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Décembre 1999-Mai 2000
 
 
 
Eau de mélisse
 
 
 
  Ragués, ils déjetaient le cabré, assaillant, et giflaient le 
métallique. Souvent. Lui. Elle aussi. Quelquefois, le râle du 
vent déroulait des interrogatoires. D'où une danse affolée des 
branches dans l'arrière-pays. Peupliers en heurts et en remous. 
La lumière liquide tressautait d'états de grâce violents et 
radieux en angoisses bourdonnées et pulvérisées.
 
  Elle a posé des mots dans sa main pour qu'il lise son c¦ur.
 
  Etrange, il s'emballe. Comme une main brûlante d'évidences sur 
de l'eau aromatique. Au contraire du vent, sans traque d'ombres. 
Paume calme. La douceur d'un frôlement sur l'aréole d'un sein 
quand il perce l'écho précis. Symphonie à creux de ventre. Orages 
doux d'envols. Tempête zeste d'essences fraîches. Sortilèges 
mellifiques des cortèges de tourments à tournants. Fil de l'eau 
à protéger. 
 
  Sur sa main il a senti des mots à lire son c¦ur.
 
  Le flexible de la lumière, calée de précautions, peut s'oser à la 
tendresse. L'immuable se confond sur l'extrême point de bascule 
entre jour et soir, entre soif et vie. Le cercle d'exister sourit
au mal engrangé, qui reste à pétrifier. Il ne confond pas les matins 
malmenés et ceux de félicités. Elles contribuent aux bonheurs des 
instants. Il palpite sous les gouttes d'une eau de mélisse, eau à 
dormir sans abîmes.
 
  Ils respirent. Tranquilles. Plus rien ne bouge, eux non plus. Tout 
est mouvement, eux avancent.
  Elle a posé des mots dans sa main pour qu'il lise son c¦ur.
  Sur sa main il a senti des mots à lire son c¦ur.
  Il peut lire son c¦ur dans les mots qu'elle a posé sur sa main.
 
 
                                 Marie Mélisou déc. 1999
 
 
____--_-_-_______
 
et/ou inversement...
 
 
                          ... Plus rien ne bouge, eux non plus. Tout 
est mouvement, eux avancent.
  Il a posé des mots dans sa main pour qu'elle lise son c¦ur.
  Sur sa main elle a senti des mots à lire son c¦ur.
  Elle peut lire son c¦ur dans les mots qu'il a posé sur sa main.
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
Rivière sèche
 
" Pour moi, un être humain, c'est du désarroi sur pattes. "
                                                 J.P. Bacri
 
 
                    Rivière sèche
 
 
Pendant que nous roulions j'ai longuement marché parmi les bruns teintés au
vert de Grèce. Au milieu desquels les taches écumeuses roses et les
neigeuses blanches reflétaient mon délice d'avancer là. D'y avancer avec
toi. Ces oliviers, pruniers et amandiers s'en donnaient à cour joie et je
bondissais en oubliant ces trop fréquents moments qui portent le dur des
jours.
 
Quelques champs aux ceps de vignes rangés, sur des lignes de fuites en
diagonales, m'offraient une vue miniature similaire à celle d'une élancée
forêt de peupliers. J'aime ces perspectives. Et je t'aimais ce matin-là.
Mais tu me repoussais. Je ne promenais pas grand chose pourtant, une envie
de prendre ta main, un désir de la porter à mes lèvres, la simplicité de
savourer un maintenant et aussi, l'écho de ces mots espagnols que tu venais
de chuchoter, " un rio seco ".
 
C'était moi. Une rivière sèche. Tu décrivais ma bouche, vieillie avant
l'âge, vieillie de ne plus servir. Rivière sèche. Fulgurance d'une lugubre
ressemblance Quelques traînées d'humidité sur le haut d'un clair de
visage, pas de salive, de larmes sur mes yeux, et un sourire plaqué, pour
l'apparat de l'apparence, sur cette bouche tarie en rivière sèche.
 
Comment brusquer l'apparition des idées à se dresser debout ? A situer
l'important ? A ne plus redouter la peur d'être seul avec soi ? Je restais
des jours entiers sur des pleurs. Gouffres qui abîmaient mes heures et mes
regards. Si des acrimonies fielleuses à luttes secrètes baissaient le
soleil et jonglaient avec la nuit, toujours je tentais de tendre à moi-même
des mots salvateurs. A perte de vue, à espoirs fous, des mots à arroser le
temps, à donner un cours aux eaux en suspend. Hélas, ils se perdaient sans
transporter d'écho. Parce qu'existait l'image d'une rivière sèche.
 
Rivière sèche, en rythme endiablé d'un néon acide, en chant menaçant, en
intérieur hybride, je vivais déguisée par cette trace obscène, par cette
pesanteur qui débitait le dur et le brusque tatoué sur ce qui n'était que
l'apparence de moi. 
 
Toujours ce sourire plaqué pour l'encore apparat de l'apparence où tu
m'avais jeté en aridité.
 
Rivière sèche, sans vou d'abstinence une bouche anhydre survivait à un
temps sans baisers. Rivière sèche, lentement se brossait le difficile
équilibre entre le rien à supporter et le tout tant désiré. Rivière sèche,
difficulté minable de s'interdire à laisser hurler la bête. Rivière sèche,
aussi peu profonde que le monde était proche ou lointain. Rivière sèche, la
fantaisie d'un jeu de massacre où le rêvé n'était plus jamais enivrée. 
 
Je ne roulais plus. Ne reflétais rien. Ne bondissais pas... Pourtant,
j'acceptais de porter ce désarroi car le printemps, qui a des prétentions
et se place sous le signe du rocambolesque, riait fort de ma trajectoire et
gazouillait qu'il est des raisons profondes où certaines broutilles
s'appliquent à révéler des desseins mystérieux. Et je prenais son chant
pour une promesse.
 
mars-avril 2000
 
 
" L'humanité entière meure 
  dans le regard mort de son enfant "
                            Elie Wiesel
 
 
 
           Tes yeux et tes mains en poitrine palpitante
 
 
     Dieu est mort sans douceur 
     durant le seul instant où je regardais ailleurs
     depuis tu me traces
 
     tu me traces en un château de cartes
     érigé en Espagne sur la lune ou sur un soleil bleu
     en un ruisseau lorsqu'à l'oreille du plancher
     je gémis de moignons ou de merveilleux cris disparus
 
     en savoir-vivre tu me traces en gravité en escalier
     
     tu me traces une fois chaque matin et encore tous les soirs
     en impassible en sourire en contraire de barricade
     en poussière de c¦ur en miette céleste
     et mes chemins s'étoilent 
     de tes yeux de tes mains en poitrine palpitante
 
     Dieu est mort en douceur
     là où tu l'as posé d'un regard aiguisé
     pendant que tu m'entourais et partais sans ciller
 
     sans ciller déjà tu me traçais
     et je te regardais tes yeux tes mains 
     en poitrine palpitante
     à éblouir les uns à lever les brouillards des autres
     à offrir du miracle en si grande quantité que 
     lorsque l'on me dit
     tes yeux et tes mains en poitrine palpitante
     jamais ne reviendront 
     moi
     jamais jamais je n'y croirai
 
 
                             Marie Mélisou   mars 2000
 
 
 
" Et puis les mots ne viennent plus. Ne cognent plus. 
  Ne veulent plus sortir.
  Où sont-ils donc passés, les mots ? "
                                         Barbara
 
 
 
                  L'esprit du ciel
 
 
 
     très tard j'ai su parler
 
     après ces matins habillés de drôles de corps
     instants derrière l'aurore
     où je versais sur la mer la terre 
     en cavalcade  mon ombre dormait encore
     sur le bord rassuré d'un solide préparé
 
     très tard j'ai su marcher
 
     en sortant du sol à franchir les accès j'y déchiffrais 
     l'ancienne méthode ravivée où je posais l'orteil
     j'avançais au-delà de la joie
     qui gonflait mes assauts
     le pas à pas des orages des ténèbres des cavernes
 
     très tard j'ai su regarder
 
     bout de la souffrance intolérable aux censures
     qui offrent ses jours à plonger vrai
     je me cachais l'horizon refermé sur l'impénétrable
     j'avais perdu la clef de la clarté
     et l'insensible bruissait au plus loin de mes yeux
 
     très tard j'ai su penser
     à l'esprit du ciel en bon élément
     
     très tard aux paupières sous la pluie
     après la vie mouillée et ses secrets transportés
     l'envol de voiles passe-temps à goûts inoffensifs
     je soufflais le repos  ma première question
     rendait visite au jour chaussé de bras d'or
 
     très tard j'entamais les sens
     à sentir mes propres yeux se brandir haut
     
     à regarder la chaleur des portes entrouvertes
     et toucher à ces heures d'après
 
 
                     Marie Mélisou  mars 2000
" C'est pas marqué dans les livres
(...) le temps c'est de l'amour "
                      Obispo
 
 
 
                   Changer-sur-Ciel
 
 
 
Loin de la mer creuse et de son gros cheminement bleu, à
l'opposé d'une colère d'hiver et du ciel foncé qui se blottit, 
deux buveurs d'airs aux imaginaires prodigieux marchent vers 
Changer-sur-Ciel. 
 
Ils avancent à pas francs, improvisent un canevas musical, accords 
toniques, dominante, sous-dominante, le jazz aussi, parfois, 
inspire leurs pensées. 
 
Ils croisent un champs de tournesols, une alchimie jaune en pluie 
de poudre à mémoire. Un homme et une femme transpercés mais qui 
aiment encore donner d'amour. Des lames d'attentes sans faiblesses. 
Des cloisons à rafraîchir le belliqueux. Des mélodies d'ambre 
qui ôtent leurs peaux morcelées et scellées. Et des labyrinthes
à ferrailler en rond.
 
Changer-sur-Ciel approche, ils l'aperçoivent. Presque à porter 
de main, à quelques vols d'oiseaux, elle les nargue, les attire, 
les appelle, les caresse, pour mieux les prendre et s'en emparer.
 
Ils la boivent, mais s'en aperçoivent à peine. Et la beauté qui 
veille sur eux, en milieu de jour, éclaire jusqu'à la campagne qui 
n'en a pas besoin puisqu'elle connaît l'immortalité.
 
S'ils parlent, l'un commence une phrase que l'autre termine. Les 
mots jaillissent, s'emportent et les transportent. 
S'ils partagent le silence, c'est d'une façon identique.
 
Comme deux enfants ignorants d'être vivants ils avalent la route, 
montées et descentes, visages et horizons, tourments et tournants,
pensées évadées et bas-côtés.
 
L'ancienne cité de Changer-sur-Ciel est là, devant eux. Ils 
sont arrivés. Prêts à se laisser attraper et aimer.
 
Et ce temps bon leur semble long.
 
 
                                Marie Mélisou  mars 2000
 
 petite annonce
 
 
 une nuit de trop
 et toutes les blessures des années
 crissent
 
 à contre gifles
 cette nuit coriace qui veut plus y voir
 balbutie l'inutilité des élytres 
 
 je recherche des ailes à jours 
 aptent au vol
 
février 2000
 
 
Douceur d'enfer
 
 
Autrefois, selon les éclats, les saisons, les époques, tour 
à tour majestueux ou désastreux, je me niais, m'étouffais, 
m'écrivais ou me construisais. Je me bridais, me 
désavouais, m'effaçais, m'allumais, me recevais ou me 
gorgeais de moi.
 
Ensuite, telle une écharpe désolée, je l'abandonnais là.
 
Maintenant, puissante de mouvances que je n'éprouvais pas, 
je presse longuement le temps sur des brisants. Je 
m'accommode à exister dans le désolé, juchée sur les 
chimères des nuits. 
 
Mais je n'apprend pas à supporter les murmures vides du 
ventre du monde.
 
 
                       Marie Mélisou, 1999
 
 
  Château de mer
 
 
Agitée, l'eau salée des yeux du ciel, celle mystérieuse en 
lacs grandioses, me dicte des châteaux à dépasser mes chimères.
D'abord quelques murs se dressent, ici et là, impromptus, 
solitaires et mouvants. Je ne sais s'ils vont me rendre un peu 
de ces minutes. Elles me manquent, elles font tourner la Terre.
 
Puis ces murs grandissent, bougent, reculent d'eux-mêmes. Ils 
s'écartent en créant une enceinte cabrée. Se vêtent de couleurs, 
ramages aux doigts de lumière, blancs mousseux de rondeurs que
regardent les foules, mèches folles poivre et sel, verts de 
sèves bonheurs qui viennent naturellement aux lèvres.
 
L'eau continue de s'ouvrir selon la moye de son lit, c'est dire 
si les tailleurs de châteaux d'eau sont agiles. Quelques gemmes 
de saveur m'éclaboussent, tandis que les mots dépassent mes 
pensées, les châteaux d'eau semblent devancer ma conscience.
 
Les murs sont formés. Ils dansent. En mouvements et en desseins. 
L'eau. Vivante. Porteuse de mes empires, de ma foi différente, 
des écrits de plus tard, de querelles d'avant, se joue d'une 
éthopée description.
 
Ce royaume de vagues levées, imprenables, comprend le langage et 
les couloirs de mes pensées. L'éternité exprimée en quelques 
minutes dit avec limpidité ce qu'elle feignait depuis des 
millénaires. Sans coups férir, ni déformer la vérité, elle me 
permet d'avoir accès à moi. Enfin.
 
La vie nonchalante est finie. Plus de savates à enfouir - elles 
ignorent la profondeur -, ni de petits dépoussiérages - ils 
déplacent si peu - mais une révolution. 
Une vraie. 
Balayage minutieux jusqu'aux extrémités enfin dépouillées. Un 
exil recherché, conscient et éclairé de l'intérieur. Une chronique 
mise à jour de tous les moments violés et lacunaires. 
 
À murs de géants, je commence.
 
 
                     Marie Mélisou   juillet - oct  1999
 
Mère fuligule
 
 
  sans passer l'enfance
  le temps n'était pas à l'heure
  ma fille
  sans maintenant
  décompte-t-il les jours consternés
 
  à me flâtrer devant les loups 
  dans le miroir je ne vois que mes yeux
  je n'en fais rien
  car dans ceux-ci comme je te lis 
  ma fille
 
  les rimayes en deviennent rimules
  mes doigts caressent l'impalpable
  et ton corps abricot au goût de dariole
  frémit sur le chaud toujours en suspend
  toujours toujours ma fille
 
  l'auburn de quelques mèches 
  entre deux pages choisies
  de mon inconsolée solitaire en escale
 
  ma fille
  si brève ton escale
 
 
                     Marie Mélisou, 1999
 
"(...)
La neige le surprit. Il se pencha sur le visage 
anéanti, en but à longs traits la superstition. 
Puis il s'éloigna, porté par la persévérance de 
cette houle, de cette laine. "
                       Allégrement - René Char
 
 
 
  deux pies
  et mon immobilité à la fenêtre
  l'une picore l'autre trottine
  je n'attends rien
  je ne sais plus le tout
 
  tu souffres d'élancer le bonheur
  je ne peux décider d'une source entière
 
  deux pies 
  sur ma tête douloureuse
  enfoncent leurs griffes sans ordre 
  leurs pattes sans mesure
  comme certains chagrins labourent l'usure
 
  ressort des sortilèges en fagots noués
  tu granites les souffles de ma bouche
 
  deux pies
  courent sur la nuit de tes mots  
  s'affolent de l'inaccompli
  soignent une plaie mise à l'écart
 
  je pose ma flamme sur la table
  tu tournes autour 
  et désaltères ma maladresse
 
 
 
                  Marie
 
"On parle toujours de la violence du fleuve qui 
emporte tout sur son passage, mais on ne dit 
jamais rien de la violence des rives qui 
l'enserrent."    
 
"Quand est-ce qu'ils comprendront tous ceux
qui n'ont tués personne ? "  
 
 
 
                      Chaotique
 
 
             née du temps épuisé
             de ta bouche douloureuse
             de ta voix à souffrances
             j'ai tué l'ombre fière de tes cils
 
             hors de moi un soir
             pourtant tellement affamée d'encore
             j'ai laissé le blanc flairer ton crépuscule
 
             depuis  engourdie sur les berges
             ma vie racle les dalles
             exécute une danse à heurter les murs
             à tournoyer vive
             à cracher à se laisser consumer
 
             j'ai tué et personne ne crie
             même pas moi
 
             Les longs mots sur les secondes du sable
 
  
         il a effacé tous les jours de l'année
        sur le sable de la plage pour en arriver là
  
         il a réduit encore et encore
         en cendres les cailloux
         à tuer les longs mots sur les secondes du sable
       	 puis a demandé pardon encore et encore
         comme si le noir d'un très long corridor
         où le sable de la plage n'a pas sa place
 	     dont les portes fermées tiennent serrés le temps
        la vie la respiration aussi
         pouvait avancer sans brûler notre anéantissement
  
         il a tué encore et encore
         chaque lettre des longs mots
         tout ceux nés d'amour sur les secondes du sable
         puis accablé s'est frappé avec les grains
         encore et encore comme se flagelle en punition
         la grêle qui détruit l'ampleur du comprendre
  
         il a gommé tous les jours de l'année
         et les longs mots sur les secondes du sable
         à néant il n'avance plus
         sur la plage pas davantage
  
          pourquoi un jour fait-on les choses
          les choses en attente depuis si longtemps
          à terme en saillie à l'heure nouvelle
          comme passer en abscisse en ordonnée
          d'un temps d'épices à un pas de velours arraché
 
          ni longs mots ni secondes
          même plus un seul grain de sable
  
                        Marie Mélisou  avril 2000
"La vie, qu'est-ce que la vie ?
Une lumière qui vient par intermittence."
                               Virginia Woolf
 
Pour S.
 
 
 
              Dédales vivants
 
 
     clé de soi
     née d'une spirale droite
     lorsque le vent dans la main
     a soif de savoir
 
 sur ma peau tapissée de chagrin
 un atome de ta vérité a roulé depuis toi
 le ciel reflète ce qu'il peut
 
 jours passés au papier de verre
 instant dans la vie d'autrui
 le fil de l'heure apprend la trame
 tissage d'un geste quotidien
 
 une audace 
 pour que cesse les remous de dedans  
 violents ouragans
 entrelacs de pépites à comprendre
 de quelle façon les deuils cueillent l'élan
 
     clé de soi
     un trait bleu turquoise
     ou le miaulement d'un chat
 
     dédales vivants
     l'éclat de lire y racine en forêts
     et le sang s'écoule
     d'encre
 
 
                   Marie Mélisou - 26 janvier 2000
 D'imparfaits inconnus
 
 
diptyque paré d'un halo
au réveil saugrenu crépuscule
nommées
deux silhouettes imprécises
imparfaits inconnus
 
il l'attrape la possède la souffle
la promène la sillonne
en baillons volontaires
violences sensuelles
 
des sons humides et fous
écrits à l'horizon sourient
aux paupières dissolues lentes
 
ligaments faisceaux
vols de voix d'ailleurs
leurs ailes à corps solides
se brûlent et l'aigu se livre
 
l'or archet à volète droit 
centre de l'iris
jusqu'au dru des cheveux
 
une tresse d'araignée
étrangle leurs sanglots
montagne et ravin
le vertige désir pur
entre deux hydroptères furtifs
 
Les autres que je suis
 
" Si je n'étais pas aussi les autres par moment, 
  je ne pourrais par leur parler." 
                               Raymond Devos
 
 
    sous les lignes verticales la vindicte brandie
    les autres que je suis me bataillent
    à des moments opportuns quand éteinte
    je revis des fugues à oublier deux bouts
 
    ils veillent ricanent mais n'écorchent pas
    mes tapis pensées en postillons vengeances 
 
    mon espèce de lenteur à m'arrêter au milieu de moi
    écoute ces autres que je suis à l'impasse
    de tous mes pas qui roulent en moulinets
    en chansons à m'accompagner 
 
    quand ils sont de retour ces autres que je suis
    de tous mes sourires sortis 
    je regarde attentivement ailleurs
    et me soulage ainsi d'une partie de moi
 
 Lettre pour être lue par quelqu'un
 
" (...) sans peser, ça respire
  (...) avant le langage la poésie qui nous fait croire...
  (...) les mots n'ont pas le droit de faire injure
  (...) une sorte d'herbier où les fleurs seraient des mots..."
                       Bribes de conversations, Droit d'auteurs
                           Arte, 26 mars 2000, 11H 26
 
 
              Lettre pour être lue par quelqu'un
 
 
           neuf étoiles sur un vase bleu
           et une lune en coin d'encorbellement
           neuf étoiles sur un bleu nuit étendu 
           à épandre ses grains de peau
 
           ce cerclé d'or se souvient d'un sable
           d'une nuit chaude à musique de moustiques 
           de pages lues d'un accent américain
           et de rires à échos de longtemps
 
           neuf étoiles sur un vase bleu
           jamais arrivé à destination
           pourtant là où il devait valser
           une étagère tissée à sa dimension
           une soif de confins à récoltes
 
           à voix si basse 
           que l'on ne peut les entendre
           neuf étoiles sur un vase bleu en borne
           de bout du tout chantent l'ampleur du pollen
           de lorsque deux fleurs
           rose et réséda
           flambaient vivantes de doigts à merveilles
 
           à ses sanglots à ses limbes
           à ses démesures un vase bleu en face à face 
           regarde les fugues conduirent l'éternité
 
 
 
 
 Vivre, je veux vivre avec la même violence 
  que j'ai eue parfois à vouloir mourir sans vraiment mourir, 
  à attendre la nuit pour m'y endormir bellement. "
                                                 Barbara
 
 
 
   Quatre leçons par jour après le voyage du sommeil
 
 
       de ton regard qui me soulève 
       de tes grandes expressions dégagées
       d'un monde nouveau dont le revers bruisse
       écris-moi pour me naître
       moi qui suis privée de seuils
       en long voyage sommeil
 
       du plus mince et du davantage fragile
       d'un temps perdu comme je l'ai partagé
       des premières fois aux petits jours
       écris-moi en fleur de ta peau
       moi gardienne de blessures sacrées
       après la perdition des voltiges
 
       de ces pétales qui tracent ton vol
       du plaisir où tu évolues à l'aise
       des tapis et de leurs rares rochers
       écris-moi pour me voluter
       moi le plus fou des rebuts rigides
 
       écris-moi d'un pinceau prévenance
       écris-moi en me traçant d'union
       écris-moi d'une ligne douce et annoncée
 
       écris-moi en incarnat coup de foudre
       à m'entrouvrir à m'apparaître
       je brillerai aux approches du désir
       d'une lueur feu sur papier Japon
       en quatre leçons de vie par jour
       et d'une insensée vapeur d'allées
 
       en quatre leçons de vie par jour
       après le voyage du sommeil
       écris-moi ébauche-moi dessine-moi  
       à contours détachés en dentelles de pierre
       aux joies à demeurer là
       écris-moi 
       et je commencerai à exister
 
 
 
                            Marie Mélisou  mars 2000
" C'est peut-être parce que je vous invente que je tiens 
tant à vous."
                        Lettres de jeunesse, St. Exupéry
 
                 
 
                  Oiseaux d'allégresses
 
 
 
Tandis qu'ils transvasent du vide dans du creux, espace 
meurtrier de nulle part, où tout disparaît, s'évapore, même 
en ce temps mimosas, j'apprends les oiseaux. Doucement. En 
secret. A murmures faibles et délicats. En prenant mon 
temps. Le temps que je n'ai pas, celui dont je rêve. Je le 
vole au prix fort, en le payant de douleurs, de trop longues 
nuits vides, pour éclore moi aussi. Et si elles m'humilient, 
ces belles atroces, les douleurs et les nuits, je leur 
roucoule des excuses à gazouiller debout. 
 
Sur une banquette où je retiens mon souffle, repousse l'ombre 
à côté, accepte les souvenirs désastreux et tends l'oreille, 
je bois les plumes, les ramages, les orages. Les couleurs, 
les becs, les ailes, les images, les pattes et les ergots. Les 
griffes, les serres, les digues, les jabots et les crêtes.
 
J'apprends les oiseaux, comme on se noie de songes, de remords, 
d'unions ou de froissées entailles. Les perchoirs, les volatiles, 
les rapaces, les échassiers, et les nocturnes aussi.
 
L'humilité erre sur mes chimères, le fragile sur les auréoles, 
les soirs sur les jours. Sous une bruine fine qui me fascine 
toujours ou sur les éclats filandres écrasants j'apprends les 
oiseaux. Comme d'autres égarés cherchent un refuge. Papier 
d'emballages, de Cellophane, de soie, à s'envelopper et se garder 
précieusement, intact. Pour se protéger de soi-même. Eviter son 
manque d'estime et sa très mince protection.
 
J'apprends les oiseaux et la puissance, la beauté à écrire, le 
parfum qui reste à inventer, la douceur cendrée à porter en écharpe, 
la seule langue étrangère pour laquelle s'entêter à poursuivre 
la quête.
 
Je mets en mémoire du silence qui chante et des chants à silence 
en apprenant les oiseaux comme d'autres ne vont nulle part. 
Et l'allégresse me gagne.
 
 
                           Marie Mélisou  mars 2000
" Je sens qu'en moi les mots bougent et cognent. Ils veulent 
sortir les mots ; ils s'agitent, s'entremêlent, se conjuguent 
pour dire ce que je n'arrive pas encore à expliquer. Ils vont 
filtrer, sourdre, jaillir de mes veines. Ils me font peur et 
me fascinent à la fois."
                                            Barbara.
 
 
 
                      Senteur bleue
 
     
 
Le c¦ur à se rompre, un pas posé dans la lumière, le strass 
d'une touche de piano, les images dégoulinent. D'une brusque 
irruption tu surgis et défait le moment étalé qui vivait ses 
instants. Tes éclats sont trop forts, en fenêtres qui claquent, 
tes mots sont brisés, des rêveurs à crépuscules tranchants, 
et l'espace tonitruant est un silence endommagé par ton entrée.
 
Crois-tu qu'il suffise d'une senteur bleue pour que je me 
console de tout, danse sur le crépitement de la joie, et sois 
l'inatteignable à l'abri de mes herses derrière de hautes 
murailles ?
 
Crois-tu que la rudesse autant que la douceur quand il pleut 
tout le ciel remédie extraordinairement à l'impossible apaisement 
des tourbillons salés ?
 
Crois-tu qu'il suffise d'une senteur bleue pour que ce paysage 
soit indécent d'être aussi beau, et moi impudique à chasser tes
bras qui s'en vont dormir ailleurs ?
 
Crois-tu aux tatillons qui interprètent les signes, les 
conventions, les arrangements, pour que mes paumes bleuissent 
de cette senteur que tu porterais depuis la nuit du monde, et 
cela uniquement à mon encontre, afin que grandissent mes pas 
entrouverts qui alimenteraient la terre juste avant que je meure 
de moi ?
 
Je n'ai pas de réponses. Je ne sais si tu romps ou casses, peines 
ou affliges, déferles ou fatigues, abats ou anéantis. Je n'ai fait 
qu'aller me pencher au-dessus d'une senteur bleue. 
Innocemment.
 
 
                        Marie Mélisou   mars 2000
 
"Un seul regard jeté sur l'horreur de la vie le stupéfiait."
                                       Agnès Desarthe
 
 
 
              Trois francs six sous
 
 
 
Trois francs six sous. Je cherche pour qui les cercles d'appels 
rident l'onde. Trois francs six sous. Sur quelle assiette aveugle 
l'irréfléchi présent serrera la vapeur de l'air. Pour quel 
dernier révolté il va se laisser coffrer. Pour quelle gorge 
aveugle il va poser aux pieds du monde ses bras malheureux de 
tendresse. 
 
Trois francs six sous. Il solde son c¦ur fardé qui condamne la 
liberté, le réel inventé, son corps en portail éventé, et sa faim 
tel un embarras à prétendre des sentiments.
 
Trois francs six sous. L'inquiétude qui ruisselle s'est abîmée 
un peu plus dans des songes clownesques. Et je vaux peu.
 
Faites qu'il continue de parler aux feuilles odorantes, aux 
galets à soupirs des torrents, aux orties éphémères et aux choses 
anodines qui ne veulent rien dire.
 
Faites qu'il continue de raconter les passages apaisants et doux, 
les discours mâchés en digestions colorées, ou les inquiétudes 
qui se dissolvent peu à peu quand on cède au charme du dépaysement. 
 
Trois francs six sous. Il se laisse bercer par les dessins de son 
esprit : herbes fragiles, lacs miroitants, coquelicots cramoisis 
proche du violet, désert arrondi en courbes émoussées. Et je lui
souris.
 
Trois francs six sous. Une marée de lumière jette le clair obscure 
et lutte secrètement vers l'étreinte de la vérité jamais 
éteinte, ni éreintée.
 
Trois francs six sous. C'est mon prix. Trois fois rien et six 
soupirs.
 
                             Marie Mélisou   mars 2000
 
" Ce soir les mots se remettent à écrire tout seuls." 
 
 
 
                Inspiratrice des nuages
 
 
 
Au bout de la baie, en rase solitude, sans baisers qui me 
tiendraient debout, j'arrête mon errance qui transpire de 
pages blanches. 
 
Ma main fraîche sur la nuque, une sorte de souffle moindre 
force m'affaisse sur la plage. Je ne coule pas à pic, mais 
m'enfonce péniblement sur un intense mal. Plusieurs kilomètres 
consument les couleurs sur Cadaquès qui vit son crépuscule. 
Nuages à étancher les larmes sur le vacarme de mon c¦ur.
 
A grands pas - je les voulais consolateurs, j'ai parcouru la 
ville, puis la rive, tandis que tous les papiers derrière mon 
front lisse se consumaient à l'absurde des histoires. Celles 
de la vie. Les vieilles, les récentes, les oubliées, les 
destinées. Qui à l'inverse de certaines idées arrivent à se 
vêtir de la transparence des mots.
 
Sur les grains de petits cailloux bleus et verts, je me cache 
sous mes paupières closes. J'évite tout ce qui pourrait me 
cueillir là. Me faire souffrir davantage. M'enlever de moi. 
M'emporter ailleurs. Vers un monde aux contours infiniment plus 
compliqué que ceux que je tente d'oublier. Un monde où les 
traces de chutes savent combien il est long le temps de se 
noyer.
 
Soudain à l'esprit, les nuages s'illuminent d'impulsions 
soyeuses à rendre doux les soirs. Ils sont souffrances confites, 
ou dévotions exagérées, parce que je tressaille trop facilement, 
Et mon apaisement, à grand prix recherché, se gondole, se grise, 
mollit, s'étiole. Je me hurle pour le forcer à exister.
 
Mais recroquevillée, sur la plage Llané petit, je colle mes 
genoux contre ma poitrine et oublie de vous souffrir, vous qui 
m'effacez si facilement, sans une caresse, sans un mot.
 
 
 
                        Marie Mélisou  mars 2000
 
 
" Je suis libre parce que je cours toujours "
                                  J. Hendrix
 
 
 
                2010, l'eau roulée...
 
 
       dans dix ans 
       l'eau roulée de tous les amants
       effacera nos matins d'une immonde laideur
       en apaisant le jeu 
       en attisant les feux
       et les messages croisés seront des rencontrés
       ils confondront les vitres
 
       le blanc coloré de poètes qui aiment
       marchera droit vers le plus tard encore
       le plus tard déjà 
       qui piaille ici en avance
 
       d'y perdre son temps 
       comme l'on fait
       pourtant c'est le gagner que de rêver
 
       dans dix ans 
       l'eau roulée de tous les amants
       sera identique en temps 
       mais ces secondes à propager les montagnes et les océans
       rendent petites les pluies et grands les hommes
 
       dans dix ans 
       l'eau roulée de tous les amants
       portera les mêmes sentiments
 
 
                             Marie Mélisou  mars 2000
 
 
 Si vite
 
 
     j'apprendrai vite qu'un pays fondé 
     de baisers soulève ses vagues
     écarte les nuits lèvres
     sème des graines 
     à rayer les fenêtres tragiques
 
     j'apprendrai vite à la lumière 
     de l'hiver le temps qui turbule
     humblement chute brûle et sonne
     l'absolue rage d'un jour à ténèbres
 
     j'apprendrai vite
     et l'extraordinaire 
     cultivera enfin l'air suspendu
 
 
QUARTIERS DE DESERT ROSE EN CHEMIN ET FILET DE NUIT EN SURVIE
 
 
 
A toi, à qui je pense.
"   Si le monde est ce 'vide', eh bien je suis ce plein.
Une rose par mégarde.
Une rose sans personne.
Une rose pour verdir.
Dresser face aux jours d'onde amère l'obstacle qui les moulera. "
                                René Char - Couloir Aérien -
 
 
 
En deux ou trois mots, je témoigne d'un soir. 
D'un soir d'il y a longtemps ou du soir de ce soir.
Peu importe quel soir, seule l'impétuosité de mon désert rose et de son 
âme
- ou sa brusquerie, compte en témoignage. Je lis des ricanements. 
Pourquoi
y aurait-il une contradiction entre la dernière pluie agencée ici et le
premier soleil disposé là, lorsque deux et deux jambes qui ne font 
qu'un
seul corps s'écartaient ou s'écartent ? 
 
Je désirais, je le dis et m'en arrange, je désirais fort un homme. Je
l'espérais, le convoquait en pensées, l'appelais en gémissements 
voyageurs,
le fouillais d'un cil faim, et comme les nuages se trouent de bleu sous 
le
vent, je m'entrouvrais. Comme le désert solitaire râle et crisse sous 
un
identique vent, j'étais un désert rose qu'il pouvait venir traverser,
respirer, retourner. 
 
Et je désirais tout autant - sinon davantage, percevoir son désir. En 
toute
simplicité, je rêvais de lui offrir un moment escarpé de mes veines à 
ses
étincelles tissées de rires, de mes hésitations fourmillantes à ses
moissons de peau, de ma sérénité à sa vivacité, de mes éclaircies à ses
trêves. J'espérais éveiller en chaude paresse ses regards, appeler et
recevoir en guérison ses yeux papillons, sa figure ouverte et ses
indomptables filets de mots. 
 
Un soir d'il y a longtemps ou le soir de ce soir, je désirais m'offrir 
à
cet homme. 
 
Le poids d'un être seul est une lande embrouillée, accrochée et heurtée
sans bourdonnement, ni ruse, ni pâturage, ni témérité à demeurer. 
Aussi,
lorsque je suis seule, je lorgne les fleurs et leurs tiges. A pas de 
loup,
en voleuse à hauts talons, j'envie les calices tendus vers d'autres 
feux
qui s'échangent. Sans haine ni amour, barricadée à l'eau de rose, je 
crève,
déchire, brûle des moments sombres quand mes chances d'envols - les 
lèvres
de mon crédit, restent un dédit salé. 
 
Lorsque je suis seule, égarée, perdue à l'Est de moi, je ne partage 
aucune
saison. J'oublie mes courbes en pétales, j'oublie que je peux, à la 
mine
avenante, devenir une cascade. Et qu'un homme funambule s'avérerait 
épicé
et loin, loin, si loin des oiseaux de l'Angoisse.
 
Lorsque je suis seule, la vie en devanture dégaine son tableau 
monochrome
désespérément intact de reflets. Et s'étire, s'élire, le parfumé de mon
envie fiévreuse. Avec un tel vacarme qu'il y a longtemps ou ce soir, 
peu
importe, cette passion de boire à cet homme me saisit. Une envie 
immense,
un rythme, un humour, un amour, une attirance, une soif, qui torturait 
mon
corps livré à rien.
 
Il y a longtemps ou ce soir, peu importe, rongé par cette même torture, 
il,
lui, tu es venu jusqu'à moi. 
 
Tu as été rare et cher. Rapt allègre de notre vertige. Sans autre choix
possible tant ton inclination irrésistible m'aimantait, j'ai t'ai
accompagné à m'enlever et m'incliner. Tu m'as rêvée éveillé et bue, 
perdue
et trouvée, volée et rendue, illuminée et tremblée, éprouvée et 
aboutie.
Prise ainsi, je t'ai déterré et frétillé, approché et partagé, caressé 
et
cultivé, nourrit et abreuvé. 
 
Tu as été foule en moi. En bel embouteillage tu m'as voulu en partages
délicats, tendres et tout autant scandés de mots drus qui levaient ces
désirs ricochets. Nés, nous avons volé et nagé sur un monde très 
solide, un
roc, une plume, un fouillis, un poème, un lit d'accords et de rythmes 
dont
la chorégraphie y gagnait en douleurs vives, tels ces halos de douceur 
qui
rendent le malheur tout à fait supportable. Sur chaque folie sublime tu
réinventais la fraîcheur délicieuse de l'immensité intérieure de ces 
petits
patios à ciel ouvert.
 
Il y a longtemps ou ce soir, peu importe, à pulvériser les chapes de 
plomb,
à brûler les vaisseaux fantômes, qui en fable cruelle marchaient sur la
mer, j'ai tant arqué mes reins vers toi, vers un encore brûlant, sans 
honte
aucune ni rougeur rubis, que mon corps déformé et rampé garde les
empreintes de ces cris. De ce plaisir mâle et femelle patiné à glisser, 
à
glisser, à glisser encore entre tes jambes contre la douceur de ton 
ventre.
Tandis que nos mains soucieuses de nos chairs s'agrippaient pour nous 
tenir
à la surface de nos yeux ouverts et attentifs.
 
Il me faudrait davantage que deux ou trois mots pour porter témoignage.
 
Ensuite, à une heure qui mourait ou meure déjà sur l'aube, il y a 
longtemps
ou hier soir, traversée par les restes de nos ombres, j'ai respiré nos
attentions épuisées qui se rhabillaient de convalescence. Tu, lui, il, 
est
parti. 
 
Je restai seule à veiller mot à mot, sans un corps ni un sourire à mon 
bras
sous le drap. Mais je ne suis pas seule, tous ses ancrages sont là. Là 
où
il posait ses mains et me caressait, là où il s'arc-boutait en 
gémissant
tendrement, là où il se déployait, là où il pressait sa chaleur humide
contre la mienne en m'inspirant. Je ne suis pas seule, je suis pleine 
de
sentir la volatil sueur de ces corps - nos corps, dans l'emprise de ce 
don
d'Amour. 
 
Je ne suis pas seule, mais il est si tard - ou tellement tôt déjà, 
qu'en
mirage aménagé sur l'aube, filet de nuit en survie, et peu importe, je 
ne
sais plus si ma vie en désert rose, qui s'étend sur ces choses sans 
vouloir
peser, est vraie.
 
 
                    Marie Mélisou   mai 2000
" mais que la porte s'ouvre enfin comme la première page d'un livre
ta chambre pleine d'indomptables d'amoureuses coïncidences tristes ou 
gaies
(...)
de ta nuit la secrète étude s'éclaircira et de page en page
les ailes de ta parole me seront éventails et de page en page
des éventails pour chasser la nuit de ta figure et de page en page
ta cargaison de paroles au large sera ma guérison et de page en page
les années diminueront vers l'impalpable souffle que la tombe aspire 
déjà "
                                  Tristan Tzara - L'homme approximatif 
-
 
 
Aux morts de Nistos.
A mon père, Guy-Robert Desse, résistant de 20 ans en 1944.
 
 
 
 
             L'oubli de mémoire en première peur
 
 
 
          de peur d'oublier, Captifs de Formes
          ces auréoles semées d'oiseaux à liberté, 
          liberté d'écrire, 
          écrire encore la mémoire et ses pétales 
          misent en bouteille à deux c¦urs 
          en liasses à tant de mains dévorées d'amour
 
          et de peur d'oublier, Captifs de Formes
          lutter, lutter d'écrire en blanc
          quitter les sillons secrets, retrouver les regards
 
          ces tendres regards où
          se joueront les frissons, célestes enfantements,
          s'émerveilleront à l'insoumise tempête
          chaque jour seul de chaque Captif isolé
          surtout la nuit, surtout en solitude attente
          de la mort qu'est la vie où s'ouvriront les gouffres
          tant, tant de terre, tant lutter, tant écrire
          ils chercheront où tisser leurs carrefours
 
          ce qu'ils nomment le " sale "
          ton odeur
          cet amour incessant
          je m'y vautre, m'y frotte
          en respire la substance, n'en lave plus l'arôme
          je dis la Liberté
          et chance qu'est la connaître
 
          hommes aux oreilles téléphonées
          Captifs de Formes de ces jours, aujourd'hui,
          en oubli de mémoire à nouveau, première peur,
          pour qui chaque brin d'herbe pourtant
          se câline en taille prise
          grâce à ceux de ces jours, hier, ceux tombés
          ils oublient, ils reculent, 
          ceux d'aujourd'hui parfois oublient d'avancer
 
          leurs gémissements roulent sur d'illusoires voix
          à l'identité bâchée d'indifférence
          et tournoient, tournoient, se détissent,
          jusqu'aux insectes effleurés d'ailes
          l'étalage de journées douces démasquées
 
          que ne se perdent plus les tombés pour nous,
          les tombés pour eux, l'éperdu temps de Nistos 
 
          j'ai vu des rires hachés
          accrochés de ce blanc des mots
          éventails de paroles
          ce blanc où picorent les années
          ce blanc d'échos de mots, de mots, de mots,
          mots à la vapeur, mots porteurs de pépites
 
          de peur d'oublier, Captifs de Formes
          futurs pillés, violés, torturés, tombés,
          lugubres flaques roulées dans la fange
          si vous oubliez la semence essentielle, 
          la récolte du grand, le bout du fil, 
          et cette Liberté
 
          l'immobile, la mobile, la Liberté
          au bruit sale, et tenace, attendait
          attendait confiante, attend en ciel sans masque,
          attendra déployée en ruban berger
          de retrouver le vrai des regards
 
          ces vrais regards où
          pousseront les enfants debout
          diffusés dans des veines interdites aux loups
          à trousseaux de clé des champs
          à pleurs de rires, à fleurs peaux, paroles filantes, 
          vagabonds espoirs de la chaîne des humains 
          ceux qui n'oublieront pas de crier qu'ici
          il y a eut, il y a, il y aura
 
          ce qu'ils nomment " l'inconnu "
          ton goût
          à calciner les gorges
          spacieuse fête des papilles
          je m'en entoure, m'en garnis, m'en enrichis 
          je te crie, Liberté
          même sous la douleur de te laisser me traverser 
 
 
          nous, Captifs de Formes, de peur d'oublier,
          écrivons, écrivons, sans mots blancs, en douleur,
          en couleur surtout, 
          pour retrouver vos regards
          
          qu'aujourd'hui, comme hier,
          sur le demain de toujours
          nous apprenons à vivre sans la peur
          sans la peur d'oublier
 
          nous essayons
 
 
                            Marie Mélisou  16 avril 2000             
 
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Mise en page : Stéphane Méliade
Mise en page de la page "Octobre-Novembre 99 ": Florence Noël
Merci à mes deux "Soul and Wings Managers" : Florence Noël et Juliette Schweizguth
Et à Marie Mélisou pour ces très beaux textes.
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