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Comité Cambodgien de Vigilance
pour l'application de l'Accord de Paris sur la paix au Cambodge du 23 octobre 1991

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Constitution

LIVRE BLANC : L'ACCORD DE PARIS ET SA MISE EN OEUVRE

LA MISE EN OEUVRE DE L’ACCORD DE PARIS

I - LA RESTAURATION DE L'INDEPENDANCE ET DE LA SOUVERAINETE DU PAYS
II - LA RESTAURATION DE LA PAIX
III - LA RECONCILIATION NATIONALE, L'UNITE NATIONALE ET l'AUTODETERMINATION DU PEUPLE CAMBODGIEN
IV - ROLE DU CNS ET DE L'APRONUC
Le CNS réduit à un rôle symbolique
Tentative de légalisation du Régime de Phnom-Penh
Manque de volonté politique
Atteinte au Patrimoine National
Lois électorales injustes et incohérentes
Une loi pénale discriminatoire
Rapatriement des Réfugiés et déminage
La protection des Droits de l'Homme
Les efforts déployés pour sortir le processus de l'impasse et de la partialité

I - LA RESTAURATION DE L’INDEPENDANCE ET DE LA SOUVERAINETE DU CAMBODGE

La vérification du retrait de toutes les forces vietnamiennes du Cambodge par l’ONU revêt la plus grande importance pour le peuple cambodgien. C’est une disposition essentielle de l’accord de paix. Il est clair que de son application rigoureuse dépendra la mise en œuvre efficace des autres dispositions de l’Accord.

Or, la plus grande confusion n’a jamais cessé de régner sur cette question.

D’un côté, deux des quatre parties cambodgiennes n’ont jamais cessé, au moins jusqu’aux élections, d’affirmer que des forces vietnamiennes sont demeurées présentes et actives au Cambodge. Une partie a également appelé l’attention de l’APRONUC sur l’introduction de forces étrangères supplémentaires et sur l’introduction de matériels et de munitions à partir du territoire vietnamien.

De l’autre côté, le Vietnam et la partie de Phnom Penh ont toujours réfuté vigoureusement ces allégations, réaffirmant que toutes les forces vietnamiennes s’étaient retirées depuis Septembre 1989 et qu’aucune n’avait été introduite depuis.

Bien que la vérification du retrait des troupes étrangères prévue dans l’Accord figure explicitement dans le mandat de l’APRONUC, le CCV a dû constater et regretter que celle-ci n’ait entrepris aucune action visant à vérifier les allégations des uns et les démentis des autres. Il a demandé avec insistance des mesures énergiques et appropriées. (Cf. communiqué du CCV du 4 octobre 1992)

Dans une intervention en date du 5 Juin 1992 devant le CNS, M. AKASHI s’est simplement déclaré satisfait des :

déclarations faites par le distingué ambassadeur du Vietnam, qui a dit lors de la dernière réunion du CNS que les dernières forces vietnamiennes se sont retirées en Septembre 1989 et ne sont pas revenues. Le gouvernement du Vietnam m’a depuis fourni des détails concernant ce retrait, ce dont je lui suis reconnaissant.

Certes, M. AKASHI a tenu à rappeler ce jour là qu’il avait pris les initiatives nécessaires pour entreprendre des investigations sur toute suspicion de violation que nous pourrions avoir. C’est donc sans doute, faute de suspicion, que l’APRONUC n’a rien entrepris. Le Secrétaire Général de l’ONU a été obligé de reconnaître le 14 Juillet 1992 que l’APRONUC n’avait pas encore pu appliquer pleinement les dispositions des articles VI et VII de l’Annexe 2 des Accords (2ème rapport spécial du Secrétaire Général de l’ONU au Conseil de Sécurité).

Il aura fallu attendre le 15 Novembre 1992 pour que, par la voix de son Secrétaire général, l’ONU affirme formellement (c’est à dire à la fois solennellement et pour la forme) qu’elle n’avait pas trouvé trace de forces étrangères au Cambodge :

L’APRONUC a consacré et continue de consacrer beaucoup d’attention à la question des forces étrangères. L’équipe chargée des enquêtes stratégiques, établie en vertu de l’annexe 2 (Art. X) des Accords, présentera sous peu à une session spéciale du Conseil National suprême un rapport
intérimaire sur les enquêtes qu’elle a menées au sujet des forces étrangères dont on a allégué ou soupçonné la présence au Cambodge. A ce jour, l’APRONUC n’a pas trouvé la preuve que des unités constituées appartenant à de telles forces soient présentes dans les zones où elles ont eu accès (Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité).

Cette conclusion officielle de l’ONU s’est trouvée contredite, non seulement par plusieurs parties khmères, mais par plusieurs observateurs étrangers présents au Cambodge :

- Selon les agences Associated Press et Reuter, citées notamment par International Herald Tribune et Bangkok Post du 9 Mars 1992, des officiers de l’ONU ont confirmé que des forces spéciales vietnamiennes et des conseillers opèrent toujours au Cambodge sous l’uniforme de l’armée de la partie de Phnom Penh.

- Dans un reportage publié le 9 Août 1992, le Sunday Age rapporte que :

Selon un officier chinois des Nations Unies, des troupes vietnamiennes - un obstacle déterminant à la participation des Khmers Rouges aux Accords de Paix de Paris - sont toujours présentes au Cambodge.

Un Capitaine chinois basé à Kompong Chhnang, à 100 Km au Nord de Phnom Penh, m’a déclaré que récemment ses hommes ont découvert un village proche où, sur 6 000 habitants, 1 000 sont
vietnamiens, dont 900, soit 93 %, sont des hommes âgés entre 18 et 40 ans.

Il n’y a pas d’enfants dans le village et, bien que ces hommes déclarent ne pas être des soldats, ils ne sont pas en mesure d’expliquer la présence si peu de femmes et d’aucun enfant, selon l’officier.

Celui-ci est convaincu qu’il s’agit là d’une preuve concrète que de nombreux soldats vietnamiens sont toujours au Cambodge.

Il nous aurait été plus conforme à la teneur et à l’esprit des Accords de Paris que l’APRONUC entreprenne d’elle-même, et en collaboration avec le CNS les actions nécessaires pour scrupuleusement vérifier les affirmations du Vietnam concernant le retrait de ses forces. En effet, l’affirmation de l’ambassadeur vietnamien saluée par M. Akashi, et selon laquelle le Vietnam a retiré ses dernières forces en septembre 1989 n’était pas nouvelle. Or, comme le CCV l’a écrit à M. AKASHI le 10 juin 1992 :

En mentionnant explicitement la nécessité du retrait des forces étrangères dans les Accords signés en octobre 1991, la communauté internationale a manifesté clairement qu’elle ne pouvait tenir ce retrait pour acquis. Elle a reconnu ce retrait comme condition sine qua non de la paix et de la réconciliation nationale.

Depuis lors, l’ONU n’a assisté à aucune opération de retrait. Par ailleurs, aucune force étrangère n’a déclaré s’être retirée depuis cette date. La situation, sur ce point, n’a nullement évolué depuis octobre 1991. Autrement dit, le retrait des troupes étrangères n’est toujours pas réalisé.

Par ailleurs, nous avons régulièrement réclamé, dans un souci d’efficacité technique, que des éléments des quatre parties cambodgiennes soient intégrés ou étroitement associés aux moyens de contrôle mis en place par l’ONU. (Cf. communiqué du 4/10/92)

Ainsi, les contrôleurs de l’APRONUC auraient pu bénéficier de leur expérience du terrain et de leur connaissance parfaite de la langue et des us et coutumes cambodgiens. Cela leur aurait été d’un grand secours pour distinguer d’éventuelles forces vietnamiennes dissimulées.

Il existe de sérieuses présomptions sur l’incorporation de soldats et de conseillers étrangers dans les forces armées et dans les forces de police de la partie de Phnom Penh. Ces présomptions sont fortement étayées par des déclarations officielles vietnamiennes antérieures à l’Accord de Paris, selon lesquelles le Vietnam retirerait unilatéralement ses forces du Cambodge avant Septembre 1989, à l’exception de 30 000 hommes qui seraient placés sous le commandement cambodgien. Ce point aurait dû faire l’objet d’un contrôle spécifique particulièrement rigoureux.

Il existe également de fortes présomptions concernant la démobilisation théorique de soldats vietnamiens qui se seraient établis comme civils, en conservant le plus souvent des armes. Ces personnes à nos yeux, auraient dû être considérées comme des forces étrangères encore présentes sur le territoire cambodgien. En effet, aucune convention internationale, ni aucun précédent historique, ne confère à des soldats envoyés dans un territoire étranger le droit de s’y établir après avoir été démobilisés. En conséquence, l’APRONUC aurait dû assurer la reconduite de ces personnes au Vietnam, sans précipitation mais le plus rapidement possible, et dans des conditions humainement correctes.

Lorsque l’APRONUC s’est installée au Cambodge, le pays subissait déjà la présence massive de colons vietnamiens établis dans le pays en vertu d’accords et de traités imposés par le Vietnam au régime de Phnom Penh. Non seulement l’APRONUC a refusé de considérer cette atteinte grave portée à la souveraineté nationale, mais durant le mandat de l’ONU, on a continué d’assister à un afflux massif d’immigrants illégaux vietnamiens. A plusieurs reprises, trois des quatre parties cambodgiennes ont demandé en vain à l’APRONUC de se saisir du problème et   d’assurer le respect de la souveraineté cambodgienne, conformément à son mandat. La population cambodgienne elle-même montre qu’elle est gravement préoccupée par cette situation.

La presse internationale a également constaté cette présence massive :

Les évaluations de la communauté vietnamienne au Cambodge varient entre quatre vingt mille personnes (chiffre officiel) et un million. Le second chiffre semble plus proche de la réalité. (J.C. Pomonti, Le Monde, France, 06.04.92)

Ils sont des milliers comme cette jeune immigrante en ce mois d’avril à arriver encore d’un Vietnam haletant qui craque de partout et qui n’arrive plus à nourrir une population de 58 millions d’habitants. (Gilles Toupin, La Presse, Canada).

...les Cambodgiens sont de plus en plus alarmés de l’afflux de milliers de vietnamiens venus tirer avantage du boom du commerce et de la construction qui a accompagné l’accord de paix et le déploiement massif de l’ONU ici. (William Branigin, Washington Post/ International Herald Tribune, 18.06.92)

Les Khmers Rouges sont peu bavards. Impossible de savoir s’ils accepteront de rendre les armes. Ils évoquent simplement la présence massive des Vietnamiens. Chez eux, c’est un leitmotiv. Et ils n’ont pas tort. Il y a beaucoup de vietnamiens à Siemreap. (François Luzet, Le Figaro, France, 18.06.92)

Beaucoup de cadres cambodgiens pensent sincèrement que Phnom Penh s’appuie sur cette communauté et que l’ONU s’en fait la complice en défendant le droit de minorités étrangères.
(J.C. Pomonti, Le Monde, France, 25.07.92)

Le 4 avril 1992, dans son étude sur le patrimoine, le CCV a attiré l’attention sur les conséquences catastrophiques du non contrôle de l’afflux croissant des colons vietnamiens.

Le 10 juin 1992, le CCV a alerté M. AKASHI sur les graves risques qu’il y aurait à laisser cette situation durer :

Nous risquons alors, d’assister à la rupture des Accords de paix par telle ou telle faction. Mais nous risquons surtout d’assister, tôt ou tard, à une explosion populaire anti-vietnamienne, aux conséquences incalculables. Une telle situation compromettrait l’application du plan de paix et jetterait un discrédit grave sur l’APRONUC, et au-delà sur l’ONU elle-même.

Malheureusement, quelques jours plus tard, les faits nous donnaient raison : huit Vietnamiens, dont plusieurs enfants, étaient assassinés le 23 juillet à Touk Meas, dans la province de Kampot.

Un nombre important d’immigrants vietnamiens sont entrés au Cambodge durant la guerre. Dans un souci de protection des populations civiles, l’article 49 de la Convention de Genève en date du 12.08.49, interdit l’introduction de populations étrangères civiles dans un territoire durant un conflit. Il stipule explicitement dans son dernier paragraphe :

La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle...

Cette immigration revêt donc un caractère typiquement illégal, au regard du droit international, délibérément violé par Hanoi dans un but bien précis : modifier la démographie du Cambodge en préparation de son absorption de fait par le Vietnam.

Parallèlement aux responsables du FUNCINPEC et du FNLPK, M. Chhean Vam, ancien Président du Conseil des Ministres, n’a eu de cesse, à Paris, à Montréal, de lancer et réitérer son appel à l’ONU et aux Puissances pour qu’elles prennent des mesures appropriées, en application de la garantie de l’Accord de Paris sur la souveraineté du Cambodge, pour endiguer cette dangereuse invasion. Intervenant dans une conférence sur le Cambodge le 13 Février 1993 à Montréal, il a mis en garde nos compatriotes et la communauté internationale que de quelques centaines de milliers dans les premiers temps d’occupation, leur nombre (les Vietnamiens) a grimpé rapidement pour atteindre et même dépassé le million, quelques années plus tard. Il s’est brutalement gonflé avec l’arrivée de l’APRONUC.

L’on sait par ailleurs que le non contrôle de l’immigration vietnamienne a fini par donner des arguments à la partie du Kampuchéa Démocratique de refuser, à tort ou à raison, de s’associer au processus de désarmement.

D’autres immigrants vietnamiens sont entrés au Cambodge après la cessation officielle des hostilités, c’est à dire après la signature de l’Accord de paix. Cette immigration est également illégale puisqu’elle n’a pas été autorisée par le CNS, détenteur de la souveraineté nationale et organe légitime et source unique de l’autorité au Cambodge.

L’APRONUC a laissé sans solution le problème des immigrants illégaux. Il s’agit là pourtant d’une préoccupation légitime de la population cambodgienne. On notera d’ailleurs que tous les pays du monde réglementent l’accès des étrangers à leur territoire, et prennent des mesures concrètes pour prévenir et combattre l’immigration clandestine qui constitue un fléau tant pour le pays d’accueil, que pour les immigrés clandestins eux-mêmes. Les autorités des Etats-Unis, de la France, de l’Angleterre et de l’Italie par exemple, n’hésitent pas, chaque mois, à expulser un grand nombre d’immigrants illégaux. Qui plus que l’ONU aurait pu garantir que les mesures à prendre le soient dans le respect strict des droits et de la dignité de l’Homme. L’ONU à cet égard, devra assumer devant l’histoire, une lourde responsabilité non seulement parce qu’elle a laissé bafouer la souveraineté du Cambodge mais aussi parce que laissant derrière elle un problème de cette nature sans solution, et même aggravé, elle a laissé sur place tous les ingrédients d’une confrontation inter ethnique majeure, violente, et dans laquelle les droits de l’homme ont toutes les chances d’être mis à mal.

II - LA RESTAURATION DE LA PAIX

Le mécanisme de restauration de la paix prévu par l’Accord de Paris repose sur un cessez-le-feu en deux phases.

La première phase devait consister en un arrêt de combat dans tout le territoire pour permettre le retrait des troupes étrangères et sa vérification. Durant cette première étape, l’APRONUC devait donc mettre en place les moyens structurels et matériels nécessaires à l’efficacité de sa mission.

En pratique, l’APRONUC a été très lente à se déployer sur l’ensemble du territoire. Et même lorsque ses composantes civiles et militaires ont été totalement déployées, les combats n’ont jamais totalement cessé.

Ils se sont poursuivis avec violence dans plusieurs régions, notamment dans les provinces de Kompong Thom, Siemreap, Battambang, Kompong Cham, Kampot... L’APRONUC elle-même a vu ses cantonnements et ses véhicules pris sous les feux de combattants hostiles. A la suite de ces incidents, plusieurs parties se sont trouvées accusées par les autres parties khmères ou par l’APRONUC elle-même. Il s’agit notamment de la PKD et du PPC.

En Août 1992, une journaliste française décrivait ainsi la situation :

Du côté de Kompong Thom, la paix est encore un mythe : les accrochages sont nombreux avec les troupes gouvernementales, les routes sont régulièrement minées, et chaque semaine des centaines de "réfugiés intérieurs" s’ajoutent aux 100 000 personnes déplacées déjà recensées. Ces paysans, qui dorment dans des pagodes, campent le long de la route principale, ont, pour la plupart, fui combats et bombardements, et sont bien plus démunis que les réfugiés rapatriés à grands frais depuis les camps de Thaïlande. (Colette Braekman, Monde Diplomatique)

D’autres témoignages sont très révélateurs de l’impuissance de l’ONU à faire respecter un cessez-le-feu :

Chargées de faire appliquer le traité, les forces de l’ONU, parmi lesquelles se trouvent 1 300 soldats français, font aujourd’hui figure de simples spectateurs. (Richard Werly, Témoignage Chrétien, 5 Septembre 1992)

Sur ce problème complexe, le Département des Affaires Militaires du CCV a eu l’occasion d’exprimer à plusieurs reprises un point de vue largement partagé par les Cambodgiens et les observateurs étrangers : l’APRONUC aurait dû sans tarder, constituer des équipes mobiles en nombre suffisant associant aux casques bleus des représentants des quatre composantes armées cambodgiennes. De telles équipes auraient dû être implantées sur l'ensemble du territoire et notamment dans les zones de confrontation. Elles auraient dû être autorisées à agir de leur propre initiative sans attendre que des plaintes ne leur soient adressées. Elles auraient été chargées de mener des investigations approfondies lors de chaque violation du cessez-le-feu, suivies par des sanctions à l’encontre de la partie ou des parties reconnues coupables. C’est à ce prix seulement que l’on pouvait espérer un cessez-le-feu effectif.

Le même dispositif aurait été à même de contrôler efficacement le retrait des forces étrangères du Cambodge. En se donnant des moyens nécessaires l’APRONUC aurait montré sa volonté politique d’aboutir. Elle se serait mise en situation d’honorer ses engagements vis-à-vis de l’Accord de Paris, sans nul doute, et se serait assurée du soutien sans faille de la population cambodgienne.

Des équipes de surveillance ont bien été constituées mais leur mission est demeurée imprécise, elles n’ont pas cherché à mobiliser le soutien des quatre parties cambodgiennes et se sont trouvées dépourvues des moyens de mener à bien des investigations approfondies et d’imposer leurs décisions ou conclusions, que soit à la direction de l’APRONUC ou aux parties en présence.
Au cours de la deuxième phase l’APRONUC devait regrouper et cantonner les forces armées cambodgiennes et désarmer 70 % des combattants selon un plan préétabli. La mise en œuvre de cette seconde phase dépendait entièrement de la réussite de la première phase. Celle-ci ayant été un échec, la seconde phase a été toute théorique. Elle a été surtout marquée par le refus catégorique de la PKD de laisser regrouper, cantonner et désarmer ses forces. La PKD a même fini par refuser à l’APRONUC l’accès de zones sous son contrôle.

La PKD a affirmé qu’elle ne participerait à la seconde phase que lorsque l’APRONUC se serait acquittée du mandat qui lui était confié dans le cadre de la première phase. Cette partie a insisté sur la question du retrait des troupes étrangères et sur le contrôle par le CNS et l’APRONUC des cinq secteurs essentiels : défense, police, information, finances et affaires étrangères. Le Conseil de sécurité de l’ONU a officiellement condamné l’attitude de la PKD et pris un certain nombre de mesures de rétorsion à son égard. Cependant, comme l’APRONUC elle-même a dû le constater, les Cambodgiens dans leur majorité ont estimé que le refus de la PKD n’était pas totalement infondé :

Les gens semblent accepter la propagande de la PKD sur les questions politiques essentielles en raison de leur sincère désir de trouver une explication à l’échec du processus de paix. Ils acceptent plus volontiers les explications de la PKD que la suggestion de l’enquêteur [de l’APRONUC] selon laquelle le refus de la PKD de se joindre au processus constitue le problème de base. Jusqu’à un certain point ce fait est connu, mais il est évacué du raisonnement intellectuel. Les gens attendent toujours de l’APRONUC qu’elle arrange tout et sont déçus qu’elle ne le puisse ou ne le veuille pas.

Les réponses de la PKD semblent correspondre à certaines réalités constatées sur le terrain. (Rapport de voyage d’étude dans la province de Kompong Cham, 18-25 Janvier 1993 - Document interne de l’APRONUC)

III - LA RECONCILIATION NATIONALE, L’UNITE NATIONALE ET L’AUTODETERMINATION DU PEUPLE KHMER

L’Accord de Paris engage les quatre parties cambodgiennes à promouvoir la réconciliation nationale. L’établissement d’un environnement politique neutre, inscrit dans le mandat de l’APRONUC, devait contribuer à apaiser la haine et l’esprit de vengeance.

Concrètement, l’Accord exige des quatre parties cambodgiennes qu’elles collaborent au sein d’un Conseil National Suprême. Cette institution devait elle-même collaborer avec l’APRONUC dans la conduite des affaires du pays. L’Accord donne au Président du CNS un réel pouvoir de décision et d’action. De son côté, l’APRONUC aurait dû être animée d’une volonté sincère de promouvoir un climat d’entente et de coopération. Malheureusement, elle n’a pas considéré l’ensemble des parties de la même manière. La population cambodgienne et de nombreux observateurs ont rapidement été conduits à reprocher à l’APRONUC une partialité caractérisée par une grande complaisance à l’égard des exigences du PPC et une grande indifférence vis-à-vis des demandes ou des avis des autres parties. La crédibilité de l’APRONUC aux yeux de la population et vis-à-vis des parties signataires s’en est trouvée gravement affectée.

La conduite des affaires d’état qui relevaient de la compétence du CNS, a été dans une très large mesure laissée entre les mains de la partie de M. HUN SEN et de son prétendu gouvernement. Ce gouvernement, ses ministres et ses administrations ont bénéficié d’une reconnaissance de fait tant de la part de l’APRONUC que de la part de nombreux états signataires, et par-là même, garants de l’Accord. Pour ne citer qu’un exemple, mentionnons la réception de M. HUN SEN à Paris en qualité de Premier ministre. En adoptant une telle attitude, le gouvernement français s’est départi de la neutralité qu’il se devait de respecter en ses qualités de Co-Président de la Conférence de Paris sur le Cambodge et de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.

A plusieurs reprises le CCV a émis des avis quant aux mesures à prendre pour remédier à cette situation, elle les a portées à la connaissance de l’APRONUC et du CNS sans obtenir qu’ils soient pris en considération (cf. l’étude du Département Juridique du CCV en date du 23 Mars 1992).

IV - ROLE DU CNS ET DE L’APRONUC STRUCTURES ADMINISTRATIVES EXISTANTES

LE CNS REDUIT A UN ROLE SYMBOLIQUE

L’ensemble du processus de paix prévu par l’Accord signé à Paris devait constituer un moyen puissant de réconciliation nationale et permettre l’autodétermination du peuple cambodgien. Le rétablissement de la sécurité des personnes et de leur liberté de circulation, d’association, d’accès à l’information et de croyance sur l’ensemble du territoire était non seulement un préalable indispensable à la tenue d’élections, mais également le moyen de reconstituer l’unité du territoire national en libérant toutes les régions cambodgiennes de l’influence et du contrôle armé exclusif de telle ou telle partie pour assurer à l’ensemble de la population, la jouissance des mêmes droits et protections.

Rassemblant en son sein l’ensemble des parties cambodgiennes ayant pris part au conflit, le CNS, s’il avait fonctionné réellement comme organe légitime unique et source de l’autorité au Cambodge, aurait incarné et traduit cette volonté de reconstituer l’unité nationale. En association étroite avec l’APRONUC, il devait contribuer à l’application de l’Accord. En exerçant toute l’autorité sur les structures administratives jusque là partisanes dans les différentes parties du pays, il devait assurer leur neutralité politique, contribuant ainsi à l’établissement de l’environnement neutre nécessaire à la tenue d’élections.

Malheureusement, le CNS n’a à aucun moment fonctionné. Il a d’abord connu de grandes difficultés pour se réunir en raison des entraves, matérielles ou parfois violentes que la partie de Phnom Penh a opposées à l’établissement des délégations des autres parties dans la capitale cambodgienne. Même lorsqu’il s’est réuni régulièrement, il n’exerçait effectivement aucune autorité sur l’ensemble du territoire, lequel est toujours resté divisé en zones de contrôle exclusif des différentes parties. A aucun moment le CNS n’a été en mesure de jouer le rôle de moteur du processus de paix qui aurait dû être le sien. La dynamique interne est restée paralysée.

Toléré par l’APRONUC et par la communauté internationale, cet état de fait n’était rien de moins qu’un processus de partition du pays. De nombreuses puissances étrangères et l’APRONUC elle-même ont semblé s’en satisfaire pleinement car cela leur permettait finalement de traiter la partie de Phnom Penh comme le gouvernement du Cambodge ou d’assimiler cette partie au Cambodge lui-même. Soigneusement réduit à un rôle de symbole, le CNS n’a servi finalement que de couverture légale, à la reconnaissance de facto du régime issu de l’occupation étrangère et de ses structures partisanes.

TENTATIVE DE LEGALISATION DU REGIME DE PHNOM-PENH

Le fait que la partie de Phnom Penh n’hésite pas à maintenir son gouvernement et son assemblée législative, que ses dirigeants continuent de porter les titres et d’assumer effectivement les fonctions de Premier ministre, ministres, Président de l’Assemblée est en contradiction flagrante avec le principe d’unicité du CNS comme source de toute l’autorité au Cambodge. En violation du même principe et en contradiction complète avec leur propre engagement à reconnaître le Prince Norodom Sihanouk comme Chef de l’Etat, les autorités de Phnom Penh se croient même autorisées, le 6 Avril 1992, de nommer M. Chea Sim, Chef de l’Etat. En conséquence, comble de paradoxe, le Président du CNS, c’est à dire le Chef de l’organe légitime et source unique de l’autorité au Cambodge, doté par l’Accord de Paris d’un droit suprême d’arbitrage, et reconnu Chef de l’Etat par l’ensemble des parties, a été contraint de rappeler régulièrement à ses compatriotes qu’il n’exerce ni ne détient aucun pouvoir réel.

Dans un communiqué en date du 27 Mars 1992, le CCV déplore cette situation en ajoutant que :

Le CCV exprime d’autre part son inquiétude profonde devant la multiplication des traités, accords et transactions par la faction de Phnom Penh dans des conditions hâtives, inégales, sommaires et totalement illégales.

De tels accords hypothèquent lourdement l’avenir du Cambodge.

Le CCV a le devoir d’informer l’opinion internationale qu’à l’exception des accords à caractère humanitaire et urgent, ces traités et transactions conclus dans l’illégalité ne lient absolument le Cambodge, ni ses futurs gouvernements à aucune obligation.

Il est regrettable que le Secrétaire Général de l’ONU. lui-même, dans son appel en faveur des besoins immédiats et de la reconstruction au Cambodge soit allé jusqu’à écrire :

L’arrêt de l’assistance fournie par les pays de l’ex-COMECON en 1990 et de leur décision en 1991, de pratiquer désormais les échanges commerciaux internationaux en devises convertibles, ont exacerbé les tensions existantes de la balance des paiements au Cambodge (...). En conséquence, il existe un besoin urgent de soutien budgétaire au Cambodge.

S’exprimant ainsi, le secrétaire général de l’ONU inscrit la relation de son Organisation avec le Cambodge dans la continuité de la relation passée entre le bloc soviétique et le régime communiste pro vietnamien. Il demande finalement à la communauté internationale de se substituer simplement au COMECON sans se préoccuper de la neutralisation préalable de l’environnement politique et de l’appareil d’état.

Rien pourtant n’empêche l’ONU de faire face aux urgences, dans le respect de l’esprit de l’Accord, en s’appuyant sur un CNS fort et en utilisant la neutralisation de l’administration pour renforcer son efficacité sur le terrain. Ce ne sont pas les moyens qui ont manqué à l’ONU mais la volonté politique.

MANQUE DE VOLONTE POLITIQUE

En tout premier lieu, il manque au bon fonctionnement du CNS, la volonté politique claire de l’APRONUC et de certains membres permanents du Conseil de Sécurité de le voir être réellement l’organe légitime unique et source de l’autorité. Là se trouve la raison majeure du dévoiement du processus de paix.

En conclusion d’une importante étude sur le dysfonctionnement du processus de paix, dès le 23 Mars 1992, le Département Juridique du CCV a formulé des propositions précises pour rendre le CNS opérationnel et restaurer son unicité :

1/ Etablir un règlement intérieur qui définit les règles de fonctionnement du CNS, les pouvoirs du Président et des membres ainsi que les sanctions. Nous avons suggéré que le quorum soit de " 5 membres + Président " pour valider les réunions du CNS (...)

2/ Une réunion peut être qualifiée de réunion du CNS, si le quorum est atteint. Toute décision prise par une réunion du CNS peut être qualifiée de décision du CNS. Toute décision du CNS a force juridique et s’impose à l’ensemble du pays (...)

3/ Le CNS doit instituer un Journal Officiel pour officialiser ses actes et les rendre exécutoires (...)

4/ Toutes les questions d’intérêt national relèvent de la compétence du CNS. Elles doivent être traitées au sein du CNS ou par les services ou organes créés par lui. Les aides internationales et la défense du patrimoine national et culturel ne peuvent donc être traités ailleurs que par le CNS et ses organes.

5/ Le CNS doit instituer ses propres organes administratifs pour pouvoir assumer ses responsabilités (...). Il y a lieu de revoir tous les organes et comités créés en dehors de l’autorité du CNS, et dont l’objet relève de la compétence du CNS.

ATTEINTES AU PATRIMOINE NATIONAL

L’un des domaines dans lesquels l’autorité du CNS aurait dû s’exercer pleinement est celui de la protection du patrimoine national. Dans son rapport en date du 24 Avril 1992, le Département Patrimoine du CCV a dénoncé les atteintes extrêmement graves ont été portées au patrimoine national depuis l’invasion du pays en 1979, et que dans certains cas, elles se sont poursuivies après la signature de l’Accord de paix et concernent tous les domaines.

Le patrimoine territorial a été affecté par l’annexion de territoires, le déplacement de frontières maritimes et terrestres et l’accaparement de terres par les colons illégaux. Le patrimoine démographique a été durant la guerre particulièrement visé par les forces d’occupation qui ont eu largement recours à des armes conventionnelles et non conventionnelles visant expressément la population khmère (armes chimiques, arme de la famine, travaux forcés, etc...). Ce patrimoine démographique a continué, durant le mandat de l’APRONUC, d’être affecté par l’arrivée massive d’immigrants illégaux et les naturalisations illégales dont ils sont bénéficiaires. Dans le domaine économique, le Département patrimoine du CCV s’est exprimé comme suit :

Le CNS et l’opinion cambodgienne, doivent obliger le régime de Phnom Penh à suspendre son rappel à l’adjudication, ainsi que toutes les opérations de braderie du patrimoine national, en attendant la décision d’un gouvernement élu.

Le CNS doit déclarer nuls et non avenus tous les traités, et transactions contractées par ce régime illégal.

Les carences de l’APRONUC dans les domaines essentiels de la vérification du retrait des forces étrangères, de la neutralisation politique des institutions et administrations existantes, de la reconnaissance effective du CNS dans le rôle qui lui est dévolu par l’Accord et dans celui du contrôle de l’immigration illégale au Cambodge, ont déjà été évoquées ci-dessus. Ce ne sont malheureusement pas les seuls sujets sur lesquels l’APRONUC a gravement déçu les attentes du peuple cambodgien.

Compte tenu de l’importance des problèmes du patrimoine national, nous renvoyons nos lecteurs à son étude détaillée et figurée dans la troisième partie de ce livre (p 71).

LOIS ELECTORALES INJUSTES ET INCOHERENTES

Dans le cadre de la préparation du processus électoral, l’APRONUC a préparé un projet de loi électorale. Le représentant personnel du Secrétaire Général de l’ONU, Chef de l’APRONUC, M. AKASHI, a déclaré le 5 Août que le projet est adopté en dépit de l’opposition ou de réserves extrêmement claires de trois des quatre parties cambodgiennes.

Deux points ont motivé l’opposition de l’opinion cambodgienne à ce projet de loi électorale.

D’abord, l’alinéa 1, article 14 du chapitre V stipule :

L’inscription des personnes qui, du fait de cette inscription et en application de la présente loi, seront autorisées à participer aux élections se fera au Cambodge.

En exigeant que les inscriptions ne puissent se faire qu’au Cambodge, l’APRONUC a posé un premier obstacle à une diaspora khmère évaluée à plus de 400.000 personnes. En effet, de toute évidence, la plupart ne pourraient assumer les frais de transport et de séjour, très onéreux, pour se rendre dans leur pays pour une banale opération d’enregistrement. Cette disposition, imposée de manière arbitraire a suscité de véhémentes protestations de la part de la diaspora khmère qui s’est sentie fortement lésée. Il faut sans doute rappeler que l’Accord de Paris accorde le même droit et la même possibilité à tous les Cambodgiens de participer au scrutin.

De nombreuses requêtes ont été formulées pour demander à l’APRONUC de prévoir des centres d’enregistrement dans des pays d’accueil tels que les Etats Unis, la France, l’Australie. Cette demande était d’autant plus facile à satisfaire que dans tous ces pays l’administration dispose de fichiers permettant de connaître le nombre exact des réfugiés cambodgiens y résidant. Des lettres et motions ont été adressées aux membres du CNS et particulièrement à Samdech Norodom Sihanouk pour leur demander d’intervenir sur la question. Malgré plusieurs interventions de leur part, l’APRONUC a continué de faire la sourde oreille. Elle a accepté que des points de vote soient installés à l’étranger mais a refusé jusqu’au bout que l’enregistrement des électeurs se fasse ailleurs qu’au Cambodge. Ainsi, elle a de fait exclu la diaspora khmère du processus électoral, officiellement pour des raisons d’ordre matériel.

L’APRONUC a-t-elle seulement la volonté de faire participer les Cambodgiens de la diaspora aux élections comme le prévoit l’Accord ? La question reste posée.

Comme cela est prévisible le nombre des votants dans les bureaux de vote ouverts à l’étranger fut faible, faute d’inscrits. En ouvrant finalement ces bureaux, notamment à Paris et New York, l’APRONUC veut afficher sa volonté officielle de faire participer le plus grand nombre aux élections. En réalité, prouvant qu’il est possible de mettre en place une logistique électorale à l’étranger, elle n’a fait que démontrer son iniquité à l’égard de la diaspora, et le caractère non justifié de son refus de laisser la diaspora se faire enregistrer dans les pays d’accueil.

Le second point de la loi électorale qui a suscité la colère de l’opinion cambodgienne porte sur la définition de la personne cambodgienne qui a conditionné l’attribution du droit de voter.

Selon l’article 15, chapitre 15 de la loi électorale :

Toute personne âgée de 18 ans ou plus qui aura pendant la période d’inscription déterminée par l’Article 14 et qui :

a/ est né au Cambodge

b/ ou est enfant naturel d’une personne née au Cambodge sera autorisée, si elle satisfait aux dispositions de la présente loi, à être inscrite sur les listes électorales.

Par cette disposition, la loi électorale imposée par l’APRONUC ne reconnaît que le droit du sol, jus soli, et néglige de façon outrancière le droit du sang, jus saguini, en contradiction avec la tradition juridique du pays.

Au cours d’une réunion de travail consacrée à la préparation des élections et présidée par Samdech Norodom Sihanouk, le CNS a pourtant, pour une fois, donné son accord par consensus pour que le Code Civil de 1954 soit remis en vigueur. Ce texte respecte à la fois le droit du sol et le droit du sang, autorisant seuls les Cambodgiens à prendre part au vote et n’accordant pas aux étrangers résidant au Cambodge la possibilité de prendre part au scrutin. Le CNS entend ainsi défendre la souveraineté du Cambodge dans un contexte caractérisé par la présence massive d’étrangers civils et militaires, notamment vietnamiens. En vertu de l’Accord de Paris, l’APRONUC n’a nullement autorité pour remettre en cause l’avis unanime du CNS sur cette question. Selon l’Accord de Paris, il incombe à l’APRONUC de préparer la loi électorale mais en aucun cas, elle n’a compétence pour redéfinir la personne cambodgienne contre l’avis du CNS et en contradiction avec la tradition juridique du pays. Si une nouvelle définition était jugée nécessaire, le CNS seul, serait habilité à l’établir en vertu de son rôle de garant de la souveraineté du Cambodge.

La loi électorale a permis sans ambiguïté à tous les Vietnamiens établis au Cambodge, de fraîche ou de longue date, de réclamer et d’obtenir le droit de vote. En effet, si leur naissance au Cambodge ou celle d’un de leur parent, était contestée par quelqu’un, il serait prévu que la charge de la preuve incomberait au plaignant. Et que de plus, ce serait l’administration en place, dépendante de la partie de Phnom Penh, qui aurait la charge de recevoir les plaintes.

Une information parue dans Le Monde du 23-24/8/92 laisse imaginer les conséquences perverses de ces dispositions :

L’APRONUC va vérifier les listes du personnel des ministères de Phnom Penh pour déterminer s’il y a toujours de conseillers vietnamiens et les rapatrier... Enfin, selon des sources gouvernementales à Phnom-Penh, des cartes d’identité cambodgienne ont été distribuées à un certain nombre de fonctionnaires d’origine vietnamienne pour leur permettre de rester au Cambodge.

Par une note explicative appuyant l’article 15 précité, M. Akashi a de surcroît exclu du droit de voter toute une partie de la population cambodgienne née au Kampuchéa Krom, ancien territoire khmer annexé par le Vietnam, avec la bénédiction de l’ancien empire colonial français. Beaucoup de Khmers Krom se sont établis depuis des décennies sur le territoire actuel du Cambodge pour y vivre, mais chacun d’eux reste détenteur de documents d’état civil qui mentionnent le Sud Vietnam comme lieu de naissance.

La loi prive donc de la citoyenneté cambodgienne, tous nos compatriotes qui sont nés hors du Cambodge. Ce qui est une première dans l’histoire du Droit Civil Cambodgien.

L’exemple le plus illustre reflétant cette injustice est le cas de M. Son Sann, président du PDLB. Selon la loi, il n’aurait pas dû avoir le droit, ni de se présenter comme candidat à la députation, ni de s’inscrire sur la liste électorale. Un autre cas non moins frappant est celui de M. Truong Mealy, chef de cabinet de Samdech Norodom Sihanouk, qui pour la même raison, n’aurait pas dû jouir du droit de vote. Etant donnée la position de l’un et de l’autre, des dispositions spéciales ont été prises pour qu’ils ne soient pas exclus du scrutin. Par contre, rien n’a été fait pour tous nos compatriotes se trouvant dans la même situation.

Le même droit pour tous les cambodgiens de participer au scrutin n’a donc pas été respecté.

Mais, comble du paradoxe la même loi qui exclut tant de Cambodgiens, accorde dans les faits le droit de vote à tous les étrangers se trouvant au Cambodge. Samdech Norodom Sihanouk lui-même a réagi vivement et a fait remarquer clairement que sous son règne, les étrangers n’ont pas le droit de vote. Tous les cambodgiens ont applaudi ce rappel, tout comme M. Son Sann qui a adressé une lettre en date du 7 avril 1993 à M. Akashi, dont voici la teneur :

" L’existence au Cambodge d’une si nombreuse "force" vietnamienne, plus ou moins armée, ne permet pas d’avoir une atmosphère sereine, neutre et équitable pour ces élections.

J’avais démontré dans une réunion plénière à Paris avec des chiffres avancés par une personnalité de Phnom Penh à l’appui, que le nombre de vietnamiens au Cambodge en 1989, dépassait déjà largement le million. Depuis, ils arrivent régulièrement, sans passeport ni visa et accueillis et dispersés dans les divers centres par des réseaux bien organisés.

Ces Vietnamiens se ruent dans les bureaux d’enregistrement des électeurs ouvert par l’APRONUC, pour demander les cartes d’électeurs.

Combien de Vietnamiens ont-ils déjà obtenu ces cartes d’électeurs, malgré les protestations des représentants du FUNCINPEC et de notre parti le PDLB ?

L’APRONUC a annoncé les inscrits pour les élections au nombre de 4 600 000. La population khmère devrait être alors au moins entre 9 200 000 et 12 000 000 d’habitants.

Mais du fait de la guerre, ce taux de croissance est inférieur à 2 %. La population khmère a subi des pertes d’environ 2 000 000 de personnes, tuées lors de la guerre de 1970 à 1975, sous le régime des Khmers rouges, et sous l’occupation vietnamienne... En outre, plus de 500 000 cambodgiens se sont réfugiés à l’étranger et au moins 5 % de la population sont dans la zone du Kampuchéa Démocratique. Le chiffre maximum de la population khmère restée au Cambodge est de 8 000 000 et non de 9 000 000 annoncé par l’APRONUC.

La différence entre le chiffre minimum de 9 200 00 et le chiffre maximum de 8 000 000, soit 1,200,000 de non cambodgiens, se retrouve en partie dans le nombre des 4 600 000 d’électeurs inscrits annoncé par l’APRONUC. Les élections seront-elles libres et équitables dans ces conditions ? "

Ayant démontré l’iniquité de ces règles, le CCV a formulé à plusieurs reprises des propositions concrètes. Mais l’APRONUC a résolument choisi de ne pas tenir compte de l’opinion cambodgienne.

La crainte de voir accorder le droit de vote à la grande masse des étrangers au Cambodge, notamment vietnamiens, s’est trouvée totalement confirmée lorsque l’APRONUC a annoncé, avec brio, avoir enregistré plus de 4 600 000 électeurs. Et pour faire concorder le chiffre avec celui de la population cambodgienne, une nouvelle estimation de celle-ci a abouti au chiffre effarant de 12 millions d’habitants, à la surprise de tous les démographes.

Il faut d’ailleurs souligner que ni le gouvernement vietnamien, ni la partie de Phnom Penh n’ont pu nier que les Vietnamiens établis au Cambodge auraient le droit de voter. Au contraire, l’agence officielle de la partie de Phnom Penh, SPK écrit le 19 Mai 1992 :

L’AFP rapporte que selon le Vice-Premier Ministre vietnamien, Nguyen Khanh, les colons vietnamiens pourront être autorisés à voter aux prochaines élections cambodgiennes puisqu’ils vivent légalement au Cambodge depuis longtemps.

" Je ne pense pas qu’il y ait de problème " a déclaré M. Khanh à des journalistes, à son arrivée à Kuala Lampur pour une visite de cinq jours.

M. Khanh a déclaré avoir eu récemment une réunion avec le "Vice-Premier Ministre" cambodgien, le prince Norodom Chakrapong et que "tout a été discuté et résolu". (SPK N068, 19.05.1992, Phnom Penh)

UNE LOI PENALE DISCRIMINATOIRE

Dans le domaine juridique, l’APRONUC a proposé au CNS le 17 Août 1992 un projet de code pénal. Le texte se caractérise par un parti pris favorable aux étrangers se trouvant au Cambodge et une volonté de limiter les droits des Cambodgiens dans leur propre pays. Plus étonnant encore, il permet de faire condamner pour discrimination raciale, toute personne ou tout groupe qui aurait prétendu s’élever contre une atteinte étrangère à la souveraineté et au patrimoine national. A titre d’exemple, la dénonciation par voie de presse de l’afflux massif d’immigrants illégaux au Cambodge, pouvait tomber sous le coup de ce texte réglementaire et son auteur se voir interdire le droit de participer aux élections, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un mouvement politique, sans préjudice des peines d’amendes et d’emprisonnement.

RAPATRIEMENT DES REFUGIES ET DEMINAGE : DES PROMESSES NON TENUES

Même dans un domaine technique comme celui du rapatriement des réfugiés, il faut déplorer la médiocre qualité du travail de l’ONU. Malgré le retard pris au démarrage du programme, les objectifs quantitatifs et les délais ont été finalement respectés. Mais, sur le plan qualitatif, le processus de rapatriement est loin de s’être fait dans les conditions prévues.

Etabli sur la base des conclusions de la Mission Provisoire des Nations Unies, le premier rapport du Secrétaire Général de l’ONU, en date du 12 Février 1992 promet aux réfugiés à rapatrier :

Sélection et attribution de terres agricoles et de terrains d’installation, fournitures d’une assistance et de vivres, pendant une période d’un an en moyenne, à 360 000 rapatriés au maximum. En fonction de l’expérience acquise, cette période pourra être prolongée jusqu’à dix huit mois, notamment pour l’introduction de projets "vivre contre travail". (ONU/Conseil de Sécurité - S/23613 point 137, b)

Compte tenu du fait qu’une famille compte en moyenne 4,4 personnes, chaque famille doit disposer d’environ deux hectares de terre pour être autosuffisante. Il faudrait recenser et allouer 150 000 hectares de terres au Cambodge à des fins de réinstallation (...). Une mission du HCR utilisant des techniques de télédétection identifie actuellement 240 000 hectares de terre non revendiquées et pouvant convenir à cette fin dans les provinces ou les rapatriés souhaitent s’installer. (ONU/Conseil de Sécurité - S/23613, point 141)

Les colis de fournitures distribuées aux familles rapatriées lors de leur réinstallation comprendraient différents outils et matériels de base à utiliser sur le lieu de leur destination finale (bols de sciage, piquets, bambous, bâches de plastique), de même que du matériel servant pour la construction (clous, fils métalliques, scies à mains, limes, truelles, pinces etc...). Les familles rentrant au Cambodge devront se procurer de chaume supplémentaire ou du matériel analogue pour la finition des murs et remplacer les bâches en plastique. (ONU/Conseil de Sécurité - S/23613, point 144)

Chaque famille recevra également une pochette d’articles ménagers et des outils agricoles, y compris des sceaux à eau, des moustiquaires, des haches, des machettes, des houes, des pelles, des couteaux, des faucilles et des cordes. Chaque ménage recevrait 15 dollars supplémentaires pour compléter les pochettes de réinstallation avec d’autres articles achetés sur place. (ONU/Conseil de Sécurité - S/23613, point 145)

En réalité, le 13 Mai 1992, le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies a annoncé que ceux qui souhaitent recevoir un lopin de terre à cultiver doivent attendre dans les camps ; et peuvent en bénéficier pour y construire leurs maisons, ainsi que des outils, 20 dollars US et de la nourriture pendant 12 mois. Ceux qui ne le désirent pas peuvent rentrer et bénéficier de 50 dollars par adulte, 25 par enfant, d’une aide alimentaire durant douze mois (réduite à six en cas de retour à Phnom-Penh) et d’outils permettant au chef de famille de gagner sa vie.

Alors qu’il leur a été promis terre, outils, matériels de base, fournitures diverses et subsistances durant douze mois, les réfugiés ont donc été dès le début de rapatriement, invités à renoncer à la terre et à choisir entre maison et outils de travail. Les conditions budgétaires ne peuvent seules expliquer ce décalage. En effet, le plan initial de rapatriement a été chiffré à 109 millions de dollars. A titre de comparaison, il faut savoir que les camps de réfugiés établis en Thaïlande ont coûté jusqu’ici 60 millions de dollars par an à l’ONU, c’est à dire à la communauté internationale. La compétence des experts de l’ONU est bien en cause puisque leurs projets initiaux se sont révélés matériellement inapplicables en dépit de moyens d’évaluation mis en œuvre très importants, puisqu’un satellite a même été loué par l’ONU afin d’identifier les terres agricoles disponibles, et que 100 000 hectares sur les 150 000 requis leur semblent encore accessibles en février 1992.

Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies n’a pas tenu ses engagements. Dès le 10 Août 1992, son Représentant à Phnom Penh, M. Sergio Vieira de Mello l’a reconnu lui-même :

Non seulement, il n’y a pas suffisamment de terres libres et non minées, mais il n’y a pas assez de vivres tout court. (Propos rapporté par Rémi Favret, dans le Figaro)

Les opérations de déminage ont pris de surcroît un retard considérable. Bien que les Casques Bleus français aient immédiatement entrepris la formation d’équipes de démineurs cambodgiens, celles-ci sont restées les bras croisés pendant des mois. Motif : les services juridiques de l’ONU refusaient leur embauche, afin de ne pas avoir à payer des dommages en cas d’accident. En désespoir de cause, le HCR a dû se résoudre à passer un contrat avec une organisation privée française, Handicap International, qui n’a pas les mêmes entraves bureaucratiques. Mais la taille du contrat (200 000 dollars) reste dérisoire en regard du problème à résoudre, et plus encore des milliards que l’ONU dépense au Cambodge. (Rémi Favret, Figaro, 10 Août 1992)

Finalement, lorsque l’APRONUC a quitté le Cambodge, la superficie déminée ne représente pas le dixième du programme initialement annoncé. Et, peu après son départ, le pays a appris que l’aide financière promise pour la poursuite du programme n’arriverait sans doute jamais...

LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

La signature de l’Accord de Paris a suscité un immense espoir en ce qui concerne la restauration et la défense des droits de l’homme au Cambodge. L’article 15 prévoyait :

Toutes les personnes se trouvant au Cambodge et tous les réfugiés et personnes déplacées jouiront des droits et libertés formulés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Le processus de paix lui-même, par la fin de l’occupation étrangère et la restauration d’un environnement neutre sur tout le territoire doit être un instrument puissant de la restauration des droits de l’homme. Tout contrôle partisan et coercitif sur la population exercé dans chaque zone, à travers les appareils administratifs, économiques, policiers ou militaires de chacune des parties doit cesser.

En plus de leurs multiples déclarations unilatérales, l’ensemble des parties cambodgiennes, signataires de l’Accord, ont solennellement et formellement renouvelé leur engagement à respecter désormais les droits de l’homme en signant deux conventions internationales, le 20 Avril 1993, à Phnom Penh, en présence de M. Boutros Ghali, Secrétaire Général de l’ONU.

Cependant, en matière de protection des droits de l’homme également, le bilan de l’APRONUC est nettement négatif. Les douze premiers mois de son mandat, correspondant pratiquement à la période précédant l’ouverture de la campagne électorale, ont été jalonnés de manœuvres d’intimidation, d’arrestations, d’assassinats politiques, de répressions sanglantes, imputables dans leur ensemble au PPC et dirigés contre toute velléité d’expression d’opposition, spontanée ou organisée (outre les faits rapportés ci-dessous, cf. le Rapport Final de la composante Droits de l’Homme de l’APRONUC, septembre 1993) ;

- Le 31 Octobre 1991, une Cambodgienne résidant aux Etats Unis, est interpellée à Phnom Penh et expulsée alors qu’elle s’apprête à tenir une conférence de presse pour annoncer la création d’un parti politique.

- Le 19 Novembre 1991, une délégation du FNLPK. est inquiétée et menacée par la police du Parti Populaire Cambodgien, en pleine nuit, en sa résidence de Phnom-Penh.

- Le 27 Novembre 1991, M. Khieu Samphan et la délégation du PKD échappent de peu à un lynchage organisé par la police de PPC.

- Du 17 au 22 Décembre 1991, la population de Phnom Penh manifeste spontanément contre la corruption et la vente de nombreux biens, terrains et immeubles publics, aux profits personnels des dirigeants du Parti Populaire Cambodgien. La police du PPC tire sur la foule désarmée. Dans un rapport circonstancié, Amnesty International déplore onze morts.

- Le 1er Mars 1992, trois inconnus tirent sur un militant du FNLPK, M. Tho Chheng, à Veal Sbov, dans la province de Kandal, tuant sa fille âgée de cinq ans.

- Le 10 Mars, le rédacteur en chef du tout nouveau bulletin du FNLPK. est sérieusement blessé par balle à Phnom Penh, un passant l’est également au cours de cet attentat.

- Le 11 Mars, M. Ieng Mouly, dirigeant du FNLPK. et membre du CNS, est menacé par la police au cours d’une visite à Phum Setbau, à 45 Km de Phnom Penh.

- Le 25 Juillet 1992, à Veal Rinh, sur la route qui les ramène de Sihanoukville à Phnom Penh, M. Ieng Mouly et les cadres du FNLPK. qui l’accompagnent sont arrêtés par des soldats de Phnom Penh, qui s’apprêtent à les exécuter. M. Ieng Mouly et ses collaborateurs ne doivent leur vie sauve qu’au passage inopiné de casques bleus français.

- Le 19 Août 1992, un responsable provincial du Parti Libéral Démocrate Bouddhiste (issu du FNLPK.) est assassiné à Sihanoukville sous les yeux de sa famille.

Dans son édition du 12 Septembre 1992, le Bangkok Post rapporte :

Un militant du FUNCINPEC, parti sihanoukiste dirigé par le Prince Ranariddh, a été récemment assassiné dans la province de Kratié. Une enquête conduite par l’APRONUC a conclu qu’il s’agissait d’un crime politique dans lequel les autorités sont impliquées, rapporte une source fiable. A Prey Veng, 11 cadres du FUNCINPEC ont été récemment arrêtés par la police locale qui leur a confisqué leurs cartes de membres du FUNCINPEC (...)

Une source a même affirmé que l’ancienne police d’élite A3 opère actuellement et discrètement dans plusieurs provinces. Beaucoup de ces policiers ont été formés par la STASI allemande ou par les forces de sécurité vietnamiennes (...)

Une source proche du parti sihanoukiste a révélé que le FUNCINPEC a été obligé de fermer son bureau à Kompong Thom parce que les cadres sihanoukistes sont constamment inquiétés par la police locale. Nous ne pensons pas qu’il s’agit d’un incident isolé car une telle action requiert des instructions du centre a déclaré cette source.

Au-delà du caractère inacceptable de ces incidents, le CCV a toujours affirmé qu’il ne serait possible de considérer les droits de l’homme rétablis que lorsque la liberté de circulation, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté de manifestation, la liberté de croyance seraient restaurées partout dans le pays, et que chacun pourrait avoir accès aux moyens élémentaires de subsistance, à l’administration, à la santé, à l’information et à l’éducation sans condition d’allégeance à quelque partie que ce soit. Encore une fois, il est clair que sans retrait vérifié des troupes étrangères, sans désarmement complet et sans l’établissement d’un environnement politique neutre il n’est pas possible d’atteindre ces objectifs.

Dans le contexte concret du Cambodge, le CCV a insisté pour qu’une attention toute particulière soit portée aux forces de police. Ces forces ont eu, en effet pour vocation, dès leur origine, de contrôler les populations. La force A3 mise en place par le Parti Populaire Cambodgien, en particulier, a été conçue sur le modèle de la police politique de l’ex-République démocratique allemande tristement connue sous le nom de STASI. Son personnel a été formé et encadré par des spécialistes vietnamiens et est-allemands de la police politique. Dans son premier rapport, le Secrétaire Général de l’ONU relève :

Les forces A3 du PPC auraient été dissoutes et les éléments constituants affectés aux postes de police administrative. Il semblerait cependant qu’elles puissent être reconstituées à bref délai. Il faudra donc assurer une surveillance continue de la structure des forces de sécurité intérieure. (Point 116 du rapport du Secrétaire Général de l’ONU au Conseil de Sécurité, S/23613 du 19 Février 1992)

Les forces A3 sont directement chargées, avant la signature de l’Accord, de surveiller et de réprimer les populations sous le contrôle du Parti Populaire Cambodgien. Elles ont joué un rôle actif dans l’enrôlement forcé de milliers de jeunes gens dans les forces armées de Phnom Penh ou dans les travaux forcés pour la construction du mur de bambou Depuis la signature de l’Accord, elles ont été mises en cause à plusieurs reprises par différentes parties et leurs activités ont été évoquées par plusieurs articles de presse. Il est donc du devoir de l’APRONUC de vérifier ces allégations et, le cas échéant, de mettre fin aux activités partisanes et coercitives de ces forces de police. La lettre et l’esprit de l’Accord commandent que la neutralité de police, au même titre que celle de toutes les autres structures administratives et publiques, soit assurée. Seul le contrôle effectif de l’APRONUC sur ces structures, en étroite collaboration avec les quatre parties représentées au sein du CNS, aurait pu - comme prévu par l’Accord - assurer réellement leur neutralité. Sans cette neutralité comment assurer que les élections traduisent pleinement la volonté populaire.

Il faut attendre la veille des élections, pour qu’en janvier 1993, un rapport interne de l’APRONUC reconnaisse que les forces de police spéciale continuent d’exister. Cela n’a pas pour autant entraîné l’action vigoureuse que l’ONU se doit d’engager. A aucun moment l’APRONUC n’a cherché à dissoudre ou à prendre le contrôle de cette police politique. Durant tout son mandat, en vertu des pouvoirs judiciaires qu’elle s’est attribuée, l’APRONUC n’a procédé à l’arrestation que de quatre personnes !

LES EFFORTS DEPLOYES POUR SORTIR LE PROCESSUS DE L’IMPASSE ET DE LA PARTIALITE

Dès le 26 Mars 1992, dans une lettre adressée au Prince Norodom Sihanouk son père, le Prince Norodom Ranariddh écrit :

" La situation à Phnom Penh et en province est très inquiétante et malsaine. Mon immense inquiétude, partagée par l’immense majorité des Cambodgiens Funcinpecistes ou non, est que les prochaines élections organisées par les Nations Unies ne seront ni libres, ni équitables. Elles n’auraient contribué qu’à légitimer le régime dont la vraie nature est connue de tout le monde (...) C’est en considération de ce qui précède que je me suis permis, au nom du FUNCINPEC, de venir très respectueusement supplier Papa très vénéré de daigner user de toute votre autorité et prestige, en Votre très haute qualité de Père de la Nation Cambodgienne, pour que toutes les parties concernées, y compris l’ONU, appliquent intégralement et sincèrement les dispositions de l’Accord historique du 23 Octobre 1991. "

Quelques jours après le début de la seconde phase du cessez-le-feu, M. Son Sann, pour le FNLPK réaffirme :

Cette première question aurait dû être réglée avant la phase II. Il est important de demander au Vietnam de confirmer par écrit qu’il a retiré du Cambodge toutes ses forces, y compris les assistants, conseillers et munitions, en précisant les dates, les voies, et le nombre de forces et de matériels retirés, avec l’assurance écrite de leur non-retour (...)

Tout le monde est d’accord pour qu’il n’y ait plus de gouvernement autres que le CNS+APRONUC.

Dans les pays occidentaux qui pratiquent la démocratie libérale, l’administration (c’est à dire les bureaux) reste, mais les gouvernements changent avec tout l’appareil politique, suivant le résultat de nouvelles élections.

Dans les pays de démocratie populaire, non seulement les gouvernements, mais les responsables de l’administration appartiennent aussi au parti communiste.

Au Cambodge, il faut donc comprendre qu’il n’y a pas d’autres institutions politiques, ni de représentants de partis communistes dans les divers services administratifs, surtout ceux qui ont une influence plus ou moins directe sur l’organisation des élections libres et équitables de 1993.

Les représentants des quatre parties cambodgiennes au sein du CNS n’ont d’autres titres que celui (très honorable et honorifique) de Membre du CNS. Le contrôle permanent de l’APRONUC doit s’exercer non seulement sur les cinq domaines (Note : Affaires Etrangères, Défense Nationale, Finances, Sécurité Publique et Information), mais sur toutes les affaires ayant une influence sur les élections libres et équitables de 1993, et à tous les échelons depuis la capitale jusqu’aux provinces, districts, khums, phums...

Toutes les polices plus ou moins spéciales doivent être dissoutes... (Propositions de M. Son Sann en date du 16 Juillet 1992)

En dépit de ces mises en garde et de ces demandes, après le début de la seconde phase du cessez-le-feu, plusieurs décisions de M. Akashi, Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU. et Chef de l’APRONUC sont venues renforcer les craintes d’un nombre grandissant de Cambodgiens quant à la partialité de l’APRONUC et de son chef.

Nous avons déjà évoqué la loi électorale, imposée par M. Akashi le 5 Août 1992 et la publication par l’APRONUC des Principes régissant le système judiciaire cambodgien, le droit pénal et la procédure pénale. Non seulement ce texte assimile la lutte politique contre une atteinte étrangère à la souveraineté nationale à un acte de discrimination mais il prévoit de très lourdes sanctions contre la diffusion de fausses nouvelles tout comme les législations jadis en vigueur dans les anciennes démocraties populaires d’Europe orientales pour permettre de museler la presse.

Très inquiet mais toujours soucieux de contribuer à la recherche d’une solution aux problèmes qu’il soulève, le 10 Juin 1992, le CCV a écrit à M. Akashi dans les termes suivants :

Nous sollicitons de Votre Excellence qu’elle accorde donc toute son attention à la résolution de l’ensemble de ces problèmes, et estimons que le calendrier de la deuxième phase du cessez-le-feu ne peut être établi indépendamment du calendrier de retrait et de contrôle du retrait des forces étrangères.

Nous devons redire ici, comme l’ont souligné les membres permanents du Conseil de Sécurité qui l’ont élaboré, que l’Accord de Paris est un tout. Il ne peut être appliqué qu’intégralement. Renoncer à telle partie pour privilégier telle autre équivaut à un acte de sabotage délibéré et ne peut conduire qu’à un blocage du processus de paix susceptible d’être lourd de conséquences.

Privilégier le respect du calendrier électoral, en négligeant de s’occuper du retrait des troupes étrangères, du rôle et de l’unicité du CNS et du rétablissement d’un environnement neutre dans tout le pays, a témoigné de la part de l’APRONUC, soit d’une incompétence caractérisée à bien gérer le processus de l’application de l’Accord, soit d’une volonté délibérée de provoquer un dérapage du même Accord au bénéfice du Vietnam et du PPC. En ne résolvant pas les problèmes pour la résolution desquels elle a été envoyée au Cambodge, l’ONU a délibérément choisi de laisser aux vainqueurs des élections, une situation explosive à laquelle elle n’a pas osé elle-même s’efforcer de remédier.

La campagne électorale s’est ouverte et les élections se sont tenues alors que l’Accord de paix dans son ensemble avait été dévoyé. En cela les élections sont condamnées à n’apporter ni la paix, ni aucune solution aux problèmes de souveraineté et de redressement de la nation cambodgienne.

 

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   Dernière modification : 12 novembre 1998