Phil avait l'habitude d'accueillir ses meilleurs amis tous les jeudis soirs, notamment les écrivains qu'il avait soutenus et pour lesquels il s'était parfois mis dans une position délicate, comme K.W. Jeter, Jim Blaylock et Tim Powers.

Ce soir là Phil n'était plus là, j'avais pris sa place, mais rien n'était différent. Powers a sorti la bière et les cigares, dont nous avons abusé à n'en plus pouvoir, et nous avons échangé des anecdotes sur Phil Dick jusqu'à l'aube.

Powers a raconté la fois où Phil l'avait convaincu que les Russes venaient de trouver le moyen de supprimer la gravité sur le territoire des Etats-Unis et que nous ne tarderions guère à partir tous à la dérive dans le vide spatial; Jeter a dépeint les courageuses tentatives de Phil pour lui obtenir un contrat pour un roman particulièrement difficile et austère; quelqu'un a évoqué les appels que Phil passait au beau milieu de la nuit pour annoncer qu'il avait enfin achevé ses recherches, avant de rappeler au petit matin pour avouer qu'il avait changé d'avis et qu'il lui fallait repartir de zéro; j'ai raconté avoir emmené avec moi en vavances La Transmigration de Timothy Archer, le roman qu'il venait de terminer, et l'avoir appelé de la cabine publique qui se trouvait dans le hall de l'hôtel chaque fois que je venais d'achever la lecture d'un nouveau chapitre du manuscrit.

Nous avons ri de ce qu'il y avait d'amusant chez Phil et de ses blagues favorites, regardé le plancher tandis que quelqu'un relatait comme Phil l'avait tiré d'un embarras ou fait un sacrifice au profit d'un de ses amis.

J'ai réalisé alors que pour la vingtaine d'hommes et de femmes réunis en cet endroit, Phil représentait la même chose que pour moi: la personne la plus remarquable que nous ayons jamais connue. C'était si drôle de parler avec lui ou de l'écouter que passer notre vie sans lui désormais équivaudrait à traverser le désert après avoir habité Manhattan.