Lundi 21 janvier

Aujourd'hui, je ne vais pas travailler car je suis malade. Cela m'arrive rarement. J'aime ces journées où l'on erre, du matin au soir, cherchant péniblement une activité de remplacement conciliable avec l'affaiblissaient et l'état fébrile de la grippe. Je lis Pessoa. Connaissez-vous la poésie d'Alvaro de Campos ? L'ode maritime ?

Quai d'un noir sombre réfléchi par les eaux immobiles,

Brouhaha à bord des navires,

Ô âme errante et instable des gens qui ont embarqué,

Des gens symboliques qui passent et avec qui rien ne dure,

Car, lorsque le navire revient au port,

Il y a toujours quelque modification à bord !

Mardi 22 janvier

Si vous ne savez pas trop quoi faire avec l'appareil photo qu'on vous a offert pour Noël, allez voir la très belle rétrospective William Eggleston à la Fondation Cartier (jusqu'au 24 février), ça devrait vous donner des idées.

Mercredi 23 janvier

Vous croyez que ma vie est assez passionnante pour trouver des choses à dire chaque jour ? Et bien vous avez raison - et c'est bien le plus étonnant. Jamais je n'aurais pensé, avant de tenir ce journal (à la demande du Gloseur, je le rappelle), que chaque journée verrait s'écouler de mon clavier, presque sans efforts, son petit paquet de mots.

Jeudi 24 janvier

Fièvre. Juste envie de rester au fond du lit et d'écouter du Satie.

Vendredi 25 janvier

Mort de Pierre Bourdieu.

Samedi 26 janvier

Ce que j'aime le plus chez Bourdieu, ce n'est pas le théoricien - même si ses thèses m'ont aidé à comprendre ce qui motive les individus au sein de la société (stratégies de pouvoir et de distinction), non, en fait, si j'ai dévoré ses livres avec tant de plaisir, c'est à cause de son écriture, de son style froid et rageur. J'aime par dessus tout les pages de La distinction où, sous couvert de description scientifique, Bourdieu s'acharne avec jubilation sur le conformisme des dominés ou sur la bonne volonté culturelle de la petite bourgeoisie. Un vrai morceau de littérature dans la lignée de Flaubert.

Dimanche 27 janvier

Les rappels à l'ordre ( "pour qui elle se prend ?", " ce n'est pas pour des gens comme nous" ) où s'énonce le principe de conformité, seule norme explicite du goût populaire, et qui visent à encourager les choix "raisonnables" en tous cas imposés par les conditions objectives, enferment en outre une mise en garde contre l'ambition de se distinguer en s'identifiant à d'autres groupes, c'est-à-dire un rappel à la solidarité de condition.
Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, p. 442

Ce genre d'observation est un régal. C'est en ce sens que l'on peut dire que la lecture de Bourdieu change votre façon d'envisager les rapports sociaux. Vous ne pouvez plus entendre une remarque relevant du principe de conformité de la même manière après avoir lu ceci. Même chose pour les classements de l'autodidacte, l'ascétisme du professeur, l'aisanse du grand bourgeois, le sérieux appliqué du pauvre petit bourgeois, la virilité de l'ouvrier, etc. etc... Ah ! Si un maximum de gens pouvaient avoir un petit sourire entendu lorsque se manifestent les stratégies de domination et de distinction ! Lisez Bourdieu, faites-le lire autour de vous, et ensemble nous changerons la société !

Lundi 28 janvier

On peut faire le constat pessimiste et réactionnaire qui consiste à dire que les thèses de Bourdieu n'ont pas renversé la domination mais qu'elles l'ont renforcée en donnant aux dominants le mode d'emploi de la violence symbolique. Je n'aime pas cet argument parce qu'il a avec lui la fausse évidence du bon sens. Et puis c'est faux. La domination ne peut plus s'exercer de la même manière après Bourdieu. Il lui faut inventer de nouvelles stratégies, avancer masquée, s'inventer de nouveaux alibis. Avez-vous remarqué comme la petite bourgeoisie a perdu en assurance et en légitimité ? Encore une victoire théorique de Bourdieu.

Mardi 29 janvier

Le chiffre du jour : 11 % des SDF appartenaient aux professions intermédiaires ou étaient cadres avant de basculer dans la rue (une enquête menée par l'Insee).

Mercredi 30 janvier

On appréciera, en cette période de déprime post-grippale, la discrétion des candidats à la présidence de la république. Ils ne se font pas d'illusions, ils savent que nous nous en foutons royalement et ont l'élégance de ne pas nous saouler avec des discours enflammés. Juste " votez pour moi, je ne suis pas pire qu'un autre ". C'est suffisant.

Jeudi 31 janvier

Affluence record pour la dernière chronique de Joe.

Vendredi 1 février

Qu'est-ce qui cloche avec Ron Sexsmith ? Pourquoi est-ce que tout le monde n'est pas en train de fredonner une de ses chansons parfaites ? Qu'attendent les journalistes pour en parler, à la télé, dans la radio, les journaux, partout ? Par quel mystère ces chansons géniales, qu'on chante du matin au soir dès qu'on les a entendues, ne dépassent-elles pas le cercle restreint des initiés extatiques ? Oui, ce mystère mériterait d'être éclairci, et Ron Sexsmith d'être enfin reconnu pour ce qu'il est : le meilleur songwritter en activité.

Samedi 1 février

Rouler sur des routes de campagne en écoutant de la musique : j'ai un peu honte de l'avouer, mais j'adore ça et je ne m'en lasse pas.

Dimanche 3 février

 

Une fois n'est pas coutume : Joe Le Gloseur, plutôt habitué des considérations théoriques, vous raconte, dans sa dernière chronique, la promenade du chien du GFIV.

Lundi 4 février

Encore en vacances ? Et pourtant je n'arrive pas à fournir, entre les livres à finir (quel pavé, le Pynchon !), le roman de Lonesome à corriger (d'ailleurs, il n'avance plus, il faut que je le relance), les enregistrement du GFIV Band (fini les reprises, que des compositions originales !), le journal (qui ne me prend pas trop de temps, à peine dix minutes par jour) et le jardin (le vent a fait tomber plein de branches). Mais comment font ceux qui travaillent ?

Mardi 5 février

Si il y a une chose agréable, le matin, c'est de trouver un message d'un inconnu qui vous dit qu'il a beaucoup apprécié le site du GFIV. Alors, n'hésitez pas (si c'est pour dire des choses désagréables, vous pouvez écrire également, l'essentiel étant de communique).

Mercrdi 6 février

J'avais pensé à arrêter un peu le journal pendant les vacances, et puis finalement non. Je réalise que ce rituel m'est devenu nécessaire, peut-être même indispensable. Never stop ? Qui vivra verra.

Jeudi 7 février

Chaque phrase vient se déposer ici comme une feuille à la surface d'une rivière, immédiatement emportée par le courant du temps. C'est un peu risqué comme métaphore, mais c'est la seule qui me vient à l'esprit pour expliquer en quoi la tenue d'un journal peut vous aider au quotidien.

Vendredi 8 février

Je suis en roue libre. Je ne fais pas grand-chose de mes journées ces temps-ci. Et c'est bien ainsi. J'ai observé que je conservais un bien meilleur souvenir des mes périodes oisives que de mes (courtes) phases d'activité intense. Des premières, il me reste des ambiances très précises avec des détails incroyables; des secondes, il ne reste rien que le vague souvenir d'une agitation stérile.

Samedi 9 février

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La nouvelle industrie du disque : l'exemple de GFIV Records. Vendredi après-midi, le groupe répète et s'enregistre. Quelques heures plus tard, les membres de le GFIV Connection ont droit à la nouvelle chanson de Lonesome Pat en avant-première. Et aujourd'hui, vous pouvez écouter le single et contempler sa pochette trashy. Quoi ? Les royalties ?

Dimanche 10 février

Je viens de voir "La peau douce", de François Truffaut, à la télévision. C'est un chef-d'oeuvre. L'image noir et blanc, signée Coutard, est superbe. Les décors (voitures, intérieurs, aépoports...) ont le charme des sixties. Françoise Dorléac est sublime et très bien filmée par un Truffaut qui devait être sous le charme. L'histoire banale d'adultère bourgeois est filmée comme un suspens à haute tension. Un film parfait, qui m'a fait penser aux romans d'Emmanuel Bove.

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