk s’est clairement prononcé pour que le Cambodge ne soit ni un royaume, ni une république, le PPC se fait curieusement l’ardent défenseur d’une restauration monarchique. Il n’a aucun mal à convaincre le FUNCINPEC. Et après quelques jours de résistance, le Prince Sihanouk cède finalement devant ce qui lui est présenté comme la volonté unanime du peuple.

La tardive conversion des communistes du PPC à la monarchie trouve son explication dans l’article 7 de la constitution : Le Roi règne mais ne détient pas le pouvoir. Un invraisemblable article affirme même que cette règle ne sera jamais modifiable. Sous couvert de restauration monarchique, le PPC a voulu neutraliser l’inlassable défenseur de l’indépendance nationale que le Prince Sihanouk a toujours été. Que le Prince s’avise de prendre une initiative quelconque et il trouvera désormais toujours un politicien khmer ou un observateur étranger pour le rappeler sèchement à la Constitution.

La constitution adoptée le 21 septembre 1993 donne au PPC les moyens de contrôler ou de bloquer l’adoption de toute loi à travers deux dispositions essentielles. D’abord, en son article 87, la loi fondamentale stipule que pour qu’une session puisse valablement délibérer, un quorum de sept dixièmes des membres de l’assemblée est requis. Un tel quorum ne pourra au cours de cette législature être atteint avec les seuls députés non communistes puisque le FUNCINPEC, le PDLB et le MOULINAKA totalisent soixante neuf députés sur cent vingt. La présence d’au moins quinze députés du PPC est nécessaire pour atteindre ce quorum. Le parti pro vietnamien dispose ainsi du moyen de bloquer à tout moment les travaux de l’assemblée.

En plus, le PPC a exigé et obtenu qu’une majorité des deux tiers soit requise pour l’adoption des décisions les plus importantes et pour accorder la confiance au gouvernement. Dans une dépêche datée du 19 Septembre, l’AFP explique :

Une majorité simple aurait permis au FUNCINPEC et au PDLB de faire adopter des lois sans l’approbation du PPC.

Le PPC était opposé à la majorité simple qui l’aurait mis politiquement sur la touche, et il a réussi à faire pression afin que le système des deux tiers soit inscrit dans la constitution.

Le FUNCINPEC a tenté un dernier coup pour inclure cette disposition dans une clause transitoire valable seulement durant cinq ans.

" Nous avons suggéré que pour être conforme à ce qui se fait partout dans le monde, nous devions inscrire la majorité des deux tiers dans des dispositions de transition. Mais finalement nous avons décidé de conserver la majorité des deux tiers dans la constitution " a déclaré le ministre (FUNCINPEC) des affaires étrangères, le Prince Norodom Sirivuth (...)

Dans ses articles, premier et 52, la constitution affirme solennellement des principes vitaux pour la nation :

Le Cambodge est un royaume dans lequel le Roi est soumis à la Constitution et au système démocratique libéral et pluraliste. Le Royaume du Cambodge est un état indépendant, souverain, pacifique, neutre et définitivement non-aligné (Article premier).

Le Gouvernement Royal du Cambodge a la charge de protéger l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale du Royaume du Cambodge, d’adopter une politique de réconciliation nationale pour l’unité nationale, et de préserver les bonnes traditions nationales. Le Gouvernement Royal protège l’état de droit, l’ordre public et la sécurité. L’Etat usera de tous les moyens pour améliorer les conditions de vie et le bien-être des citoyens (Article 52).

Malheureusement, il est peu probable que ces principes puissent être traduits dans les faits compte tenu des dispositions que nous avons décrites précédemment. D’autant que M. Chea Sim, souvent décrit comme l’homme fort du PPC est parvenu le 25 Octobre à obtenir la démission de M. Son Sann de son poste de Président de l’Assemblée nationale afin de se faire élire à sa place. L’élection de M. Chea Sim a été acquise par 99 voix contre 14 et 1 abstention. Autrement dit, en dépit de l’opposition qu’ils avaient publiquement manifesté, les députés du FUNCINPEC et du PDLB ont dû avaler une nouvelle couleuvre et se soumettre aux pressions.

Bien qu’il y ait eu quelque opposition, la nomination de Chea Sim au poste de Président n’est pas une surprise. Les officiels du gouvernement déclarent qu’elle est le résultat d’un accord passé entre l’ancien parti communiste, le Parti du Peuple Cambodgien (PPC) et le FUNCINPEC. (Bangkok Post, 26 Octobre 1993)

La nouvelle constitution accorde un pouvoir extrêmement important au Président de l’Assemblée nationale. De surcroît, elle lui confère une autorité morale et politique extrêmement importante en faisant le second personnage du Royaume, appelé, si nécessaire, à remplacer temporairement le Roi en qualité de Chef de l’Etat, et gratifié dans ce cas du titre de Délégué Royal (Article 11 et 12). Le mensuel La Lettre du Mékong a résumé le nouveau statut du chef communiste en titrant dans son édition de novembre 1993 : Chea Sim (Ex-PC) vice-Roi !

De plus, l’article 138 réserve une place aux deux co-premier ministres pré-constitutionnels dans le Conseil du Trône chargé de désigner le Roi en cas de décès du souverain. Ce Conseil comprend le Président et les deux vice-Présidents de l’Assemblée, le Premier ministre, les patriarches suprêmes des deux ordres bouddhiques, soit en principe, six membres. Toutefois l’article 138 accorde une voix au PPC supplémentaire au sein de ce Conseil en plus de celle du Président de l’Assemblée et de celle de l’un des patriarches suprêmes mis initialement à la tête de l’une des branches du bouddhisme khmer par le PPC.

L’avant dernier article de la Constitution reconduit le système de direction bicéphale du gouvernement que le Prince Ranariddh avait pourtant accepté en juin à titre provisoire pour trois mois au maximum, le temps de rédiger la constitution. Le seul changement à la tête du gouvernement est purement formel : il n’y a plus deux co-premier ministres mais un premier ministre et un second premier ministre.

Le gouvernement cambodgien demeure un cas unique au monde !

Le Prince Ranariddh s’en est expliqué sur Radio Phnom Penh le 28 Septembre :

" C’est une pratique générale dans la démocratie que le leader du parti qui a gagné les élections prenne en charge le poste de premier ministre puis constitue et dirige le gouvernement (...) Pourquoi notre auguste Roi nous conseille-t-il d’agir d’une manière différente ? Cela ne signifie pas qu’il n’est pas respectueux de la démocratie libérale. Il nous faut considérer la situation. Il ne serait pas correct de sacrifier la stabilité nationale juste pour des raisons de principe (...) Bien sûr nous suivons les principes démocratiques, mais nous devons les adapter aux circonstances qui prévalent dans le pays ( ... ) C’est une formule provisoire et non pas permanente. N’oubliez pas que notre constitution stipule clairement qu’il ne doit y avoir qu’un seul premier ministre au Cambodge. "

Le Premier Ministre justifie donc une nouvelle fois la situation par les risques de violence qui résulteraient d’une opposition aux volontés du PPC. Du provisoire qui devait durer trois mois, on est passé à un nouveau provisoire prévu cette fois ci pour durer le temps d’une législature, soit cinq années.

Le nouveau gouvernement applique le programme des vaincus

La politique conciliante du FUNCINPEC à l’égard des vaincus aux élections se définit elle-même comme une politique réaliste vis-à-vis du rapport de force. Elle se conçoit également comme inscrite dans une logique de paix et de réconciliation devant permettre au FUNCINPEC d’accéder progressivement à la plénitude du pouvoir sans heurt ni troubles en permettant aux hommes du PPC une sortie ou une reconversion honorable.

Malheureusement ces principes généreux sont démentis par les faits. Loin d’imposer progressivement sa politique au parti vaincu et rejeté par le peuple, le FUNCINPEC semble avoir accédé aux plus hautes fonctions de l’état pour appliquer sur le fond la politique du PPC.

En Août, le nouveau gouvernement envoie son armée à l’assaut des zones sous contrôle de la PKD dans l’Ouest du pays. C’est précisément ce que le PPC avait promis de le faire en cas de victoire. Par contre le FUNCINPEC avait promis d’aboutir pacifiquement à la réintégration des Khmers rouges dans la communauté nationale.

A la fin du mois, le premier et le second premier ministre se rendent à Hanoi. Que n’entend-on le Prince Ranariddh déclarer sur les ondes de Radio Hanoi le 23 Août :

" Nous vous exprimons notre plus profonde gratitude au gouvernement vietnamien et au peuple pour leur contribution au processus de paix au Cambodge depuis le début des négociations jusqu’à la signature des Accords de Paris le 23 oct. 1991. "

Et le Prince Ranariddh d’ajouter :

" En tant que signataire des Accords, le Vietnam les a respectés et appliqués dans un esprit de compréhension, contribuant ainsi à créer les conditions favorables permettant au peuple Cambodgien de mener à bien les élections de mai dernier d’une façon démocratique et libre. "

En toute logique, le 25 Septembre le Prince Ranariddh signe avec M. Chea Sim un nouveau mémorandum revivifiant l’alliance PPC-FUNCINPEC conclue une première fois le 20 Novembre 1991 et oubliée quelques temps après. Par ce mémorandum, le FUNCINPEC et le PPC s’engagent notamment à :

Continuer à mettre en œuvre activement l’accord passé entre les deux parties le 20 novembre 1991 en élargissant et en consolidant leur coopération dans l’assemblée et dans le gouvernement à tous les niveaux.

Allié au PPC, le FUNCINPEC renonce de fait à son programme et à ses promesses. Aligné sur les positions du PPC, le gouvernement ne peut traiter des problèmes vitaux qui menacent pourtant l’avenir du pays. Au moment où on le chasse de la présidence de l’Assemblée nationale, M. Son Sann en dresse une nouvelle fois l’inventaire dans un mémorandum lu à la tribune en guise de discours d’adieu :

  1. "L’ordre et la sécurité (…)
  2. L’aide et le ravitaillement (...)
  3. La stabilité des prix et un salaire juste et suffisant à tous les fonctionnaires (…)
  4. L’inventaire des biens publics (...)
  5. Un code d’investissement (...)
  6. L’environnement (...)
  7. La reforestation (...)
  8. Les forêts inondées et nos grands lacs (...)
  9. La réglementation de l’immigration : le public est très sensible à la présence des immigrés illégaux du Vietnam, qui viennent de plus en plus nombreux. Notre assemblée Nationale doit aider le gouvernement royal à voter une loi d’immigration détaillée pour protéger notre identité nationale.
  10. Les traités illégaux, tous les traités, les accords, secrets ou non, passés sous l’occupation vietnamienne, doivent être déclarés nuls et non avenus, en particulier ceux concernant nos frontières, et l’entrée quasi libre des Vietnamiens au Cambodge. De même, les dettes contractées sous l’occupation vietnamienne et se chiffrant au niveau de millions de dollars US doivent être rejetées. Sinon ce sera une charge injuste pour des générations de nos compatriotes.
  11. Les dommages et intérêt s : par contre nous devons chiffrer les dommages causés aux biens nationaux par les occupants vietnamiens.
  12. Le standing de vie de nos députés.
  13. La reconstruction nationale.
  14. La réconciliation nationale, le peuple cambodgien désire une paix durable pour la reconstruction de notre pays. Une paix durable n’est possible qu’avec la réconciliation nationale. Sa Majesté le Roi Norodom Sihanouk est la seule personnalité cambodgienne qui puisse réaliser cette réconciliation nationale. Notre Assemblée Nationale et le gouvernement royal doivent tout faire, pour aider, sans aucune arrière-pensée, Sa Majesté le Roi à réaliser au plus tôt cette réconciliation nationale."

En visite à Hanoi, le Prince Ranariddh se voit opposer une fin de non-recevoir lorsqu’il cherche à évoquer le problème des colons vietnamiens installés au Cambodge et le rétablissement des frontières déplacées par l’armée d’occupation vietnamienne. Plusieurs de ces ministres reconnaîtront ouvertement que de ce point de vue, la visite effectuée à Hanoi s’est soldée par un échec lamentable. Tout au plus le Vietnam a concédé qu’un comité technique bilatéral pourrait être ultérieurement mis en place pour examiner ces questions. Par contre Hanoi s’est montré ferme et menaçant concernant la sécurité de ses ressortissants au Cambodge...

Le 19 Juillet, dans une déclaration écrite, le Prince Sihanouk lui-même se déclare désarmé face aux pressions des Etats-Unis qui s’opposent vigoureusement à sa constante politique de réconciliation nationale :

" Les USA continuent à menacer (officieusement) le Cambodge de diverses mesures hostiles au cas où des Khmers rouges seraient acceptés par moi ou le gouvernement cambodgien comme membres de ce gouvernement ou conseillers ou membres de l’armée nationale du Cambodge.

J’ai toujours lutté contre toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures de mon pays. Mais, dans les circonstances actuelles au Cambodge qui est ruiné et qui a besoin de recevoir des aides et soutien de puissances étrangères riches, je ne suis pas en mesure de lutter contre les USA comme je l’avais fait dans les années 1955 à 1975. "

Après tant d’espoirs suscités par la signature des Accords de Paris, puis par la victoire du FUNCINPEC aux élections, la population se montre extrêmement déçue.

La colère gronde contre les colons vietnamiens

La question des colons vietnamiens et l’un des sujets majeurs de préoccupation. La presse cambodgienne reçoit tellement de lettres de lecteurs à ce sujet qu’elle y consacre de nombreux articles et reportages. Plusieurs quotidiens publient quelques échantillons représentatifs du courrier reçu. Le phénomène prend une telle ampleur que l’agence Reuter y consacre l’une de ses dépêches, reprise notamment par le Bangkok Post le 9 Août :

Les sentiments anti-vietnamiens sont à nouveau en ébullition et la presse locale s’en fait l’écho avec un air de vengeance. Le quotidien Reaksmey Kampuchéa a publié dans son édition du week-end des lettres de lecteurs scandalisés par le retour de Vietnamiens qui avaient fui le Cambodge en Mai (...) " Le gouvernement devrait se préoccuper du problème des immigrants clandestins avant tout autre problème " écrit Has Sopheap, résidente de la province de Banteay Meanchey, dans le Nord-Ouest, et de passage dans la capitale. " Nous voyons uniquement ces gens détruire nos ressources naturelles, pêcher illégalement, voler, provoquer des incendies, et amener la prostitution. Ils apportent peu à la société khmère. Il vaut mieux les renvoyer dans leur pays " (…) Le professeur Em Sarun, de Takmau, dans la banlieue, demande [aussi] au gouvernement de se préoccuper de l’immigration clandestine en provenance du Vietnam. " Notre pays est frontalier du Vietnam. Faites attention à ne pas devenir comme le Kampuchéa Krom " prévient-il dans une lettre adressée au journal.

En Octobre, au cours d’un colloque organisé par l’Institut Khmer pour la Démocratie et réunissant de nombreuses associations khmères, plusieurs d’entre elles soulèvent à nouveau la question de l’immigration étrangère. Dans son édition des 5-18 Novembre, le Phnom Penh Post rapporte les propos de plusieurs membres d’associations d’étudiants :

" Je demande au gouvernement d’adopter rapidement une politique de limitation du travail des étrangers dans le pays " a déclaré Sar Sophea, l’un des participants.

" Nous apprécions les investisseurs étrangers, mais nous ne voulons pas qu’ils amènent de la main d’œuvre étrangère pour des tâches peu qualifiées dans le bâtiment, la charpente ou d’autres petits métiers. Je voudrais attirer l’attention sur le fait que beaucoup de khmers sont au chômage " a-t-il déclaré (...)

Sar déclare qu’il y a beaucoup d’immigrants clandestins non comptabilisés tels que des Vietnamiens, des Thaïlandais et des personnes venant d’autres pays voisins. Pour les étudiants présents, le gouvernement ne devrait pas donner plus de privilèges aux étrangers travaillant au Cambodge.

" Comme vous le voyez, il y a beaucoup de Vietnamiens dans le pays, je ne dis pas qu’ils doivent tous partir mais ils doivent respecter le territoire et le peuple cambodgien, et le gouvernement doit considérer le problème ".

Au cours du même colloque, les représentants des associations khmères ont réclamé l’ouverture de discussions entre le gouvernement et les Khmers rouges. Selon le Phnom Penh Post, le leader de l’Association des Etudiants et Intellectuels Khmers, Sar Cheang a déclaré : " Nous serions heureux de voir le nouveau gouvernement et les Khmers rouges se parler au lieu de se battre. Nous ne voulons plus que le peuple khmer souffre ". " Les deux parties doivent engager des discussions sans conditions préalables " a déclaré un autre leader étudiant, dont les propos sont rapportés dans le Cambodia Times des 8-14 Novembre.

Rien n’a changé : l’anarchie règne partout

Malgré l’installation d’un nouveau gouvernement bipartite, l’essentiel de l’appareil administratif et répressif issu du régime mis en place par l’armée vietnamienne en 1979 est resté en place à l’échelon provincial et local. Il s’agit d’une administration, partisane et corrompue dont les responsables sont souvent impliqués dans le banditisme et le racket, qui crée un climat d’insécurité et d’anarchie dans tout le pays. Les reportages de la presse locale et internationale donnent une idée de l’état de pourriture et de décomposition avancée de l’appareil d’état :

Un fonctionnaire des Nations Unies a révélé hier que la police des Nations Unies a retrouvé l’un des cent quarante véhicules qui lui ont été volés, un 4 x 4, au domicile d’un général des anciennes Forces Armées Populaires du Cambodge. Cette découverte fournit une preuve supplémentaire de l’implication de militaires de haut rang de l’ancien gouvernement communiste dans ces vols. (Bangkok Post 13 Août 1993)

Battambang : ( ... ) Faire sauter les ponts semble être ici un passe-temps. Lorsque le pont principal de la ville a été détruit par du TNT, les habitants ont contemplé les ruines avec un mauvais pressentiment en se demandant qui avait bien pu faire cela et pourquoi. ( ... ) On évoque plusieurs hypothèses concernant l’identité de ceux qui ont fait sauter les ponts, notamment ceux situés entre Poipet et Battambang. Le gouvernement accuse les Khmers rouges, expliquant que cela fait partie de leur politique de déstabilisation du pays. Une autre explication repose sur la pratique des "péages". Ces derniers jours des hommes armés se chargeaient de guider les véhicules pour les aider à passer sur les ponts partiellement détruits. " C’est une autre manière de collecter des taxes " a expliqué un membre de l’APRONUC. " Celui qui a placé les charges de TNT savait ce qu’il faisait. " (Phnom Penh Post, 5-18 sept 1993)

Poipet - Les négociants du marché traditionnel de Poipet emménagent dans un nouveau bâtiment construit cette année après les bombardements du 31 août et du 1er septembre qui ont fait un mort et quinze blessés sérieux. La police et l’armée du district ont attribué ces bombardements, venant du Sud de Poipet, aux Khmers rouges, mais plusieurs commerçants qui souhaitent conserver l’anonymat, ont déclaré au Post qu’ils ont le sentiment que des éléments des Forces Armées Cambodgiennes issus des rangs des Forces Armées Populaires Cambodgiennes ont eux-mêmes détruit le marché afin de libérer le site pour s’enrichir (...). " Le commandant du district nous a dit de partir le 31 août " a déclaré un jeune marchand en tee-shirt bleu tout en abattant le treillage du fond de son magasin. " Nous avions dit que nous ne voulions pas partir ". " La veille de la date limite fixée, des soldats sont venus et ont pointé leurs armes sur nous " poursuit le jeune homme. " Le lendemain, comme nous n’étions pas partis, les bombardements ont commencé. Maintenant que nous partons les bombardements cessent (...). Certains veulent aller vendre en Thaïlande, au lieu d’aller au nouveau marché, mais le commandant a ordonné aux gardes frontière de ne pas les laisser passer " commente un autre marchand. Un garde frontière a cependant démenti ces affirmations. A un demi-kilomètre de la frontière le vieux marché de Poipet consistait en un hall en bois, d’une surface de 2 500 kilomètres carrés, couvert par de fines tôles. Le nouveau marché est à un km plus loin de la frontière. Construit en acier, pavé à certains endroits, le nouveau marché est entouré sur trois côtés par des boutiques fermées. Réputé pour être le plus grand marché du Cambodge, la location d’une place y est 50 % plus chère que dans l’ancien marché. " Dans le vieux marché la location à l’année était de 1 000 bahts. Sur le nouveau marché elle sera de 1400 à 1600 bahts " a déclaré au Post un ouvrier. Les marchands pensent que lorsqu’ils seront partis, les tôles du toit [de l’ancien marché] seront vendues, le site sera rasé et de nouveaux magasins à deux étages seront construits. Ils seront mis en vente 30 000 bahts chacun. Pendant que le Post interviewait des marchands, deux soldats sont venus et se sont mis au milieu de la foule. Quand les gens se sont dispersés, un soldat a empoigné Sombol, le traducteur du Post, et lui a dit " Toi le traducteur, dis-leur que c’est le KD qui a bombardé ". Dès que le soldat est parti le marchand en tee-shirt bleu est retourné voir Sombol et, derrière une boutique à demi détruite, où personne ne pouvait entendre, il lui a dit " Toi le traducteur, ne crois pas cela. C’est l’armée qui a bombardé le marché ". (Phnom Penh Post, 10-23 Septembre 1993)

Les factions du nouveau gouvernement recrutent des soldats et achètent leur soutien avec une partie des 20 millions de dollars que les Nations Unies ont fourni pour les fonctionnaires cambodgiens, rapportent des sources des Nations Unies. L’agent était sensé servir à payer les arriérés de salaire des fonctionnaires qui n’ont pas été payés depuis des mois à cause du manque de fonds du gouvernement. Mais chaque faction du gouvernement tente d’acheter des nouvelles recrues et leur donne subrepticement l’argent des Nations Unies, affirment des sources des Nations Unies qui désirent rester anonymes. (Bangkok Post, 9 Août 1993)

Même la conservation des trésors des temples d’Angkor est l’objet de trafics sans scrupule et d’intrigues :

Un ministre du gouvernement cambodgien a chassé l’UNESCO de ses locaux du conservatoire central d’Angkor, au Nord-Ouest du Cambodge et l’a obligé à les fermer, a déclaré hier un représentant de l’UNESCO. Depuis, plusieurs statues ont été emportées à 300 km de là, à Phnom Penh, sans que le représentant de l’UNESCO, M. Richard Engelhardt, n’ait été informé et puisse superviser le transfert. Un officiel du gouvernement a confirmé que des statues de grande valeur avaient été enlevées. L’ordre a été donné par Van Molyvann, un architecte de formation française, ministre d’état, qui a amené la police dans le centre " pour s’assurer de notre départ " a déclaré Engelhardt. (Bangkok Post, 11 Septembre 1993)

Les Droits de l’Homme en question

Quant aux Droits de l’Homme, la situation demeure très préoccupante. A la veille de son départ, l’APRONUC a découvert l’horreur des prisons du PPC et s’est enfin décidée à agir. Deux hauts fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont été arrêtés par la police de l’ONU et inculpés de meurtre, l’un à Prey Veng le 1er Juillet, l’autre à Battambang le 20 Juillet. Pan Ny, le sous-directeur de la prison de Prey Veng, est accusé du meurtre de sept prisonniers qui demandaient grâce à ses pieds. A Battambang, c’est également le sous-directeur de la prison, le capitaine Tem Seng, qui a été arrêté pour avoir infligé des tortures par brûlures et s’être rendu coupable de voies de fait sur de nombreux prisonniers. Dès décembre 1992, l’APRONUC avait été informée des méthodes de Tem Seng que des témoins accusent d’avoir versé du fuel sur des prisonniers avant d’y mettre le feu. A l’époque, le PPC s’était vigoureusement opposé toute action de l’ONU contre son fonctionnaire et l’APRONUC s’était inclinée. L’ONU affirme cette fois avoir bénéficié de la coopération des autorités locales. Des Casques Bleus malais ont participé à l’arrestation et au transfert de Tem Seng à Phnom Penh, où il a été incarcéré dans la prison de l’APRONUC.

Les autres prisons du pays, y compris la prison T3 de Phnom Penh ne diffèrent guère de celles de Prey Veng et de Battambang. Selon, la composante Droits de l’Homme de l’APRONUC, de nombreux détenus y croupissent les fers aux pieds, parfois sans connaître les motifs de leur arrestation et subissent fréquemment sévices et humiliations.

Le Prince Sihanouk a dû intervenir publiquement. Relevant que des gens sont arrêtés de façon arbitraire, sans preuve de leur culpabilité, le Prince a demandé aux autorités de relâcher immédiatement les prisonniers et détenus qui ne sont pas dangereux et qui méritent d’être libérés. Le Prince Sihanouk en a profité pour demander une réforme pénale et le rétablissement d’une justice et d’une police indépendantes et respectueuses des droits de l’homme.

S’il est un domaine dans lequel la situation a évolué positivement depuis les élections, c’est celui de la liberté d’expression. Un certain nombre d’organes de propagande du PPC ont disparu tandis que plusieurs journaux indépendants ont fait leur apparition ou adopté une liberté de ton plus grande vis-à-vis de toute autorité. Cependant, la situation pourrait évoluer. Après la restauration de la monarchie, la presse a été mise en garde par le gouvernement contre les crimes de lèse-majesté. Le Roi s’est empressé de préciser qu’il s’opposerait à toute sanction contre quiconque le critiquerait, s’en tenant à des mises au point en cas d’accusations injustes ou calomnieuses. Plus récemment, le Phnom Post rapporte que des articles sur la corruption et l’incompétence du gouvernement ont irrité des ministres importants. Le journal révèle que, du coup, le gouvernement envisage de remettre en vigueur la loi sur la presse promulguée par le régime pro vietnamien en Avril 1992 et un mois plus tard abrogée par le CNS, sur l'initiative du Prince Sihanouk, car contraire à l’esprit des Accords de Paris. Ce texte prévoit de très lourdes sanctions contre les auteurs d’articles mal intentionnés ou contenant des critiques destructives. Il oblige les journaux à publier en première page tout démenti ou correctif que pourraient leur adresser les autorités civiles ou militaires.

La voie choisie ne mène nulle part

Après les cent premiers jours d’un nouveau gouvernement, il est de tradition de dresser un premier bilan. Tout cela ne mène nulle part, conclut pour sa part Robin Davies après plusieurs années passées à Phnom Penh comme consultant et professeur d’économie à l’université. Amer, cet expert étranger décide, au seuil de cette nouvelle année, de quitter le Cambodge. Collaborateur du Phnom Penh Post, il s’explique dans un dernier article :

Dans un discours le Premier ministre affirme qu’il est nécessaire de rétablir la sécurité et de détourner les gens de leurs " attitudes négatives " . Ceux qui souhaitent de bons vœux au Cambodge ne peuvent qu’applaudir, surtout si cela permet de répondre à quelques questions brûlantes. Par exemple : deux ou trois hommes impliqués dans le meurtre sans pitié d’une infirmière allemande ont été arrêtés. Que leur est-il arrivé ? Dans le même genre, qu’est-il arrivé aux trois hommes lourdement armés, de surcroît en uniforme, qui ont été arrêtés et photographiés après une passionnante course poursuite au volant d’un land cruiser, récemment volé au Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, et dotée d’une nouvelle plaque d’immatriculation militaire ? Mis à part ce qui est arrivé aux coupables, pourrait-on savoir pourquoi la police a refusé de restituer le véhicule tant que l’UNHCR ne lui a pas versé 3000 dollars et pourquoi le gouverneur provincial se lave-t-il les mains de cette affaire ? ( ... ) La corruption, en dépit des efforts admirables du ministre des finances Sam Rainsy, est pire que durant le dernier trimestre de l’APRONUC (...) Alors qu’avec la fin du mandat de l’APRONUC et des fonctions du CNS, l’organe gouvernemental devait se retrouver réinvesti de la fonction de gouverner, il préside plus la nation qu’il ne gouverne vraiment. Durant ses cent premiers jours, dont on attendait tant, on l’a vu préoccupé plus de symbolisme que de discussions gouvernementales sur les problèmes importants (le gouvernement ne s’est réuni qu’une fois). Quelles que soient les déclarations publiques, il n’y a ni esprit de corps, ni sens du leadership au sein de ce gouvernement. C’est l’attentisme qui prévaut tandis que la plupart des ministres, notamment ceux qui ont retrouvé leurs ministères, sont surtout préoccupés à conforter leur situation personnelle. (Phnom Penh Post, 31 Décembre - 13 Janvier 1993)

Dans un tel contexte, les efforts méritoires, mais isolés, de certains ministres compétents ont peu de chance d’aboutir à un résultat d’ensemble probant. Ainsi, le ministre des finances, M. Sam Rainsy déploie-t-il les plus grands efforts pour rétablir les bases d’une gestion centralisée et saine des finances publiques. Ses difficultés sont immenses. En Août, il se rend à Kompong Cham pour enquêter sur un trafic de tabac avec le Vietnam. Pourtant embarqué à bord d’un bateau des Nations Unies, le ministre se fait tirer dessus par des soldats en uniforme ! Plus récemment, il tente de remettre en cause une concession de 99 ans accordée avant les élections à une chaîne de télévision thaïlandaise par le PPC en échange de pots-de-vin et d’émissions de propagande électorale. A peine M. Sam Rainsy a-t-il dénoncé le contrat qu’on lui fait savoir qu’un autre ministre, membre du PPC, l’a déjà renégocié et entériné au nom du nouveau gouvernement.

Le 28 Décembre 1993, le ministre des finances a fait adopter le budget 1994 de l’état à l’unanimité des députés. Pour la première fois la collecte des ressources, leur allocation et leur gestion devraient être centralisées. Si la loi est effectivement appliquée, les gouverneurs de provinces et l’ensemble des chefs locaux seront privés d’un moyen important de coercition et de contrôle des populations. Le ministre lui-même ne semble pas se faire grande illusion :

1994 sera une année transitoire. Jusqu’ici les structures horizontales de contrôle des finances sont extrêmement puissantes. Certaines provinces sont autonomes. Elles collectent l’argent mais ne le font pas remonter. 1994 sera un mélange d’horizontalité et de verticalité. 1995 devra voir le renforcement du contrôle vertical des ressources. (Phnom Penh Post, 31 Décembre - 13 Janvier 1994)

Le budget s’élève à 890 milliards de riels soit un peu plus de deux milliards de francs. " Ce n’est pas un budget de reconstruction. C’est un budget de survie. Et, nous dépendons entièrement de l’assistance internationale pour la reconstruction et le développement. Nous comptons sur l’aide étrangère pour combler notre déficit " confesse M. Sam Rainsy dans la même interview. Pourquoi dans ce cas consacrer 18,4 % du budget à la défense et 9,7 % à la police contre respectivement 5,6 % et 3,3 % à la santé et à l’action sociale ? Selon les critères internationaux, il y a deux points anormaux : le social est trop faible et la défense trop élevée, reconnaît le ministre interrogé par le Bangkok Post (4 Janvier 1994).

A supposer que le gouvernement parvienne à mettre en œuvre son budget, la priorité est donc donnée au maintien des structures militaires et policières plutôt qu’au développement et à l’action sociale. La logique de guerre - contre l’ennemi intérieur - l’emporte donc sur une logique de paix au service de tout le pays. Les perspectives offertes au talentueux ministre sont donc peu réjouissantes : soit il échoue et les structures en place continuent de tirer profit de l’anarchie, soit il réussit et son talent permet de rationaliser la collecte et l’allocation des ressources au profit des mêmes structures en place !

Privé du pouvoir, le Roi demeure aux côtés du peuple

Soigneusement dépouillé de tout pouvoir par la nouvelle constitution, mais au plus haut point affecté par les souffrances de son peuple, le Roi n’entend pas se laisser réduire à une totale impuissance. En veillant soigneusement à ne pas violer la Constitution, le Roi use de toutes les possibilités qui lui sont laissées d’interpeller le gouvernement. Par ailleurs, le citoyen cambodgien et homme libre dénommé Norodom Sihanouk ne se prive pas de s’exprimer, notamment en publiant des Etudes dans son Bulletin Mensuel de Documentation.

Avant de retrouver son trône, quoique déjà privé dans les faits du pouvoir, le Prince Sihanouk avait interpellé le gouvernement à plusieurs reprises. Le 2 Juillet, lors de la première réunion du Conseil, il mettait en garde contre les illusions de l’aide internationale. Le 6 Juillet, il appelait le gouvernement à se préoccuper des droits de l’homme et de la réforme du système judiciaire et pénitentiaire. Le 7 juillet il rappelait que pour assurer la séparation des pouvoirs exécutif et législatif il conviendrait que certains ministres choisissent entre leur portefeuille et leur place à l’assemblée nationale. Le 8 juillet il plaidait la cause des sans-abri de la capitale invitant le gouvernement à surseoir à des expulsions tant qu’il n’aurait pas fourni de terrains viabilisés aux indigents campant dans la capitale. Le 12 Juillet il rappelait que l’agriculture est la base du développement du pays.

Dans une Etude écrite sur son lit d’hôpital, alors qu’il lutte courageusement contre un cancer, le citoyen Norodom Sihanouk écrit le 29 Octobre :

Il faut s’attaquer sans plus tarder, avec foi et passion, au problème de l’extrême pauvreté de la majorité de nos compatriotes et, tout à fait lié à ce problème, à celui du sous développement très accentué de notre pays. Mon expérience de plus d’un demi-siècle de carrière au service du Kampuchéa et de son peuple m’enseigne qu’on ne peut rien réussir pour sa patrie et son peuple sans foi ni passion patriotique... Mais en cette occurrence, il faut faire également son travail d’une façon "méthodique", c’est-à-dire en ayant des idées claires et en sachant ce à quoi on doit procéder.

Le message adressé au gouvernement est on ne peut être plus clair : il est grand temps de commencer à agir de manière méthodique, avec foi et patriotisme, pour le bien de l’immense majorité des Cambodgiens qui demeurent dans la misère. Est-ce parce qu’il a le sentiment de n’avoir été ni écouté, ni entendu par ses ministres, que le Roi - cette fois - s’adresse directement à ses sujets le 17 Novembre :

" N’oubliez pas que, possédant l’une des Constitutions les plus démocratiques du monde, vous êtes les maîtres des destinées du Kampuchéa et les maîtres de vos propres destinées tant dans le présent que dans l’avenir.

Vos représentants, membres de l’assemblée nationale et les membres du gouvernement royal du Cambodge ont, dans la Salle du Trône et devant le Svètchhatr prêté un serment solennel, long, détaillé et complet pour ce qui concerne les devoirs qu’ils doivent accomplir, le travail qu’ils doivent effectuer, les efforts qu’ils doivent déployer au service de la patrie, de la nation, de la religion, du peuple. Par conséquent, il suffit qu’ils agissent toujours conformément à leur serment pour que notre peuple et notre patrie soient assurés que leurs intérêts supérieurs sont servis avec fidélité et efficacité.

Mais nos citoyens et citoyennes qui ne détiennent ni pouvoir législatif, ni pouvoir exécutif, ni pouvoir judiciaire, ni pouvoir administratif, ni pouvoir militaire, ni pouvoir policier ne doivent pas oublier que notre constitution leur reconnaît tous les droits et toutes les libertés destinées à leur assurer une protection permanente. Nos citoyens et nos citoyennes peuvent et doivent entretenir des relations étroites avec ceux qui les représentent, qui légifèrent, qui gouvernent, qui administrent. S’ils ont des problèmes, nos citoyens et citoyennes ont le pouvoir et le devoir d’en saisir les personnalités et autorités responsables ou compétentes afin de résoudre dans l’équité et au mieux des intérêts de notre peuple ces problèmes. "

Le 19 Décembre, le Roi intervient à nouveau. Pour garantir à son peuple la possibilité d’exprimer ses doléances, il rétablit les audiences populaires. Il sait qu’il sera critiqué par ceux qui, comme il l’écrit espéraient tant que, en le faisant Roi (constitutionnel : le Roi règne mais ne gouverne pas), Sihanouk laisserait tout le monde tranquille, sans le déranger, même à propos des problèmes du Cambodge et du peuple cambodgien. Alors, le Roi ne fera qu’écouter, il ne tranchera pas, tout au plus interviendra-t-il auprès du gouvernement pour aider les plaignants à obtenir justice ou une certaine satisfaction, s’ils le méritent. La télévision sera autorisée à retransmettre les images de ces audiences, mais pas le son. Il n’empêche, le peuple disposera d’un lieu sûr pour s’exprimer, et d’une oreille attentive.

Le problème khmer rouge

Plus de six mois après la victoire du FUNCINPEC et son installation au gouvernement, la PKD continue de défier l’autorité centrale et de maintenir des zones sous son contrôle exclusif. De plus, elle continue de mener des actions militaires et de sabotage. Pour justifier son attitude, cette faction - signataire des Accords de Paris - met en avant la non-application de ces accords, le maintien de forces étrangères sur le sol cambodgien et au sein de la machine d’état et le non-respect du suffrage universel. C’est sans doute regrettable, mais il faut bien admettre que les arguments ou les prétextes, avancés par la PKD pour défier l’autorité centrale, ont une certaine réalité. A supposer que la PKD soit dès le départ mal intentionnée, l’application dévoyée des Accords de Paris lui a fourni les prétextes parfaits pour se soustraire au processus.

Selon le général thaïlandais Charan Kulawanit, secrétaire général du Conseil national de sécurité thaï, la PKD n’est pas seule responsable des difficultés du processus de paix :

" Au départ, les Khmers rouges ont pris part au processus. Mais peu après la formation du CNS et l’arrivée de l’ONU, M. Khieu Samphân a été battu. Il était désarmé et il a été battu. Avec ce genre de début, il est difficile de s’attendre à ce que ses hommes se laissent facilement désarmer. Mais surtout, les Accords prévoyaient que l’APRONUC administre les cinq ministères importants [défense, intérieur, affaires étrangères, économie et information]. Les Khmers rouges ont demandé à participer à leur administration, ce qui fut rejeté. L’APRONUC elle-même n’a pas été capable de prendre en charge leur administration et a laissé faire chaque faction. Ce n’était pas conforme aux Accords. En conséquence les Khmers rouges ne peuvent pas se voir reprocher de n’avoir pas voulu coopérer. Ils ont demandé la vérification de la présence vietnamienne. L’APRONUC a répondu que l’obtention d’une lettre du Vietnam constituait une vérification suffisante. Comment l’APRONUC a-t-elle pu se permettre une telle réponse ? J’ai suggéré à Akashi et Sanderson de conduire des vérifications afin que chacun sache que cela a bien été fait. Cela aurait aussi résolu le problème du rôle des Khmers rouges dans une administration conjointe. Ma suggestion n’a pas été entendue. " (Phuchatkan, 17 Août 1993)

Alors qu’au lendemain des élections qu’elle a boycottées, la PKD a solennellement annoncé qu’elle en reconnaissait les résultats. Mais, en dépit de la cuisante défaite du PPC, elle a assisté comme nous tous à son maintien au pouvoir. Elle a donc constaté que la logique de guerre, le chantage, la violence exercée par le PPC lui ont permis de conserver et de conforter ses positions. Alors que plusieurs puissances étrangères prônaient l’exclusion et l’élimination de la PKD, celle-ci n’a pu qu’être encouragée à poursuivre une stratégie de lutte armée et de sécession afin, sinon d’accéder au pouvoir, du moins d’assurer sa survie. La rétribution du chantage et de la violence ne peuvent qu’encourager à la violence. Il s’agit là d’une spirale infernale dont seul le peuple paye le prix puisque de cette façon le sang continue de couler et que le développement et la reconstruction du pays sont bloqués.

Inlassablement, le Roi indique quelle est la seule façon de sortir de ce cercle infernal. Il plaide depuis toujours pour le dialogue et la réconciliation nationale. La population, on l’a vu, réclame elle aussi un dialogue immédiat. Celui-ci doit s’établir sans condition préalable et se poursuivre jusqu’à la normalisation complète des relations entre les parties khmères au sein d’un régime pluraliste et respectueux des principes de la démocratie et du suffrage universel.

Le 21 Novembre dernier, en tant que simple citoyen, le Roi a, de nouveau, condamné la sécession et la guerre conduites par la PKD. Pour résoudre le problème, il a suggéré l’attribution de portefeuilles ministériels à la PKD en échange d’un cessez-le-feu, de la restitution de toutes les zones sous son contrôle, et de l’intégration de son armée au sein des forces armées royales. Le Roi a reconnu que les problèmes ne peuvent pas être réglés par la seule PKD sans entrevue et séances de travail préalables avec le gouvernement royal du Cambodge, " Il faut aussi que le gouvernement y mette du sien " a-t-il ajouté.

Depuis, le dialogue a repris entre le Prince Ranariddh et M. Khieu Samphân. Un comité technique a été mis en place, réunissant des représentants du gouvernement et de la PKD, afin de chercher les modalités concrètes d’un règlement. Cependant, d’inutiles combats se poursuivent, de même que les pressions sur le FUNCINPEC et sur le Roi pour que la PKD demeurent en dehors du gouvernement. L’enjeu de la réintégration de la PKD dans la vie politique est double. Il s’agit bien sûr de rétablir la paix civile et l’unité du territoire. Mais il s’agit aussi de rééquilibrer le rapport de force à la tête du pays. Sans rééquilibrage face à la puissance du PPC, le FUNCINPEC a peu de chance d’imposer au Vietnam le respect de la souveraineté du Cambodge. Il a peu de chance également de venir à bout de l’appareil d’état corrompu et répressif solidement installé dans le pays par l’armée vietnamienne.

L’ONU véritable responsable de la situation actuelle

L’impasse dans laquelle se trouve le Cambodge aujourd’hui est la conséquence directe de l’application partielle et partiale des Accords de Paris.

Il était prévu un retrait vérifié des troupes étrangères, un désarmement et la neutralisation de l’environnement politique et des structures administratives existantes. Si l’ONU avait mené à bien ces trois éléments essentiels de son mandat, c’est elle qui aurait eu à remettre le pouvoir aux vainqueurs des élections. L’ONU aurait simultanément remis aux nouveaux responsables élus une administration et une police neutres, le nouveau pouvoir aurait hérité d’un nombre de soldats raisonnable, correspondant aux 30 % de combattants non désarmés provenant de chacune des différentes factions préexistantes.

Avec ses 16 000 casques bleus en armes, des moyens financiers et matériels considérables, l’APRONUC n’a pas osé s’opposer au régime de Phnom Penh lorsque celui-ci a refusé que l’économie, la défense nationale, l’intérieur, les affaires étrangères et l’information passent sous le contrôle de l’APRONUC et du CNS conformément aux Accords de Paris. Elle n’a pas non plus osé conduire effectivement des opérations de vérification du retrait des troupes étrangères. Estimant pourtant que la PKD soustrayait à tort ses effectifs et ses territoires à l’application de l’Accord, elle n’a pas eu le courage de s’y opposer effectivement.

En conséquence, le FUNCINPEC, en gagnant les élections, a hérité d’une situation dans laquelle et le PPC et la PKD avaient conservé l’intégralité de leur pouvoir dans leurs zones respectives. Comment, démuni de tout moyen matériel et financier et largement désarmé, le FUNCINPEC aurait-il pu s’imposer pour exiger du PPC et de la PKD une restitution du pouvoir que l’ONU elle-même n’a même pas essayé d’obtenir ?

Il était impossible d’envisager un transfert pacifique du pouvoir du PPC à un vainqueur des élections autre que le PPC lui-même. Ayant accepté la tenue des élections en dehors d’un environnement politique neutre, le FUNCINPEC se doit aujourd’hui d’assumer les responsabilités qu’il a sollicitées en toute connaissance de cause et que le peuple lui a confiées. Cependant, la plus lourde responsabilité revient à l’ONU qui a dévoyé l’Accord de Paris.

En se prêtant hier au jeu des élections et aujourd’hui à celui d’une alliance contre nature avec le PPC, le FUNCINPEC réalise enfin le vieux projet d’une direction du pays en apparence bipartite, mais destinée dans les faits à mettre en œuvre la politique d’un PPC, créé et installé au pouvoir par l’armée et le régime communiste vietnamien.

Jusqu’ici cette stratégie avait été tenue en échec. Deux facteurs qui avaient permis de combattre efficacement cette stratégie ont aujourd’hui disparu. Il s’agit de la solidarité entre toutes les forces nationales et patriotiques cambodgiennes et de l’appui du camp occidental, engagé dans une résistance planétaire aux ambitions de l’empire soviétique.

L’Union soviétique s’étant effondrée, le théâtre cambodgien ne s’inscrit plus dans le conflit planétaire entre les deux blocs. Il ne s’agit plus pour les grandes puissances que d’un conflit local d’intensité limitée à réduire au plus tôt pour qu’il n’affecte pas la sécurité de cette région du globe. Les fondements locaux, les raisons propres du conflit, s’ils n’ont jamais été pris en considération au cours de la mise en œuvre de l’Accord, n’interviennent plus dans les choix stratégiques des grandes puissances. Qu’importe si le Vietnam prétend assimiler le Cambodge comme sa propre province ! alors que les Cambodgiens tiennent tant à rester Cambodgiens. Ou plutôt, tant mieux ! Puisque d’un point de vue géostratégique, et surtout économique, le puissant voisin représente un intérêt supposé supérieur, qu’on lui cède donc le Cambodge, si c’est le prix à payer pour assurer ses faveurs à nos investisseurs. Tel semble être le raisonnement actuel de certains gouvernements occidentaux qui ont abandonné les intérêts du Cambodge au profit de leurs échanges avec le Vietnam. Ce sont précisément ces gouvernements là qui encouragent le FUNCINPEC dans son alliance avec le PPC et qui prônent une solution militaire du problème khmer rouge.

La solidarité maintenue durant plus d’une décennie, contre vents et marées, entre le FUNCINPEC, le FNLPK et la PKD a fait long feu. Grâce à elle, à Jakarta, à Tokyo, à Paris, et... sur les champs de batailles combien de manœuvres et d’offensives vietnamiennes ont-elles été tenues en échec ? Combien de fois les vietnamiens ont-ils été défaits, combien de fois ont-ils dû reculer ?

Hélas, certains dirigeants khmers se sont laissés persuader que l’aide financière étrangère avait plus d’importance pour l’avenir du pays que la cohésion nationale. Les Etats-Unis ont clairement indiqué les conditions auxquelles est soumise leur aide : l’alliance du FUNCINPEC et du PPC et l’exclusion des Khmers rouges. A peine les premiers dollars sont-ils arrivés, que la politique préconisée par les bailleurs de fonds a été menée à plein régime : l’accord d’alliance politique FUNCINPEC - PPC a été exhumé et cette fois appliqué, la troupe a été envoyée contre les Khmers rouges. Mais aujourd’hui la manne étrangère se raréfie déjà et le pays s’enfonce dans l’anarchie et la misère. Le Prince Ranariddh réalise soudain que si les Khmers rouges ne sont pas associés au gouvernement comme conseillers ou sous une autre forme, le développement économique et social du Cambodge sera compromis.

Il est urgent de réagir et de changer d’orientation en revenant à l’esprit des Accords de Paris.

En ce début d’année, il semble que l’on prenne conscience à Phnom Penh de l’impasse à laquelle conduit la politique choisie depuis les élections. Il y a donc quelques raisons d’espérer.

Il est urgent de revenir avec une résolution sans faille à l’esprit des Accords de Paris. C’est-à-dire soumettre les choix et l’action politique en toute priorité aux principes d’intégrité et de souveraineté du pays, de résolution pacifique des différends entre Khmers, de réconciliation nationale sans exclusive et de protection absolue des droits de l’homme et des règles démocratiques. Il faut que nos dirigeants refusent les ingérences étrangères dans les problèmes inter cambodgiens et qu’ils privilégient la réconciliation et la cohésion nationale contre toute illusion de salut national provenant d’un secours extérieur.

Pour mener une politique courageuse et parvenir à rétablir la souveraineté nationale du pays, la paix et l’unité nationale, les responsables politiques cambodgiens vont devoir affronter à nouveau les ennemis irréductibles de la nation cambodgienne. Ils n’obtiendront aucun succès si la communauté nationale dans son ensemble n’a pas l’audace de se mobiliser et de s’exprimer pour défendre à leurs côtés les intérêts supérieurs de la nation. Il n’est pas plus grand péril aujourd’hui pour les citoyens cambodgiens que la tentation du silence, de la passivité ou de l’attentisme. S’en remettre à la seule action des dirigeants politiques khmers, en évitant soigneusement toute prise de position, serait dans la situation actuelle une lâcheté. Pour le CCV et pour chacun de ses membres, cesser l’action, serait une désertion.

 

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   Dernière modification : 12 novembre 1998